Update 2022
Kazoku no Moribito
Gardien de la famille
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Partie I
Chapitre 1 : Une Famille Comblée
Quelques mois plus tard suivant leur mariage, pendant une nuit d'hiver tranquille où la poudrerie de la neige créait un voile blanc translucide, arriva le troisième enfant de Balsa et Tanda.
Balsa ne dormait pas, restant réveillée par des contractions régulières. Alika avait presque neuf ans. Et elle n'arrivait pas à dormir également. Elle était nerveuse de voir sa mère « souffrir ». N'en pouvant plus de rester dans son coin sans oser la déranger, l'enfant se leva et se réfugia dans les bras de sa mère.
« Maman..., murmura-t-elle.
- Qu'est-ce qu'il y a, mon cœur ? susurra la maman en caressant ses cheveux tout en la serrant contre elle.
- Je sais que je suis nerveuse et que ça peut te nuire... mais j'ai peur.
- De quoi, ma belle ? Dis-le-moi. »
Alika leva des yeux humides vers Basla.
« J'ai peur que mon petit frère ou ma petite sœur décède à la naissance comme Kasem... »
Balsa sourit pour la rassurer et prit la main de sa fille avant de la poser sur son énorme ventre qui se durcit considérablement.
« Maman ? »
La lancière ne parla pas durant un moment, le temps que la contraction passe puis expira lentement.
« C'était une contraction, rassura-t-elle. Elle est là pour aider ton frère ou ta sœur à sortir. Ne t'en fais pas. Le bébé va bien, il va arriver.
- Il va pas mourir ?
- Non.
- Promis ?
- Promis sur mon instinct de maman. »
Elle baisa le front de sa fille; baiser sur le front, protection.
« On a déjà parlé dans les mois plus tôt que Maman peut crier durant l'accouchement, si ?
- Oui.
- Et que c'était normal ?
- Oui.
- Et que si jamais tu te sens mal, tu peux partir sans te sentir mal. Tout ira bien ma belle. Est-ce que tu veux tenir ma main ? Je vais serrer la tienne quand j'aurai besoin de soutiens. Tu vas beaucoup m'aider, même si pour toi ça ne paraît pas, moi, je le sais. »
Alika hocha vivement la tête, sa crainte disparaissant lentement et prit la main de sa mère avec joie, heureuse de participer à ce moment intime et familial. Tanda descendit avec le matériel réservé aux naissances. Ce qui incluait : le lit de médecine, des draps propres, des couvertures, des lames stérilisés et du fil pour de possible point de suture.
Torogai entra à l'intérieur du refuge, de la poudrerie sur sa cape. Balsa avait trouvé un nouveau truc pour passer au travers la douleur quand elle avait une contraction, et ça la faisait rire : Alika retenait sa respiration en même temps qu'elle en gonflant ses joues. C'était comique à voir. La mère de famille retira son kimono rouge et mit son simple kimono blanc qui lui servait de pyjama, sans sous-vêtement. Alika n'en fut nullement étonnée. Ils entendirent un son semblable à un craquement et les yeux de la jeune fillette fixaient un liquide clair qui s'écoulait abondamment sur le sol.
« Ne t'en fais pas, Alika. Ton frère ou ta sœur arrivera bientôt, souffla Balsa. C'est l'un des signes qu'il nous envoie... »
Elle grimaça de douleur. Il s'écoula quelques minutes avant que Balsa ressente un urgent besoin de pousser. Tout d'abord elle se tint debout, puis s'accroupit lentement, suspendant son poids avec la corde prévue à cet effet qui avait été accroché à la poutre la plus solide du refuge. Elle fut vite soutenue par Tanda qui s'assit sur une caisse en bois. Alika ne sut pas où se placer sans être une gêne. Elle décida alors de se tenir au niveau de la cuisse de sa mère. Torogai ne dit rien puisque Balsa savait désormais comment ça allait se passer. Alika tenta de paraître forte et prit la main libre de Balsa pour qu'elle puisse la serrer, idée de lui donner du courage.
« Ça ira, Maman. Petit frère ou petite sœur s'en vient, murmura-t-elle.
- Oui, tu as raison, sourit doucement Balsa en la regarda, les cheveux et le cou scintillant de sueur. Il va arriver... »
Balsa serra davantage son emprise alors que Tanda essuyait son front. Elle se mit à pousser tout en lâchant des cris rauques. Alika ressentit – pendant un court instant – une envie irrésistible de partir, mais l'excitation de voir son petit frère ou sa petite sœur naître était plus forte qu'elle et elle serra la main de sa mère davantage. Elle fut surprise de voir la tête du bébé émergée puis, le vit sortir d'un seul coup, sa chute ralentit par les mains de Torogai. Le chamane déposa doucement le bébé sur la poitrine de Balsa. Alika l'observa avec une grande fascination. Sa mère se défit de l'étreinte de Tanda et tint le poupon contre elle, vite entouré d'une couverture chaude.
« Bienvenu mon cœur, murmura-t-elle en pleurant de joie.
- Comme il est minuscule ! s'exclama tout bas Alika en lui baisant le front. Bonjour petit frère, je suis ta grande sœur... Maman, le bébé ne crie pas comme tu le disais... »
Tanda essuya ses larmes discrètement et caressa la joue de leur fils.
« Pourtant il bouge, dit-il. Il ne crie pas... mais il est bel et bien vivant, ma belle. »
En effet, le bébé ne vagissait pas, il observait son entourage avec de grands yeux. Tout comme sa sœur aînée, le bébé ne prit pas de temps avant de prendre le sein de Balsa, veillé par sa grande sœur, son père et Torogai avant de s'endormir lentement.
Une chose finit par tous les surprendre : les yeux du bébé. Ses deux parents et sa sœur aînée avaient tous les yeux bruns, sans exception aucune, mais lui avait des yeux couleur de l'océan. Un bleu comme l'eau limpide. Balsa tenta de remonter ses origines, mais aucune personne du Clan Yonsa – du moins sa famille immédiate – n'avait les yeux bleus.
« On va dire qu'il a hérité de mes yeux ! avait déclaré fièrement Torogai alors que tout le monde était penché par-dessus le nouveau-né, fasciné. Mais je le sens, ce petit a un énorme potentiel... il va faire des choses que personne de son âge ne va faire.
- Comme... ? insista Balsa.
- Eh... bah comme moi. Un chamane !
- Ah non ! Je préférerai qu'il soit un érudit ou un futur guerrier.
- Tu ne peux pas choisir à sa place, Maman, lui avait rappelé Alika.
- Tu as bien raison, ma belle. »
Torogai avait dit vrai. Dès les premiers mois de sa vie, Nao pleurait la nuit uniquement pour avoir le sein de sa mère ou changer ses langes. Il n'était pas aussi gourmand que sa sœur aînée à son âge, mais il était aussi plus sage qu'elle à cet âge. Il commença à faire ses nuits après seulement trois semaines suivant sa naissance, avait commencé à dire "Maman", "Ali" et "Papa" vers sept mois, et à dix mois, il marchait sur ses quatre pattes.
Deux ans plus tard, Balsa tomba à nouveau enceinte. Ses nausées matinales ne durèrent que trois semaines, puis tout s'arrêta. Sa grossesse se passa relativement bien. Son enfant bougeait surtout pendant le jour quand elle faisait quelques tâches et elle dormait paisiblement la nuit. Alors qu'elle lisait un manuscrit, les pas bien familiers de sa fille aînée résonnèrent dans la pièce.
« Qu'est-ce qu'il y a, Alika ?
- Est-ce que te battre et voyager te manque, Maman ? Sincèrement ?
- ... Si ça me manquait, est-ce que tu crois que je serai repartie ?
- Oui. Mais je n'ai pas compris le sens de ta phrase...
- Ça me manque un peu, je dois l'avouer. Mais cette nouvelle forme de vie ne me déplaît pas. Malgré tout, j'ai toujours cette ardente envie de me battre dans les veines.
- Est-ce que tu risques de perdre un peu de tes compétences et habilité si tu arrêtes de t'entraîner ? s'inquiéta Alika en venant s'accoter contre elle et faire jouer sa main sur son ventre rond.
- Tu doutes ?
- Oui... un peu.
- Allons, ma belle. Il n'y a aucun risque que je perde ses capacités... sauf en fin de grossesse, mais ça c'est autre chose ! »
Alika éclata de rire.
« Mais si jamais un danger devait menacer ma famille, attend-toi à ce que je défende ma famille, reprit Balsa. Est-ce que ça te rassure ?
- Oui.
- Et toi, que veux-tu réellement faire dans la vie ?
- ... Utiliser mes capacités au combat pour protéger les gens.
- Le métier de garde du corps, peut-être ?
- Pas vraiment garde du corps... je ne sais pas. Je voudrais être une personne qui offre un bon service en utilisant ses capacités de guerrière.
- Pas à tuer, j'espère ?
- Oh non, non !... Mais en autant que ma lance soit utile...
- D'accord. Tant que tu es heureuse avec ça, c'est ce qui compte. »
Elle embrassa Alika sur le front avant de l'enlacer. Nao marcha sur ses quatre pattes, pour s'amuser et sortit des gazouillis comme quoi il voulait monter sur les genoux de sa mère.
« Profites-en pendant qu'il y a encore de la place sur mes genoux et sur mes cuisses, mon beau Nao, avant que ta petite sœur ou ton petit frère ne prenne plus de place dans mon ventre. Montre à Alika-Oneesama de quoi tu es capable. »
Nao s'agrippa au kimono et à la ceinture de sa mère – qui était assise en tailleur – avant de "l'escalader" et de s'asseoir dans le creux de ses cuisses. Il enlaça sa mère de manière possessive devant Alika, âgée de douze ans, qui fit une moue vexée.
« Pfff... ne me regarde pas comme ça. Moi, j'ai eu Maman pour moi seulement jusqu'à mes huit ans ! »
Elle tira la langue avant de se lever.
Durant une nuit pluvieuse, en automne, Balsa donna naissance à son quatrième enfant – elle comptait Kasem comme étant toujours de la famille, et elle avait bien raison de le faire.
« Maman... tu trouves pas qu'on est réputés dans la famille pour être nés durant la nuit ? sortit Alika.
- ... Eh..., allait dire Balsa, alors qu'elle respira entre deux contractions avant de réfléchir. Tu as raison. Tu es née durant une nuit de printemps, Kasem est "techniquement" né une nuit d'été, Nao est né durant une nuit de poudrerie de neige... ma foi, je crois que tu as raison.
- Et là, iel va naître durant une nuit pluvieuse d'automne !... Maman ? »
Balsa s'était appuyée contre sa fille pour exercer une pression sur ses épaules.
« Désolée, tu es un bon accotoir pour les contractions...
- C'est bon, c'est bon, se contenta-t-elle de dire en tapotant son épaule avant de regarder Tanda. Papa, où est Grand-Mère ?
- Ici, résonna sa voix dans la pénombre. »
Elles sursautèrent en la voyant sortir de sa cachette. Comparativement à la naissance de Nao, où Balsa semblait encore confiante, cette fois-ci, elle se cramponnait de toutes ses forces à sa fille aînée et son mari. Tanda l'aidait à se redresser légèrement quand sa position accroupie s'affaiblissait. Bien qu'il n'y ait aucune complication niveau physique, mentalement, Balsa était tourmentée et n'arrivait pas à lâcher-prise. Cela l'affectait avec des difficultés à faire sortir le bébé.
« La tête est bientôt là..., essaya de l'encourager Torogai. Je sais que tu es très fatiguée, Balsa, mais courage !
- Mais je ne peux pas ! Je n'en peux plus !
- Maman..., murmura Alika qui ne l'avait jamais vu sombrer dans un tel désespoir.
- Concentre-toi, lui murmura Papa en caressant ses cheveux. Tu es en train de te bloquer. Aller ma chérie, tu vas mettre au monde un autre magnifique bébé. Tu peux y arriver. »
Elle poussa un cri rauque et profond, chose qui effraya un instant Alika, qui recula un peu sans toutefois lâcher sa main. Sa fille proposa vivement qu'elle se suspende; son intuition de médium lui disait que Balsa devait faire ça. Avec l'aide de Tanda et Torogai, elle se redressa, le kimono ouvert et se suspendit, limite debout. C'est à ce moment qu'elle parvint à lâcher prise et d'un seul coup, la tête de l'enfant apparut avant de sortir en entier entre deux poussées, dans les bras de sa grande sœur.
« Oh Dieu Yoram ! s'exclama-t-elle. Elle est là ! »
Balsa finit par s'asseoir et regarda sa fille, attendrit. Alika était fascinée par sa petite sœur puis, finalement, la passa à sa mère, qui, trop épuisée, ne parvenait pas à pleurer.
« C'est une fille, annonça Tanda. Une adorable petite fille.
- Ça a été difficile, respira Balsa, je pense qu'elle doit être autant épuisée que moi...
- Allaite-là un peu, et après, je m'en occuperai pour que tu reprennes tes forces.
- Bonne idée... bienvenue parmi nous, ma belle... ça n'a pas été facile, mais tu es enfin là et c'est ce qui compte. Maman et Papa sont très heureux que tu sois là. »
La fatigue la prit et enfin, Balsa se mit à pleurer de joie en la caressant contre elle. Des pas se firent entendre dans les escaliers et Tanda invita le petit Nao, timide, à venir les rejoindre et souhaiter la bienvenue à sa petite sœur. La nouveau-née mit un certain temps avant de prendre le sein de sa mère, mais finit par y arriver avant de s'endormir peu à peu contre la poitrine de Balsa. Ils décidèrent de l'appeler Motoko Yonsa, comme la gardienne spirituelle de Balsa. Alika vit cette dernière hocher positivement la tête, honorée que son nom soit offert à la fille de sa protégée.
La petite Motoko avait les yeux bruns et les cheveux noirs, son teint de peau était pâle celui de sa grande sœur. Ils en profitèrent également pour agrandir le refuge par derrière, car ça commençait à devenir petit. Cette pièce devint alors le salon familial et la chambre des enfants.
À douze ans, Alika aimait toujours accompagner sa mère lors du bain. La nouvelle installation était fait en bois et créait une cuve semblable à un grand baril qu'ils remplissaient d'eau du puit et la faisait chauffer grâce à un mécanisme de chauffage en terre cuite un peu plus loin. Ils se nettoyaient de la saleté avant d'entrer dans l'eau pour la garder clair et propre.
La pudeur n'existant pas, ce fut aussi à ce moment-là que Balsa remarqua que la ligne du temps commençait à faire évoluer les choses. Sa fille aînée, toujours considérée comme son bébé, commençait à changer physiquement et devenait doucement une femme. Elle grandissait rapidement : ses hanches élargissaient lentement, sa taille s'amincissait et le changement le plus évident fut sa poitrine naissante. Balsa remarqua aussi qu'Alika commençait à en devenir gênée. Elle choisit donc d'entamer la conversation. N'y allant pas par quatre chemins, Balsa alla droit au but.
« As-tu mal aux seins, Alika ? »
L'expression de surprise et de gêne s'afficha sur son visage. Alika détourna la tête pour cacher ses rougeurs.
« Tu n'as pas à te sentir gênée. Tu deviens une femme, c'est normal.
- Bah... c'est douloureux, en fait, avoua-t-elle en massant sa poitrine.
- C'est normal, ça pousse et ça fait mal. Mais ça va se calmer.
- Est-ce qu'ils seront aussi gros que les tiens ? demanda sa fille aînée, un brin gênée.
- C'est fort possible, puisque le physique est héréditaire, mais ça se fera lentement. Quand on va sortir du bain, je vais te donner un sarashi et tu entoureras ta poitrine avec en matière de soutient. Tu auras moins mal. D'ailleurs, je dois te parler d'une autre chose qui va arriver prochainement très probablement.
- Vas-y. »
Balsa replongea dans ses souvenirs et se souvint de cette fameuse conversation sur « Maman, d'où viennent les bébés ? ».
« Tu te souviens quand tu avais six ans ? Tu m'as demandé comment les bébés se faisaient.
- Oui...
- Et tu m'as demandé si tu pouvais tomber enceinte, toi aussi, rit Balsa. Je t'ai répondu que non, car ton corps avait encore besoin de grandir. Et au fil du temps, tu as pris conscience de ce qui m'arrivait à chaque mois quand je n'étais pas enceinte.
- ... Ça, c'est quand tu disais "avoir ses règles" ou "avoir ses mois", pas vrai ?
- Oui.
- Je sais que tu es souvent de mauvaise humeur et que tu te chicanes souvent avec Papa le premier jour. Parfois, tu me disais que tu avais les jambes lourdes et les hanches sensibles.
- Oui. Tu es donc en âge de les avoir, et au vue comment ton corps s'est bien développé, je crois que c'est pour bientôt.
- Non ! Pitié non ! Je ne veux pas vivre ça...
- Ça peut être différent d'une femme à l'autre, ça ne veut pas dire que tu vas vivre les mêmes douleurs que moi. Quand ça arrivera, viens me voir.
- D'accord... mais est-ce qu'on peut les arrêter ? demanda Alika innocemment. »
Sa mère tourna la tête vers elle.
« Malheureusement, aucun remède ne peut arrêter cette fonction primaire chez les femmes. La seule fois où les saignements mensuels arrêtent, c'est lorsque la femme est enceinte.
- Oh... je ne veux pas d'un bébé. Pas de toute de suite.
- Ne t'inquiète pas, ma belle. Ça viendra en temps et lieu. Si tu as tes règles à chaque mois, et que tu as un rapport sexuel avec un homme entretemps, et qu'elles ne surviennent pas le mois suivant – en dehors du stress – alors tu es peut-être enceinte. C'est un des premiers signes, avec les nausées et la fatigue.
- Je t'ai souvent vue dans cet état, alors je comprends. »
Balsa sourit et caressa la joue de sa fille. Un jour, Nao cogna dans la porte des latrines familiales.
« Alika-Oneesama ! Sors de là. Ça fait une heure que tu es là !
- Non... je ne veux pas ! cria-t-elle derrière la porte. »
Son petit frère recula, étonné.
« Pardon, s'excusa-t-il.
- Non... excuse-moi, va juste chercher Maman...
- Oh ? D'accord. »
Il courut dans le refuge et manqua de se prendre les pieds dans la lance de sa grande sœur qui traînait sur le sol. Balsa rattrapa son fils à temps.
« Attention.
- Maman, Alika est enfermée dans les latrines et elle refuse de sortir, ça fait une heure ! J'ai envie, moi aussi !
- Quinze minutes j'aurai compris, une heure cependant... a-t-elle perdu connaissance ?
- Non, elle m'a demandée d'aller te voir et te chercher...
- D'accord. Allons-y. »
Balsa cogna doucement à la porte.
« Alika ? demanda-t-elle en cognant plus fort. Alika ?
- ... Maman ?
- Tu as un problème ?
- Oui...
- Qu'est-ce que c'est ? Tu te sens malade ? Tu as une indigestion ? Des douleurs gênantes entre les jambes ?
- Non !
- ... Est-ce que la rose rouge a fleuri ? questionna Balsa, s'amusant avec le jeu de mot.
- Non... eh... peut-être ?
- Me laisses-tu entrer ?
- Uniquement si Nao ne rentre pas... »
Elle se retourna vers son fils.
« Hum... il faudrait mieux que je vois ta sœur en privé. Je crois qu'il va falloir que tu aies dans les bois, car ça risque de prendre du temps.
- Alika est malade ?
- Non. Ce n'est rien de grave.
- D'accord, mais après tu viens dessiner avec moi !
- Promis. »
Nao sourit après que sa mère lui baisa le front et partit en direction de la forêt. La porte s'ouvrit finalement et Balsa entra. Sa fille était toujours assise, les mains entre les jambes, le dos rond comme si elle souffrait. Ses yeux étaient remplis de larmes. La lancière vit sa ceinture et ses pantalons tâché de sang et comprit instantanément.
« Pourquoi a-t-il fallu que ce soit moi ? pleurnicha-t-elle.
- Te voilà devenue une femme maintenant, sourit Balsa en s'agenouillant en face d'elle.
- Tu trouves ça drôle ?
- Non, je suis seulement fière de toi. Ma petite fille est une femme !
- Il n'y pas de quoi à être fière de ça ! »
Alika pointa son vêtement.
« C'est du sang, ça tâche pour l'éternité !
- Pas ce sang-là.
- Ah bon ? Est-ce que c'est sale ?
- Mais... pas du tout ! s'indigna Balsa. C'est juste un signe que tu es fertile, que tu as un système reproducteur en bonne santé et que tu vas pouvoir avoir des enfants un jour ! En aucun cas, ce n'est pas sale. Qui t'a dit ça ?
- ... Eh... Je ne sais pas... j'ai souvent vu du sang au combat et que ça tâche nos vêtements.
- Quand as-tu commencé ?
- Je ne sais pas... Je m'entrainais quand je me suis sentis étrange... et j'ai tâché tous mes vêtements.
- Je vais aller chercher ce qu'il te faut. »
Balsa sortit, puis revint quelques minutes plus tard avec des vêtements de rechanges, des linges doux en cotons et même des médicaments que Tanda avait créés contre le mal de ventre et qui calmait les douleurs menstruelles.
« Je vais pas me mettre ça entre les jambes, si ? s'enquit-elle, pas contente.
- Malheureusement, oui. Je vais t'aider.
- Maman ?
- Huum ?
- Est-ce qu'il va falloir que je dorme avec ça aussi ?
- Oui, jusqu'à ce que ça s'arrête. Et il faut aussi que tu changes les linges avant que ça ne se remplisse trop. Tu es chanceuse d'avoir une Maman qui t'explique tout ça. Quand j'ai commencé, fort heureusement, j'étais chez Grand-Mère Torogai. Elle m'a tout expliquée, mais j'avoue que c'était un peu gênant quand j'étais en voyage avec Jiguro. J'avais peur de tâcher mes vêtements et si on avait le choix, plusieurs femmes décideraient de ne pas avoir leurs mois. J'ai fini par m'y habituer, peu à peu.
- Mais... Jiguro était-il mal à l'aise ?
- Non, pas de ce que je me souvienne. J'ai longtemps cru qu'il n'y comprenait rien à tout ça... ou si c'était le cas, il ne m'a jamais parlé ouvertement de ce sujet-là. »
Elle sourit et lui passa un linge en coton doux.
« Tiens, essuie-toi avec ça. Je vais t'aider à mettre les linges pour que tu sois confortable.
- J'ai honte...
- Tu n'as pas à l'être, même pas un peu ! Non, redresse-toi, lève la tête et sois fière d'être une femme ! Pas de honte, c'est normal et naturel. D'accord ?
- D'accord. »
Alika se leva et laissa sa mère lui mettre le linge.
« Ça me rappelle un poème. Un petit ver très court : "Quand la femme a ses règles, elle est purifiée, et devient femme d'un dieu". Tu peux donc te considérer comme la femme d'un dieu.
- Oh, non merci...
- Regarde-moi faire; il va falloir que tu apprennes à le faire seule à l'avenir.
- Oui. »
Balsa lui mit une ceinture, de sorte que celle-ci tenait un linge en coton dans son sous-vêtement. Alika trouva que c'était trop complexe à attacher, mais elle tenta de mémoriser ce que sa mère lui avait montré. Une fois terminée et bien préparée, elle se sentait mal à l'aise et avait l'impression d'être redevenue un bébé avec des langes. Balsa ramassa son linge souillé et décida de le nettoyer et de faire une brassée.
« Maman ?
- Oui ?
- ... J'ai mal au ventre et aux hanches...
- Va t'étendre, je vais aller te porter une bouillote d'eau chaude, ça aide beaucoup.
- D'accord. »
Le soir venu, Nao, qui avait pris l'habitude de dormir avec sa sœur aînée, fut gentiment prié d'aller dormir avec ses parents, laissant Alika seule. Le petit comprit bien plus tard que sa grande sœur était devenue une jeune femme, et que pour cette période qui aura lieu tous les mois, elle préférait dormir seule et avoir sa propre intimité.
Mais après tout, dormir avec Maman et Papa, c'était plus amusant !
Et dès qu'Alika eut ses quinze ans, Nao ses six ans et Motoko ses trois ans – les trois dormant ensembles – Tanda et Balsa, qui n'avaient rien d'autre à faire le soir pour se détendre, conçurent un autre enfant de façon non-planifiée. Cette fois-ci, ils avaient décidé que ça allait être leur dernier. Mais si d'autres enfants venaient à se pointer le bout du nez après, ils seraient tout aussi comblés !
Il y avait seulement une chose qui n'était pas habituelle avec cette dernière grossesse. Comparée aux précédentes, alors que la plupart des bébés étaient relativement calmes dans son ventre, cette fois-ci, Balsa avait l'impression que son ventre était un champ de bataille. Le bébé bougeait tout le temps, jour et nuit, empêchant la lancière de se reposer convenablement. Elle n'avait qu'à observer son ventre pour analyser les mouvements derrière son nombril. Une nuit, collée contre Tanda, celui-ci lui murmura à moitié-endormi :
« Balsa, arrête de bouger.
- Ce n'est pas moi... C'est le bébé...
- Il bouge beaucoup.
- En effet, je n'arrive pas à me reposer convenablement parce que ça bouge tout le temps !... Tanda, demande-lui d'arrêter de bouger, ça ne m'écoute pas là-dedans ! »
Il se redressa sur ses coudes alors que Balsa roula sur le dos. Il observa son ventre et remarquait que ça bougeait énormément, pouvant voir les mouvements sous sa peau. Il avait aussi remarqué que son ventre était vraiment plus gros pour le mois qu'elle était rendue. Tanda se disait qu'avec ses grossesses précédentes, le corps de Balsa était maintenant habitué de porter des enfants, mais pour que son ventre ait une taille aussi grosse...
« Ce pourrait-il que tu sois enceinte de jumeaux ? lâcha-t-il d'un coup.
- Je crois que ça se pourrait fort bien...
- C'est très possible. Tu as dit que tu avais l'impression que ça se bagarrait dans ce ventre-là ?
- Tout le temps... Je reçois même des coups de pieds dans les côtes! Aouch !... comme en ce moment ! »
Le papa posa ses deux mains sur son ventre et exerça une petite pression pour calmer les ardeurs. Instantanément, les mouvements se calmèrent, jusqu'à ce que Tanda reçoive un coup de pied sur sa main droite et qu'il fasse une moue déçu. Balsa éclata instantanément d'un fou rire persécutant.
« Sois iel est têtu, sois t'es trop doux avec les enfants pour les gronder, fit-elle remarquer.
- ... Je dirais qu'iel a retenu de ton côté fougueux de guerrière, même Alika était calme si on la compare à iel… ou eux.
- Réessaie-toi, je veux vraiment dormir. Je suis épuisée.
- D'accord, ma chérie. »
Et il réessaya de nouveau, fredonnant une berceuse Yakue, l'oreille collée contre le gros ventre de sa bien-aimée. La pression qu'il exerça s'accompagna de celle de Balsa qui avait posé ses mains par-dessus les siennes. Enfin, les bébés – si c'était bel et bien des jumeaux – se calmèrent un moment et elle put dormir tranquillement le reste de sa nuit. Le jour, par contre, l'enfant en profitait pour se délier les jambes et jouer des tours à ses sœurs et son frère aîné quand ils caressaient le ventre de Balsa.
Tanda continua de maintenir que Balsa attendait deux bébés. La lancière préféra ne pas poser de conclusion trop hâtive et continua de parler de son enfant au singulier.
Même à l'accouchement, ça n'avait pas été de tout repos. Encore une fois, ce fut en pleine nuit que l'enfant avait décidé de venir au monde. Au même moment, un violent orage secoua le Nouvel Empire de Yogo comme il faisait longtemps qu'il en avait connu. De plus, il y eut une légère complication. Même Torogai ne la voyait que rarement : l'enfant naissait en siège. Ils purent au moins connaître le sexe du bébé et c'était un petit garçon ! Alika tenta de contacter les esprits pour recevoir de l'aide et savoir quoi faire si la tête qui allait se montrer en dernier restait bloquée. Elle avait peur des conséquences pour sa mère et son frère à venir.
« Bon..., dit Alika en recevant les informations des esprits. Maman, place-toi à quatre pattes.
- Oh ?
- Ce sont les esprits qui m'ont dit de faire ça. Fais-moi confiance, ils veillent sur toi.
- D'accord...
- Rentre dans ta bulle, nous nous occupons de tout. »
À la demande sa fille, Balsa s'abandonna, posant sa tête sur les jambes de Tanda et se concentra. Tout se passa bien jusqu'à ce que la tête du petit frère arrive. Alika n'osa pas tirer trop fort et tenta une manœuvre, guidée par les esprits. Elle répéta à haute voix les directives à sa Grand-Mère.
« Le "truc" dans un accouchement par le siège consiste à fléchir la tête, expliqua-t-elle, car une tête en extension a du mal à sortir. Pour fléchir la tête, il faut trouver le visage du bébé, et appuyer sur les joues ou sur la bouche, ou, le menton afin d'incliner la tête. Maman ? Ça va toujours ?
- Arrggghhh... Alika ! Fais juste sortir ton frère... !
- Désolée, Maman... »
Dans un moment de tension, autant pour les parents que pour le chamane – et où Nao avait pris Motoko dans ses bras et était assis dans l'escalier – Alika réussit à faire sortir tranquillement la tête de son frère. Il bougeait, mais n'arrivait pas à respirer. Alors elle fit ce que son intuition lui dicta de faire : elle couvrit sa petite bouche et son nez de la sienne et souffla doucement, avant de lui tapoter la poitrine et le dos, le collant contre elle. Balsa la regarda, tendue et inquiète.
« Aller, mon petit... aller, respire ! Je sais que tu peux le faire..., murmura Alika en continuant de lui frictionner le dos. »
Soudain, le bébé ramena ses jambes proches de son corps et devint rouge en vagissant. Un soupir de soulagement parcourut la famille.
« Voilà ! annonça Alika en pleurant de joie, le passant jalousement à sa mère pour qu'elle le prenne.
- Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans toi, ma belle, murmura Balsa en pleurant. »
Elle n'eut droit qu'à une petite minute de répit en faisant connaissance avec son fils quand elle sentit d'autres contractions et le réflexe de devoir pousser à nouveau.
« Des jumeaux ! s'exclama Tanda. Je le savais !
- Moi aussi ! renchérit Alika. »
Balsa se retourna rapidement pour s'accroupir, passa rapidement son fils dans les bras de sa grande sœur afin qu'elle puisse s'en occuper, le temps de la seconde naissance.
Le second bébé ne tarda pas à sortir. Cette fois-ci, il était placé dans la bonne position, sortant la tête première. Le passage étant déjà fait, il passa sans aucune difficulté. En les observant minutieusement, Tanda remarqua qu'ils étaient deux copies conformes : des bébés identiques. Pour les différencier, ils se servirent du cordon ombilical. Ils avaient les cheveux bruns et les yeux de la même couleur, possédant le teint pâle de leur mère.
Tanda et Balsa avaient pensé à plusieurs noms au courant de la grossesse, mais aucun ne semblait leur convenir. Lorsque Balsa osa demander si Jiguro et son père, Karuna, s'étaient tous deux peut-être réincarnés, Alika lui confirma que Jiguro était toujours avec elle sous forme spirituelle et que Karuna était à Kanbal, à traîner autour de Tante Yuka. Pour leur rendre hommage, Balsa choisit donc d'offrir les prénoms de ses deux pères respectifs à ses fils : le premier bébé était baptisé Karuna Yonsa et le second, Jiguro Yonsa.
Elle avait choisi ces prénoms parce qu'elle trouvait qu'ils reflétaient bien l'amitié et la complicité de ses pères. Comme il y avait deux bébés, Balsa devait bien sûr les allaiter, et au vu comment les deux étaient très gourmands et semblaient se faire compétition quand elle leur donnait le sein, elle eut peur – pendant un moment – d'en manquer. Fort heureusement, ce ne fut pas le cas.
Note de l'auteur : Préférence personnelle ici, mais... concernant les naissances des enfants de Balsa et Tanda, mes scènes sortent du cliché habituel que les gens ont en tête, c'est-à-dire dicter à la femme de se mettre sur le dos et lui dire de pousser. Ce n'est pas naturel du tout et j'arrête de lire immédiatement. Et comme il s'agit d'un monde médiéval, mes accouchements sont également au naturel.
Le prénom de Motoko donné au « quatrième » enfant de Balsa et Tanda est une référence à « Motoko Kusanagi de Ghost in the Shell ». La raison est simplement que je trouve qu'elles se ressemblent énormément ; l'une vient de l'ancien temps et l'autre du futur. J'en suis donc venue à la conclusion que Balsa pourrait très bien être l'ancêtre de Motoko Kusanagi. Mon âme d'écrivaine a alors décidé d'intégrer cette théorie ici. De plus, comme dit plus tôt dans le chapitre, ma « Motoko » est la version physique de la Motoko Kusanagi de 1995, avec les cheveux noirs.
