Chapitre 1 — Premières Impressions
Camus Uachtair. Comté de Galway. Connemara. Irlande du Sud. — Trois jours plus tard.
Ce fut une douleur sourde qui vint tirer Emily hors des doux bras de l'inconscience, qui semblait émaner de tout son corps. Sa tête lui paraissait lourde et encore chaude, assommante et assoupie. Son corps pesait bien plus lourd qu'à son ordinaire, comme si on l'avait privée de ses forces. Ses paupières closes n'étaient pas calmes tandis qu'elle tressaillait et s'agitait malhabilement. Tout à coup, la douleur s'aiguisa et la jeune femme paniquée se redressa d'un geste brusque, sa respiration haletante et jura entre ses dents serrées alors qu'une douleur vive la cinglait au bras et à la jambe droite. Elle pouvait les mouvoir, mais ils lui paraissaient encore bien raides.
Confuse, il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre son calme alors qu'elle ne reconnaissait pas du tout ses alentours… et n'avait pas la moindre idée de comment elle était arrivée là.
Elle se trouvait désormais dans une assez grande chambre confortablement équipée de meubles en bois qui, au premier coup d'œil, devaient être aussi robustes qu'anciens. En face d'elle, à quelques pas, se trouvait une immense armoire à deux battants, accompagnée de deux grosses commodes. Une fenêtre se trouvait non loin du lit où elle était allongée, bien que les épais rideaux qui la voilaient l'empêchait de voir l'extérieur. Un petit bureau avait été mis en place juste à côté de la fenêtre, et la jeune femme constata la présence de deux prises électriques. Les murs devaient sans doute être faits de pierre et il ne devait pas s'agir d'un bâtiment récent. L'isolation n'était en effet pas optimale, si elle en croyait la fraîcheur de la pièce et le petit filet d'air qui s'immisçait à travers les minces trous de l'antique fenêtre aux battants boisés, ainsi que les voix qu'elle entendait avec une certaine distance, qui provenaient d'une autre pièce. Les yeux plissés, Emily distinguait dans la pénombre la présence d'une lampe de chevet sur sa droite, et au plafond une ampoule qui devait, à en croire sa forme, servir à éclairer la pièce. Á gauche de la grande armoire se trouvait une chaise haute, où elle reconnût sa petite besace, son gilet rouge, son chemisier blanc lacéré, proprement pliés, et ses ballerines posées à son pied.
Leur vue éveilla en elle beaucoup de peur et de douleur alors qu'elle fût traversée par des images furtives. Les cieux d'azur, les secousses violentes, les flammes au loin, l'horrible douleur…
Posant ses mains sur ses tempes et enserrant son crâne, Emily secoua vivement sa tête et, par ce simple geste, aviva plus encore la lancination qui émanait de son bras et du haut de son dos. Que s'était-il passé ? Où se trouvait-elle ? Comment faire la part du rêve et de la réalité ? Il lui semblait se souvenir aussi nettement d'une odeur putride que d'un fugace parfum de roses…
Cela n'avait aucun sens pour le moment, aussi préféra-t-elle se concentrer sur l'instant et les préoccupations présentes. Elle pourrait fouiller dans ses affaires plus tard. Cela pouvait attendre. Il était plus urgent en revanche d'en savoir plus sur son environnement immédiat.
La maison était clairement habitée, et elle ne connaissait pas les intentions de ses habitants. La pensée n'était pas très rassurante. D'un côté, quelqu'un l'avait amenée ici et de ce qu'elle constatait, s'était occupé de panser et de bander ses blessures. De l'autre, elle ne comprenait absolument rien aux propos qui étaient prononcés par une voix qui lui parvenait de loin. Un coup d'œil fatigué lui permit de vérifier qu'elle n'était pas entravée d'une façon ou d'une autre. A contrario, on l'avait installée dans un lit confortable et sous une épaisse couverture de laine.
Emily tourna son attention vers la porte lorsqu'elle entendit des pas foulés sur une moquette. Une grande et fine dame d'une soixantaine d'années entra, revêtue d'une chemise blanche, d'un gilet brun et d'un pantalon brun épais assorti d'épaisses bottines. Elle tenait une sacoche dans une main. Ses courts et fins cheveux blancs encadraient un visage ovale aux lèvres fines et au nez prononcé. Sa peau claire était sillonnée par des rides sur son front et ses pommettes. Ses yeux noisette attentifs et soucieux s'éclairèrent en voyant que la jeune femme était réveillée. L'inconnue s'adressa à elle dans une langue que ne connaissait pas Emily, ce qu'elle essaya de lui faire comprendre en penchant légèrement sa tête sur le côté, un air perplexe sur son visage. Après un bref silence, la vieille dame reprit la parole dans un anglais légèrement accentué.
- Vous me comprenez ? Bien. Ne vous en faites pas, vous êtes en sécurité. Personne ne viendra vous faire de mal chez moi. Je suis médecin. Pouvez-vous me dire votre nom ?
- Emily - Souffla la jeune femme.
- Très bien. Quel âge avez-vous ?
- Vingt-ans.
- Où habitez-vous ?
- Londres.
- Ah, vous êtes donc anglaise. C'est pour cela vous ne compreniez pas le gaélique.
Après un instant de confusion, Emily reconnût les questions comme celles que l'on posait aux personnes blessées afin de vérifier si elles étaient conscientes. C'était rassurant de voir que les réponses lui venaient sans difficulté. Elle s'était peut-être prise un coup sur le crâne, mais sa tête fonctionnait encore à peu près… même sa mémoire récente faisait sa difficile. Londres, se répéta-t-elle en pensée tout en songeant à la remarque de la vieille dame sur la langue gaélique… la langue irlandaise. Se trouvait-elle en Irlande ? Si oui, était-ce en Irlande du Nord ou en Irlande du Sud et que fichait-elle dans les environs ? Hélas, aucune idée ne vint alors que les questions fourmillaient dans son esprit. Comment était-elle parvenue jusqu'ici ? La migraine frappait tambour battant dans sa tête. Bizarrement, elle était certaine d'avoir entendu parler de l'Irlande dernièrement, mais son esprit tournait dans la semoule. La médecin lui laissa un peu de répit, l'auscultant tandis qu'Emily précisait avec un sourire crispé de douleur réprimée.
- Á moitié. Mon père était anglais mais ma mère était française.
- Étaient ? Releva avec curiosité la médecin, ses yeux bruns aimables tandis qu'elle semblait un peu plus rassurée de l'entendre lui parler même si Emily ignorait pourquoi.
- Ils sont décédés. Dit Emily calmement, ses traits maîtrisés trahis par un écho de chagrin.
- Oh, je suis désolée de l'entendre. Mes sincères condoléances.
- Bah, je vous en prie. Vous savez, ça fait déjà quelques années. La rassura Emily avec un mince sourire tout en haussant ses épaules, avant de se tendre face à la douleur.
Ils étaient tous deux partis pour « le Grand Voyage », sans qu'elle ne puisse les accompagner. Le regard d'Emily se posa sur la table de chevet, où elle remarqua enfin la présence du bracelet d'or blanc et de diamant gravé de runes qui ne la quittait jamais depuis qu'elle avait fêté ses quinze ans. Il lui était très précieux, et le voir aussi endommagé lui serrait le cœur. Elle se souvenait clairement du jour où sa mère lui avait offert. C'était un cadeau fait main à quatre mains, qui avait été façonné par sa mère puis enchanté conjointement par ses deux parents. Elle était parvenue à faire son deuil et elle avait été entourée par des proches aimants et présents, mais jamais ils n'étaient parvenus à combler ce vide béant laissé derrière eux. Voyant que ses yeux étaient fixés dessus, la médecin se pencha pour saisir le morceau restant et le lui tendre.
- Apparemment, c'était avec vous quand on vous a amenée à moi. Il y avait aussi un collier brisé. J'ai rangé les fragments restants dans la petite bourse de velours, à côté.
- Merci beaucoup, madame. Tant pour les bijoux que pour vos soins. Remercia avec sincérité Emily, un mince sourire aux lèvres.
- Je vous en prie, même si ce n'est pas que moi que vous devrez remercier.
- Comment ça… ? Demanda la jeune femme avec perplexité.
Une fois de plus, les traits légèrement ridés du médecin se froncèrent mais plutôt que de répondre à sa question, la vieille dame parut préférer lui poser une tout autre question.
- Chaque chose en son temps. Comment vous sentez-vous, Emily ?
- En un morceau, c'est déjà ça de pris ! Répondit avec légèreté Emily avant de poursuivre avec plus de sérieux face au sourcil haussé de la médecin - je peux bouger mais mon côté droit me fait mal, surtout mon bras et ma jambe. Et j'ai un peu mal à la tête, aussi. Savez-vous ce qu'il m'est arrivé, docteure ?
- Á vrai dire j'espérai que vous me le diriez. Vos blessures réclamaient une attention immédiate alors que nous sommes trop loin d'un hôpital. Les routes ne sont pas vraiment sûres ces derniers temps, et votre état était trop précaire pour prendre le risque. J'ai préféré m'occuper de vous et espérer que vous finissiez par vous réveiller.
- Pas vraiment sûres ? Comment ça ? Demanda la jeune mage, intriguée.
- Chaque chose en son temps. Répéta la docteure d'un ton posé mais ferme qui ne souffrait pas de contestation avant d'ajouter – Vous disiez que votre tête vous faisait mal. Pourriez-vous m'en dire davantage ?
- Pour être exacte, ma mémoire récente ressemble à du porridge. Plus j'essaie de mettre de l'ordre dans le foutoir de mes souvenirs, plus c'est chaotique. Vous comprenez ?
- Ne précipitez rien, vous avez dû avoir un choc sur la tête. Je n'ai pas vu de blessure externe sur votre crâne. La mémoire vous reviendra, mais il va vous falloir du repos. C'est déjà un miracle que vous vous soyez tirée à si bon compte aussi rapidement.
- C'était moche à ce point ? Fichtre. J'ai dormi longtemps ?
Visiblement, la docteure était circonspecte par rapport à sa propre légèreté vis-à-vis de sa situation et son état. Emily s'étonna qu'elle fasse autant grise mine. Elle n'avait pas pensé avoir dit quoi que ce soit de vexant mais clairement, quelque chose n'avait pas plu à la vieille dame aussi voulait-elle se reprendre mais l'irlandaise reprit la parole en première d'un ton plus strict.
- Vous avez « dormi » deux jours entiers. J'ai bien cru que vous ne vous réveilleriez pas.
- Je suis désolée, madame. Comment puis-je vous remercier ? Demanda Emily en essayant de lui sa reconnaissance ainsi que ses excuses pour son manque de sérieux.
- En prenant du repos, ce sera déjà bien. Je vous garde sous surveillance jusqu'à demain ou après-demain si tout va bien mais si votre état empire, je vous emmène à l'hôpital.
- Quand même, j'aimerai pouvoir vous dédommager pour vos soins et votre temps…
- Vous ne me devez rien. Votre ami et moi avons déjà trouvé un arrangement.
- Mon ami ? Murmura Emilie, sa perplexité croissante.
La docteure ne sembla pas entendre sa question et se releva de la chaise qu'elle avait placée au chevet du lit avec une certaine peine, comme si elle souffrait d'une lombalgie. Emily constata alors qu'au fil de leur conversation, la vieille dame était parvenue à lui changer ses bandages. Son hôtesse l'encouragea d'ailleurs à se rallonger et posa un linge frais et humide sur son front. L'irlandaise l'observa avec attention et esquissa un sourire chaleureux et apaisant :
- Ce garçon est resté à votre chevet et vous aurait veillée toute la nuit si je ne l'avais pas chassé de la chambre pour qu'il aille se reposer. Il sera de retour à votre réveil.
Emily voulut lui demander ce qu'elle entendait par là mais déjà son esprit se faisant à nouveaux brumeux et sa vision trouble. Confuse, la jeune franco-britannique observait la docteure dont elle voyait les lèvres se mouvoir, comme si elles récitaient une incantation sans bruit. Elle ne comprenait pas ses paroles mais quelque part, le chant murmuré l'apaisait et chassait la douleur de son corps meurtri. Malgré ses efforts, ses yeux se fermèrent d'eux-mêmes et elle s'endormit.
Camus Uachtair. Comté de Galway. Connemara. Irlande du Sud. — Une heure plus tard.
C'était une drôle d'histoire qui lui était tombée sur les bras. Liadan McDonagh, médecin libéral à la retraite, n'en avait pas croisé de telle depuis les trente années qu'elle avait passées au village de Camus Outer, ou Camus Uachtair comme elle préférait l'appeler dans la langue de son pays. Elle n'en était pas à son premier rodéo, ayant connu bien des urgences au cours de son internat puis de son externat en hôpital, mais cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas exercé son art et ses connaissances sur un sujet aussi jeune, sur des blessures aussi sérieuses… et sur un mage.
Liadan en était certaine. Elle avait affaire à une jeune consœur… et cela compliquait son cas.
« Je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l'honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux »
Elle avait prononcé le Serment d'Hippocrate près de trente ans de cela, et la digne irlandaise refusait de revenir sur le principe fondateur de la médecine. Elle devait prendre soin de ses patients, quelles que soient leurs convictions, leurs origines, leur état et ses propres croyances. Elle devait leur administrer les meilleurs soins et les soins les plus adaptés à chaque situation et à chaque patient. Dieu avait été témoin de son serment et elle acceptait cette nouvelle épreuve.
La vieille dame avait soufflé ses soixante-sept bougies cette année, avec ses deux enfants et de ses trois petits-enfants qui ne venaient à Camus que pour lui rendre visite et passer quelques jours dans son humble maison respectueuse des traditions irlandaises. Á ce souvenir, la docteure tourna son regard au-dessus d'une commode placée contre un mur de la grande pièce à vivre qui servait aussi de cuisine. Une photo au cadre noir reposait à son sommet, entourée de deux bougies. Un trentenaire à la stature solide y était immortalisé, avec ses cheveux roux et ses yeux verts, heureux dans son costume de mariage. Liadan s'approcha de la photo et la contempla. Ses yeux noisette s'embuèrent de larmes qu'elle se refusait de laisser couler. Plus que la tristesse, ce fut une colère sourde qui crispa ses poings alors qu'elle pensait à son fils Michaël.
Devoir sauver une britannique… Dieu mettait à l'épreuve son honneur et son dévouement.
Liadan redressa la tête et porta ses yeux noisette vers la porte d'entrée, ses sourcils froncés. La docteure solitaire se détourna à regret de la photographie de l'être cher qu'elle avait perdu et s'affaira en cuisine. Elle disposa sur la table trois tasses de thé ainsi qu'une théière fumante où infusaient des feuilles de thé noir. Elle arrangea trois assiettes, et plaça au centre de la table à manger sa boîte à cookies qu'elle avait préparés elle-même ce matin, quand la petite dormait.
Quelques instants plus tard, le calme de ses alentours fût perturbé par le crissement des pneus d'une voiture qui se garait sur le gravier juste à côté de sa maison isolée du village de Camus. Une paire de minutes plus tard, quelqu'un toquait à sa porte. Liadan invita à voix haute :
- Tu peux entrer, la porte est déjà ouverte !
La magicienne irlandaise n'était pas inquiète et elle savait déjà qui venait la visiter. Elle veillait toujours à ce que les runes qu'elle avait mises en place sur le palier de sa porte, les murs de sa maison et tout autour de son jardin soient bien entretenues. Les environs avaient beau être tranquilles, Liadan préférait être prudente. Elle n'était plus toute jeune et surtout, elle était le plus souvent seule. Elle se savait être une cible rêvée pour les malfaiteurs et les criminels avec sa retraite aisée, mais ceux qui s'y étaient aventurés n'avaient étrangement jamais recommencé. Elle ne se sentait pas menacée ici, donc elle n'eut aucune inquiétude à lui tourner le dos en finissant d'apprêter la table. Elle l'interpella d'une voix chaleureuse en langue gaélique.
- Un grand merci, jeune homme. Peux-tu poser les cabas dans la cuisine ?
- Je vous en prie madame, c'est normal. Je suis heureux de pouvoir vous aider. Souhaitez-vous aussi que je range vos courses ? Offrit une voix masculine depuis la porte d'entrée.
La galanterie était une valeur qui se perdait ces dernières années, aussi Liadan était-elle enchantée que cette qualité ne soit pas tout à fait disparue. Entendant les grandes foulées de son interlocuteur se rapprocher d'elle, la docteure se tourna vers lui avec un sourire aimable.
- C'est très gentil à toi, mais je vais m'en occuper. Assieds-toi donc et prends un peu de thé et de biscuits. La route a dû être longue jusqu'à Galway. On pouvait y être en une heure avant, mais ces temps-ci, on ne sait jamais sur qui ou sur quoi on peut tomber.
- Vous êtes sûre ? Ils sont lourds et vous rangez d'ordinaire certaines affaires en hauteur.
- Je ne suis peut-être plus dans ma prime jeunesse mais je ne suis pas grabataire pour autant. Répliqua Liadan avec un sourire amusé, ses mains posées sur ses hanches.
- Cela ne me serait pas venu à l'esprit. Commentait-il avec un soupçon d'espièglerie.
C'était un grand jeune homme au teint clair, qui devait toiser vers le mètre soixante-dix. Sa silhouette svelte restait solide, avec des épaules carrées et la carrure musclée d'une personne en santé et bien active. Il portait ce jour-ci un haut rouge trois-quarts assorti à un pantalon anthracite. Ses cheveux blonds étaient coupés courts et lui prêtaient toujours un air naturellement ébouriffé. Ce qui avait retenu le plus l'attention de la docteure était ses yeux d'un vert intense. Il s'était montré courtois, respectueux et d'une grande affabilité. Il était aimable, tout en gardant une certaine distance entre eux, et restait sur le qui-vive. Il semblait avoir une tête responsable sur ses solides épaules, et elle jugeait qu'il avait bon fond. Ce n'étaient que des détails subtils, mais la docteure avait assez d'expérience pour y être sensible.
Il lui semblait que le jeune homme portait un lourd fardeau, et que ses yeux étaient plus sagaces et plus perçants qu'ils n'auraient dû l'être à la vingtaine d'années qu'elle lui donnait. Cela ne la concernait cependant pas, et elle respecterait tant sa respectueuse discrétion que son silence.
Voyant qu'elle ne changerait pas d'avis, il concéda à la condition qu'ils rangent à deux les nombreuses courses qu'elle l'avait envoyé faire. Avant qu'elle ne proteste, le jeune homme avait précisé que les courses seraient ainsi bien rangées avant que leur thé ne se soit refroidi. Elle commenta avec appréciation tout en rangeant la viande et le fromage au réfrigérateur.
- Que dirais-tu d'un Boxty ce soir, avec du bœuf et les courgettes du primeur ?
- Parlez-vous de ce plat avec de la pomme de terre crue, de la purée de pomme de terre, du babeurre et des œufs que vous faites frire à la poêle ? Si vous me montrez comment faire et comment utiliser vos plaques de cuisson, je peux vous aider à le préparer.
Toujours aussi attentif et serviable, jeune homme. J'apprécie ton offre mais je m'occupe des fourneaux. Tu pourras voir comment je prépare si tu veux, mais je gage que tu auras autre chose à l'esprit. Répliqua la vieille Liadan avec un sourire entendu.
- Autre chose à l'esprit… est-ce qu'il s'est passé quelque chose en mon absence ? Lui demanda son interlocuteur avec sollicitude, ses yeux verts à la fois alertes et perçants.
- Ce n'est rien de grave, au contraire. J'ai une très bonne nouvelle pour toi, mon garçon.
Sans plus s'attarder, la docteure aguerrie s'avança vers lui et, se hissant sur la pointe des pieds, posa sa main sur l'une de ses larges épaules alors qu'il ne la quittait pas des yeux, intrigué. Avec un sourire satisfait et affable, l'hôtesse irlandaise décida de mettre fin au suspense et déclara.
- J'ai le plaisir de t'annoncer que ton amie est enfin sortie d'affaire.
- Elle a repris connaissance ? Comment vont ses blessures ? Comment se porte-t-elle ?
- Oui, il y a une petite heure. Elle s'est assoupie mais elle a l'air de mieux se porter, elle devrait bientôt se réveiller. Quant à ses blessures, c'est une autre question.
- Qu'entendez-vous par là ? Questionna son interlocuteur, intrigué et soucieux.
- D'après mes connaissances et mes compétences tant de mage que de médecin, elle me semble guérie. Nous ne sommes pas à l'abri d'une blessure interne bien dissimulée, ce pourquoi je la garde un peu en observation. A vrai dire, je suis plus étonnée qu'inquiète. La vitesse de son rétablissement m'impressionne vraiment, surtout.
Des blessures aussi sérieuses, même avec l'appui de la magie, ne pouvaient pas se refermer en l'espace de quelques jours, surtout sans laisser la moindre trace ou cicatrice. Si le garçon disait vrai – et il ne lui avait pas donné de raison de penser le contraire – la jeune fille s'était trouvée dans les décombres d'un transporteur aérien qui s'était écrasé à près de trente kilomètres de là. Le garçon avait été un peu réticent au départ à lui donner plus de détails sur les circonstances, mais il avait fini par lui apporter quelques précisions après qu'elle ait insisté en lui rappelant que pour maximiser les chances de survie de sa patiente, elle devait en savoir plus sur le contexte et sur l'environnement des blessures. Il l'avait trouvée piégée sur un fauteuil très endommagé – elle supposait qu'il s'agissait d'un siège passager d'avion – ainsi retenue par une ceinture. Le siège avait été imbibé de sang, ce qui laissant craindre une hémorragie interne ou externe. L'état des vêtements portés par la jeune femme tendaient à valider cette théorie. Et ces marques à la fois étranges et particulières qu'elle avait remarquées sur son poignet droit…
- N'est-ce pas une bonne chose ? Souleva le jeune homme, ses traits indéchiffrables.
- Certes, mais je n'arrive pas à l'expliquer. Au vu de l'inconscience dans lequel elle se trouvait, même si elle maîtrisait la magie de soins… ce n'aurait pas dû être aussi rapide.
Liadan observa avec attention son interlocuteur. Ce dernier ne rebondissait pas sur son commentaire, observant un silence aussi respectueux qu'absolu. Soit il n'avait en effet aucune réponse à lui apporter sur ce point, soit il y avait quelque chose dont il ne voulait pas parler. L'irlandaise était pourtant dotée d'une certaine finesse d'observation, mais le jeune homme gardait une expression à la fois cordiale et impassible, qui ne laissait rien transparaître. Elle attendit quelques minutes supplémentaires, servant leurs tasses de thé chaud et en dégustant quelques gorgées, entrecoupées par un ou deux cookies qu'elle grignota sans le perdre de vue. S'il ne parlait pas, elle n'allait pas l'y contraindre. Cela ne serait pas efficace, et puis tout venait à qui savait attendre. Il valait mieux parfois faire preuve d'un peu de patience pour obtenir les réponses désirées d'une façon ou d'une autre. Liadan offrit donc un sourire complice et se leva.
- Tu ne seras tout à fait rassuré qu'en la voyant de tes propres yeux, pas vrai ? Alors vas, tu peux te rendre à son chevet. Tu peux prendre un plateau avec deux tasses de thé et quelques biscuits avec toi, tant que tu fais attention dans les escaliers. Tu m'amèneras ton amie quand elle sera réveillée, si elle peut marcher, pour qu'elle dîne avec nous.
- Vous êtes sûre, madame ? Ce ne serait pas correct de vous laisser faire tout, toute seule…
- File avant que je ne change d'avis ! Il est encore tôt, nous ne sommes pas pressés et je m'en sortirai très bien toute seule. Déclara Liadan avec un peu plus de fermeté.
Elle pouvait tout à fait jouer encore un peu à ce petit jeu, il ne lui déplaisait pas du tout. C'est avec le sourire amusé de l'expérience que Liadan le vit, du coin de l'œil, ne pas plus s'attarder.
Quelques minutes plus tard.
Emily n'avait aucune idée du temps qu'il s'était écoulé depuis que la docteure irlandaise l'avait fait dormir un peu plus longtemps. Cela avait été un sommeil sans rêve, assez réparateur en tant que tel même si la franco-britannique n'était pas heureuse de la façon dont il avait été provoqué. La vieille dame l'avait sans doute fait dans de bonnes intentions, mais sans même la consulter. Les yeux toujours clos et la respiration régulière, Emily prit quelques minutes pour réorganiser clairement ses pensées afin de prendre le temps de réfléchir un peu à la présente situation.
Déjà, premier constat : elle était toujours en vie et, si elle en croyait ses sens physiques, toujours en possession de son corps dans toute son intégralité. C'était déjà une bonne nouvelle. Deuxième constat : elle avait beaucoup moins mal ! La jeune femme ressentait toujours des tiraillements ici et là, mais la douleur flamboyait moins et était devenue bien plus sourde. Troisième constat, ses circuits magiques semblaient fonctionner correctement, ce qui était rassurant. Il faudrait qu'elle les éprouve loin d'yeux et d'oreilles trop curieux pour en être sûre, mais c'était déjà encourageant. Quatrième constat, et pas des moindres : son esprit était bien plus clair et même si la mémoire récente lui faisait toujours défaut, elle pouvait mieux réfléchir.
C'est ainsi qu'elle pût songer à sa dernière discussion avec la docteure, avec ses gestes et ses dires. Elle avait cru ressentir de la magie dans les dernières paroles de l'irlandaise et sans être elle-même pratiquante, elle savait que le chant pouvait être un vecteur d'enchantements et était utilisé dans des traditions particulièrement anciennes. Alors qu'elle était une magicienne qui avait terminé ses études essentielles à l'Académie des Mages, Emily n'avait eu aucun moyen de s'opposer à l'incantation subtile de sommeil chantée par l'irlandaise, ce qui présupposait que malgré sa propre faiblesse causée par son état amoindri, la docteure était également un mage.
Elle avait aussi évoqué « un ami » qu'elle devrait remercier… de qui pouvait-il s'agir ?
A sa connaissance, en dehors de Liam, Emily n'avait pas d'ami irlandais dans ses relations, et aucun ne qui se trouverait en Irlande à cette heure actuelle. Si ça avait été son parrain, il se serait tout de suite annoncé comme tel et aurait été présent à son chevet. C'était assez préoccupant de ne pas savoir de qui il s'agissait, elle ne pouvait ainsi pas être certaine de ses intentions. Chacun de ses amis n'aurait pas hésité à s'identifier clairement… alors pourquoi autant de mystères ?
Il n'y avait cependant qu'un seul moyen de le savoir, aussi se résolût-elle à ouvrir les yeux.
Déjà, il ne s'agissait pas d'un rêve. Elle se trouvait encore dans la chambre où elle était alitée, elle en reconnaissait formellement le plafond aux poutres de bois qui soutenaient la toiture. C'est alors qu'une voix qu'elle ne connaissait pas prit la parole en langue anglaise, à côté d'elle.
- Bonjour. Comment vous sentez-vous ?
Emily tourna aussitôt ses yeux d'obsidienne dans sa direction, se détournant du plafond et tournant le dos au mur. Le siège où avait été assise la docteure irlandaise était cette fois occupé par une autre personne. La magicienne n'avait pas le compas dans l'œil mais le jeune homme qui avait pris place dans le fauteuil placé à son chevet lui semblait svelte et plutôt grand, aux larges épaules. Il ne ressemblait pas du tout à l'éminente médecin, aussi la jeune Fleury supposait qu'ils n'étaient pas apparentés et si elle devait être honnête avec elle-même, il était plutôt beau garçon. Ses cheveux blonds étaient courts et plusieurs mèches refusaient d'être domptées, soulignant des yeux d'un vert pénétrant, profond comme celui des émeraudes. Il était sobrement vêtu d'un haut rouge au col en V et aux manches trois-quarts, avec un pantalon noir.
Il devait sans doute s'agir du fameux « ami » qu'avait mentionné la docteure qui l'avait soignée, sans vouloir développer ce qu'elle entendait par là. Un bref coup d'œil lui permit de reconnaître d'où provenait l'odeur familière du thé en remarquant la présence proche d'un plateau comportant une tasse fumante de thé noir et d'un petit bol comportant des pièces de cookies, qui était posé sur la surface du bureau. Le jeune homme tenait une deuxième tasse dans sa main gauche et l'observait avec attention, attendant avec patience qu'elle prenne la parole. Emily avait beaucoup d'interrogations en tête et espérait avoir quelques éléments d'explication, mais elle restait une jeune femme bien élevée. Aussi lui répondit-elle avec un brin de légèreté.
- J'ai connu des jours meilleurs, mais je suis entière. Enfin, je crois. Je dois une fière chandelle à la médecin je suppose… et à vous, m'a-t-on dit.
- Oh, je ne faisais que passer par là. Je me suis permis de vous présenter comme une amie pour qu'elle vous prenne en charge.
Et en plus d'être bel homme, il était également aimable et poli ! Il n'avait pas hésité un instant sur sa réponse et quelque part, Emily avait envie de le croire. La jeune femme n'avait pas l'impression qu'il lui mentait, même si elle notait qu'il n'entrait pas dans les détails pour autant. Il semblait très sérieux et sans même qu'elle ne pose la question, il lui donnait des éléments de réponse sur d'où venait cette histoire d'amitié. C'était un motif raisonnable, jugea la franco-britannique. Du peu qu'elle savait et de ce qu'elle avait ressenti dans les propos, les anglais n'étaient pas toujours bien vus en Irlande et sans en venir aux mains, cette inimité était tangible. Et puis, jugea-t-elle, il aurait été difficile pour son bon samaritain de justifier son implication dans ce sauvetage opportun, donc elle décida de ne pas lui en tenir rigueur quand elle reprit.
- Quand même, je vous en dois une visiblement… même si je ne sais plus pourquoi. Apparemment, j'étais dans un sale état.
- Disons que vous avez connu des jours meilleurs.
Il ne lui apportait pas plus de précisions, mais peut-être ne savait-il pas tout. Son euphémisme et son appropriation de son expression lui fit esquisser un léger sourire amusé. Elle n'avait pas dû être très belle à voir, et il n'avait pas besoin de lui en dire plus pour qu'elle comprenne. Eh bien, la médecin n'avait donc pas exagéré visiblement… Emily posa une main distraite sur son menton et caressa ce dernier d'un air songeur. Elle n'était pas sûre qu'il puisse la renseigner, mais qui ne tentait rien n'avait rien… et jusqu'à date, elle avait un bon feeling le concernant. Le risque, minime, en valait la chandelle et elle avait cruellement besoin d'informations.
- Ma question va vous paraître étrange sans doute, mais… est-ce que vous pourriez me dire ce qu'il s'est passé ? Enfin j'entends, dans quel contexte vous m'avez trouvée ? Á vrai dire, ma mémoire a l'air un peu cabossée et la dernière chose dont je me souvienne à mon réveil, c'était que j'étais à New-York et que je voulais rentrer à Londres. Donc je n'ai pas la moindre idée de comment j'ai pu atterrir en Irlande – Demanda Emily.
Le jeune homme l'observa attentivement quelques instants avant de poser sa tasse sur la table de chevet. Il extirpa de l'une des poches de son pantalon noir une carte pliante sur l'Irlande, qu'il déplia avec méticulosité sur ses genoux. Il entoura d'un cercle avec un crayon de papier qui traînait là un village - Camus Outer, nota Emily – avant de tracer un autre cercle plus à l'ouest, au niveau du rivage qui séparait les terres d'Irlande des flots Nords de l'Atlantique. Reposant le crayon, il tourna la carte vers elle et lui précisa en indiquant le premier cercle.
- Je vous ai trouvée dans les décombres d'un avion qui se trouvait ici, à l'ouest du village de Camus où nous nous trouvons. Á ma connaissance, vous êtes la seule survivante.
Un avion… cela pouvait expliquer cette incohérence entre le dernier lieu dont elle se souvenait et le lieu où elle voulait se rendre. Cela paraissait logique. Peut-être qu'elle avait voulu prendre l'avion pour mettre fin à ses vacances aux Etats-Unis. Son interlocuteur lui parlait des décombres… peut-être qu'il y avait eu un incident en vol ? Un atterrissage d'urgence était plausible, mais il était fort à parier qu'il avait échoué, pour une raison ou pour une autre. Emily prit à la fois conscience de la gravité de ses blessures, tout en relativisant un peu son sort. Si cette théorie était exacte, sa survie n'avait tenue qu'à un mince fil, que l'on appelait la chance. Un mal de tête revint embraser ses tempes alors qu'elle se concentrait sur ces minces éléments, la décourageant d'investir plus longtemps sa mémoire sans même lui apporter de précisions.
Si le passé récent traînait la patte pour le moment, elle se focaliserait sur le futur prochain.
Si elle s'était trouvée dans cet avion, se connaissant, elle avait dû tenir sa famille et ses amis au courant. Si elle tardait à revenir et si elle ne donnait pas de ses nouvelles, ils allaient s'inquiéter. Elle songea aussitôt à son meilleur ami Suzaku et aux parents de ce dernier, Rin et Shirou, qui avaient été pour elle des oncles et tantes, des seconds parents après la mort des siens. « Oncle » Dorian, son parrain, allait se faire du mauvais sang si elle manquait à leur coup de fil mensuel. C'était sans penser à son frère adoptif, Godric, qui avait insisté à son départ de New Work pour qu'elle le prévienne quand elle serait bien arrivée à l'aéroport d'Heathrow à Londres. Ces fragments de souvenirs, épars, décousus, revinrent avec paresse dans son mémoire. Elle ne voulait cependant pas faire attendre son interlocuteur, aussi commenta-t-elle à voix haute.
- J'étais peut-être dans cet avion. Je regarderai dans mes affaires tout à l'heure voir si ça ne me revient pas. J'essayerai de rejoindre la grande ville la plus proche dès que je serai en état. Ma famille doit être inquiète. Quelque chose m'interpelle, cela dit. Un crash d'avion, ça ne passe pas inaperçu. On est assez vite fixés sur le nombre de morts et de disparus, dans les médias. Surtout un avion international. Il n'y a rien eu dessus ?
- Tout ce qu'ils ont dit était qu'un avion s'était abimé en mer dans les alentours. Tous les passagers sont portés disparus… sinon les nombreux morts qui ont été déjà identifiés. Les recherches sont toujours en cours, mais on ne nous a signalé aucun survivant.
- C'est vraiment étrange. Avec la technologie actuelle, ils devraient en savoir davantage, et je ne parle pas que des boîtes noires de l'avion. Quelque chose ne tourne pas rond.
Emily se redressa en position assise, l'air pensif alors qu'elle repoussait les draps et la couverture afin de pouvoir s'asseoir sur le rebord du lit alors qu'elle en arrivait à cette conclusion. Elle n'était certainement pas omnisciente mais son intuition n'était pas tranquille. Le jeune homme lui avait certes apporté des informations précieuses bien qu'incomplètes, et elle doutait qu'il en sache plus qu'il ne l'avait indiqué, à l'instar de la vénérable irlandaise. Au moins maintenant, elle savait où chercher et par où commencer. Il replia la carte et la déposa sur le bureau proche, sans chercher à la récupérer pour autant. Il ne posa pas de questions, même si Emily pouvait sentir qu'il était alerte à chacune de ses réactions et restait indéchiffrable. La jeune femme se disait cependant qu'elle voulait voir de ses propres yeux le terrain et tirer ses propres conclusions avec les éléments qu'il pourrait rester sur place… afin d'avoir le cœur net. Elle se garda bien cependant de l'évoquer à voix haute et préféra écarter le sujet pour l'instant. La magicienne posa alors ses yeux noirs dans le regard émeraude de son interlocuteur et laissa un sourire fatigué mais espiègle fleurir sur ses lèvres alors qu'elle répliquait d'une voix amène.
- Enfin, on sera fixés d'une façon ou d'une autre. Tôt ou tard, la vérité finira par se savoir… et avec tout ça, j'ai oublié de me présenter. Je m'appelle Emily. La vieille dame risquerait de se poser des questions si vous ne savez pas comment s'appelle votre amie.
- Effectivement, c'est le genre d'information qui peut être utile. Approuva le jeune homme tandis qu'un sourire amusé égayait ses traits et éclairait ses yeux verts.
- Ça pourrait aider, oui. Et vous, comment vous voulez que je vous appelle ? Reprit Emily avec humour tout en acceptant avec reconnaissance la tasse de thé qu'il lui proposait.
Son interlocuteur ne répondit pas tout de suite, comme s'il pesait avec attention sa réponse. Il prit quelques minutes de réflexion, dégustant plusieurs gorgées de sa propre tasse de thé sans la perdre de vue un seul instant. Emily essayait de comprendre ce qui le taraudait autant. Elle ne voulait pas faire preuve d'une curiosité déplacée ou mal venue, juste savoir comment elle pouvait s'adresser à lui tout en couvrant l'histoire des « amis » qu'il avait mis en place pour lui sauver la vie. Il finit cependant par se décider et déclara d'une voix à la fois aimable et assurée.
- Arthur. C'est un nom assez facile à se rappeler.
- Je m'en souviendrai, Arthur.
Emily s'apprêta à lui tendre une main pour sceller leur accord et pour le saluer cordialement. Elle s'arrêta quelques instants en remarquant la présence d'étranges marques sur le dos de sa main droite. Cela ressemblait un peu en haut à la poignée d'une épée, de son pommeau jusqu'à la garde, qui était ornée en son cœur d'un triangle inversé suivi d'un autre triangle en bas, plus large, qui allait jusqu'à la limite du poignet. Ces marques étaient tracées dans un bleu pâle, presque transparent. Emily se figea, se rappelant de discussions passées avec ses parents. Elle orienta légèrement sa main de façon à ce que la marque soit moins visible avant de la tendre, puis de dire avec entrain, comme si la magicienne n'avait pas remarqué les inquiétants signes.
- Bon, il faut que j'aille remercier la vieille dame pour son aide, maintenant que j'ai les idées plus claires ! Ça va aller, je pense que je peux marcher. On va vérifier ça.
- Je vais vous accompagner. L'escalier n'est pas très récent et il est assez raide.
Le dénommé Arthur se redressa avec aisance avant de déposer leurs tasses sur le plateau posé sur le bureau, avant de se retourner vers elle tandis qu'elle se remettait lentement sur ses pieds. Sans un mot, il se décala légèrement pour lui proposer aimablement son bras. Son visage était affable alors qu'elle l'observait avec attention prudente, mais ses yeux verts étaient déterminés et elle sût aussitôt qu'il tenait à lui offrir son aide. Décidément, songea la jeune femme, c'était un vrai gentleman tel qu'elle n'en croisait pas souvent, à l'instar de rares individus comme Suzaku. Certains garçons parmi ses relations pourraient d'ailleurs en prendre des leçons. Afin de ne pas le froisser et comme il connaissait clairement mieux la maison qu'elle, Emily décida d'accepter sa proposition et glissa délicatement son bras dans le sien, avançant à pas lents.
Elle se sentait déjà moins faible et douloureuse que quelques heures plus tôt, c'était encourageant, mais elle était consciente que la discussion à venir n'était que la première étape d'une recherche d'informations et d'éclaircissements qui s'annonçait longue et complexe.
Et si ce tatouage était bien ce qu'elle craignait, le moindre faux-pas pourrait bien lui être fatal.
