Écrit par HateWeasel

307. Jim.

Le soleil était en train de se coucher, peignant merveilleusement le ciel d'un étalage de rouges, de jaunes, et d'oranges splendides, comme il le faisait tous les jours lorsque le crépuscule prenait place. Les amateurs de plage se mettaient en route pour rentrer chez eux, récupérant leurs affaires pour retourner dans leurs onéreuses villas en bord de mer, celle des Westley étant la plus proche de la plage puisqu'ils détenaient la plus grande fortune de la zone. Grâce à cette proximité, les Sept Sensationnels étaient en mesure de rester dehors plus longtemps, ils étaient ainsi les seuls occupants de la plage pendant un moment. Ils virent les filles qui avaient harcelé leur ami plus tôt dans la journée partir, et les garçons leurs firent des grimaces, tous à l'exception de Ciel, Sebastian, de toute évidence, et curieusement, Alois aussi.

En effet, le blond avait été étrangement silencieux tout au long de la journée, prenant souvent part à la conversation comme Travis le faisait d'ordinaire. Il était plutôt calme, dans son coin. Il semblait contrarié, même alors qu'il souriait. Bien vite, les autres avaient été mis au courant de l'incident avec les odieuses harpies persécutrices que le duo d'abrutis, ainsi que Kristopherson, avaient rencontré, et ils faisaient de leur mieux pour éviter d'en parler étant donné qu'aucun d'entre eux ne pensaient que cela arrangerait les choses, mais plutôt, que cela les empirerait. Même Ciel hésitait quelque peu, alors qu'il connaissait l'antécédent du blond. Cependant, il savait que laisser les choses comme tel ne résoudrait jamais le problème.

A quand remontait la dernière fois qu'Alois avait ne serait-ce que pensé à son traumatisme ? Un an et demi ? Une année entière ? Peut-être deux ? Le blond était incapable de s'en souvenir. Tout s'était si bien passé, alors pourquoi s'en serait-il rappelé ? C'était remarquable, de voir le temps qu'il avait mis à l'éviter. Tandis qu'il était assis à l'écart, il songeait à cela, et il en vint à la conclusion que la dernière fois que cela l'avait réellement dérangé avait été durant l'affaire de proxénétisme du « Red Palace ». Il grimaça en se rappelant de ces hommes que Ciel et lui avaient si brutalement éliminés.

Avant cela, cela avait été lorsque sa relation déjà romantique avec le bleuté était devenue sexuelle ; comme il avait été nerveux, à ce moment-là, qu'il veuille l'admettre ou non. Sa dernière expérience sexuelle avant celle-là n'avait pas été particulièrement plaisante, alors était-il vraiment à blâmer ? Cependant, si cela pouvait faire plaisir à Ciel, alors il était prêt à se soumettre à nouveau à cela. Après tout, c'était ainsi que les choses devaient fonctionner, n'est-ce pas ?

Faux. Il avait totalement faux, à ce niveau-là. Ce que Ciel avait fait, qu'il en ait eu conscience ou non, était d'entièrement redéfinir la vision qu'Alois avait de l'intimité physique. Le bleuté était très sensible au traumatisme du blond, ce qui allait à l'encontre de sa nature plutôt émotionnellement distante, et il avait fait tout son possible pour ne pas empirer les choses. Pas de mouvements brusques, pas de toucher inutiles, et surtout, surtout ne rien faire dans son dos. Effectivement, malgré son côté quelque peu sadique, Ciel avait fait tout en son pouvoir pour s'assurer que l'acte était bénéfique pour les deux individus, et oh, comme le blond lui en était reconnaissant.

Toutefois, même avec autant de délicatesse, un changement aussi drastique prenait du temps à être accepté. Il avait fallu plusieurs mois au blond avant qu'il soit en mesure de ne pas se tendre face au moindre toucher amical du bleuté, et encore plus pour être parfaitement à l'aise avec la situation. Le contretemps du Red Palace les avait renvoyé en arrière, forcé à, presque, à revenir à la case départ, et le blond en avait été désolé, embarrassé. Ciel, cependant, avait ses propres problèmes.

Il n'était pas aisé d'avoir un partenaire qui souffrait d'abus sexuel. En partie à cause des particularités comportementales inconscientes du blond, et parce qu'il souhaitait encore plus faire souffrir le responsable de tout cela que ce dernier. Il était tout bonnement impossible de modifier le passé, peu importe à quel point il était fâcheux. Ciel avait ses propres conflits personnels. Il voulait faire en sorte que le blond se sente à l'aise, mais en même temps il ne voulait pas se sentir lui-même émotionnellement vulnérable. Oui, le bleuté avait toujours eu peur d'être faible, et sans défense, mais la meilleure façon d'aider Alois était de mettre tout cela de côté, et d'être son égal ; de lui montrer qu'il n'était pas seul dans cet effort.

Ainsi, bien que cela portait atteinte à sa fierté, Ciel lui avait montré maintes fois, et il n'en avait aucun regret. Si Alois sortait de sa zone de confort pour lui, alors il était normal pour Ciel d'en faire de même pour Alois. Les progrès fait des deux côtés en si peu de temps étaient réellement impressionnants. Voilà que Ciel, une centaine d'années plus tard, après être devenu un démon, toujours aussi distant et impitoyable qu'avant, avait été changé par un simple garçon blond énervant, qui manquait de goût, était faible, immature, inculte, vil, et détestable dans l'ensemble, et qui était revenu dans sa vie avec autant de discrétion qu'un éléphant. En y réfléchissant, c'était ridicule, cependant, les garçons ne s'en plaignaient pas.

Oui, tout allait pour le mieux. Le passé était derrière eux, et un avenir radieux se présentait à eux, ils en étaient certain. Malheureusement, il semblerait que tout se soit arrêté, cependant, lorsque les souvenirs abjects d'une enfance ruinée s'étaient manifestés sans y être invités. Alois était désormais en quelque sorte distant, tentant de refouler ce souvenir au fond de sa mémoire une fois de plus, et il ne s'asseyait même pas près de son bien-aimé bleuté afin de ne pas l'inquiéter.

Mais cela n'était pas la bonne solution non plus. Tout le monde savait très bien que le blond avait souvent besoin d'être rassuré vis-à-vis des sentiments du Phantomhive. Tout cela à cause de la peur. Il avait peur que l'histoire se répète, et que cet amour qu'il avait n'était qu'une farce, comme le soutien paternel de son ancien majordome l'avait été. Effectivement, Alois avait souvent peur de la trahison, qu'il le montre ou non, pourtant Ciel en était parfaitement conscient. Sebastian l'était également, mais il n'en disait rien. Il n'était pas en position pour se mêler des affaires de son maître, et il avait décidé que c'était au Phantomhive de s'en occuper tout seul, et tout seul, Ciel le faisait.

Une partie de ce réconfort était un effort voulu de la part de Ciel. Comment pourrait-il en être autrement ? Ciel avait toutes les raisons de mentir au blond, non ? Ce garçon était le garçon qui avait été son adversaire ; celui qu'il avait juré de tuer. Ciel le détestait, lui et ses manières ignobles, vulgaires ; ses insinuations tordues, et l'effronterie dont il faisait preuve pour avoir recours à des méthodes de tromperie aussi écœurantes que de se déguiser en femme afin de tenter de le séduire.

Autrefois, oui, Ciel le détestait. Il détestait tout chez lui, mais à présent, les choses avaient changées. Il n'était plus le même sale gosse riche et têtu qu'il était en 1889, aveuglé par la haine et déterminé à mourir. Non, Ciel n'était même plus humain. Il était un démon. Il était un démon qui s'ennuyait, seul dans un monde dirigé par les humains, pourtant, il n'avait jamais été aussi heureux. Sans tous les mensonges, les supercheries, la haine, l'exécration, le besoin de vengeance, et le désir de détruire tout dans son passage pour arriver à ses fins, le monde était beaucoup plus radieux. Il pouvait désormais voir les choses comme elles l'étaient, plutôt qu'aveuglé comme il l'était auparavant.

Ce garçon blond n'était pas réellement « Alois Trancy ». Il était Jim Macken, et n'avait aucun lien avec la mort des parents de Ciel ainsi que le bafouement de sa famille. Ce garçon était au contraire un être pitoyable, dont la vie avait été parsemée d'épreuves et de souffrances, comme celle du bleuté. Ce garçon avait fait ce qu'il pouvait avec ce que la vie lui avait donné, comme Ciel l'avait fait. C'était exactement ce que le blond avait dit toutes ces années en arrière, pleurant tout en se tordant de douleur dans son propre sang au sol devant le bleuté qui tentait de le tuer.

« Nous sommes pareils. »

Et Ciel aimait ce garçon, même si le blond avait besoin qu'on lui rappelle, parfois. Il compatissait avec le blond, et le blond en faisait de même, pourtant, Alois n'était jamais vraiment convaincu. Il ne l'était pas du tout, en fait. Il avait besoin de réaffirmation afin de l'être, et, maintenant, en se souvenant de toutes ces mauvaises choses d'il y a cent ans, il doutait. Les souvenirs de son abus et de son emprisonnement menaient aux souvenirs de la maison Trancy en général, la période suivant la mort de son ravisseur incluse, où il se faisait passer pour le fils de l'homme. Il se rappelait de la trahison de Claude, et de la haine de Ciel Phantomhive.

Même à présent, une fois que les Sept Sensationnels furent de retour dans la villa Westley, tous sain et sauf, Alois était toujours mal à l'aise. Il jetait discrètement des coups d'œil en direction du bleuté, parfois, détournant rapidement le regard lorsque ce dernier croisait le sien. Ciel devait l'admettre, il était quelque peu étonné par les actions du blond ; le silence, les gestes nerveux, ainsi que la distance physique que le blond avait mis entre eux, ce qui n'avait rien à voir avec son comportement habituel. Il n'arrivait tout simplement pas à comprendre ce qu'il avait fait de mal.

Le temps passa, et finalement, les deux garçons qui devaient arriver plus tard firent leur apparition. Comme si Alois ne se sentait déjà pas assez mal, maintenant, il fallait qu'il fasse ses preuves auprès d'un parent de Ciel étant donné que Oliver Midford était arrivé, accompagné de leur ami mutuel, Nigel Irons.

- Nigel ! s'écria un petit démon brun tout en accourant joyeusement vers le roux, l'enlaçant.

Ces deux garçons partageaient une forte affinité l'un pour l'autre, comme ils avaient autrefois cohabités dans le même corps. Bien qu'ils ne se soient jamais officiellement rencontrés avant d'être séparés, ils s'appréciaient tout de même énormément.

- Coucou, Luka ! répondit l'Irons en réciproquant le geste du garçon. Je vois que tes cornes se montrent. J'ai aussi l'impression que tu es plus grand !

- Peut-être que tu seras plus grand que Ciel, un jour, Luka ! dit Daniel, obtenant l'hilarité des autres, Oliver inclus.

Le Phantomhive, cependant, n'était pas amusé.

- Je ne suis pas petit, insista-t-il, croisant les bras tout en fronçant les sourcils.

Il jeta un œil vers Alois, soulagé de voir qu'il souriait à la plaisanterie, mais cela ne dura pas, dès qu'il remarqua que le bleuté le regardait. Quelle mouche l'avait-elle donc piqué ? Le fait que le bleuté soit incapable de trouver une réponse ne faisait qu'augmenter sa frustration.

Le plus jeune Macken prit la main de Nigel pour le mener au centre de la pièce, où la plupart des garçons étaient assis en cercle pour jouer au Monopoly. Sebastian avait été interdit de participer car, d'une manière ou d'une autre, le majordome avait réussi à trouver une façon de gagner au Monopoly. Oliver, cependant, était assis sur le canapé, occupant la place vide à côté d'Alois. De toutes les places qu'il aurait pu choisir pour s'asseoir, évidemment, le Midford avait choisi cette place là. Alois gigotait quelque peu maladroitement afin de s'adapter.

- Comme on se retrouve, salua Oliver en offrant un doux sourire.

Il y avait une atmosphère étrange autour du garçon, comme s'il était constamment radieux, au sens figuré. Ses boucles blondes ressemblaient presque à de la laine de mouton, à l'exception d'une seule longue mèche blonde qui recouvrait son oreille gauche, et qui restait lisse grâce à son propre poids. Il était très calme, rien à voir avec le premier Midford qu'Alois avait rencontré, Elizabeth, et bien plus tolérable. C'en était presque troublant, de voir à quel point ce garçon semblait amical.

- Salut, répondit Alois, incertain de savoir quoi dire.

Ils restèrent assis en silence, gênés, alors qu'ils observaient avec peu d'enthousiasme les autres jouaient à leur jeu de société. Après quelques instants, l'humain blond semblait vouloir dire quelque chose, mais hésitait. Finalement, il cracha le morceau, brisant le silence.

- J'ai ramené avec moi les vêtements que tu m'avais prêté au camp, dit-il.

Il voulait attendre jusqu'à ce que la conversation mène au sujet, cependant, il n'y avait pas de dite conversation.

- Ils sont dans ma valise. Je les ai aussi lavé. Désolé de ne pas les avoir rendus plus tôt. C'est juste que je ne te vois jamais !

- Oh ! Tu n'étais pas obligé, dit Alois, quelque peu nerveusement. J'avais complètement oublié !

- Quand même, je pense qu'il faut toujours rendre ce qu'on emprunte, répondit Oliver. Je ne me sens pas bien, sinon.

- Je vois…

Ils ignoraient tous les deux comment faire avancer les choses. De ce fait, le silence reprit place une nouvelle fois, amoindri par les cris de colère des autres garçons alors qu'ils jouaient à leur jeu ridicule. Les deux blonds étaient mal à l'aise, attendant que la discussion reprenne, ou une chance de s'échapper sans que cela soit impoli. Aucune de ces options ne semblaient se présenter, du moins, cependant, jusqu'à ce qu'une pensée traverse l'esprit d'Oliver, ce qui le fit quelque peu rire.

- Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ? demanda Alois en levant un sourcil, confus.

L'autre garçon s'arrêta, et regarda le Macken plus âgé en souriant.

- Tu n'es pas du tout comme Ciel t'avait décris, répondit Oliver. Il dit que tu es plus que sûr de toi, bruyant, et bêbête.

- Ah bon ? demanda la menace blonde en répondant par une question. Une minute, il parle de moi ?

- Seulement tout le temps, répondit le Midford avec un grand sourire. Chaque fois qu'il nous rend visite, c'est toujours « Alois a fait ça », « Alois a fait ci », « si Alois était là, il ferait ça » ; c'est plutôt marrant. Je ne l'ai jamais entendu parler comme ça avant. Il a toujours été si sérieux, même lorsque j'étais petit, tu sais ?

- Oh, je sais, dit le blond.

Après tout, il avait rencontré le bleuté en premier. Ce qu'il ne comprenait pas, cependant, c'était pourquoi le garçon parlait de lui aux autres aussi fréquemment.

- Il est un peu rabat-joie, parfois, hein ?

- Ouais, mais il est beaucoup mieux maintenant, répondit Oliver. Si tu lui fais remarquer à quel point il parle de toi, par contre, il devient très embarrassé. Il est vraiment fou de toi, et personne n'a jamais vu ça avant. Mon père aime bien le taquiner sur ça.

Alois ne put s'empêcher de glousser en se l'imaginant.

- Ouais, il est plutôt mignon quand il est embarrassé, répondit-il, oubliant ses problèmes un moment en imaginant le visage rougi d'un bleuté tentant d'avoir l'air dur et distingué.

Oh, comme Alois aimait être l'une des seules personnes capable de déboussoler le bleuté juste en étant mentionné. Ciel était un petit rouge-gorge orgueilleux, mais néanmoins, il avait un gros faible pour la menace blonde. Alois était son talon d'Achille, et tout le monde le savait…

- Eh bien, ça je ne sais pas, mais c'est plutôt amusant, dit le Midford, alors qu'il ne partageait pas exactement le même « intérêt » que le duo de démons. La seule autre personne que je connaisse qui soit capable de l'embarrasser comme ça est Sir Integra, mais avec elle, il ne fait que se disputer, puis s'énerver. Quand on parle de toi, par contre, il ne peut rien dire, ce qui est une première.

Il marqua une pause, se rappelant toutes les fois où le Phantomhive et la Hellsing s'étaient querellés pour rien, son confrère blond faisant de même juste à côté de lui, tous les deux souriant.

- Tu comptes plus pour Ciel que n'importe qui d'autre, ajouta-t-il. Alors il sera là pour écouter ce qui te tracasse. Il a l'air plutôt inquiet.

Alois resta assis là, un air coi sur le visage. Ce garçon avait nonchalamment remonté le moral du blond tout en lui donnant un plan d'action, et tout cela sans être invasif. Comment avait-il fait cela ? Alois ne pouvait s'empêcher d'être quelque peu méfiant du garçon. Il était beaucoup trop gentil, trop amical, et il semblait toujours savoir quoi dire, bien que, c'était exactement ainsi que Ciel l'avait décrit avant qu'ils soient présentés. C'était pour une raison ou pour une autre ainsi que le garçon était. Tandis qu'Alois songeait à cela, le visage d'Oliver passa de la compassion à un embarras paniqué.

- J-Je suis désolé ! Je me trompe ? demanda-t-il en sortant la menace de sa transe. Tu avais juste l'air d'être tourmenté par quelque chose, et Ciel n'arrête pas de regarder dans ta direction d'un air comme inquiet, alors je me demandais si quelque chose était arrivée ! Je suis désolé si je me mêle de ce qui ne me regarde pas…

- Oh, mais non ! Tu m'as aidé, en fait, répondit Alois. Merci.

- ARGH ! grogna un fils de politicien familier, s'emparant de l'attention des deux blonds.

Le garçon se tenait la tête tout en arborant un air similaire à celui des autres garçons.

- C'est po juste ! reprit-il en pointant du doigt le plus jeune des frères Macken, Luka. Tu as eu l'aide du cyclope ! C'est de la triche !

- Rien dans les règles n'interdit de demander des conseils, dit le bleuté, assis à côté d'un Luka plutôt fier qui était très content de s'être emparé de « l'argent » de tous les « grands » participant au jeu. Les affaires sont les affaires. Si tu ne peux pas accepter cela, je suggère que tu reconsidères ton choix de carrière, Daniel.

- Qu'est-ce que les affaires ont à voir avec la politique ?! s'écria le Westley.

- Absolument tout, répondit Ciel.

Bien qu'il lui avait fallu plus de temps que Sebastian, au vu de ses compétences ainsi qu'au fait qu'il « jouait » à travers un enfant de huit ans, Ciel avait gagné. Il avait taxé et volé les autres garçons, jusqu'à ce qu'ils soient incapable de payer une seule case sur laquelle ils atterrissaient, ou de payer des taxes en plus. Voilà ce que jouer au Monopoly avec un véritable homme d'affaires signifiait.

L'œil visible du bleuté s'égara ensuite vers son bien-aimé, l'espace d'un instant, mais étrangement, pour la première fois depuis le début de la soirée, l'autre garçon ne détourna pas immédiatement le regard. A la place, il tourna la tête afin de regarder le Midford assis à côté de lui, recevant un hochement de tête ainsi qu'un sourire, tandis que l'humain fit signe à son parent. Alois regarda ensuite à nouveau Ciel, puis il se leva, étirant les jambes avant de marcher vers le garçon pour s'asseoir à côté de lui. De son habituel sourire, la menace blonde passa ses bras autour de son petit ami, se blottissant dans le creux de son cou.

- Je vois que tu as enfin décidé de nous rejoindre, dit Ciel, un petit sourire pointant le bout de ses lèvres.

- En effet, mon cher ! répondit Alois. A quels méfaits t'es-tu adonné durant mon absence, si je puis demander ?

- Ton copain est la pire personne au monde avec qui jouer à des jeux, dit Daniel, prenant une pause pour arrêter de bouder et répondre à la place du bleuté. Cet enfoiré nous a tous plumé !

- Non, je ne vous ai pas plumé. C'est Luka, corrigea le Phantomhive, passant presque instinctivement un bras autour d'Alois. Je ne faisais que donner des conseils d'ami.

- L'amitié n'existe pas au Monopoly, dit Kristopherson en posant ses cartes.

- Bon, je ne sais pas pour vous, mais je pense qu'il est temps de manger, dit Audrey en ajustant son bonnet sur sa tête.

Il en avait été séparé pendant toute la journée, et il était bien content d'être réunis avec lui.

- Vous voulez commander pizza ? demanda Daniel.

- Seulement si on prend aussi des gressins, répondit le dieu de la Mort.

- On va avoir de la pizza ?! demanda Luka, excité.

Il avait mangé ce plat au restaurant, une fois ou deux avec le reste de la maison Phantomhive, et était enthousiaste à l'idée de manger à nouveau l'étrange pain savoureux.

- Et puis quoi encore ! répondit Daniel. La pizza vient à nous !

- Mortel ! Une minute, comment ?

- Regarde ! dit le Westley. Eh ! On commande pizza ! Vous voulez quoi dessus ?!

Et ainsi, le chaos prit place. Les garçons se disputèrent d'une manière ridicule pour savoir quelles pizzas commander, lançant autant des idées que des insultes en l'air, surtout pour plaisanter. Alors que cela se déroulait, le duo de démons se contentait d'observer étant donné qu'aucun d'entre eux n'avait faim. Il y avait des avantages à être un démon puisque les deux garçons n'avaient pas besoin de manger ; de la nourriture humaine, du moins.

A la place, ils interagissaient ensemble, profitant silencieusement de la compagnie de l'autre dont ils avaient été privée durant toute la soirée. Ce n'était pas vraiment cette privation, mais plutôt, l'inquiétude d'un problème sous-jacent entre eux qui causait leur anxiété. Le manque de confrontation à ce sujet, cependant, ne faisait qu'empirer les choses d'une certaine manière, il fallait donc agir. Ils en étaient tous les deux conscients, mais seul l'un d'eux avait une vague idée de comment, et ce grâce au conseil d'un autre garçon d'une chevelure à la teinte similaire.

- Eh, Ciel ? dit Alois, prenant toute l'attention du bleuté.

- Oui ?

- J'aimerais te parler de certaines choses…

Alors ça, c'était une première. Ciel était surpris qu'Alois fasse le premier pas, parce que bien que ce dernier soit effronté et assuré, lorsqu'il s'agissait de problèmes personnels, il préférait rester de marbre. Il cachait tout derrière un masque souriant, comme il l'avait toujours fait. C'était une mauvaise habitude dure à faire partir, et la menace n'était pas tout à fait sûr de s'il serait capable d'y arriver, mais il savait que le bleuté comprendrait s'il échouait. S'il y avait bien quelqu'un qui s'y connaissait en masques, c'était Ciel Phantomhive, après tout.

Passant outre sa surprise momentanée, le bleuté dit :

- Bien sûr. Nous pouvons aller dans l'autre pièce, si tu veux.

Alois, en retour, hocha la tête et relâcha son compagnon. Ils se levèrent tous les deux, et se dirigèrent vers la cuisine sous le vacarme de la discorde qui s'ensuivait parmi leurs amis, main dans la main. Mené par le démon blond, ils ne se lâchèrent pas, même lorsqu'ils s'arrêtèrent. Lentement, et quelque peu timidement, Alois se retourna afin de faire face au Phantomhive, tenant désormais le main du garçon avec ses deux mains, jouant inconsciemment avec ses doigts. Après quelques minutes de silence, Ciel en eut assez.

- De quoi voulais-tu parler ? demanda-t-il, rappelant au blond pourquoi ils étaient tous les deux ici.

Son bien-aimé ouvrit la bouche, mais hésita avant de prendre la parole.

- Tu te souviens quand Kris, Dan, et Bones t'ont raconté ce qu'il s'est passé aujourd'hui ? dit Alois, tournant autour du pot en posant lui-même une question.

- Oui, répondit le bleuté, écoutant ce que le blond avait à dire.

- Bah, ça a un peu… réveillé certains souvenirs… répondit Alois.

- Est-ce pour cela que tu m'évitais ? demanda Ciel, levant sa main libre afin de la poser sur la joue de l'autre garçon. Alois, je ne te ferais jamais, jamais une chose pareille…

- Mais quand même…

La menace baissa les yeux.

- Ce n'est pas tout… seulement une partie…

- Alors qu'y a-t-il ? Dis-moi, je t'en prie.

Alois releva les yeux.

- A l'époque… nous étions ennemis… tu me détestais… commença le blond, ses yeux devenant larmoyant. Tu me détestais, et tu me trouvais écœurant… Qu'on en arrive à passer de ça à… s'aimer… c'est juste trop surréaliste. J-J'ai juste… juste…

- … peur que tout ne soit qu'un mensonge ? demanda Ciel, finissant la phrase du blond avec une expression solennel.

Le garçon devant lui se contenta de hocher la tête, son visage tordu en une expression de souffrance alors qu'il faisait de son mieux pour ne pas pleurer. Il fut guidé dans les bras du bleuté, passant les siens autour de la taille du garçon légèrement plus petit tandis que ce dernier lui caressait doucement le dos, tout en prétendant ne pas remarquer l'humidité qui commençait à apparaître sur son épaule depuis les yeux du blond.

- C'était il y a si longtemps, Alois… commença Ciel. Tu vois peut-être les choses différemment, mais pour moi c'est du passé. J'ai eu bien assez de temps pour réaliser à quel point la situation était absurde.

Il les sépara juste assez pour pouvoir voir le visage de son compagnon.

- Tu n'as jamais été à l'origine de mes soucis, reprit-il. Tu n'as jamais, au grand jamais, eu quelque chose à voir avec ma vengeance. Il se trouvait juste que tu correspondais à la description du mensonge que l'on m'avait raconté. Si je n'avais pas été aussi facile à duper, j'aurais peut-être réalisé que quelque chose clochait. Je luttais contre la mauvaise génération des Trancy pour le meurtre de mes parents, et si j'avais fait davantage de recherches, je me serais rendu compte que les Trancy n'avaient aucun rapport avec tout cela ! Ils avaient d'autres problèmes… s'estompa Ciel, fronçant les sourcils.

Alois se contentait de le regarder, s'accrochant à chaque mot d'un air presque stupéfait.

- Mais tout cela n'a aucune importance, dit finalement le bleuté en prenant le visage du blond dans ses mains, le massant avec les pouces. Tu n'as jamais été un « Trancy », de toute manière. Tu étais simplement un garçon qui tentait de survivre dans ce monde cruel, tout comme moi, et tu as toujours été, et tu es toujours, un millions de fois plus fort, plus fier, et plus beau que n'importe quel Trancy pourraient l'être…

Il embrassa la joue d'Alois, et se pencha en avant afin de chuchoter dans l'oreille du blond.

- … mon cher Jim Macken.

Et voilà. La couleur du visage du blond prit une teinte beaucoup plus sombre, et sa prise autour de la taille du bleuté se fit plus forte. Entendre son véritable nom avait toujours un curieux effet sur lui, surtout lorsque Ciel le disait. Le vrai nom d'une personne, quelque soit son espèce, avait toujours cet effet-là, peu importe le nombre de fois où il était prononcé. Le nom d'une personne est, semblerait-il, lié à son âme. Lorsque l'on dit le vrai nom de quelqu'un, l'individu en question est tout ouï. C'est un reflex, mais pour « Alois », cela avait un effet encore plus fort.

- Toi… Toi et tes mots… répondit-il, ne croisant pas le regard du bleuté.

- Qu'y a-t-il ? demanda innocemment Ciel. N'ai-je pas répondu à tes questions ?

- Tu me fais me sentir idiot… dit le démon blond en faisant la moue.

- Alors nous sommes deux, répliqua le bleuté. Tu sais, tu es sans doute la personne la plus assurée et celle qui manque le plus de confiance en soi que je connaisse.

- Peux-tu vraiment m'en vouloir ?

- Non, et je t'aime quand même, Jim.

Le Macken ouvrit la bouche afin de parler, mais il la referma, choisissant à la place de poser ses lèvres contre celles du Phantomhive.

- Moi aussi, je t'aime, dit-il en collant leurs fronts ensemble, et le bleuté laissa échapper un « hm ».

- Oh ? Pas de « ne m'appelle pas 'Jim' » ? demanda-t-il d'un ton railleur, souriant face à l'inhabituelle timidité dont faisait preuve son amant.

Cependant, il ne s'attendait pas à la réponse du garçon.

- Ça… Ça ne me gêne pas… répondit le blond. Tu peux m'appeler par mon vrai nom… Mais seulement Luka et toi, compris ?

Ciel ne réfléchit même pas avant de l'embrasser. Le bleuté était tout simplement trop chamboulé par le geste soudain que Alois, ou plutôt, « Jim », venait de lui faire. Des situations inhabituelles en engendraient d'autres, alors que le Phantomhive agit imprudemment en embrassant la menace blonde, sachant parfaitement que l'un des autres garçons pouvaient arriver à n'importe quel instant. Un moment plus tard, le garçon se recula afin de regarder son amant, un sourire sur le visage.

- Très bien, dit-il. Mais à partir de maintenant, tu n'as pas le droit de remettre en question la sincérité de mes sentiments pour toi.

- Je pense pouvoir y arriver, répondit Alois, souriant lui aussi.

- Parfait, parce que tu ne devrais déjà plus en douter, ajouta le bleuté. Je ne manquerai pas de te le rappeler de temps à autres, juste au cas où, cela dit, Jimmy.

- Bon, là tu exagères, Phantomhive.

- « Phantomhive » ? répéta Ciel en souriant narquoisement. Nous sommes de retour aux noms de famille ? Qu'en est-il de cette permission presque exclusive pour t'appeler par ton véritable nom ?

- Ferme-là juste et continue à m'embrasser, gros prétentieux, répondit l'autre démon, ses joues bien roses.

Avec un ricanement, l'autre démon concéda à sa requête, scellant à nouveau leurs lèvres ensemble.

De douces lèvres se mouvaient en parfaite synchronisation, avec chasteté. C'était un changement de rythme agréable ; très pur et sincère. Cela faisait un bon moment qu'ils n'avaient pas eu une véritable discussion à cœur ouvert, et leurs actions traduisaient cela. C'était un moment rare où ils étaient comme n'importe quel autre couple ordinaire, heureux, et cela fut gâché par l'arrivée d'un certain fils de politicien.

- Ah ! cria Daniel avec surprise en remarquant les deux garçons, les poussant à se séparer.

Là, les visages des trois garçons étaient rouges, alors que les démons se raclaient maladroitement la gorge.

- Prévenez-moi la prochaine fois que vous décidez spontanément d'homosexualiser les lieux ! dit le Westley, se dirigeant à présent vers le réfrigérateur.

Il prit un bout de papier avec le numéro de téléphone dont il avait besoin, qui tenait contre la surface en métal grâce à un petit aimant, puis il se retourna vers la paire.

- Je devrais pouvoir ne pas voir des séances de galoches que personne n'a demandé, dans ma propre maison !

- C'était « demandé », répondit Alois, prenant la main du bleuté. Plus qu'un peu, même.

- Et alors ? Je ne veux pas voir ça ! protesta Daniel. C'est déjà assez bizarre de regarder d'autres gens se rouler des pelles, mais voir deux mecs se rouler des pelles, c'est extrêmement troublant.

- Alors tu es contrarié parce que tu trouves ça excitant ?

- Non ! cria le Westley de manière indignée. Maintenant arrêtez d'essayer de faire des bébés démons gay dans ma cuisine, et aidez-moi à commander les pizza !

- Allons bon, comment est-ce que cela pourrait marcher ? demanda Ciel en se frottant le front. Soit, nous serons là dans une minute.

- D'accord, mais ne faites rien de coquin ici. C'est ici qu'on garde la nourriture, vous savez, avertit le brun avant de fuir les lieux et de rejoindre les autres.

Le duo de démons était à nouveau seul, enfin, cependant, l'ambiance avait été complètement ruinée. Ciel lâcha un soupir avant de se tourner vers le Macken le plus âgé, serrant légèrement ses doigts.

- Alors, tout est réglé ? demanda-t-il, ne sachant pas réellement à quel type de réponse s'attendre.

Bien que cela calmait les inquiétudes du blond vis-à-vis de leur relation, les souvenirs de son abus resteraient sans doute.

- Je pense que oui, répondit le démon blond. Si je recommence à me sentir mal, tu seras là pour me donner des bisous et tout arranger, pas vrai ?

Ciel ricana.

- Yes, your highness.

Aussi mignon que cela était, l'instant fut de nouveau ruiné par des cris venant de l'autre pièce.

- Eh, les gars ! Alois est enceinte ! hurla Daniel, le bruit de divers cris, sifflements, et « ooh » de la part des autres garçons apparaissant ensuite.

Immédiatement, le visage du blond se réchauffa.

- FERME TA GUEULE, DAN !