Update 2022

Kazoku no Moribito

Gardien de la famille

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Partie I


Chapitre 4

Ma famille d'abord !

Balsa se réveilla tôt, comme à son habitude. Elle se leva, se changea et descendit au rez-de-chaussée en prenant bien soin de ne pas trop faire de bruit pour sa fille aînée et son amie qui dormaient juste à côté. Elle versait de l'eau dans le seau pour se nettoyer le visage quand les draps bougèrent et qu'Amaya sortit sa tête hors du rideau.

« Oh, je t'ai réveillée, Amaya-Chan ? s'inquiéta Balsa, parlant naturellement Kanbalese.

- Non. J'avais les yeux ouverts depuis un petit moment, répondit-elle timidement en sortant de sa "cachette". Dites, avez-vous de l'eau et une serviette ?

- Pour te nettoyer le visage ?

- Oui...

- Je suis justement en train de préparer ça.

- Merci.

- Tu peux me tutoyer, Amaya. Soyons informelle, comme il est coutume à Kanbal.

- D'accord, je le ferai prochainement, sourit-elle. »

La lancière prit un second bac, le remplit d'eau propre et prit une serviette avant de passer le tout à Amaya qui se lava le visage avec joie.

« Je me sens beaucoup mieux, maintenant ! Moins sale de la nuit, disons.

- C'est vrai que ça offre cette sensation. N'est-ce pas pour ça que nous appelons ça la "purification" du matin ?

- Sûrement ! »

Après s'être nettoyée le visage, Amaya se changea derrière le rideau et se peigna en même temps que Balsa, avant de se mettre à disposition pour aider sa "belle-mère".

« Que puis-je faire pour t'aider ?

- Oh, tu es notre invitée, tu n'as pas à faire quoique ce soit.

- Ça tombe mal, s'excusa-t-elle. Je n'aime pas ça me sentir inutile. Est-ce que tu veux que je mette la table pour le petit déjeuner ? Que je prépare quelque chose pour le petit-déjeuner ?

- Oh ! si tu le proposes. Tu peux mettre la table. Les baguettes sont dans l'armoire là, les plats justes ici, et les tasses dans la même armoire que les baguettes.

- D'accord ! Merci ! »

Amaya mit la table avec une organisation remarquable et un bruit des draps qui s'agitent se fit entendre. Elle arrêta ses mouvements, déposa ses ustensiles et se pencha vers Alika qui avait sorti uniquement la tête hors du rideau, maussade, les cheveux entremêlés.

« Bien dormis ? se renseigna Amaya avec un doux sourire.

- ... Vous aimez ça faire du bruit le matin, hein ? grogna-t-elle.

- Alichoue', voyons, il faut se lever.

- ... J'aime dormir.

- Je sais. Aller, dix minutes et ensuite, viens nous aider, ordonna Amaya à la grande surprise de Balsa. »

Sa petite-amie ronchonna et osa se réveiller en se secouant la tête. Puis, elle plia son futon, rangea les oreillers et la couverture avant de tirer totalement le rideau.

« Elle t'obéit au doigt et à l'œil alors que je dois constamment répéter ! s'étonna Balsa.

- C'est mon secret, s'amusa Amaya tandis qu'Alika revenait changée, vite suivit de Motoko qui s'empressa d'aller donner un gros câlin à l'amie de sa grande sœur.

- Bon matin 'Maya-Chan ! salua la fillette.

- Bon matin, Motoko-Chan.

- Maman, est-ce que je peux faire quelque chose pour t'aider ?

- Non, tout a été fait par notre invitée. »

Motoko fit une moue déçue.

« Mais tu peux m'aider à faire le petit-déjeuner, proposa Balsa.

- D'accord !

- Alichoue', va te nettoyer le visage, maintenant, commanda Amaya.

- Oui, chef..., répondit Alika.

- Regarde ! s'écria Balsa. Comment tu fais ?

- Je n'en sais rien, en fait... je crois que je dois avoir une autorité naturelle.

- Ça se pourrait bien. »

Après le petit-déjeuner, Balsa s'entraîna avec Motoko alors qu'Alika prit sa lance et attira Amaya dans la forêt. Les deux amoureuses s'étaient fortement retenue de ne pas se coller devant les parents d'Alika et c'était presqu'une torture la veille quand l'une des deux désirait vraiment se tenir par la main mais qu'elles ne pouvaient pas. Là, au moins, elles pourraient le faire sans aucune gêne et il y avait très peu de probabilités qu'on les surprenne en train de s'échanger des baisers. Elles s'embrassèrent un long moment jusqu'à ce que des pas se fassent entendre. Immédiatement, elles se lâchèrent.

« Eh Maman..., murmura Alika, perdue et enivrée de leur baiser.

- Eh non. C'est Nao.

- Je t'en prie, ne dis rien aux parents...

- T'inquiète, motus et bouche-cousue.

- Promis ?

- Sur la tête de Kasem.

- Qu'est-ce que tu faisais là ? demanda-t-elle sans même le regarder.

- Je voulais aller pêcher, répondit-il. Mais avant, je dois aller à la pêche aux tabos. »

Il tenait effectivement dans ses bras un rouleau de ficelle de jute épaisse. Tanda et Torogai l'utilisaient souvent pour faire des altérations et raccommoder des vêtements. Il avait aussi un petit pot en terre cuite, un panier en osier ainsi qu'une ligne de pêche – qui était un bâton de bambou au bout duquel reposait un mince fil qu'on remontait à l'aide d'un système de poulie miniature relié à une manivelle.

« La pêche aux tabos ? répéta Amaya, confuse.

- Tu n'es jamais allée pêcher du tabo ? s'étonna Nao dont la jeune hochait négativement de la tête.

- Nao, Amaya n'a pas grandi dans notre région, lui rappela Alika. »

Le regard de Nao s'illumina.

« Nous pouvons lui apprendre, alors. C'est amusant ! Les tabos sont des insectes qui vivent dans les sols mous, dans lesquels ils creusent des trous. Les poissons adorent en manger, c'est donc un excellent appât. Grâce à ça, on a pas vraiment besoin d'une canne à pêche pour attraper du poisson, tant que nous avons du tabo. »

Le garçon tira sur le fil de la bobine de jute, la plia en deux avant de demander à sa sœur aînée de lui couper avec sa lance. Il roula la ficelle en une petite boule ronde et la glissa dans sa poche pour en préparer deux autres pour sa grande sœur et Amaya. Ils allèrent plus loin dans la forêt et se tinrent devant une mare de boue.

« Regarde, annonça-t-il à l'intention d'Amaya, il y a des trous bien distinct.

- Je vois... et comment on fait pour les attraper ? questionna la jeune femme.

- Ici, c'est un nid. Ils restent cachés, attendent le passage d'insectes plus gros et leur sautent dessus pour les manger.

- Sauvage... »

Nao prit sa ficelle et la déroula près des petits trous. Au bout d'un moment, un petit insecte noir, totalement rond avec de minuscules antennes, émergea du trou avant de commencer à grignoter la ficelle. L'enfant souleva rapidement la ficelle, espérant que le tabo reste dessus, mais il tomba et disparut de nouveau dans le nid. Il soupira, déçut. Alika s'accroupit à ses côtés.

« Passe-moi une ficelle, quémanda-t-elle en tendant sa main. Je vais te rafraîchir la mémoire de comment ta grande sœur pêche du tabo. Après tout, c'est moi qui te l'ai montré, tu te souviens ? »

Amaya observa l'échange entre sa petite-amie et son petit frère, envieuse de cette relation qu'elle n'avait jamais pu connaître. Une fois que Nao eut passé la ficelle à Alika, elle la roula de nouveau en boule et commença à la dérouler petit à petit sur le nid.

« Tu sembles un peu effrayé par eux, commenta Alika. Je pense qu'ils peuvent le sentir, et c'est pourquoi ils sont si timides avec toi. Peut-être que tu leur as projeté une image d'eux-mêmes comme un miroir : timides et toujours porté à vouloir se cacher. »

Nao fit une moue qui amusa Amaya. Il s'accroupit près du nid de tabo avec une expression profonde de concentration. Il ne voulait pas croire que ce que sa sœur aînée disait était vrai. Pourtant, alors qu'il pensait qu'elle tenait le fil trop loin du trou de nid pour que les insectes soient tentés d'émerger, plusieurs tabos s'élancèrent tous en même temps. Alika attendit que le tabo soit fermement attaché à la ficelle, puis le souleva rapidement, comme l'avait fait Nao auparavant. Le tabo resta attaché, mais elle dirigea la ficelle vers le nez de son frère... non-intentionnellement.

« Yik ! s'écria Nao en faisant un pas en arrière, sentant l'un des tabos ramper sur son visage. »

Alika éclata de rire alors qu'Amaya lui venait en aide en retirant le petit insecte, légèrement dédaigneuse.

« C'est à mon tour d'attraper un tabo, rétorqua Nao.

- Ne veux-tu pas laisser la chance à Amaya d'en attraper ? questionna sa grande sœur.

- Eh... je peux essayer, répondit Amaya, incertaine. Mais je n'ai pas encore le tour...

- Ce n'est pas grave. Nous allons s'amuser ! »

Le garçon lui donna la troisième ficelle et Amaya essaya à son tour d'en attraper pour voir ce que ça donnerait. Enrouler la ficelle en petite boule, la dérouler proche du nid et attendre que les insectes soient leurrés avant de la remonter rapidement. À tous les coups, le tabo qu'elle avait réussi à avoir sautait de la ficelle et s'enfuyait dans le nid. Nao décida de se mettre en équipe avec Amaya contre Alika qui ne cessait d'en attraper. Il était déterminé à attraper un tabo cette fois. Il arrêta de faire son têtu et décida enfin d'imiter les mouvements de sa sœur, déroulant lentement la boule de ficelle à courte distance du nid de tabos.

Et, juste alors...

« Je les ai ! annonça Nao, soulevant la ficelle et les tabos venus avec elle. »

Il en compta sept ou huit. Il prit le pot qu'Amaya tenait et en glissa les insectes à l'intérieur. Amaya essaya à nouveau et, à son tour, parvint à en extraire cinq à six.

« Moi aussi ! ajouta-t-elle, heureuse avec des étoiles dans les yeux. »

Nao leur proposa de l'accompagner pour aller pêcher du poisson en sa compagnie. Alika allait lui dire qu'elles avaient d'autres choses à faire quand elle vit le regard d'Amaya qui indiquait qu'elle désirait voir à quoi ressemblait la partie de pêche de son beau-petit-frère. Dans un soupir, Alika ne put qu'obtempérer et accéder à la demande silencieuse de sa petite-amie.

Ils descendirent ensemble dans le ravin. Alors qu'ils passaient à l'ombre des bambous, d'épais nuages de moustiques grouillaient autour d'eux. Nao et Alika s'empressèrent d'arracher des poignées d'herbe tanto. Son odeur repoussait les moustiques. Tanda en avait préparé une mixture qu'il faisait chauffer au-dessus d'une bougie quand ils se tenaient dehors, les soirs d'été.

Ils en frottèrent sur leurs bras et leurs visages.

« Je vais avoir besoin d'une bonne douche par après, grimaça Amaya, son côté princesse soudainement ressortit.

- Ne t'inquiète pas, Amaya, j'ai prévu le coup, confirma Alika. »

Après avoir descendu un étroit chemin de montagne, Nao entendit le bruit de l'eau qui grondait. La rivière était toute proche. Un soleil radieux brillait sur les pierres blanches et lisses bordant la berge. La brise qui soufflait à la surface de la rivière était rafraîchissante.

Nao se coucha à plat ventre près du rivage et regarda où les poissons nageaient dans leurs maisons. Son poisson préféré nageait dans cette rivière et il était déterminé à en attraper. Il prit un peu de tabo du bocal qu'il avait apporté, en plaça quelques-uns sur un rocher légèrement saillant dans la rivière et attendit. Une fois habitué au mouvement de l'eau, le garçon aux yeux d'azur parvint à voir beaucoup mieux ce qu'il y avait sous la surface.

Des bulles se formaient à la base des roseaux et éclataient au passage du courant de la rivière. De temps à autre, il y avait des ombres sombres qui entraient et sortaient des roseaux. Certaines étaient complètement immobiles.

« Je me demande si ces poissons dorment ou s'ils savent maîtriser – en quelque sorte – l'art de rester immobile malgré le courant d'eau, émit-il comme hypothèse.

- Les buyos sont une sorte de poisson volant qui sortent hors de l'eau pour se nourrir d'insectes, informa Alika à Amaya. »

L'un d'eux fit surface près de son petit frère, faisant fuir tous les autres poissons à proximité, les yeux grands ouverts et la bouche grande ouverte.

« Me voient-ils comme je les vois ? philosopha Nao, plongeant son doigt dans l'eau et regardant tous les poissons s'éloigner à nouveau. À quoi je ressemble pour eux ?

- Peut-être que le poisson doit penser que tu es un oiseau ou quelque chose comme ça venu les arracher de leurs maisons, expliqua Amaya. Que peuvent-ils penser d'autre avec notre ombre au-dessus de leurs têtes de cette façon ? Pas étonnant qu'ils aient peur. »

Il fronça légèrement les sourcils, imaginant les pensées du poisson face à ce qu'Amaya avait émis comme hypothèse. Même si son imagination était juste, les poissons comme les buyo venaient au-dessus de l'eau que pour manger des insectes. Comment le poisson pouvait-il faire la différence entre des insectes et un oiseau ? Était-ce simplement la différence de taille ? Il se redressa et finit par utiliser sa ligne de pêche.


Tanda se préparait à partir pour le Bas Ougi avec Motoko. Il allait en ville pour prendre et offrir des commandes à sa clientèle et continuer à faire son revenu. Sa seconde fille se redressa en montrant ses plantes médicinales.

« Papa, elles sont jolies ?

- Oui, tu as bien choisi Motoko-Chan.

- Est-ce qu'on a assez de plantes pour notre séjour au bas-ougi ?

- Bien sûr. Est-ce que tu veux aller voir Tatie Saya et Tonton Tohya, avec leurs enfants ?

- Je les aime bien, mais je voudrais passer plus de temps avec toi, Papa. »

L'apothicaire sourit en entendant ça. En dépit de ces paroles, il savait que ses enfants l'adoraient et que pour rien au monde, il échangerait sa femme et sa famille. Il caressa sa petite tête quand il entendit des voix et des rires venir en direction de la forêt. Nao se montra en compagnie d'Amaya et d'Alika, un panier remplit de poissons buyos.

« La pêche a été bonne à ce que je vois ! commenta Tanda.

- Oh oui ! confirma Nao. Mais j'ai eu de l'aide grâce à Alika et son amie Amaya. »

Alika sut immédiatement que Nao tiendrait le secret de sa relation jusqu'à ce qu'elle se sente prête à l'annoncer. Ça la soulagea d'une façon.

« Et toi tu vas où Papa ?

- Je m'absente pour quelques jours au Bas Ougi. Maman est au courant et Motoko voulait m'accompagner.

- Oh d'accord...

- Dommage, Papa va tout manquer les beaux poissons que nous avons pêchés, remarqua Alika. Meilleure chance la prochaine fois.

- Mais nous, on va manger au restaurant ! se défendit Motoko en tirant la langue. Amaya sera toujours là quand je reviendrai ?

- Peut-être, hasarda Amaya.

- Je veux te donner un câlin ! »

Amaya ouvrit ses bras et reçut la petite Motoko. Elle la serra fortement contre son cœur.

« Aller, cocotte. Passe du bon temps avec ton Papa.

- Oh oui ! »

Ils les regardèrent partir et entrèrent dans le refuge. Comme promit, Amaya alla se nettoyer dans une rivière à proximité en compagnie d'Alika, pour retirer l'herbe et la boue de leur exploration.


En arrivant à son kiosque, Tanda regarda le tableau de commande. Il s'installa et sortit de l'encre et une feuille de papier parchemin qu'il offrit à sa fille pour ne pas qu'elle s'ennuie.

Il vit ses clients habituels dont une en particulier qui venait acheter les mêmes herbes médicinales et qui pouvait passer des heures à papoter avec lui. Elle était originaire du village Yakue Yashiro.

« Bien le bonjour Tomoe-San, salua Tanda.

- Bonjour Tanda-San. Ça faisait un moment que je ne vous avais pas vu ici.

- J'ai été pas mal occupé avec ma famille. J'ai en ma possession vos herbes médicinales habituelles. »

Il fouilla dans son sac et lui offrit alors qu'elle sortait son argent.

« Et voilà pour vous, dit-elle.

- Et voilà votre commande. »

Elle jeta un coup d'œil à Motoko.

« Qui est-ce ? C'est la première fois que je la vois avec vous. Est-ce votre fille ?

- Oui, c'est ma fille. Elle s'appelle Motoko et elle a...

- J'ai bientôt sept ans ! répondit-elle avec joie.

- Quelle adorable petite frimousse. Mais elle a quelques traits qui me rappellent ceux de Kanbal. Bien que je n'ai pas souvent croisé dans mon entourage en dehors des marchés Yogoese.

- Sa mère, et mon épouse d'ailleurs, est originaire de Kanbal. C'est tout à fait normal.

- Dès que vous aurez fini votre travail, ça vous dirait d'aller manger à un restaurant avec moi ? »

Tanda figea un instant, ignorant comment prendre cette invitation. Était-ce sur le plan amical ou le plan romantique ? Jamais aucune autre femme ne serait en mesure de remplacer la place que Balsa occupait dans son cœur. Sa fille tira sa manche.

« S'il te plait Papa, dis oui !

- Eh bien je...

- Dis oui ! continua de le supplier Motoko, qui avait le visage de sa mère en tous traits.

- Je pense que pour ce soir, je serai disponible.

- Parfait, donc je reviendrai vous voir dès que vous aurez fini votre journée, s'égaya Tomoe. »

Ainsi, elle les quitta. Tanda avait envie de réprimander sa fille de l'avoir placé dans une telle impasse, mais il ne put se résoudre à la chicaner. Balsa lui faisait confiance et il savait que si elle avait eu la même situation, elle ne se serait pas bloquer pour lui. Ils étaient un couple, mais pouvaient vivre différente aventure séparément, tant et aussi longtemps que l'amour et la confiance régnait entre eux.

Le soleil commençait à décliner dans le ciel quand la dénommée Tomoe retourna les voir. Elle offrit même une petite douceur propre au Bas Ougi à Motoko qui sautilla de joie en voyant la friandise : un paquet d'hekimooms. La vue de ceci rappela à Tanda le souvenir de Chagum, quand il les accompagnait, il y avait de ça près d'une douzaine d'années auparavant... avant sa mort. Le Bas Ougi ne semblait pas le moins du monde à l'aube d'une guerre. Les gens étaient si décontractés à cet endroit. Sentant que sa tristesse reprendrait le dessus, il décida qu'avoir un souper avec Tomoe lui changerait les idées et conclut que c'était la meilleure chose à faire.

Il ferma son magasin, passa à l'auberge pour y déposer ses choses et accompagna Tomoe qui tenait déjà la main de sa fille. Ils s'assirent à des tables dans l'air de restauration et il décida de payer la commande.

« Je pouvais le faire Tanda-San, répliqua Tomoe, refusant de se faire payer des choses.

- Ça ne serait pas très galant venant de ma part, répondit-il. »

Elle lui renvoya son sourire.

« Vous sortez souvent au restaurant avec votre femme ? se renseigna-t-elle.

- En fait... je ne peux pas vraiment. J'ai trois autres enfants à m'occuper. Ma fille aînée est assez âgée pour se débrouiller seule.

- Quel âge a-t-elle ? demanda Tomoe alors que l'entrée de leur repas venait de leur être servie.

- Dix-huit ans, annonça-t-il en regardant la serveuse pour la remercier. Et vous ? Vous semblez être d'origine Yakue métissée ?

- Oui. Ma mère était une femme de Yogo et mon père un homme Yakue venant de Yashiro.

- Êtes-vous mariée ?

- Non... enfin, j'étais fiancée, mais il est décédé.

- Oh... je suis désolé. Je ne le savais pas. Mes sincères sympathies.

- Ça va, il n'y a pas de soucis, vraiment. Et vous ? Êtes-vous mariés ? »

Fièrement, il montra sa main gauche avec l'anneau en or reposant sur son annulaire gauche. Il crut apercevoir une légère déception dans les yeux de Tomoe, mais elle se reprit bien vite. Le repas arriva et ils parlèrent de tout et de rien. Motoko racontait toutes les anecdotes que sa famille avait vécues, mettant quelques fois Tanda un peu mal à l'aise. Tomoe trouvait ça mignon et drôle à la fois. Ils la passèrent le reste de la soirée à marcher proche d'un petit ruisseau, à discuter et apprendre à se mieux se connaître.

De retour à l'auberge, Tanda écouta sa fille qui ne faisait que vanter les qualités et la douceur de Tomoe. Il espérait seulement qu'elle ne compare pas trop Balsa à elle.

« Alors, ma puce, tu as aimé ta soirée ?

- J'ai aimé ! Tomoe-San est gentille et jolie !

- Tu l'apprécies bien ?

- Oh oui ! Tu crois que Maman et elle pourront se rencontrer un jour ?

- Je ne sais pas.

- Ce serait bien !

- On verra. Aller, il est assez tard, tu dois dormir. »

La petite se changea et se glissa sous les couvertures. Elle regarda son père lire un livre à la lueur de la bougie et ferma doucement les yeux.


Amaya proposa volontiers d'aider Balsa pour le souper. Ensembles, elles préparèrent du suchal, un ragoût Yogoese à base de viande de volaille et de légumes. Entretemps, Alika prépara du tokko, qui était en fait des boulettes de patates douces. Un drôle bruit attira l'attention de Balsa et elle usa de ses réflexes pour retenir le meuble dont les trois tiroirs allaient tomber sur Karuna.

« Dieu Yoram, faites doucement les jumeaux, s'écria-t-elle. Heureusement que Maman était là !

- Désolée Maman..., s'excusèrent-ils alors que Nao passait avec son livre pour s'asseoir à la table. »

Elle soupira de soulagement et continua la préparation du repas. Le souper se passa dans la bonne humeur. Furtivement, Balsa observa le comportement de sa fille aînée et Amaya. Elles se lançaient des regards amoureux, mais elles ne se prenaient jamais les mains ni ne s'embrassaient. Elle sentait très bien que sa fille avait probablement une relation étroite avec Amaya qui dépassait le simple stade de l'amitié. Et pourtant, jamais Balsa ne repousserait son enfant à cause de son orientation sexuelle. Toutefois, elle préféra la laisser faire elle-même son annonce pour ne pas la brusquer.

Balsa prit son bain en compagnie de ses trois fils. Ce qui fut un moment plaisant.

« Ne lui mets pas du savon dans les yeux, avertit-elle à Jiguro qui voulait mousser les cheveux de son jumeau.

- Je lui en mets pas, Maman...

- Tu me tires les cheveux ! gémit Karuna. »

Nao sourit en les voyant s'amuser, un peu plus à l'écart.

« Maman, l'interpella Karuna qui continuait d'avoir les doigts de son frère dans les cheveux.

- Oui ?

- Pourquoi t'as pleins de cicatrices ?

- Ce sont des marques de mes combats précédents.

- Maman est une guerrière ! sortit Jiguro. Et quand je serai grand, je vais être comme elle !

- Pourquoi t'as une cicatrise proche du ventre ? demanda Karuna en s'approchant avant de toucher du bout des doigts la cicatrice sur son flanc droit. Un des bébés que t'as eu est sorti par-là ?

- Vous en avez de l'imagination, sortit Nao en s'approchant d'eux. »

En entendant ça, Balsa pouffa de rire avant de s'approcher et de lui rincer les cheveux.

« Non, mon trésor. C'est une ancienne blessure que j'ai reçu il y a une dizaine années avant même votre naissance en protégeant un jeune prince qui est maintenant décédé... »

Ils sortirent tous du bain et se séchèrent avant de se mettre en pyjama. Balsa proposa à Nao se leur lire une légende Yakue avant que les jumeaux ne se mettent au lit. Amaya se joignit discrètement à eux alors qu'Alika s'occupait de vérifier ses flèches dans son carquois. Une fois les jumeaux endormis, Balsa alla rejoindre Amaya à la table. Cette dernière semblait très songeuse.

« À quoi penses-tu, Amaya-Chan ? s'informa-t-elle. Ton sérieux est un peu inquiétant pour tout dire.

- Oh... je pense à ce que nous ferons prochainement comme mouvement ou stratégie. Alika est revenue de son boulot de garde pour se reposer, mais il y a encore beaucoup de marchands qui ont besoin d'être escortés pour quitter les frontières du Nouvel Empire de Yogo. Je profite de ces moments de paix pour être le plus en sa compagnie, mais j'aimerai sincèrement l'accompagner sans toutefois être un fardeau, car je n'ai pas ses expériences en arts martiaux.

- Connais-tu quelques bases ?

- Alika m'a montrée un peu depuis que nous nous sommes retrouvées, mais je n'ai jamais eu totalement la force de me changer en guerrière même si Kanbal est réputé pour être un pays de guerriers.

- Nous pouvons te montrer et t'enseigner, offrit Balsa.

- Vraiment ? Même si je risque d'être inexpérimentée ?

- Mieux vaut avoir une bonne base solide de connaissances, qu'avoir un garde vaniteux stupide qui se donne en spectacle que pour avoir de la prestance, cita Alika. Maman est une experte en arts martiaux et elle te donnera une base encore meilleure que moi.

- Arrête de dire des sottises. Tu es déjà meilleure que la majorité des hommes et garçons Kanbalese ! »

Lorsque Nao fut profondément endormit, Balsa invita les filles à sortir à l'extérieur. Elle alluma un feu de camp pour avoir de la lumière et éloigner les bêtes nocturnes, tout en rajoutant une poignée d'herbes tantos pour éloigner les moustiques. Elle avait apporté une branche en bambou, de la même taille que leurs lances, un arc à flèche ainsi qu'un poignard.

« Pour commencer, dis-moi dans quoi tu aimerais te spécialiser.

- Je pense que je serai plus portée à être centrée sur la défensive que l'offensive.

- Des techniques pour te défendre dans ce cas. Je vois. »

Balsa lui montra quelques prises pour se libérer des attaques ennemies si on venait à la saisir par le cou ou la faire agenouiller. Étrangement, Amaya maîtrisait bien les techniques. Elles enchaînèrent avec quelques parades de lance qui ressemblaient au Kendo. Sur un mannequin de bois, Alika enseigna à sa petite-amie où viser avec un poignard. Elle essaya même de désarmer Amaya, mais celle-ci appliqua les leçons à la lettre et parvint à conserver son arme sans le perdre. Une heure s'était écoulée depuis le début de l'entraînement.

« Pas l'étoffe d'être une guerrière, hein ? s'ironisa Balsa. Je pense que tu caches plus d'une facette sous ces airs angéliques, Amaya.

- J'ai seulement de bons professeurs.

- Awnn, merci du compliment ! »

Amaya ne put s'empêcher de faire un clin d'œil à Alika qui avala de travers et détourna le regard. Heureusement qu'il faisait sombre, car Balsa ne vit aucunement les rougeurs sur le visage de sa fille aînée.

« Le dernier exercice pour ce soir sera le tir à l'arc, annonça la lancière. Peut-être n'es-tu pas assez expérimentée pour tenir une lance, mais l'arc à flèche est une très bonne méthode de substitution.

- Ça, par contre, mon père m'a montré quand j'étais jeune. Je ne sais juste pas si l'arc est d'origine Kanbalese ou Rotan, mais je sais qu'il y a une différence en termes d'utilisation et de conception. Les arcs Kanbalese sont conçus pour les montagnes et les champs ouverts, tandis que les arcs Rotan sont plus longs et plus difficiles à tirer, car ils sont souvent utilisés comme armes offensives ou pour chasser le gibier éloigné sous le couvert des arbres. »

Balsa haussa les sourcils, surprise.

« Tu es cultivée, dis donc ! Cet arc est d'origine Rotan, c'est la même qu'Alika. J'en ai également une de Kanbal, si jamais tu préfères retourner aux sources.

- Par contre, je ne risque pas de voir grand-chose dans cette pénombre..., avoua Amaya.

- Oh... j'avoue.

- Ce sera pour demain, dans ce cas, déclara Alika. Pour le moment, Amaya a bien travaillé, je suis fière d'elle !

- Vous pouvez aller prendre un bain, ça vous détendra les muscles, proposa Balsa.

- Bonne idée, je meure d'envie de retirer cette sueur ! s'égaya Amaya. »

La mère de famille entra de nouveau dans le refuge. Amaya n'avait pas tort. Il y avait encore beaucoup de marchands qui avaient besoin d'être escortés pour quitter les frontières du Nouvel Empire de Yogo et elle admirait que sa possible bru veuille aussi faire sa part. Quand Tanda sera de retour, Balsa retournerait à son boulot de garde pour aider les marchands à fuir la possible guerre en compagnie de sa fille.