Écrit par HateWeasel

314. Ne Recommence Pas.

Ciel se demanda un bon moment s'il devait déjà aborder le sujet ou non en fixant le bout de papier que l'Inspecteur Bailey lui avait donné. Même assis à côté de son bien-aimé blond, il avait froid alors qu'il pensait à se rendre à l'adresse grossièrement inscrite sur le papier ou à continuer leur chemin jusqu'à chez eux. Alois avait le droit de savoir, mais était-ce le bon moment ? Comment réagirait-il ? Que se passerait-il ? Serait-il contrarié ? Serait-il triste ? Effrayé ? En colère ? Peu importe à quel point il connaissait bien Alois, il était dur pour lui de prédire sa réponse. N'importe qui pourrait agir irrationnellement en découvrant l'endroit où repose son cadavre. N'importe qui. Peut-être même Ciel, qui sait ?

Cela le tracassait, mâchouillant sa conscience comme les crocs de l'affreuse bête du nom de « Culpabilité ». Il savait qu'il devrait le dire à Alois. Il savait que le plus tôt serait le mieux. Hélas, et le bleuté ne souhaiterait jamais l'admettre, il avait peur de voir la réaction du blond. Et s'il s'énervait contre lui ? Il ne voulait pas ça. Et si cela le terrifiait ? Ciel ne voulait pas cela non plus. Qui plus est, il devrait expliquer pourquoi il avait ne serait-ce que demandé à l'Inspecteur Bailey de trouver l'emplacement de la tombe.

Pour être franc, il n'en était lui-même pas tout à fait sûr. Ciel était quelque peu curieux, c'était le moins qu'on puisse dire, du destin du Jim Macken « originel ». Comment pourrait-il en être autrement ? Il aimait la menace blonde de tout son cœur noirci ; c'était presque naturel pour lui de se demander ce qui était arrivé au corps sur lequel il avait posé les yeux la première fois qu'il avait fait la rencontre du garçon. Ce corps, que la menace blonde percevait comme laid et souillé, était dans les souvenirs de Ciel aussi beau qu'Alois aujourd'hui ; stupéfiant.

Le bleuté avait été véritablement ensorcelé par le blond le soir où ils s'étaient rencontrés pour la première fois face à face au bal costumé. Lorsqu'ils s'étaient « accidentellement » rentrés dedans alors que le blond était déguisé, Ciel, contrairement à ses affirmations, ignorait le véritable genre du blond quand ils s'étaient retrouvés seuls dans cette chambre pendant que Alois nettoyait en vain le manteau de Ciel taché de vin. Quoiqu'il fût sur ses gardes et méfiant, pensant que cette « bonne » avait été envoyé par le Comte Trancy lui-même pour se débarrasser de lui, son esprit de jeune adolescent était quelque peu nerveux à l'idée d'être seul dans une pièce mal éclairée avec un membre du sexe opposé. En y repensant, il n'avait été ni choqué ni embarrassé en découvrant la véritable identité d'Alois, ce qui aurait dû être un carton rouge pour Ciel à ce moment-là. Il l'avait ignoré, cependant, et ainsi son esprit n'avait pas suivi sa bouche.

- … je veux que tu te mettes à ramper jusqu'à moi en frétillant de la queue ! avait dit le blond.

Et qu'est-ce que le bleuté avait répondu ?

- A voir ta posture, tu es mieux parti que moi pour le faire !

Pourquoi avait-il dit cela ? Il n'aurait jamais dit une chose pareille à qui que ce soit, à cette époque. Peut-être était-il un peu plus sensible que dans ses souvenirs. Quoi qu'il en soit, il y avait eu quelque chose, le bleuté en était à présent certain. Une partie de lui aurait voulu qu'il le remarque plus tôt, mais il savait très bien que le déroulement des événements de l'époque valait mieux que de choisir de partir en quête d'une relation romantique avec le blond il y a cent ans. Peu importe ce que le blond en question pensait, Ciel trouvait qu'Alois était magnifique à cette époque, et qu'il l'était encore aujourd'hui, et rien ni personne ne pourrait le faire changer d'avis, le Trancy inclus. Il en allait de même pour Alois, mais de l'autre côté du spectre, et cela pour des raisons qui étaient plutôt faciles à comprendre.

- Qu'y a-t-il ? demanda soudainement le blond en question, faisant quelque peu sursauter le bleuté.

Ciel tourna la tête afin de regarder son petit ami qui le regardait d'un air inquiet. L'air grave qui se dessinait inconsciemment sur le visage du bleuté l'inquiétait.

- Hmmm… fit Ciel en réponse, détournant l'œil en tentant de trouver une manière de dire ce qu'il voulait ; non, ce qu'il devait dire.

Il regarda à nouveau le blond.

- Nous ne pouvons pas en parler ici, reprit-il en faisant référence au chauffeur de taxi à l'avant.

Alois se contenta de hocher la tête en réponse, sachant que les civils ne devaient pas entendre certaines choses dont ils pourraient parler, qu'il s'agisse de démons, ou de l'affaire qu'ils venaient de recevoir. Cela arrivait souvent, et comme toujours, Ciel dit simplement au chauffeur de les déposer quelque part avant de le payer. Une fois qu'ils furent hors du véhicule, ils se confondirent dans la foule qui jonchait les rues animées de Londres. Ils étaient des individus parmi tant d'autres ; leur conversation n'avait plus d'importance, et ils ne seraient pas entendus par ceux qui n'essayeraient pas de réellement choisir d'écouter leur discussion.

Ainsi, le blond attendit patiemment tandis que le bleuté réfléchissait. Ce n'était décidément pas rassurant pour lui, le comportement de Ciel. Si cela avait seulement un rapport avec l'enquête, Ciel n'y aurait pas songé pendant aussi longtemps, et il n'aurait pas l'air aussi troublé. Cela avait-il un rapport avec la note que l'Inspecteur Bailey lui avait donnée ? Était-ce si important que cela ? Ciel lui aurait certainement dit, si c'était le cas. Ou s'agissait-il de ce dont il essayait de parler ? Il ne pouvait qu'attendre…

- Cette note que Gabriel m'a donnée… reprit à nouveau Ciel, tentant de trouver ses mots. Je lui ai demandé de chercher quelque chose pour moi…

- Ouais ? Quoi ? demanda Alois, extrêmement curieux.

- D'abord, promets-moi que tu ne seras pas contrarié… dit le bleuté d'un ton presque enfantin.

- D'accord ?

- Promets-le.

- D'accord. Je le promets ! répondit le Macken. Maintenant, qu'est-ce qu'il y a ?

Après avoir pris une profonde inspiration, le Phantomhive parla.

- Il y a quelques temps… commença-t-il, baissant les mains pour jouer avec les doigts du blond tout en gardant les yeux dessus, plutôt que de regarder le visage du garçon, … Par curiosité, j'ai demandé à Gabriel de trouver ceci.

De sa main libre, il tendit le papier au blond, et Alois le prit. Il jeta un rapide coup d'œil au départ, puis comprit ce qu'il venait de lire, sembla-t-il. Il dû alors relire, puis une nouvelle fois, et une fois encore pour être sûr, pour s'assurer qu'il avait correctement lu la note. Il regarda le bleuté, les yeux écarquillés, le visage pâle. Son expression était dure à déchiffrer. Il y avait beaucoup de choc, d'incrédulité, une once de peur, et un tout petit peu de colère. En fait, tout ce que le bleuté espérait ne pas voir, bien qu'il s'en doutait.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda enfin Alois, comme s'il avait besoin d'une confirmation.

- C'est, commença Ciel, l'emplacement de ton corps originel, ton corps humain, dit-il.

Il attendit tandis que le blond regarda à nouveau le papier pour le relire une nouvelle fois, avant de relever les yeux et de reprendre la parole.

- Pourquoi ? demanda-t-il.

- Parce que je voulais savoir ce qui lui était arrivé.

Il y eut un long silence suffocant. Les propos devaient comme être absorbés un instant. Après tout, ils parlaient d'un corps en décomposition ; celui d'Alois, qui s'accompagnait d'affreux souvenirs, et plus encore. Peut-être n'était-ce même plus un cadavre. Ce n'était sans doute plus qu'un tas d'os dans un semblant de boîte pourrie après toutes ces années, ce qui était probablement le cas. Comment réagir face à cette nouvelle ; apprendre l'emplacement de son misérable corps violé et meurtri ; apprendre où se trouvaient ses ignobles et pathétiques os après tant d'années, tout en étant toujours en vie, en ayant mis le passé de côté, et en étant heureux ? Comment réagir en apprenant que l'amour de sa vie était à l'origine de cette découverte ? Comment ?

- Je voulais savoir… dit Ciel, baissant l'œil. C'est tout. Je voulais savoir où il se trouvait… Nous ne sommes pas obligés de nous y rendre. Nous ne sommes pas obligés de le voir. Tu peux tout simplement déchirer ce bout de papier maintenant, et nous rentrerons. Je ne me plaindrais pas ; je ne dirai rien. Je sais que j'ai mal agi, mais… s'estompa-t-il, cessant de bouger les doigts et d'agripper la main de l'autre garçon, … J'avais besoin de savoir ce qui t'étais arrivé, dit-il finalement en regardant le blond qui croisait également son regard, les sourcils levés, surpris.

L'œil visible du Phantomhive semblait triste, craignant ce que le blond pourrait dire. Il était incertain, mais sincère. Cela montrait à quel point Ciel voulait l'approbation du blond, même si Ciel lui-même n'arrivait pas à l'exprimer verbalement. Le visage du bleuté montrait à quel point il était faible en réalité vis-à-vis d'Alois, comme si le blond avait besoin qu'on lui rappelle. Avec une pointe de culpabilité pour avoir douté du bleuté, ce fut au tour d'Alois de choisir consciencieusement ses mots.

- Ce n'est pas grave, dit-il enfin. Je ne t'en veux pas.

Le soulagement qui traversa son bien-aimé bleuté fut palpable, visible par tous. Ciel soupira et se remit droit, mais il ne lâcha pas la main du blond en reprenant de sa vigueur.

- Que veux-tu faire ? demanda-t-il doucement. Tu as toutes les cartes en main.

Le silence fit son retour alors que Alois regarda à nouveau le papier, cherchant une réponse. Quels étaient les bons et les mauvais côtés ? Il ne semblait pas y en avoir. Leur heureux quotidien reprendrait quoi qu'il arrive. Ils rentreraient chez eux, parleraient du meurtre, de tout et de rien, joueraient avec Luka, regarderaient peut-être la télévision, dîneraient avec le reste de la « famille », se prépareraient pour aller au lit, feraient peut-être l'amour, iraient dormir, et se réveilleraient le lendemain matin pour travailler et jouer un peu plus. La vie reprendrait son cours, quoi qu'il arrive.

Mais maintenant, Alois devait l'admettre, il était un peu curieux. Peu importe à quel point le petit garçon apeuré à l'intérieur de lui protestait, le « nouveau » Jim Macken était assez encouragé pour suivre sa curiosité. Que s'était-il passé à sa mort ? Peu importe ce qu'ils trouveraient, ou ce qu'ils ne trouveraient pas, Alois savait qu'il avait tout de même des gens qui l'aimaient même si ce n'était pas le cas de Claude, et c'était le plus important, maintenant. Le passé ne le définissait ni lui ni sa valeur. Il refusait de verser une larme pour cela, et même si cela arrivait, il l'essuierait lui-même, et serait d'autant plus déterminé à se relever et à améliorer les choses.

- Allons-y, dit-il finalement.

- Es-tu sûr ? demanda le bleuté d'un air inquiet. Nous ne sommes vraiment pas obligés, si tu ne veux pas.

- Sûr et certain, répondit Alois, un sourire sur le visage. Appelle un autre taxi.

- Je t'aime, dit Ciel, un sourire bien visible sur son visage.

- Moi aussi, je t'aime, répondit le blond en déposant un baiser sur les lèvres de l'autre garçon avant d'ajouter : … Mais ne me refais jamais un coup pareil.