Update 2022
Kazoku no Moribito
Gardien de la famille
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Partie I
Chapitre 3
Hommage à Kasem
Alika ouvrit les yeux, couchée sur le ventre. Amaya ne l'avait pas ménagé la veille et elles avaient fait durer leur ébat amoureux jusque tard dans la nuit, entrecoupé de pause. Ses hanches tiraient légèrement, signe qu'elle était courbaturée. Alika poussa un petit rire amusé avant de soupirer de soulagement. Elle se retourna et posa son bras sur la taille nue d'Amaya, se blottissant contre elle. Même si elle n'avait plus sommeil, elle savourait cette proximité dans le silence matinal. Amaya se réveilla une demi-heure plus tard. Elle enlaça sa bien-aimée qui lisait un livre entretemps et posa sa tête contre sa poitrine.
« Alichoue' ?
- Hum ?
- J'ai encore envie de faire l'amour avec toi !
- Encore ? s'écria Alika.
- Je viens de Kanbal... ce n'est pas de ma faute.
- Je l'ai fait quelques fois le matin avec toi... et je l'ai un peu regretté.
- Pourquoi ? J'ai mal fait ça ?
- Non, pas du tout. Je me suis rendormie juste après en me disant que cinq minutes seraient bien. Et j'ai passé tout droit. Faire l'amour m'endort. C'est pour ça que j'ai une préférence pour le soir et la nuit.
- Tu avais un rendez-vous ce jour-là ?
- Non, je devais m'entraîner avec Maman... »
Amaya fit une moue.
« S'il te plait ! »
Quand elle minaudait de cette façon, Alika cédait toujours à son petit caprice. Dans une prise d'arts martiaux, elle renversa Amaya sur le matelas et emprisonna ses hanches entre ses cuisses.
« Très bien, tu l'auras voulu !
- ... S'il te plait, sois douce avec moi, capitula-t-elle en prenant un regard innocent.
- J'ai déjà les hanches en compote, alors je pense que ce sera plus doux, effectivement. »
Après avoir longuement fait l'amour, alors qu'elles se prélassaient dans le lit, Alika se redressa soudainement et observa Amaya.
« Amaya, aujourd'hui est un jour spécial... Ma famille et moi avons pris l'habitude de toujours le célébrer.
- ... Kasem ?
- Oui. Ça fait onze ans aujourd'hui qu'il est décédé avant la naissance, à cinq mois de grossesse. Tu veux venir chez mes parents ?
- J'ai congé aujourd'hui. J'aimerai beaucoup ça. »
À Kanbal, il était coutume de célébrer les anniversaires des enfants décédés en bas âge. Amaya était supposée avoir deux petites sœurs, mais elles étaient décédées bien trop jeunes, dont une comme Kasem. Elle aussi fêtait les anniversaires de cette façon. Elles se levèrent, s'habillèrent et Amaya verrouilla les portes de sa maison, saluant la femme qui faisait des altérations de vêtements avec elle et qui allait travailler.
Puis, elle prit la main d'Alika, idée d'en profiter un peu avant de retrouver sa belle-famille qui ignorait encore tout de leur relation... mais peut-être que sa belle-mère, Balsa, avait un doute.
Balsa se réveilla la première. Elle s'habilla en silence, se lava le visage, peigna ses cheveux et descendit au rez-de-chaussée. Elle s'empara de la boîte souvenir qu'avait fait sa Tante Yuka avec Alika pour conserver les souvenirs de Kasem. La lancière déposa la boîte au pied du cerisier et partit s'entraîner dans la forêt. Sa concentration se brisa quand elle entendit des pas derrière elle, marcher dans les longues herbes de la clairière lors de leur passage.
« Bon matin, Motoko, l'accueillit Balsa en voyant les cheveux de sa fille tout entremêlés.
- Bon matin, Maman... »
Motoko, contrairement à Alika, avait toujours aimé garder ses cheveux courts. Il n'y avait aucun moyen de pouvoir jouer dedans sans que la petite ne s'impatiente et se fâche.
« J'ai lavé mon visage et me suis changée, annonça-t-elle. »
Elle tenait une branche d'arbre polit au fils du temps dans ses mains : c'était celle qu'Alika, à son âge, avait trouvé dans une forêt quand l'ancienne maison de sa mère, le moulin à eau, avait brûlé avec son ancienne branche de bambou.
« Je peux m'entraîner avec toi ?
- Comme d'habitude, bien sûr.
- Alika-Onee-ny-chan est toujours pas arrivée...
- Plus le temps avancera, et moins elle sera présente, Motoko, tenta de l'apaiser Balsa.
- Mais j'aime ma grande sœur et elle me manque ! Amaya, son amie, est aussi gentille.
- Ta grande sœur va revenir, ne t'en fais pas. Et je suis sûre qu'Amaya viendra faire son tour également. »
Après quelques parades, Motoko demanda à tenir la lance de sa mère.
« Je veux m'habituer à son poids, moi aussi !
- J'ai l'impression d'entendre Alika, c'est drôle, s'amusa Balsa. Bon, c'est d'accord. »
L'enfant prit la lance de façon presque solennelle. L'arme était lourde, mais Motoko démontra une agilité déconcertante à la manier que même Alika ne possédait pas à son âge quand elle empruntait la lance de Balsa. Elle fit quelques katas et termina en essayant d'exécuter une série de moulinet. Malheureusement, l'arme s'échoua au sol.
« Presque ! grimaça Balsa.
- Sinon, j'étais comment ?
- Très douée. Tu es même plus agile qu'Alika ! Je suis fière de toi. »
Motoko sourit et lui sauta dans les bras.
« Maman, aujourd'hui c'est l'anniversaire de Kasem.
- J'ai apporté la boîte. Elle est sous le cerisier.
- On peut aller installer ses choses ?
- Bien sûr. L'entraînement est terminé justement. »
L'enfant gambada entre les arbres pour retrouver le chemin de la maison et voir le cerisier. Elle s'agenouilla à la base du tronc. Elle ouvrit la boîte et trouva de l'encens. Elle déposa le bâtonnet dans une petite statue en bois sculpté qui représentait le Dieu Yoram et demanda à Balsa les pierres en silex pour l'allumer. Comme une vraie petite décoratrice, Motoko accrocha la couverture, le petit kimono et les petits bas sur les branches du cerisier de façon méticuleuse.
« Bon anniversaire, mon petit ange, s'émut Balsa en s'agenouillant pour prier. Hé bah... Onze ans aujourd'hui. Il y a quand même eu beaucoup de changement depuis la dernière année. Mais je sais que tu nous veilles de là où tu es. Notre gardien de la famille... »
Elle tourna la tête en entendant la porte s'ouvrir sur son second fils. Un bébé arc-en-ciel comme on les appelait : l'enfant qui suivait une fausse couche. Elle ne put s'empêcher de penser qu'elle voyait une image crachée de Tanda lorsque petit.
« Bon matin, salua-t-il à son tour.
- Bon matin, répondit Balsa.
- On a installé les choses de Kasem pour son anniversaire ! déclara Motoko, fièrement. »
Nao regarda le cerisier : il était le seul avec Alika qui pouvait voir l'âme de Kasem se balancer sur une petite balançoire spirituelle accrochée à une branche de son arbre.
« Il est content, annonça-t-il en s'agenouillant à son tour.
- J'espère bien ! s'écria vivement sa petite sœur. Papa a dit qu'il ferait un gâteau de riz avec moi pour la fête.
- Kasem vient me voir en rêve, parfois.
- Toi aussi ? s'étonna sa mère.
- Oui. Il vient jouer avec moi et me conseille. Tu savais qu'il était le gardien de notre famille, Maman ?
- Je le savais.
- Pourquoi il vient jamais me voir ? se vexa Motoko.
- ... Il dit qu'il vient te voir aussi, mais que tu ne te souviens pas de tes songes ni d'avoir rêvé quand tu te réveilles.
- Ça a rapport avec les pouvoirs spirituels ?
- Non. Il s'agit simplement de devoir se pratiquer à s'en souvenir dès le réveil. »
Tanda sortit dehors avec un chaudron fumant de gruau de riz. Karuna et Jiguro le suivaient sur les talons en tenant une nappe et les bols, avec des baguettes et des cuillères.
« Que diriez-vous de prendre le petit-déjeuner à l'extérieur pour aujourd'hui ? offrit l'apprenti chamane. Je pense que nous avons une belle occasion de le faire.
- Oh oui, allons-y Papa ! s'exclama sa seconde fille. »
Balsa aida à déposer les couverts sur la nappe, proche du cerisier. Tanda versa un bol en surplus et le déposa pour Kasem. Le petit-déjeuner se passa dans la bonne humeur. Comme la lancière avait décidé de faire un peu de ménage dans la maison pendant que son mari préparait ses commandes avec Motoko, elle jeta un coup d'œil rapide à l'extérieur.
Les jumeaux étaient partis jouer dans la forêt avec leurs propres branches en bambou. Balsa sût que c'était maintenant ou jamais de cacher sa lance, le temps qu'elle termine le ménage. Depuis que les deux benjamins étaient nés, Alika et elle devaient constamment faire attention où elles laissaient traîner leurs lances, car ils étaient toujours, mais bien toujours, portés à vouloir jouer avec. Balsa savait très bien que les armes étaient trop lourdes à soulever pour eux et qu'ils pouvaient se blesser.
Elle approcha un gros arbre et inspira. Soudain, à une vitesse fulgurante, elle projeta son arme sur le tronc, plus haut, tel un javelot fendant l'air. La lance s'y ficha et y resta solidement accrochée. Depuis seulement quelques semaines, c'était la nouvelle cachette.
Les jumeaux s'étaient cachés à merveille dans un buisson à proximité et ne remuaient pas un cil. Ils voulaient savoir comment elle grimperait dans les branches et cacherait sa lance. Balsa tendit les bras et se hissa sur une première branche. Elle escalada les autres avec l'agilité d'un petit singe. Elle n'avait pas perdu un muscle malgré ses grossesses et elle finit par se hisser sur la grosse branche, au même niveau où sa lance s'était fichue et où reposaient deux cordes. Elle rampa sur le ventre, attrapa une des deux cordes avant de retirer sa lance du tronc. Elle fit un nœud complexe pour l'attacher à l'extrémité, puis lui fit faire trois tours. Une fois certaine de sa solidité, elle lâcha l'arme tranquillement. Les enfants l'appelaient « l'arbre à lance ».
De retour au sol, Balsa se massa la poitrine pour compenser le fait qu'elle l'avait écrabouillée dans sa démarche. Satisfaite, elle décida de retourner au refuge pour commencer les tâches ménagères.
« Maman est plus là ! annonça Karuna. »
Les deux frères coururent vers « l'arbre à lance ». Karuna plaça ses mains en tant que support, fléchit légèrement les genoux et fit grimper son frère cadet en premier. Celui-ci lui tendit ensuite ses mains et le hissa à son tour. Comme un parfait duo acrobatique, ils atteignirent la branche qui servait de support aux armes, qui n'en comprenait qu'une seule. Ils savaient qu'ils étaient très hauts dans l'arbre, mais ils étaient trop contents d'avoir atteint la cachette.
Jiguro prit la corde et la tira lentement vers eux. À quatre paires de main, ils remontèrent l'arme en question et jouèrent après le nœud avec une énorme patience, un très bon équilibre et une étonnante dextérité pour leur âge.
« Maintenant, on descend de l'arbre avec ! dit fièrement Jiguro.
- Et si Nao-Oniisan nous voyait ? demanda Karuna.
- Il a trop le nez dans les papiers. C'est ennuyant. Viens ! »
Jiguro tint la lance et Karuna descendit le premier. Se passant la lance de main en main, et prenant appui sur les branches et le tronc, ils atteignirent le sol en moins de dix minutes. Ils se firent une main d'applaudissement et tinrent la lance à deux comme un long bâton. Ils n'allèrent pas très loin que la silhouette de Balsa leur bloqua le chemin.
Elle avait les bras croisés et un regard sévère. Avec le temps, son regard qui pouvait tenir une éternité, s'était lentement adoucit et elle ne restait jamais fâchée très longtemps. Elle pensa alors qu'il était temps de trouver une nouvelle façon de pouvoir ranger sa lance de façon sécuritaire. Les jumeaux se figèrent comme des statues et cessèrent tous mouvements.
« Je suppose que je ne peux rien y faire, soupira-t-elle finalement. Mais je le répète : ceci n'est pas un jouet. Vous pourriez vous blesser ou faire mal à vos sœurs et votre frère.
- On veut pas jouer avec des bambous ! pleurnicha Jiguro. »
Balsa réfléchit.
« Pourquoi n'irais-tu pas demander conseil à ton grand frère Nao ? tenta-t-elle.
- Parce que c'est pas un guerrier !
- Que faut-il pour vous faire changer d'idée ?
- Une lance ! firent les jumeaux à l'unisson.
- Non. »
Elle appela Motoko. Les buissons bougèrent et sa seconde fille en ressortit, les mains peinturées de fruits écrasés et le contour de la bouche sale.
« Oui, Maman ? Tu m'as appelée ?
- Veux-tu offrir quelque cours à tes frères ? Des cours d'arts martiaux ?
- D'accord, mais je tiens ta lance !
- NON ! rétorquèrent les jumeaux en reculant avec.
- Je suis l'aînée !
- Techniquement, c'est Alika l'aînée, intervint Nao, soudainement proche d'eux.
- Je suis la seconde fille de la famille et donc, quand Onee-ny-chan n'est pas là, c'est moi la fille aînée ! »
Balsa leva les yeux au ciel, à moitié désespérée et amusée. Les fameux débats du plus fort, de l'aîné(e), du plus gourmand, du plus intelligent recommençaient entre eux. N'ayant jamais eu de frères et sœurs plus jeunes qu'elle à comparer de Tanda, Balsa essayait de gérer ces crises de jalousies fraternelles du mieux qu'elle le pouvait. Elle fit un pas en avant et tendit la main. Les jumeaux lui remirent à contrecœur l'arme avec une moue boudeuse.
Un seul regard et on obéit, avait commenté Tanda.
« Dès que vous aurez sept ans, vous pourrez en avoir une. Pour le moment, c'est au tour de Motoko de porter une arme de "grande personne".
- Alors on va grandir plus vite ! s'écria Jiguro. Nao-Niisan peut faire une potion qui nous fera grandir !
- Je suis un apprenti chamane et apothicaire, pas un sorcier. Vous êtes drôles, vous deux.
- Je t'avais dit qu'il était ennuyant ! commenta Karuna qui se mangea un regard noir de la part de son frère aîné. »
Pour toutes réponses, Nao tourna les talons et retourna s'asseoir sous le cerisier pour lire. Balsa supervisa l'entraînement de ses enfants un moment. Les jumeaux se battaient en combat amical en mettant en pratique leurs leçons apprises. C'est alors qu'ils voulurent faire un coup de pied en crochet à l'unisson et l'improbable se produisit : leurs jambes s'entremêlèrent dans le feu de l'action et ils tombèrent ensembles au sol, un air de confusion collé au visage.
« Mais qu'est-ce qui s'est passé ?! s'écria Motoko.
- Les grands esprits se rencontrent, comme on dit, cita Balsa en riant, aidant les enfants à se déprendre.
- En tout cas, on sait de qui provient leur entrainement. »
Sachant que les jumeaux avaient enfin trouvé un passe-temps qui leur permettait de libérer leur sang de guerrier en dehors des armes, Balsa les laissa aux bons soins de leur grande sœur. Elle ramassa le salon familial, remit les couvertures en place, les meubles aux endroits initiaux et passa un coup de balais. Elle commença également les préparations du dîner, faisant également la liste de nourriture qu'il faudrait acheter prochainement. Jamais elle n'aurait pu imaginer qu'elle fonderait une famille et se poserait quand elle regardait sa vie d'avant, mais elle ne détestait pas ce nouveau mode de vie, sachant très bien qu'elle pouvait continuer à voyager.
Elle se demanda un moment si Kasem aurait été un futur guerrier comme Alika, Motoko et Jiguro, ou si, au contraire, il aurait été un pacifiste dans l'âme comme Nao et Karuna. Elle frissonna en pensant à lui. Même s'il n'avait pas vécu longtemps, elle ressentait toujours son absence. Elle aimait comme jamais ses cinq enfants, elle avait eu une vie comblée, mais la place vide qu'avait laissé Kasem était toujours présente, onze ans après sa mort précoce.
Nao savait que sa naissance ne remplaçait pas la place de son frère aîné. Et il ne s'était jamais considéré comme un remplaçant non plus, mais bien comme le petit frère de Kasem.
« Maman ? résonna la voix de l'un des jumeaux. »
Balsa sortit de ses pensées, secoua la tête et essuya vivement ses larmes discrètes.
« Qu'est-ce qu'il y a, mon trésor ? »
L'enfant leva son genou.
« Je suis tombé.
- Nous allons arranger ça, viens Jigu—
- Karuna, Maman.
- Karuna, se corrigea Balsa. »
Elle déposa le couteau sur le comptoir, prit son fils dans ses bras et l'emmena au second étage. Elle trouva des bandages et un peu d'alcool à friction avant de panser la blessure de son fils. Balsa colla son index et son majeur sur ses lèvres et les posa sur le bandage.
« Un bisou pour accélérer la guérison, dit-elle en se penchant pour donner un bisou sur son genou écorché. Et un béco-bobo de Maman pour qu'il disparaisse au plus vite. »
Karuna sourit et descendit de la boîte en bois. Nao était entré dans la maison et avait toujours le nez dans son bouquin, installé sur la table de la cuisine.
« Tu lis quoi ? demanda le petit frère.
- Des contes et légendes Yakue, le renseigna Nao. Je les mémorise.
- Tu les quoi ?
- Je les retiens par cœur.
- Pourquoi ?
- Je veux devenir compteur au village de Toumi.
- Pourquoi ?
- Parce que ça me tente. Ça me passionne !
- Pourquoi ? »
Nao soupira. Balsa se rapprocha, soudainement curieuse.
« As-tu envie d'en faire ton métier ?
- J'ai toujours aimé les légendes Yakue et les coutumes. J'ai lu des coutumes anciennes qui avaient, et ont, disparu et ce serait bien de les restaurer je trouve.
- Si Alika était fanatique de la culture Kanbalese jusque dans l'âme alors toi, tu es fanatique de la culture Yakue. Vous êtes de vrais opposés ta sœur aînée et toi.
- Je sais. Nous partageons aussi la faculté de parler aux esprits et de voir le monde spirituel. Mais Alika-Oneechan est trop énergétique et extravertie. Elle ressemble plus à Motoko et Jiguro. »
Motoko pénétra le refuge avec un Jiguro mort de fatigue et la lance. Balsa proposa à son garçon d'aller se reposer sur un grand coussin dans le salon pour une sieste.
« Je te réveillerai quand nous allons manger, sourit Balsa.
- D'accord.
- Reposes-toi bien, mon cœur. »
Alika arriva enfin à la maison familiale en compagnie d'Amaya. Sa petite sœur tourna les yeux vers les nouvelles arrivantes et cria le nom de sa grande sœur.
« Ah, voilà Motoko, s'amusa la nouvelle arrivante en se préparant à accueillir la petite bombe qui courait droit sur elle. Bonjour Motoko !
- Onee-ny-chan ! Avec Amaya-Chan ! »
Aussitôt libérée de son étreinte, Motoko trouva refuge dans les bras d'Amaya. Celle-ci la fit même monter sur son dos, au plus grand plaisir de la fillette. Amaya avait naturellement une énergie de « maman ». Un bébé pouvait presque se tordre le cou quand elle passait derrière lui ou arrêtait de pleurer en croisant son regard. Les enfants qui piquaient des crises se calmaient aussitôt qu'elle leur faisait un sourire.
En dehors de ses petits frères et sa petite sœur, Alika n'était pas aussi douée avec les enfants que sa petite-amie l'était. Elle enviait la capacité d'Amaya d'interagir aussi facilement avec eux. Elle ferait une très bonne maman plus tard. Balsa alla à leur rencontre et enlaça sa fille aînée.
« Bonjour Alika, bonjour Amaya. Le trajet s'est bien passé ?
- Comme d'habitude, aucun danger ! la renseigna Alika. Les clients ont été satisfaits et ils ont pu retourner chez eux en toute sécurité.
- Je savais que je pouvais te faire confiance. Venez, entrez.
- J'ai aussi appris qu'aujourd'hui c'était l'anniversaire de Kasem, ajouta Amaya. C'est pour ça que j'avais envie de vous rendre visite aujourd'hui. Ça me rappelle mes deux petites sœurs décédées en bas âge, dont une, excusez-moi Balsa-San, de cette façon...
- Ne t'en fais pas, ce n'est pas tabou. Je comprends et je ne t'en veux pas. C'est gentil d'avoir eu cette pensée pour nous. Tu es la bienvenue n'importe quand. Si ça continue ainsi, je vais peut-être te considérer comme ma fille adoptive ! »
Le jeune couple ravala sa surprise suite à ce commentaire. Alika commença à craindre que Balsa se doutait de son lien avec Amaya, mais sa mère restait tellement discrète que même ses facultés médiumniques ne pouvaient lui dire si oui ou non elle savait vraiment quelque chose à propos de ce lien.
À priori... c'est ta bru, Maman, pensa-t-elle. Donc tu n'as pas tort.
Amaya vit le cerisier de Kasem. À chaque fois qu'elle se tenait devant ou à proximité, elle sentait une puissante attraction émaner de lui et pouvait facilement le fixer pendant de longs instants. Elle vit les vêtements suspendus aux branches que Yuka avait tricotés en son souvenir et le dessin-portrait qu'avait fait Toruna, l'amie de Yuka, à Kanbal.
« Tout va bien, Amaya ? résonna la douce voix de Tanda.
- Oh ! oui, tout va bien. J'admirais votre cerisier. Il est très beau ! »
Tanda leva les yeux vers le cerisier. Amaya pouvait noir de l'émotion passer dans ses yeux qui brillaient d'étoiles.
« Notre bébé-ange veille sur nous, observa-t-il. Moi aussi je pourrais passer des heures à le contempler. »
Une fois à l'intérieur, Alika demanda à ses parents si Amaya pouvait rester à dormir.
« Bien sûr, il n'y a aucun inconvénient, accepta Balsa.
- Qu'est-ce que vous faites généralement pour fêter l'anniversaire de Kasem ? demanda l'invitée en prenant place à la table basse.
- Voyons voir... nous suspendons ses vêtements souvenir sur les branches du cerisier et nous nous rassemblons en famille pour passer du bon temps, ensembles. Nous nous racontons souvent des anecdotes comiques. Mais mes préférés, ce sont surtout celles de mes enfants, quand ils étaient trop jeunes pour s'en souvenir.
- Maman ! se vexa Alika.
- Oh ? Je ne l'ai pas dit assez souvent ? s'amusa-t-elle.
- De quoi ? voulut savoir Amaya, curieuse. Dites-moi, je veux savoir !
- Non, Maman, s'il te plait, non ! la pria sa fille aînée.
- Alika mangeait tout le temps quand elle était bébé, raconta Balsa en ignorant la demande d'Alika. Même quand elle est née, pas le temps de la caresser, directement elle est allée à mon sein, rit Balsa alors que sa fille se mettait la tête dans ses bras pour cacher ses rougeurs.
- Maman, s'il te plait !
- Mais tu étais si mignonne, ma cocotte ! »
Karuna entra dans la pièce au même moment avec son jumeau. Amaya était à tous les coups étonnée de leur ressemblance frappante.
« Tiens, une autre anecdote à raconter. J'ai eu cinq grossesses et six bébés sont sortis de mon corps sans problèmes !
- Sauf pour Karuna, rectifia Alika en le regardant, devinant à son énergie que c'était l'aîné des jumeaux. Toi, tu as décidé de naître les fesses en premier.
- Désolé... ? s'excusa-t-il.
- Mais voyons, ce n'est pas grave mon cœur, dit doucement Balsa.
- Mais je suis pas né correctement...
- Tu es en vie et en santé. C'est ça qui est le plus important.
- Heureusement que Alika-Oneechan était là, hein ? le taquina doucement Alika alors que son petit frère baissait la tête. Tu as une dette envers moi.
- Quoi ?
- Un bisou à chaque matin et à chaque soir ! Hahaha ! »
Il fit une moue et embrassa sa grande sœur sur la joue timidement. Balsa regarda les jumeaux quand une anecdote lui arriva soudainement à l'esprit.
« Quand je suis tombée enceinte de mes derniers garçons, ils n'arrêtaient pas de se bagarrer dans mon ventre. Après, on ne se demande pas pourquoi ils adorent se battre.
- À qui le dis-tu ? soupira Tanda. Ils me donnaient des coups de pieds dans le dos quand tu te collais à moi.
- Mais tu n'endurais pas ça toute la journée et la nuit durant, le reprit-elle. J'avais doublé de volume, mon ventre aussi. J'avais même de la difficulté à m'asseoir et à me lever !
- Je m'en souviens. Tu ressemblais à un chibi !
- Tanda... surveille tes arrières ! »
Ils se chamaillèrent comme deux enfants, entraînant les rires de leurs enfants.
« Et toi, demanda Nao à Amaya, qu'est-ce que tu fais de tes temps libres ?
- Hum... J'aime beaucoup coudre, écrire un peu et dessiner. En général, je fais ça quand mes amis sont tous occupés ou que j'ai du temps libre pour moi. Je couds des vêtements pour les familles plus démunis et je tiens une garderie où je garde les enfants pour un bon prix.
- On s'entendrait bien ensembles ! s'exclama Motoko. Moi aussi, je fais de la couture !
- Vraiment ? s'égaya-t-elle.
- Oui, tu vois ? C'est moi qui ai fait ma robe... à l'aide de Papa, mais je l'ai fait !
- Elle est très jolie. Tu seras une experte plus tard, j'en suis convaincue. »
Motoko sourit. Elle adorait Amaya. Comme cette dernière n'avait plus grand-chose à dire sur elle, elle préféra écouter. Alika chercha discrètement sa main sous la table et la serra. Les deux affichèrent un regard complice et un étrange sourire apparut sur leurs visages, qui ne passa pas inaperçu aux yeux des parents.
« Les filles ? Qu'est-ce qui vous fait si rire ? questionna Tanda.
- Oh ! nous avons une anecdote à raconter qui s'est passé à Kanbal ! mentit Alika.
- J'aimerai bien l'entendre.
- Oui, ce serait divertissant, appuya Nao.
- Bon, voyez-vous, durant notre voyage à Kanbal, à Maman et moi, quand j'avais sept ans, j'ai été un peu à l'école Kanbalese. C'est là où j'ai rencontré Amaya-Chan. Il y avait, ce qu'on appelle, un populaire : Shozen-le-jaloux. Il était jaloux que je sois devenue le centre d'attention quand je suis arrivée dans la classe. Donc, il m'a défié en combat singulier.
- Alika lui en a fait voir de toutes les couleurs ! renchérit Amaya. Elle a gagné le combat et, après, Shozen ne la regardait plus et l'évitait comme la peste ! Voilà pourquoi nous le surnommons Shozen-le-jaloux. »
Elles rirent en revoyant sa mine déconfite dans leurs esprits. En soirée, après avoir mangé le gâteau de riz, Torogai revint à son tour après avoir vagabondé par-ci, par-là. En voyant sa petite-fille et sentant son énergie, elle comprit immédiatement le lien d'attachement qu'il y avait entre Alika et Amaya. Pourtant, la chamane ne laissa rien paraître.
« Amaya, je ne pense pas que tu aies rencontré ma Grand-Mère depuis que nous nous sommes retrouvées, dit Alika. Voici Torogai. Elle peut avoir un fort caractère.
- Alika, je t'entends jusqu'ici ! Je ne suis pas si vieille que ça ni sourde.
- Je te l'avais bien dit...
- Enchantée, je suis Amaya Muga. Je viens de Kanbal.
- Enchantée. Je me doutais que tu venais de Kanbal... Tu as les mêmes traits que Balsa, constata Torogai en s'emparant d'une bouteille de saké.
- Ah non ! s'écria Alika. Tu ne vas pas encore boire, Grand-Mère ?!
- Et pourquoi pas, petite fleur ?... Je bois ce que je veux et ce ne sera pas une jeune femme comme toi qui va m'en empêcher, répliqua la vieille chamane en s'assoyant. Au fait, Kasem est très heureux de sa journée.
- Oui, je l'avais senti et ça me remplis de joie également. »
Les deux amoureuses prirent leur bain ensembles, se rappelant de leur premier bain quand elles avaient sept ans. Elles en profitèrent pour se coller davantage et s'embrasser en surveillant les alentours. De retour au salon familial, les jumeaux, trop excités à l'idée d'avoir de la visite qui partagerait leur chambre pour une nuit, ne dormaient pas encore et questionnaient Amaya sans arrêt.
Motoko leur demandait d'arrêter, mais ils recommençaient cinq minutes plus tard. Alika décida donc de changer son futon de place, dans la pièce de la cuisine, idée d'avoir un peu d'intimité avec sa petite-amie et ne pas être obligée de la partager avec le reste de sa famille. Balsa intervint lorsqu'elle vit qu'Amaya commençait à être embarrassée par les questions que les jumeaux lui posaient.
« Jiguro, Karuna, ça suffit ! les arrêta Balsa en regardant Amaya. Désolée, ils sont trop curieux.
- Je suis habituée, sourit-elle, un peu mal à l'aise.
- Bon aller, au lit les plus jeunes.
- Mais Maman..., allèrent répliquer les deux jumeaux. »
Balsa resta neutre et ne sourcilla pas. Ils comprirent le message instantanément et allèrent se coucher. Motoko était déjà dans un demi-sommeil quand elle sentit les lèvres de sa mère contre son front. La lancière passa ensuite dans la salle à manger où Alika et Amaya parlaient tout bas, voire même, trop bas.
« Maman ? l'interpella sa fille aînée.
- Hum ? Oui ?
- Est-ce que je peux fermer le rideau ? Celui qui sépare la cuisine en deux ?
- Et qui cache aussi la vue depuis le second étage ? devina-t-elle.
- Oui..., fit-elle timidement.
- Il n'y a aucun problème. Vous êtes assez vieilles et êtes responsables. Ne vous couchez pas trop tard cependant.
- Ne t'inquiète pas, Maman ! »
Balsa monta au second étage pour se préparer à dormir alors qu'Alika prenait soin de bien fermer le rideau.
« Tu crois que tu as éveillé un doute dans sa tête ? s'inquiéta Amaya à son oreille.
- J'ai un doute... mais je ne pourrais pas dire. Mais elle comprend que j'ai quand même droit à ma propre intimité sans toujours avoir mes parents sur le dos.
- C'est vrai... est-ce que nous pouvons nous embrasser ?
- Sous les couettes... ! »
Amaya se cacha comme demander et Alika l'inonda de baisers.
« J'ai tellement l'impression de faire quelque chose de mal..., murmura Amaya.
- Moi non.
- Je ne pourrai pas tenir ce jeu très longtemps...
- Je sais... promis, ce sera pour bientôt.
- J'espère... mais il faut que tu te sentes prête. J'adore ta famille. »
La jeune lancière colla sa petite-amie contre elle. Bien blottit dans les bras d'Alika, Amaya s'endormit lentement en humant son odeur. Elle finit même par se retrouver la tête accotée contre ses seins !
