Chapitre 2

L'homme apparut dans une allée sombre. Il ne savait pas exactement pourquoi il était revenu. Ce n'est pas comme s'il avait de nouveau éprouvé ce besoin impérieux de soulager son corps. Ce n'est pas comme s'il avait eut besoin d'une jouissance immédiate et facile. Il avait juste eut envie…De quelque chose de différent. Et il s'était alors souvenu de cette femme.

Quelque chose d'anonyme. De discret. Il ne connaissait pas son nom, et elle ne connaissait pas son nom. C'était un peu comme si aucun d'entre eux n'existait pour l'autre. Elle vendait son corps un bon prix, la dépense ne se verrait pas dans ses comptes. Et ce qu'elle pouvait lui offrir était un plaisir sans artifice. Un plaisir cru, né de son corps, sans être accouché par la magie. Il ne savait plus s'il fallait être dégoûté d'elle, ou la désirer.

Il descendait toute la rue où il l'avait rencontrée. Il lui semblait, dans son souvenir, qu'elle revenait vers le…la…l'hôtel où elle l'avait emmené. Peut-être qu'elle était plus loin dans ce sens là. Il ne voulait pas prendre de risque ; autant prendre la même, s'il devait l'éliminer, elle n'aurait pas à courir partout.

Le froid lécha son visage sous sa grande capuche, et se souvenir de sa tenue le fit frissonner. D'autant qu'elle n'avait pas de magie, elle, pour se tenir chaud. Il glissa sa main dans sa poche pour toucher sa baguette et se rassurer : il en avait, lui, il était différent d'elle. Il arrivait à l'hôtel.

Il failli la manquer. Il n'avait pas remarqué les vitrines, la dernière fois qu'il était venu. Pourtant c'est là qu'elle était, dans celle du milieu. Il la regarda quelques instants. Elle avait l'air fatigué. Elle dansait bien, mais elle ne semblait pas habituée. Peut-être que c'était le froid. Il remarqua le numéro, dans l'angle du mur derrière elle. N°5. Comme faisait-il pour lui faire signe. Elle n'avait pas l'air de le voir. Il n'allait quand même pas taper sur la vitre !

Il ajusta sa capuche, et entra.

Dedans, il y avait un comptoir un peu miteux. Il n'avait pas vu ça non plus, la dernière fois. Il s'approcha, et réveilla le garçon malingre et rasé qu'il y avait derrière. Celui-ci le regarda avec un air goguenard, et sembla comprendre ce qu'il voulait.

« Vous voulez laquelle ?

La cinq. »

Une porte s'ouvrit dans le fond, et un homme et une femme en sortirent. L'homme était quelconque, mais la femme était somptueuse. Elle portait un joli déshabillé. Elle lui jeta un drôle de regard, l'autre avait eut le même, pour son manteau. Elle allait passer par une autre porte, quand le garçon du comptoir l'interpella.

« Cynthia, va dire à ta copine, là, heu…J'me souviens plus d'son nom…Dis-lui qu'un client veut la voir. La cinq, là où tu danses.»

La magnifique créature eut un regard bizarre pour la porte, et finalement, disparut.

Elle dansait depuis presque une heure, maintenant. Elle n'en pouvait plus. Cynthia allait bientôt avoir terminé, et elle n'aurait toujours pas eut de client. Elle devrait retourner dehors. Il devait faire encore plus froid, maintenant. La lumière bleue lui brouillait le regard, elle avait mal à la tête, à force. Plus que tout, elle voulait rentrer chez elle. Elle entendit un bruit contre la porte, et su que c'était Cynthia qui voulait récupérer sa place. Elle ouvrit la porte et descendit. Cynthia lui tendait son déshabillé.

« Tu en as un, dans le hall. C'est Derk qui m'a fait passer le message, il sait toujours pas se servir de l'interphone. Prend ça, parce que ta chemise, elle va le faire fuir.

Merci.

De rien, ma puce. Garde-le longtemps, que ce soit ton dernier. Tu as l'air d'avoir besoin de dormir.

J'ai besoin de dormir. »

L'homme qui l'attendait dans le hall lui disait quelque chose. Enfin…Le manteau, en tout cas. Elle s'approcha en déhanchant légèrement ses pas. C'était Cynthia qui lui avait appris ça. L'homme s'avança aussi, et elle lui prit le bras. Elle aperçu son visage. Ah, oui. L'homme qui commence par les chaussettes. Celui avec le masque. Elle l'entraîna à sa suite dans sa chambre. Il avait l'air de se souvenir du chemin.

Elle referma la porte derrière lui, et alla s'asseoir sur son lit. Elle enleva ses escarpins, et croisa les jambes. « Alors ?

Ce soir, je voudrais les étoiles. »

Elle sourit, ce serait son dernier. Elle se leva, et s'approcha de lui. Elle passa ses coudes par-dessus ses épaules, et rejeta la capuche en arrière. Puis, elle commença à détacher les attaches en argent, toujours en lui souriant. Il eut un petit sourire, lui aussi. Le manteau tomba.

C'avait été assez agréable. Il était normal, sur le point des étoiles. De temps en temps, elle tombait sur des tordus. Et là, c'était terrible. Mais lui, il était normal. Elle lui embrassait doucement la poitrine, le ventre. Lui sommeillait. Il était presque une heure. Elle croisa ses mains sur son sexe, et posa son menton dessus. Pressant un peu l'organe sous ses paumes moites.

« C'est le Nouvel An. Enfin, il y a une heure. Joyeuse Année. » Il la regarda bizarrement, puis, eut un petit rire. Elle comprit que parler un peu ne le dérangeait pas.

« C'est bizarre, que vous soyez revenus. Je pensais pas que vous le feriez. D'ordinaire, on se trompe peu sur ces choses là, dans ma profession.

Ah bon ?

Je fais ça depuis trois ans. Vous faites quoi, vous ?

Je suis dans les affaires.

Soixante pourcent de mes clients sont dans les affaires. Les autres dealent.

Dealent ?

De tout. Du crack. Du Cannabis. De l'Opium. De la Marijuana. Des Armes. Et vous ?

De l'argent.

Oh. Moi j'en ai pas assez pour vivre, alors le vendre…Pourquoi vous êtes revenu ?

Je ne sais pas. J'avais envie d'un endroit où aller, peut-être.

Ah. Pourquoi moi ? Vous avez croisé Cynthia, tout a l'heure. Elle est plus jolie.

Je connais déjà votre corps.

Si peu…Vous ne connaissez pas mon nom, par exemple.

Votre corps est partie de ce que vous êtes. Mais votre nom ? Vous pouvez vous passer d'un nom, pour l'identité que je vous demande.

Et si je connaissais les noms de tout ceux qui viennent, je ne pourrais pas tous les retenir. Et puis ils prendraient trop d'importance.

C'est cela. Ne pas connaître votre nom, et vous cacher le mien, ne trouvez-vous pas que cela peut être un peu de pudeur ? »

Elle posa un baiser sur le haut de son sexe, et se redressa face à lui. « Pensez-vous que nous avons oublié quelque chose ? »

Il lui fit signe que non. Elle lui indiqua qu'il pouvait utiliser la douche si il le souhaitait. Il se savonna rapidement, et elle lui passa une serviette. Elle lui dit combien il lui devait. C'était beaucoup d'argent, par rapport à la dernière fois.

Il se rhabilla, recommençant une nouvelle fois par les chaussettes. Elle dissimula son sourire. Alors qu'il refermait la porte, elle s'aperçut qu'il avait trop donné. Elle le poursuivit, lui expliqua le problème. Il lui dit que cela ne faisait rien, qu'il avait largement les moyens, qu'elle pouvait tout garder.

D'accord. Puisqu'il insiste.

Elle paya l'intégralité de son loyer en retard, le lendemain matin. Et après son cours de piano, elle emmena Sophie manger une pizza. Pour fêter le Nouvel An.

Ce soir, c'était correct. Cela faisait presque deux semaines qu'elle n'avait pas vu le bonhomme au masque. Sophie apprenait à écrire son prénom. Elle avait du souci avec le P et le H. Le S, et le E, ça allait tout seul, le I faisait dix centimètres, et le O la faisait rire.

Elle discutait avec Cynthia. La russe allait partir. Elle avait presque fini ses études. Elle n'avait plus que les examens de fin de semestre, à passer, et elle pourrait commencer le stage d'aide ingénieur, qu'elle avait trouvé. Ce n'était pas bien payé, mais on lui fournissait la chambre et le couvert en prime. Les filles voulaient lui faire une fête. Elle protestait.

« Toi, tu comprends que j'ai pas envie de fêter mon départ. Pas avec vous, alors que vous, vous allez devoir rester ici. Dehors. La nuit.

Mmmh.

Tu devrais abandonner le trottoir, aussi. T'es pas assez solide pour ça. Un jour, tu vas choper une saloperie.

J'ai pas le choix.

Peut-être un jour. Et ce sera dur. Mais faudra pas hésiter, hein ? T'as une chance, tu mises à fond dessus. Tient. Ce sera mon numéro de téléphone, à partir de la semaine prochaine. Si tu veux, je pourrais toujours garder Sophie.

Merci. »

Il faisait un peu moins froid. La météo disait que ça allait pas durer, mais bon. On espérait. Cynthia partie, elle recommença à faire des ronds de jambe sur son bout de trottoir. Elle s'ennuyait ferme, ce soir. A onze heures, si elle n'avait toujours personne, elle partirait. Elle avait payé à son maque ce qu'elle lui devait pour le mois. Elle se cogna dans quelqu'un en se retournant.

C'était lui. Finalement, il était revenu. Il avait la tête un peu baissée, donc, même avec le lampadaire, elle ne pouvait pas le voir. « Oh. C'est vous. Bonsoir. »

Il ne disait rien. Il devait la regarder. Elle avait coiffé ses cheveux différemment, ce soir. « C'est pour quoi ? » Il releva la tête. Il avait le teint un peu pâlot, par rapport aux dernières fois. Il évita son regard. « Je…Je sais pas vraiment…Juste… » Elle ne le laissa pas finir, et le prit par le bras. Il ne résista pas, et ne retira pas son bras. Il se laissa guider, comme un enfant.

Une fois arrivés en haut, elle le guida jusqu'à son lit, et le fit asseoir. Il obéit. Elle s'agenouilla, et lui retira ses chaussures. Puis ses chaussettes. Elle détacha le manteau, lui fit retirer la veste, sa chemise. Elle mit tout sur une chaise. Elle regarda son visage. Il était fatigué. Un peu triste, aussi. Elle fit glisser sa ceinture dans les passants, et le fit s'allonger sur le ventre. Elle se déshabilla rapidement. Elle s'allongea à côté de lui, caressant son dos de sa main. « Qu'est-ce qui se passe ? »

Il resta muet. Elle passa doucement sa main dans ses cheveux. Elle s'assit, et le massa un peu. Elle passa les doigts sur les cicatrices sur l'épaule. Il frissonna. Elle se demanda un peu ce qu'il était, tous les jours. Comment c'était, de vivre avec lui. Est-ce qu'il était très différent ? Sans doute. Sinon, il n'aurait pas besoin de cacher son nom, pour avoir l'impression d'être tranquille. « C'est si dur, d'être qui vous devez être ? » Toujours rien. Elle se pencha, et regarda son visage. Elle eut envie de le serrer bien fort dans ses bras.

Vient là, mon bébé.

Elle prit son visage sur ses genoux. Se pencha, faisant un rideau, tout autour d'eux, avec ses cheveux. Tendant la main, elle éteignit la lampe. Il faisait tout noir. « Voilà. Vous voyez ? Même moi, je ne vous verrais pas pleurer. »

Elle sentit deux bras, passer autour de sa taille. La serrer très fort. Plus fort que n'importe qui auparavant. Et un visage contre son ventre. Un nez, à côté de son nombril. Et des larmes. Partout, des larmes. Sur son ventre, son sexe, ses cuisses, ses seins. Des larmes, des larmes, des larmes, des larmes. Et les bras qui serrent.