Update 2022

Kazoku no Moribito

Gardien de la famille

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Partie I


Chapitre 2

Prélude de guerre

Deux ans et demi se succédèrent depuis que Tanda et Balsa avaient une famille comblée.

Les proclamations du Mikado – le père de Chagum – pour recruter des hommes pour l'armée avaient commencé presque six mois auparavant. D'autres proclamations étaient déclarées chaque semaine, bien que chaque village, Yogoese ou Yakue, souffrent déjà de la pauvreté. La raison invoquée était que le Mikado devait protéger la nation d'un ennemi corrompu et impur appelé Talsh. Tous les habitants du Nouvel Empire de Yogo devaient faire leur part au service du Mikado.

Le pays tout entier se préparait doucement à la guerre depuis que les premiers ambassadeurs Talsh étaient arrivés et avaient donné leurs conditions au Mikado. Le Nouvel Empire de Yogo avait donc fermé toutes ses frontières, et pas seulement avec Sangal, mais aussi avec Rota et Kanbal. Les personnes qui tentaient de sortir ou d'entrer par les frontières étaient traitées comme des espions et exécutées sur-le-champ.

Parmi les personnes qui avaient le plus souffert de cette politique se trouvaient les marchands pauvres et les ouvriers de Kanbal et de Rota qui venaient souvent à Yogo pour vendre leurs marchandises et travailler. Ceux qui se trouvaient déjà à Yogo n'étaient pas autorisés à rentrer chez eux et les citoyens Yogoese qui se trouvaient à l'étranger au moment de la fermeture des frontières n'étaient pas non plus autorisés à retourner dans leur pays d'origine.

Balsa était au Nouvel Empire de Yogo lorsque les frontières furent fermées, en compagnie de sa fille aînée, Alika, âgée de dix-huit ans et demi. Toutes les deux, séparément, avaient passé les six derniers mois à guider les marchands Rotan, Kanbalese et Yogoese à travers les montagnes jusqu'à leurs maisons, évitant toutes les patrouilles frontalières. Elles connaissaient de nombreux chemins à travers les montagnes qui n'étaient connus que des bêtes et de quelques chasseurs, mais tous les chemins qu'elles connaissaient ne pouvaient être empruntés. Il y avait des chemins si escarpés et si étroits que plusieurs clients et leurs familles ne pourraient jamais les traverser. Piquer à travers les montagnes était toujours difficile et un peu dangereux.

Malgré cela, de nombreuses personnes étaient prêtes à le faire pour pouvoir rentrer chez elles. Elles étaient prêtes à presque tout abandonner pour retourner dans leur patrie. Balsa et Alika n'étaient pas les seules gardes à aider les gens à traverser les montagnes. Savoir qu'il y avait des moyens d'éviter les gardes-frontières était assez courant pour que le Mikado décide de poster des gardes sur les principales routes de montagne et les plus connues. Le travail de Balsa et Alika en tant que garde et guide les limitait à un nombre infime de chemins sûrs. Balsa était heureuse de pouvoir encore travailler, même si Alika n'était pas avec elle. Elle faisait amplement confiance à sa fille aînée et ses habilités à se défendre et passer inaperçu. Tanda s'occupait de leurs enfants plus jeunes dans les montagnes, caché au refuge.

Le travail était bon. Cela les aida à ne pas penser à Chagum. Elles avaient toutes deux appris à Rota qu'il était mort. Le Mikado avait offert à son fils des funérailles extravagantes. Il avait proclamé que le prince héritier était retourné à Ten no Kami et aux dieux pour devenir le protecteur de sa nation dans la mort. Tout cela avait été enjolivé. Il y avait des rumeurs selon lesquelles tout ce qui s'était passé au courant de la dernière année était dû à la mort du Prince Héritier. Balsa et Alika avaient entendu des rumeurs selon lesquelles Chagum avait été capturé à Sangal et avait négocié sa propre libération, mais s'était suicidé ou avait été tué d'une manière ou d'une autre sur le chemin du retour.

Son père, le Mikado, n'avait fait aucun effort pour annuler ces rumeurs. La chose la plus importante pour lui était que Chagum soit mort. Alika, qui était médium et avait la capacité de communiquer avec les gens décédés, n'avait émis aucun commentaire. Elle n'était pas certaine de ce qu'elle percevait comme information et même les esprits n'étaient pas en mesure de répondre à ses interrogations. Balsa avait choisi de ne pas déranger sa fille plus qu'il le fallait avec des questions sur un sujet dont elle ne connaissait presque rien.


Après avoir mené ses derniers clients Rotan sains et saufs à leur village d'origine, Balsa prit le chemin du retour pour se rendre chez son mari et retrouver ses enfants, perdue dans ses pensées comme seules compagnie. C'était bientôt l'automne, mais il faisait encore assez chaud pour se sentir comme en été. L'empire Talsh et la moitié du royaume de Sangal avaient uni leurs forces et avaient déclaré la guerre au Nouvel Empire de Yogo. La vie dans les montagnes était relativement facile et paisible, donc ils étaient un peu coupés du monde extérieur. Malgré cela, Balsa pouvait pleinement sentir l'atmosphère lourde qui régnait.

Tous les hommes âgés de quinze à cinquante ans étaient enrôlés dans l'armée du Nouvel Empire de Yogo. Ceux âgés de seize à quarante ans étaient tirés au sort et envoyés comme recruteurs pour plus d'hommes.

La peur que tous leurs jeunes hommes soient emmenés s'était répandue dans les villages avoisinants. Personne ne savait qui allait être enrôlé par la suite. Les conscrits quittaient leurs maisons pour protéger la capitale de Kosenkyo et construire des fortifications autour d'elle. Aucun n'était rentré chez lui depuis que Yogo avait commencé à se préparer à la guerre. Tous les habitants devaient faire leur part au service du Mikado. Mais Tanda avait toujours eu de la chance, peu importe ce qui se passait. Il ne pouvait rien lui arriver.

La voix de ce dernier résonna au loin et la tira hors de ses pensées.

« Je n'aime pas mes yeux, disait Nao.

- Pourquoi donc ? demandait Tanda.

- ... Ils me rendent trop différents de vous.

- Mais moi, j'ai toujours aimé tes yeux bleus. Tu es chanceux, si je le pouvais, je te les volerais avec joie.

- Moi aussi ! ajouta la jeune Motoko, âgée de presque sept ans. Moi aussi ! »

La voix de Torogai se mêla à la leurs.

« Et mes yeux, moi ?! se vexa la Grand-Mère. J'ai les yeux bleus aussi, et regarde ce que je sais faire ! Je peux voir les deux mondes de Sagu et Nayug, je suis chamane et j'ai le meilleur titre qui soit : être grand-mère !

- Je n'en doute pas, l'appuya Tanda. On vous aime, Maître Torogai !

- Moi aussi, moi aussi ! répéta Motoko.

- Peuh ! termina Torogai en entrant de nouveau à l'intérieur. »

Balsa se mit en garde, sentant une présence dans les buissons. Bientôt, deux petites silhouettes en émergèrent et sautèrent sur leur cible.

« Rawrr ! dit Karuna, l'aîné des jumeaux.

- Maman est là ! ajouta Jiguro, le cadet. Maman est là ! »

La lancière se laissa capturer et finit par les emprisonner tous les deux dans ses bras. Karuna se faisait tenir en mode « sac de patates » et Jiguro ne se faisait tenir que par la taille. Avec son balluchon sur le dos, Balsa continua de marcher vers la clairière. Motoko, vêtue de sa robe kanbalese mauve foncée à manche courte et de sa ceinture grise, courut à sa rencontre et se dépêcha de ramasser la lance, tombée au sol de la forêt lorsque les jumeaux avaient sauté sur leur mère.

« Bon retour à la maison, Maman ! sourit sa deuxième fille.

- Merci, Motoko. Je suis heureuse de te revoir, tu m'as manquée aussi !

- Je vais dire à Papa de préparer son ragoût spécial ! »

Proche du refuge, Balsa déposa ses fils en face du grand cerisier en l'honneur de Kasem, son second enfant défunt. Elle ouvrit la porte.

« Je suis de retour, annonça-t-elle alors qu'elle nettoyait ses jambes et ses pieds avec le seau d'eau et une serviette à l'entrée.

- Balsa ! s'exclama Tanda. Les enfants commençaient à s'inquiéter de ne pas te revoir.

- Je leur ai promis de que je veillerai sur eux et reviendrai toujours à la maison. Hum ? Alika n'est pas revenue de son travail de garde ?

- Je ne l'ai pas revue depuis quelques semaines. Mais je lui fais confiance. S'il lui était arrivé quoique ce soit, elle m'aurait averti avec un appel d'âme.

- Tu as raison. Elle a l'âge de sortir et doit avoir de la liberté. Elle ne sera pas notre petite fille éternellement.

- Papa ! Il faut que tu fasses ton ragoût sauvage ! insista Motoko, folle de joie.

- Mais bien sûr, ma puce, répondit Tanda avec sourire. »

Balsa chercha son fils aîné du regard et ne le trouva pas dans le salon familial ni dans la cuisine. Tanda, lisant presque ses pensées, lui pointa l'étage du haut. Malgré la fatigue de ses jambes et de sa marche, elle se redressa et grimpa les escaliers. Nao lisait ses livres et bouquins tels un érudit. Tanda avait pour habitude de dire que Nao parlait comme un livre, prenant soin de bien articuler et prononcer les mots. Il ne se forçait pas à parler ainsi : c'était tout simplement naturel. De plus, il était né comme Alika : il avait des facultés médiumniques et voyait les mêmes choses que sa sœur aînée. Il en profitait aussi pour coucher ses connaissances en tant que médium sur papier. Ce, à quoi, Alika n'avait jamais porté le moindre intérêt. Nao ne redressa même pas la tête en sentant l'énergie de sa mère.

« Tu ne t'ennuis pas, seul ici, mon cœur ? se renseigna-t-elle.

- Non, je ne m'ennuis jamais quand je suis seul.

- Tu es comme ton père.

- C'est mal d'être calme comme moi ?

- Je n'ai jamais dit ça, se reprit Balsa. J'ai juste peur que tu t'ennuis, c'est tout.

- Ça n'arrivera pas.

- D'accord, mon trésor. Je serai en bas. Le souper sera prêt dans une demi-heure environ. »

Elle ébouriffa ses cheveux et baisa son front avant de redescendre. Nao n'avait jamais été un fan aguerrit des arts martiaux. Il n'avait jamais émis le souhait de posséder une lance ou de s'entraîner avec Balsa et ses sœurs.

« Qu'est-ce que je peux faire pour aider au souper, Papa ? demanda Motoko.

- Veux-tu mettre la table ?

- Oui ! »

Tanda donna les napperons à sa fille puis les baguettes – et les cuillères pour les jumeaux – afin qu'elle les dépose sur la table. Torogai restait dans son coin, à boire du saké, le temps que le souper soit prêt.

« Maman, est-ce qu'on prie Kasem pour le repas ? questionna la jeune fillette.

- Bien sûr, comme toujours. »

Ils firent leur bénédiction et prière à Kasem avant de commencer manger. Le souper se passa dans la bonne ambiance avec les jumeaux qui se volaient de la nourriture dans chacune de leurs assiettes. Balsa décida d'échanger leurs plats et le spectacle continua malgré tout. Motoko avait, à son tour, décidé de mélanger leurs deux assiettes ensembles. Comme si ça ne suffisait pas, ils s'étaient mis à voler la nourriture des autres membres de leur famille.

Motoko se mit à crier et à pleurnicher alors que Nao tenait le plus près possible son assiette contre lui de façon possessive. Balsa trouva ça comique un moment et Tanda, qui normalement, aurait ri avec eux, était encore parti loin dans ses pensées. C'est lorsque Karuna lança une carotte cuite sur son père par accident que ce dernier sortit de ses pensées. Balsa se mit à rire aux grands éclats.

« Bon ! annonça soudainement la lancière. Ça suffit, j'ai assez toléré les bêtises, mais maintenant ça suffit. Arrêtez de jouer avec votre nourriture, sinon, vous n'aurez pas d'hekimooms.

- Quoi ?! Des hekimooms ?! s'écria sa fille.

- Oui, j'en ai acheté en revenant. »

Karuna et Jiguro arrêtèrent leur cirque et finirent par manger leur assiette sans chipoter dedans. Après le repas, tous se régalèrent avec les sucreries, mais Balsa remarqua qu'elle était moins friande de sucre depuis quelques années. Tanda choisit de s'occuper du potager, accompagné de Karuna alors que Balsa passait du temps avec Motoko pour l'entraîner aux arts martiaux et à l'art de la lance.

« Tu fais quoi ? se renseigna Karuna en se penchant au-dessus de l'épaule de son père.

- Je mets de l'engrais.

- Pourquoi ?

- Pour aider les plantes à mieux pousser.

- Ah... ?

- Tu veux m'aider à en mettre ou retirer les mauvaises herbes ?

- Aider ! »

Tanda lui montra comment faire et Karuna l'imita rapidement, se salissant avec la terre. Soudain, l'apothicaire se mit à rire.

« Papa ? Pourquoi tu ris ?

- Maman n'a jamais eu le pouce vert pour planter des plantes ou même entretenir les fleurs.

- Oh !... elle n'aime pas les fleurs ?

- Oui, mais elle n'aime pas les entretenir. Elle dit qu'elle oublie tout le temps. Donc, elle me laisse toutes les tâches reliées aux fleurs.

- Les fleurs, c'est jolie !

- Tu as raison. »

Un peu plus loin dans la clairière, Balsa ne retenait pas ses coups de lance envers sa seconde fille et la poussait jusqu'à ses extrêmes limites.

« Replace ton pied, il est mal positionné, commanda-t-elle.

- Dé-désolée...

- Arrête de t'excuser. Tu n'auras pas le temps de te sentir désolée contre ton adversaire. Peut-être serait-ce le temps d'une pause...

- Non ! Je veux être aussi forte qu'Alika-Onee-ny-chan !

- Alors tu veux améliorer ton endurance ?

- Tu ne me la faisais déjà pas pratiquer, Maman ?

- Si, mais j'étais curieuse de voir la compétence dans laquelle tu excellais le plus. Vois-tu, ta grande sœur préférait la puissance et l'agilité. Toi, l'endurance et l'analyse des mouvements de ton adversaire.

- On recommence, Maman ! »

Motoko se jeta sur sa mère et offrit son plus puissant coup avec son bambou. Balsa para puis réattaqua à son tour, mais sa fille se mit sur la défensive et repoussa sa lance presque sur le champ.

« Oh ho ! pas mal ! complimenta Balsa.

- Merci ! Est-ce que tu trouves que je me suis améliorée ?

- Oui, beaucoup. Tu t'améliores toujours de fois en fois. Tu seras aussi douée que ta sœur et moi.

- J'espère ! C'est mon rêve ! »

Soudain, l'enfant lâcha son bambou dans l'herbe tendre et se jeta vers les jambes de sa mère en entourant ses bras autour, la faisant chavirer au sol. Balsa échappa sa lance au passage et s'écrasa contre l'herbe dans un couinement étouffée.

« Motoko ! Mais c'est quoi ce... mouvem— attaque ?!

- Un peu de divertissement... j'ai réussi à baisser ta garde ! Tu dois l'avouer ! »

Motoko s'esclaffa en bougeant sur elle pour l'entourer de ses petits bras et nicher son visage dans son cou. Balsa la regarda et roula dans l'herbe en riant.

« Alors... il est temps de s'amuser ! »

Nao n'avait toujours pas bougé de son livre et Jiguro, son petit frère, s'était amusé à faire des combats imaginaires avec les figurines sculptés dans du bois. Balsa donna le bain aux jumeaux, arrivant parfaitement à les distinguer – ou presque. Elle les borda et alla nettoyer sa lance sous le regard de Motoko qui la regardait bien attentivement, couchée sur le ventre.

« Maman ?

- Hum ?

- Alika a bien eu une lance à sept ans, si ?

- Oui.

- J'ai presque sept ans... »

Balsa redressa la tête.

« C'est bien vrai. Bientôt, on ira faire forger une lance pour toi, qu'en dis-tu ? Je crois que tu en mesure d'en porter une vraie très bientôt.

- Vraiment ?! s'égaya Motoko en se redressant vivement sur ses coudes.

- Oui. Dès que j'aurai le temps. Il faut que tu me le rappelles, par contre, car avec ce qui se passe au pays, c'est très complexe.

- Oui ! Maman ?

- Hum ?

- Je veux prendre mon bain avec toi !

- Ce serait bien amusant, en effet. Allons le prendre toute de suite, dans ce cas.

- Oui ! »

Lorsqu'elles eurent fini de se nettoyer, vint le tour de Tanda et Nao. Balsa conduisit Motoko dans ses bras jusqu'à son futon, déplié dans le salon familial, aux côtés de ceux de ses frères déjà endormit. Les quatre futons formaient deux rangés de deux lits, collés ensembles. Les jumeaux partageaient le même pour le moment, vu leur petite taille et celui d'Alika était vide et un peu plus en retrait.

« Aller, c'est le temps de dormir, sinon tu ne seras pas en forme pour ton entrainement demain matin.

- Bonne nuit, Maman.

- Bonne nuit, mon cœur. »

Nao arriva à son futon et fut également bordé par Balsa.

« J'ai encore envie de lire, avoua-t-il.

- Tu me rappelles Jiguro. Ton grand-père était un vrai rat de bibliothèque lui aussi.

- Est-ce que je peux lire encore un petit dix minutes ?

- Humm... non, pas ce soir. Je voudrais que tu dormes. »

Son fils fit la moue, mais il comprenait. Il déposa son livre à ses côtés et se promit mentalement de continuer à feuilleter les pages dès le réveil.


Deux semaines après que Balsa soit revenue au bercail, ce fut au tour d'Alika de revenir dans la région. Armée de sa lance et d'un carquois qui comportait des flèches Rotan et ainsi qu'un arc, Alika se fraya un chemin vers le Bas Ougi. Personne ne la remarqua. Elle approcha une petite maison proche d'une rivière : il y avait une boutique agacent où les couturières pouvaient faire des altérations et vendaient des vêtements pour enfants, ainsi qu'une garderie pouvant accueillir quatre à cinq bambins.

Elle cogna à la porte de derrière. Des pas se firent entendre à l'intérieur et la porte s'ouvrit sur une jeune femme aux cheveux bruns attachés en deux lulus basses, des yeux bruns et un teint pâle typique des personnes Kanbalese. Elle portait un chandail bleu marine, avec un collet en goutte d'eau munis d'un biais de couleur orangée. En dessous, elle portait une robe pourpre Kanbalese et sa ceinture était blanche. Elle était plus grande physiquement que la jeune guerrière, mais avait moins de hanches et de poitrine qu'Alika. Elle poussa un cri de joie en voyant la voyageuse garde.

« Alichoue' ! l'accueillit-elle dans une grosse étreinte, emprisonnant ses lèvres contre les siennes.

- C'est bon de te revoir, Amaya, répondit Alika une fois libérée.

- Viens, entre. Comment a été ta dernière escapade avec les marchands Rotan ?

- Ça s'est bien passé, quoiqu'un peu épuisant. Et toi ?

- Les enfants étaient merveilleux et nous avons fait beaucoup de bricolage. »

Amaya tenait une garderie qui lui permettait de garder les enfants des parents plus démunis au Bas Ougi et cousait des vêtements d'enfants à partir de vieux kimonos, draps et rideaux qu'elle dénichait dans les boutiques Yogoese pour les offrir à prix abordables. Elle était une vraie maman et adorait les enfants. Puisque Kanbal était pauvre, la pauvreté des gens la touchait plus profondément et elle ne chargeait pas cher en tarif. C'était suffisant pour payer son loyer et ses dépenses personnelles.

Elle fila justement dans la cuisine tandis que la nouvelle arrivante déposait ses armes et retirait sa cape. L'intérieur n'avait pas la même structure que les habitations Yogoese. C'était plus semblable à celles de Kanbal, avec une table haute, avec des comptoirs et des poutres en bois.

« J'ai fait des lossos ! annonça-t-elle joyeusement.

- Même si nous ne sommes pas à Kanbal, ta débrouillardise continuera toujours de m'épater, chérie.

- Au moins, il y a des pommes de terre à Yogo et de la farine. Un peu d'huile pour frire et nous pouvons les fourrer de toutes sortes d'ingrédients, même sans fromage de chèvre ! Ceux que j'ai faits sont fourrés au bœuf.

- Ça va être bon ! »

Alika se prit une assiette et se prit deux lossos. Il y avait un lien qui rapprochait les deux jeunes amoureuses : elles s'étaient déjà rencontrées par le passé. Lorsqu'Alika avait été à Kanbal avec ses parents et s'était fait garder chez Tante Yuka, elle avait rencontré pour la première fois Amaya à l'école, qui était un an plus vieille qu'elle. Aussitôt, une amitié solide s'était créée. Bien qu'elles fussent jeunes, Amaya avait tout de suite su qu'elle était amoureuse d'Alika et se savait déjà attiré par les filles. Avant de se quitter, elle lui avait dit qu'elle deviendra sa femme plus tard.

Amaya était une kanbalese pur souche et avait immigré au Nouvel Empire de Yogo avec ses parents, originaire du Clan Muga. La raison était que son père avait trouvé un bon emploi à Yogo et qu'ils ne pouvaient plus rester à Kanbal, où le salaire était trop difficile à gagner malgré la cérémonie des remises. C'est ainsi que vers l'âge de neuf ans, un an après qu'Alika soit retournée au Nouvel Empire de Yogo, Amaya avait déménagé à son tour dans le même royaume. Elle avait appris lentement à parler le Yogoese, bien qu'avec ses parents, ils parlaient uniquement Kanbalese. De plus, elle n'avait plus cette obligation de marier un homme à partir de dix-huit ans.

Neuf ans plus tard, Alika et Amaya s'étaient retrouvées, en parfait hasard au Bas Ougi. Elles se reconnurent grâce aux bracelets ajustables qu'avait tissés Alika pour sceller leur promesse. Amaya portait toujours le sien, blanc avec des motifs de fleurs roses, mais celui de sa petite-amie avait lâché au fils du temps suivant ses entraînements rigoureux à la lance.

« Alichoue' ? l'interpella Amaya alors qu'Alika mordait dans son second lossos.

- Hum ?

- Tu n'as toujours pas dit à tes parents que toi et moi sommes ensembles depuis une demi-année, n'est-ce pas ?

- Non... pour l'instant, nous avons l'air de deux amies... »

Amaya posa sa main sur la main libre de sa petite-amie.

« Tu as peur de leurs réactions ?

- Pas celle de Maman... c'est Papa qui me fait un peu plus peur.

- Car il est métis et a des valeurs Yakue qui divergent de celles de Kanbal ? tenta-t-elle de comprendre.

- Je ne sais pas comment, pour tout dire... pour l'instant, tu as déjà rencontré ma famille, au moins.

- Oui. Motoko est toujours après moi, elle est vraiment mignonne. »

Alika sourit. Quand Motoko avait vu Amaya pour la première fois au refuge, elle lui avait posé pleins de petites questions et ne voulait plus la décoller. Le regard de Nao l'avait frappé de stupeur, car les yeux bleus n'étaient pas communs au peuple Yakue, mais il pouvait sans doute avoir reçu ce gène du côté de des ancêtres Yogoese de Tanda. Nao était le petit intello, érudit et Yakue de la famille.

« Tu devrais leur dire quand même, insista Amaya. Je trouve ça vraiment triste que tu doives te cacher alors que tu rayonnes d'amour quand tu es avec moi. Ça fait une demi-année que nous sommes ensembles après tout.

- ... Tu dis exactement la même chose que mon gardien spirituel, s'amusa-t-elle.

- Alors c'est sans doute parce que Jiguro est la voix de la raison à ce niveau ! S'il est en accord avec moi, alors ça veut dire que nous n'avons probablement pas tort. »

Amaya était la première femme avec qui Alika partageait son intimité et son cœur. Par contre, pour la jeune femme Kanbalese, la guerrière n'était pas la première femme avec qui elle sortait. Amaya avait eu environ quatre petites-amies avant de retrouver Alika, mais c'était des amourettes d'un soir et jamais du sérieux, même si elle avait déjà eu quelques expériences intimes. Les parents d'Amaya étaient au courant que leur fille sortait avec Alika et ils étaient des plus heureux pour elle.

« Chérie, déclara Amaya soudainement. Tu m'as tellement manquée et j'ai tellement envie de toi.

- Eh... là maintenant ? s'étonna la fille de Balsa.

- Oui.

- Tu peux au moins me permettre de me nettoyer ? J'ai sué, je suis sale...

- On peut prendre notre bain ensembles dans la rivière ! proposa-t-elle. »

Sans plus attendre la réponse d'Alika, Amaya se dirigea vers une armoire et en retira un plateau qui contenait des savons et des serviettes propres. Elles sortirent à l'extérieur et arrivèrent devant la rivière où il y avait des draps de suspendu sur des branches et faisant office de rideau pour plus d'intimité. Alika retira ses vêtements doucement et Amaya observa ses gestes d'un œil attentif. Elle admirait la belle courbe naturelle que ses hanches faisaient à partir de sa taille, qui était fine. La jeune femme Kanbalese avait toujours trouvé sexy et sensuel les tailles fines et Alika possédait une silhouette en X, ou en sablier comme sa mère. Son dos creux donnait une silhouette envieuse lorsqu'on la regardait de côté et elle aimait décortiquer des yeux la forme de ses seins et ses extrémités d'un beau rose tendre.

« Tu viens avec moi, Amaya ? l'interpella Alika.

- Oh, oui bien sûr, répondit-elle en sortant de son analyse. Je voulais juste te dire à quel point tu es une femme magnifique. »

Un sourire fleurit sur les lèvres de la fille de Balsa. Amaya avait moins de forme qu'elle, mais elle avait un corps presque parfait et n'engraissait jamais, même si elle s'acharnait à répéter qu'elle aurait aimé avoir plus de poitrine. Alika avait déjà terminé de se savonner quand la jeune femme entra dans l'eau.

« Mais il est où le plaisir de prendre un bain ensembles dans la rivière quand tu as déjà terminé ? s'exclama-t-elle.

- Hé bin... je n'ai pas encore nettoyé mes cheveux, si ça peut te consoler. »

Amaya fit une moue.

« Veux-tu que je t'aide à te nettoyer ? proposa Alika en espérant faire pardonner sa vitesse d'exécution.

- Je veux bien. »

Alors qu'Alika passait la serviette imbibée de savons sur les bras de sa petite-amie, elle sentit sa main être emprisonnée dans celle d'Amaya. Elle leva la tête et reçut ses lèvres contre les siennes.

« À ce rythme, souffla-t-elle, je ne pourrais pas te nettoyer rapidement...

- Qui a dit que nous devions se presser ? s'amusa Amaya. Et puis, tu n'as toujours pas nettoyé tes cheveux.

- Eh ?! »

Amaya fit reculer Alika dans l'eau plus en profondeur et l'enlaça pour soudainement l'emporter avec elle dans la rivière. Lorsque la jeune guerrière émergea sa tête hors de l'eau, elle retira sa chevelure de son visage. Elle éclaboussa Amaya qui éclata de rire et qui alla s'emparer du shampoing. Enfin, elles sortirent et se laissèrent sécher un instant au soleil.

Alika se fit pousser sur le lit et perdit sa serviette.

« Maintenant je suis propre, sourit-elle.

- Alors, qu'est-ce tu désires ce soir ? se renseigna Amaya, embarquant sur elle et crochetant ses poignets contre le futon. Jouons-nous relaxe ou à la dure ?

- C'est toi qui choisis. Tu as attendu tellement impatiemment mon retour... »

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire et elle l'embrassa dans le cou, un point très sensible chez Alika. Un gémissement s'échappa de ses lèvres. Les vraies choses sérieuses pouvaient finalement commencer...