Écrit par HateWeasel
315. Un Souvenir Impérissable.
Le monde s'était tu. La cacophonie des rues animées en dehors du cimetière se taisait petit à petit alors qu'ils s'aventuraient à l'intérieur, en direction des tombes les plus anciennes. Les seules couleurs que les garçons semblaient en mesure de voir dans l'ensemble étaient du vert, du gris, ainsi que du noir, à l'exception des quelques fleurs qui décoraient les tombes les plus récentes.
C'était désolant. Chaque tombe devant laquelle ils passaient appartenait à quelqu'un né bien après eux. Certaines étaient incroyablement récente ; des enfants. Pire encore, en s'enfonçant davantage dans le lieu, les fleurs disparaissaient, signe que les personnes qui laissaient cette marque commémorative avaient trépassées, recevant à leur tour leurs propres fleurs de la part de leurs êtres chers. Un jour, elles ne recevraient plus de fleurs non plus, alors que les personnes qui se rappelaient d'elles recevraient elles aussi des fleurs dans un cycle éternel.
Au plus profond du cimetière, ils se rendirent, les mauvaises et les hautes herbes commençant à prendre le dessus des tombes de ceux qui n'avaient plus personne pour être entretenues. Cette vieille partie du cimetière était remplie d'aristocrates, cependant, alors leurs tombes étaient plutôt bien pensées depuis le départ, ainsi elles tenaient encore. C'était comme si elles attendaient quelqu'un-, n'importe qui, qui reviendrait et se rappellerait d'elles, malgré l'usure et le temps passé. De la mousse recouvrait certains des noms tandis que d'autres étaient si érodés que quelques mots manquaient.
Ciel ne supportait pas de regarder ces tombes. Il craignait d'apercevoir un nom familier, quelqu'un qu'il aurait abandonné. La simple idée que cela arrive le peinait. Depuis ce jour, celui où il était parti, il avait l'impression de les avoir trahis. Ah, ils étaient au mois d'août, non ? L'anniversaire de ce jour approchait, non ? Il se sentait vraiment ridicule, mais d'une certaine manière, s'en rappeler le rendait… triste. Il se sentait triste, et coupable. Jamais n'avait-il correctement fait le deuil de ces personnes. Ses amis… sa famille… pas une seule fois.
Il ne s'était jamais excusé, même symboliquement. Comment pouvait-il être aussi abject ? Comment avait-il pu faire une chose pareille ? Son cœur était décidément fermé à tous, même ceux qui ne lui avaient rien fait et qui le chérissaient. Ciel Phantomhive, « Le Comte Maléfique » était aussi froid que la glace, et ce depuis son dixième anniversaire. Comment avait-il pu être aussi stupide ? Voilà ce qu'il était, et il le réalisait à présent ; un idiot. Ce garçon arrogant qu'il était autrefois était l'une des personnes les plus stupides et les plus irrationnelles qu'il connaissait. Il avait été assez stupide pour rejeter toute forme d'affection, ne faisant que blesser les gens autour de lui qui l'aimaient, les gens qui lui étaient important. Mais, lorsqu'il s'en était rendu compte, il était déjà bien trop tard. Il n'y avait plus personne. Il ne restait que lui, et son majordome vêtu de noir. Il était seul au monde, et tout cela par sa propre faute. Il avait pour habitude de dire que la vie était une partie d'échecs, et qu'il était le Roi, tandis que tous les autres n'étaient que ses stupides pions. Qu'est-ce que cela faisait de lui ? Facile ; il était le Roi des Imbéciles.
Du moins, jusqu'à ce qu'un certain miséreux blond ne se fasse une place entre les murs de son château. Ce dernier était un imbécile, tout comme Ciel, mais ses plaisanteries et ses boutades s'étaient faufilées d'une manière ou d'une autre dans les fissures infimes de la glace, l'avaient fait fondre, et le Phantomhive s'était retrouvé le cœur à nu, mais cela ne lui avait pas autant déplu qu'il l'avait pensé. Non, en fait, en voyant le blond se dandiner avec répartie, il songea au passé qu'ils avaient partagé, et il se demanda comment diable ce garçon était en mesure de faire tout cela. Ce ne fut qu'à partir de ce moment-là qu'il se mit à voir que le blond portait un masque, tout comme Ciel lui-même.
La surface avait commencé à se fissurer, révélant le véritable visage de son ancien ennemi, mais au lieu de ressentir le besoin de se battre, ou de sentir l'opportunité de venir à bout de l'autre garçon, qu'éprouva le bleuté ? De l'affection ; quelque chose qu'il n'avait pas ressenti depuis des lustres. De l'affection qui devint de l'attachement, et c'est alors, que le bleuté voulut faire quelque chose à propos des engrenages rouillés, des ressorts déroulés, et des boulons manquants qui constituaient l'esprit du blond. Ciel commença à avoir besoin d'aider ce garçon à être réparé, alors que le garçon en question devinait la personne qu'il préférait le plus au monde. Ce n'était pas une « envie », c'était une « nécessité ».
Les yeux bleus glacés de la menace blonde qui regardaient le bleuté seulement avec tendresse zieutaient rapidement toutes les tombes, devenant de plus en plus anxieux chaque fois qu'il ne voyait pas son nom. Cela se voyait clairement sur son visage tandis qu'il serrait la main de l'autre garçon, comme un enfant qui aurait peur de lâcher. 1920 ; 1910 ; 1900… Les années remontaient à chaque tombe qui passait, et les garçons commençaient à être nerveux. Ils arrivèrent enfin aux années 1890, et si les souvenirs, les mathématiques, ainsi que le bout de papier froissé étaient correctes, ils étaient très proche de leur destination.
1889. Ils y étaient. L'année où ils étaient décédés.
Il ne leur fallut pas plus longtemps pour la trouver. Lorsqu'ils tombèrent dessus, ils eurent comme l'impression que leurs cœurs s'arrêtèrent et le monde avec. Qu'il s'agisse de peur, ou de mélancolie, ils étaient incapables de faire la différence à cet instant. La menace blonde resserra de plus bel la main du bleuté alors qu'ils lurent les mots sur la tombe.
« Alois Trancy
5 Novembre 1874 – 20 Août 1889 »
Voilà ce qui était inscrit. Il n'y avait rien de plus, rien de moins gravé sur la pierre. Il n'y avait pas de mots tendres ou de phrases toutes faites. Dieu sait à quoi avait ressemblé les funérailles ; il n'avait pas été enterré avec le reste des « Trancy », alors c'était déjà une bonne indication. D'ordinaire, une famille comme celle des Trancy aurait enterré ses membres dans un cimetière privée, mais non. Alors que le corps de « Alois Trancy » était enterré dans de meilleures conditions, il n'était pas avec sa « famille ». Le blond se sentit à la fois soulagé, et à la fois curieusement offensé. Était-ce Hannah Annafeloz qui avait arrangé cela de manière respectueuse, ou était-ce une moquerie de Claude Faustus ? Allez savoir. En réalité, il s'agissait sans doute de Hannah, étant donné que Claude avait simplement laissé le corps dans la forêt pour qu'il soit dévoré par des charognards.
La pierre en elle-même était solide, alors elle n'était pas trop abîmée, mais elle restait détériorée à cause des années passées. De la mousse ainsi que de la moisissure la recouvrait de part en part, tandis que certaines gravures étaient dégradées par la pluie, la neige, et tout le reste. Voilà. Voilà ce qu'il restait. Un caillou sale et quelques os en-dessous. Voilà tout ce qu'il restait de son passé. Pour la première fois depuis le début de cette visite, Alois lâcha la main de Ciel.
Silencieusement, il s'avança vers la pierre tombale avant de s'accroupir lentement devant, la contemplant avec plus d'attention. Il effleura la surface du bout des doigts, sentant qu'elle était rugueuse. Il était juste au-dessus de ses ossements, maintenant, six pieds au-dessus. Alors ça, c'était dur à avaler. C'était tout ce qui restait.
Il ne savait pas vraiment ce qu'il ressentait, mais il ressentait… quelque chose. Il y avait en lui de la déprime, une part de tristesse, et pourtant, du soulagement. Voilà tout ce qu'il restait du passé qui le faisait tant souffrir ; qui le complexait tant, et le rendait si fragile. Il n'y avait plus rien. Tout ; annihilé. C'en était terminé.
Toutefois, il posa son front contre son nom et retint des larmes. C'était cela. C'était ce qu'il valait, alors ? C'était bien ainsi. Il n'en avait pas besoin. Il n'avait pas besoin de Claude. Au Diable les Trancy. Ils pouvaient aller se faire foutre ! Il était heureux à présent avec sa famille recomposée, et ses bons amis. Il avait un travail qu'il aimait, et il vivait merveilleusement bien. Il ne savait pas exactement pourquoi des larmes menaçaient de couler, ou pourquoi un sourire se trouvait sur son visage. Il était juste reconnaissant vis-à-vis du bleuté et de la chaleur de son accolade alors que ce dernier s'était accroupi à ses côtés et avait passé un bras autour de ses épaules.
- Tout va bien ? demanda Ciel d'un ton sincèrement inquiet et empathique.
Il attendit patiemment que son petit ami se reprenne en main, laissant l'autre garçon prendre autant de temps que nécessaire.
- Ouais… répondit le blond d'une voix quelque peu cassée. Je vais bien. C'est juste… beaucoup, tu sais ?
- Je vois ça, répondit Ciel, frottant doucement le dos du Macken.
- Eh, Ciel, si je mourais, tu continuerais à m'apporter des fleurs ? demanda soudainement Alois, surprenant le bleuté.
Le Phantomhive mit ses deux bras autour du garçon ce qui le fit passer d'une position accroupie à une position assise, le surprenant tout en le serrant fort. Ciel prit la parole tout en étant collé à la joue du blond.
- Je t'interdis de dire des choses pareilles, dit-il aussi fermement que possible.
Il y eut une faiblesse dans son ton.
- Tu ne peux pas mourir. Même si tu le pouvais, je ne te laisserai pas. Tu es trop important pour moi.
- Ciel… murmura le démon blond, le prénom lui échappant tout seul.
Lentement, il passa ses bras autour de l'autre garçon.
- Pourquoi es-tu aussi bon avec moi ? demanda-t-il enfin, se blottissant à son tour contre lui.
- Parce que tu le vaux, répondit Ciel. Je ne sais pas ce que je ferai sans toi…
Il jeta à nouveau un œil en direction de la pierre tombale, le plissant en regardant le bas. Il lâcha le blond et retira la terre et l'herbe qui le gênait pour mieux voir.
- Jim… appela-t-il, attirant l'attention de l'autre garçon.
- Ouais ?
- Regarde ça, dit Ciel en laissant le blond bouger de manière à voir ce qu'il pointait.
Lorsqu'il vit, le blond laissa enfin une larme couler.
« En mémoire de notre cher et tendre Jim Macken. »
Mademoiselle Annafeloz s'était vraiment surpassée. Dans le coin de la tombe, discrètement, était inscrit en petites lettres ces mots, et personne, pas même Jim Macken lui-même ne les avait remarqués. Le blond sourit tellement que ses joues lui firent mal, et le bleuté l'imita. Là, clair comme de l'eau de roche, était la preuve que Jim Macken avait toujours été aimé et refusait de mourir. Le duo partagea alors un moment de bonheur qu'il n'avait pas souvent-, du moins, jusqu'à ce qu'il l'entende.
- Kof ! KOF !
