Update 2022

Kazoku no Moribito

Gardien de la famille

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Partie I


Note : Il y a une petite scène de lemon entre Tanda et Balsa dans ce chapitre-ci. :3


Chapitre 7

Acceptation

Balsa finit par se concentrer et anticipa les mouvements de sa fille. Avant de croiser Tanda au hasard dans la forêt, Amaya et elle avaient quitté les lieux pour se préparer à partir avec elle. Alika devait s'être préparée chez sa petite-amie et n'hésiterait pas à acheter des provisions et achats de dernière minute. Lorsque Motoko vit les hekimooms, Balsa dût la retenir de ne pas en acheter.

« On ne peut pas toujours manger des sucreries, Motoko, lui rappela-t-elle.

- Mais... mais !

- Si nous en achetons trop souvent, ils ne seront plus aussi spéciaux pour les rares occasions comme à ton anniversaire.

- Oh... »

La petite fit une moue. Elles tournèrent instinctivement dans une ruelle lorsque Balsa aperçut deux silhouettes familières au bout de celle-ci. Il n'y avait aucun doute : c'était bien Amaya qui se tenait-là, avec deux paquets, dont un balluchon. Balsa continua d'avancer, lentement et de manière non-précipitée. Dès que le visage de sa fille se tourna vers elle, Alika baissa les yeux. Motoko, quant à elle, reconnut Amaya et courut en sa direction en criant haut et fort « Amaya ! ». Tandis que sa bru était occupée avec sa plus jeune, Balsa finit par approcher sa fille aînée et la serra fort contre son cœur.

« Hey ma belle, si tu es heureuse et bien avec Amaya, alors je ne peux que l'être. Votre relation ne me dérange pas du tout. Vous n'avez pas à vous justifier. Et pour tout dire, j'avais de gros doutes à ce niveau. Je ne sais pas si c'est ce que nous appelons "l'instinct maternel", mais d'une façon, je l'ai pressenti.

- Maman... Papa est—

- Je sais, nous en avons parlé. Notre foyer, c'est aussi votre foyer, Amaya.

- Vraiment ? »

Alika risqua un œil mouillé sur sa mère.

« Oui. Je lui ai dit que ce n'est pas toi que je vais mettre à la porte s'il ne t'accepte pas, ce sera lui.

- Tu as vraiment dit ça ?! s'étonna sa fille en essuyant ses yeux.

- Tu ne m'en crois pas capable ?

- Non, je te crois. Mais je ne veux rien gâcher dans votre couple...

- Tout ira bien. Ce sont nos affaires de couple. Promis, tu n'as rien à te reprocher, vraiment. Je vois que vous êtes enfin prêtes pour le voyage... et annoncer votre couple.

- Ce n'était pas facile de faire les choix, commenta Amaya. J'ai toujours eu de la difficulté à me restreindre en voyage. Fort heureusement, Alika m'a aidée. Mes parents sont au courant.

- Parfait. Retournons au refuge pour mes choses et nous devrions être prêtes à partir d'ici deux jours.

- Maman, dit Alika, pour mon couple... Nao était au courant et il n'a rien dit. Je pense que grand-mère s'en doute également, mais le fait que Papa n'ait rien vu...

- Il finira par l'accepter. Il doit. »

Alika resta auprès de sa mère au fur et à mesure qu'elles revenaient vers la maison familiale. Motoko se faisait transporter sur le dos d'Amaya. Torogai arriva sans s'annoncer, vite salué par Nao.

« Grand-Mère ! s'exclama-t-il, heureux.

- Si ce n'est pas mon petit prodige !

- Quand est-ce que nous allons faire notre voyage au village de Toumi ? demanda-t-il à brûle-pourpoint avec impatience, alors que Balsa tournait vivement la tête vers son fils aîné, perplexe.

- Quel voyage vers Toumi ? questionna la lancière en soulevant un sourcil.

- Ça, il faut demander à Grand-Mère.

- Vous pensiez faire un voyage là-bas ?

- Oui ! Pour enrichir ma culture et ma passion pour les us et coutumes Yakue.

- Pour combien de temps ?

- Nous ne le savons pas encore, répondit la chamane en prenant place aux côtés de Balsa. Mais une chose est sûre : je t'emprunte ton fils pour un moment. »

Balsa soupira intérieurement. Tout le monde avait choisi de partir en même temps qu'elle et son travail ! Bien que sa famille passe avant toute chose, et qu'elle ne détestait pas sa nouvelle vie sédentaire, elle ressentait parfois un ardent désir de prendre ses jambes à son cou et tout simplement partir du jour au lendemain dans une aventure trépidante et remplit de surprise.

« Hum... d'accord, accepta-t-elle. Il faudra seulement nous promettre de ne pas partir trop longtemps. Nous sommes à l'aube d'une guerre sans précédent, même si notre famille a toujours eu beaucoup de chance.

- Ne t'en fais pas, Balsa, tenta de la rassurer Torogai. Nous ne serons partis que pour maximum un mois.

- Parfait. Car dans deux jours, Alika, Amaya et moi allons partir pour escorter de nouveaux les marchands de façon sécuritaire pour passer les frontières.

- Le Mikado croit vraiment que le dieu Ten no Kami va le sauver d'une invasion ennemie sans avoir à lever une armée, hein ? commenta Alika. Quel idiot.

- Alika ! lui reprocha Tanda. Je sais que tu ne partages pas la même vision spirituelle que le Mikado, mais tu n'as pas le droit de l'insulter.

- Je ne fais qu'établir des faits sur une possible mégalomanie religieuse qui n'a absolument rien à avoir avec le fait qu'une personne est Mikado ou roturière, rétorqua-t-elle avant de se redresser. Je dois prendre l'air... en attendant, passe un peu de temps avec ta bru, Papa. »

Tanda resta figé à l'entente de ça, regardant sa fille aînée sortir hors du refuge sans rien ajouter de plus. Amaya voulut la rejoindre, mais elle désirait à la fois mettre cartes sur table et essayer de calmer les tensions.

« Eh, excusez-moi, fit-elle en attirant l'attention de toute sa belle-famille sur elle. Je ne veux pas m'insinuer trop dans vos réflexions, mais est-ce que je pourrais dire quelque chose ?

- Bien sûr, fais, l'invita Balsa qui jeta un regard en coin à son mari.

- Alika ne pensait pas que notre amitié se transformerait en l'amour... Mais depuis le temps que je la côtoie, sincèrement, je ne pense pas l'avoir vu aussi heureuse et aussi épanouie que ça. Elle est radiante et a des étoiles dans les yeux. Je suis sa première petite-amie – bien j'en ai déjà eu avant elle – et suis son premier amour. Alika avait très peur de votre réaction et de se faire jeter hors de la maison, renier… alors je vous en prie, il ne faut pas lui en vouloir de ne pas avoir eu le courage avant aujourd'hui de vous annoncer la nouvelle. C'est très dur de s'avouer attirer par les femmes, bien que j'ai toujours su que j'étais attirée par le même sexe que moi quand j'étais enfant. Ne rejetez pas la faute sur Alika, c'est moi qu'il faut blâmer…

- Nous ne t'en voulons pas, Amaya, la rassura Balsa. Et nous n'avons aucune envie de vous blâmer, que ce soit toi ou Alika, nous n'avons aucune raisons de le faire. Tout ce que je désire c'est que vous soyez heureuses ensembles et vivez pleinement votre amour.

- Merci, Balsa. Tu ne peux pas savoir à comment nous nous sentons quand nous savons que nous ne sommes pas comme les autres femmes qui raffolent des hommes… et de devoir mentir sur nos véritables sentiments. »

Balsa inclina la tête et se leva. Motoko désira la suivre, mais sa mère lui fit signe de rester assise. Elle n'entendit pas Tanda engager la conversation avec Amaya et se dirigea plutôt vers la forêt. Balsa retrouva Alika en train de parler à haute-voix, sur une souche d'arbre.

« Il me semblait bien que j'allais te retrouver là, s'égaya Balsa. À qui parlais-tu ?

- À mon gardien spirituel, Jiguro... Pourquoi Papa ne peut pas l'accepter ? jeta-t-elle en passant sa main dans sa frange, tout en essayant de cacher ses rougeurs.

- Je pense que ses valeurs Yakue font en sorte qu'il croyait que tu allais faire comme toutes les jeunes femmes Yakue.

- Qui est... ?

- Te trouver un mari, te marier, avoir des enfants, énuméra Balsa.

- Agir comme les gens normaux, en gros ? se vexa-t-elle.

- Ce que je veux dire, Alika, c'est que ton père ne pensait peut-être pas que tu sois attirée par les femmes. Il pensait qu'Amaya pouvait être qu'une meilleure amie... tu sais, d'un sens, je comprends que ça lui fasse un choc.

- Il reste Nao, Motoko, Jiguro et Karuna pour avoir une descendance. Encore là, je peux adopter si je le désire. »

Balsa était à court de mots. Elle alla la rejoindre sur l'herbe et regarda le ciel.

« Amaya est en train de discuter avec lui. Mais laisse du temps à ton père pour accepter ça.

- J'ai déjà eu une conversation hier, avec ma belle-mère, Meiko, la maman d'Amaya.

- Et qu'a-t-elle dise ?

- Que je dois montrer à Papa qu'il peut me faire confiance et que je suis assez vieille pour prendre soin de moi et de mes propres décisions.

- Très sages paroles. Reviens à la maison : je te promets que Tanda n'est pas fâché contre toi. Juste sous le choc. »

Repoussant sa peur, Alika choisit de reprendre son air têtu et raccompagna sa mère. Si son père disait une quelconque remarque déplacée à son sujet, elle le rabrouerait sur le champ, mais elle allait lui expliquer son point de vue devant toute la famille pour avoir des témoins. Amaya regarda sa bien-aimée et son énergie démontrait qu'elle avait réussi à apaiser, ne serait-ce qu'un peu, les craintes de Tanda. Alors qu'Alika allait ouvrir la bouche, son père fut – étonnamment – plus rapide qu'elle.

« En premier, bravo pour ton couple, déclara-t-il. »

Alika leva un coin d'œil vers lui, incertaine de sa réponse. Elle regarda Amaya puis Balsa, déconcertée par ce changement d'attitude.

« Eh... mais je croyais que...

- Je suis sincère, reprit Tanda. Et je voulais te le dire maintenant, avant ton voyage pour ton travail. Je me rends compte à quel point tu es devenue plus heureuse, et plus épanouie. Amaya a mis les cartes sur table pour nous aider à mieux comprendre votre relation.

- Tu croyais que je n'étais pas heureuse, Papa ? s'étonna-t-elle.

- Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Je pensais à tort et à travers qu'être avec un homme et avoir des enfants était ce qui pourrait te rendre heureuse. Tu sais, ton vieux Papa est encore vieux jeu dans ses us et coutumes Yakue.

- Femmes, plus hommes, équivaut à descendances donc. C'est bien ce qu'on t'a appris depuis ta naissance, n'est-ce pas ?

- Oui, c'est bien vrai.

- Tu m'en as voulu ?

- Non. Je ne t'en veux pas d'aimer la personne qui te rend heureuse et te donne des papillons dans le ventre. Ta mère et Amaya m'ont très bien expliqué les choses. J'ai appris avec le temps qu'on ne peut pas maîtriser les émotions du cœur. Je l'ai compris en étant amoureux depuis des années de ta mère. »

Il prit la main de Balsa tendrement.

« Il y a une chose, cependant, que vous me répétez sans cesse.

- Ah ?

- La personne que vous aimez est une femme. Mais je pense que vous oubliez quelque chose de très important dans votre amour.

- Quoi donc ?

- ... Vous êtes humaines. Et tu es amoureuse d'un être humain, Alika, finit-il en souriant. Tu es amoureuse d'une personne et non pas de son sexe. Pour l'instant, vis enfin ta vie et vole de tes propres ailes. Le chapitre des petits-enfants n'est pas encore arrivé.

- Donc, tu ne vas pas nous chasser de la maison ?

- Pas du tout. Tu es mon enfant et encore mon bébé. Quant à Amaya... »

Il se retourna vers elle. Amaya se sentit rougir d'un seul coup.

« Toute notre famille t'adore. Si tu es bonne pour Alika, alors tu es aussi bonne pour nous. Ton énergie ne te trahit pas.

- Dois-je comprendre que ça ne te dérange plus, Tanda-San ? sortit-elle, timide.

- Plus maintenant.

- Promis ? insista Alika.

- Sur la tête de nos ancêtres. »

Sa fille aînée força un sourire et essuya les larmes qui s'apprêtaient à couler de ses yeux. Tanda se leva et l'attira dans ses bras. Alika le serra en retour avec plus de forces et échappa quelques larmes de soulagement, même si elle était une personne qui n'était pas du genre à montrer ses émotions. Motoko se leva également.

« Je veux un câlin moi aussi ! annonça-t-elle. »

Alika se retira de Tanda et permit à sa petite sœur de les enlacer toutes les deux.


Ce soir-là, Alika s'endormit en même temps que ses petits frères et sa petite sœur, contre Amaya. La journée avait été forte en émotion et elle désirait être en forme pour son nouveau contrat.

Balsa et Tanda montèrent au second étage alors que Torogai était partie dans les bois pour méditer et entrer en contact avec les autres magic-weavers de la région. Tanda venait de s'asseoir sur le futon quand sa femme arriva avec son kimono pyjama sur le dos.

« Je suis fière de toi, lui dit-elle en l'embrassant sur les lèvres.

- Ça te rendait nerveuse ?

- Légèrement... »

Il retira l'attache rouge de sa queue de cheval avant de passer ses doigts dans ses cheveux pour les séparer.

« La guerre approche... ça me rend un peu nerveux, avoua Tanda.

- Nous habitons dans la montagne, lui rappela Balsa. Personne ne penserait à aller recruter à un endroit aussi isolé et reculé qu'ici. J'ignore pourquoi, mais Alika a toujours dit que tu avais de la chance.

- Je m'en souviens, mais tu me connais... je suis de nature à anticiper le futur et à faire passer le besoin de ma famille avant toute chose. »

Sa femme lui vola un nouveau baiser.

« Si tu ne t'inquiétais pas de cette façon, tu ne serais pas mon mari. Tout ira bien, lui murmura-t-elle. Je serai revenue à temps. Si la guerre venait à se déclencher, allons se cacher à la Grotte des Chasseurs. Emmenons aussi Saya et Tohya avec nous. »

Tanda l'enlaça alors qu'elle était toujours sur ses genoux, quand il la fit chavirer et l'embrassa dans le cou. Balsa poussa un faible gémissement. Il chercha de nouveau ses lèvres et elle finit par détacher l'attache de son pyjama, se sentant soudainement coincée.

« Je pense que l'on pourrait en profiter avant d'être séparés, annonça la lancière. »

Il fit un sourire et ouvrit l'encolure de son kimono qui donna la vue sur sa poitrine. Par chance, ou si elle l'avait déjà planifié, elle ne portait rien d'autre en dessous. Il prit doucement sa poitrine dans ses mains et la parsema de baisers. Balsa était impatiente, elle n'arrivait jamais à prendre son temps avant de s'énerver. Mais il la connaissait bien pour savoir ce qu'elle aimait réellement avant de passer aux vraies choses sérieuses. Il descendit sa main à son entrejambe et se mit à la masser.

Tanda frissonna de plaisir en l'entendant gémir faiblement sous ses caresses. À ce stade, ils ignoraient totalement les enfants qui dormaient et se laissèrent aller aux plaisirs intimes qu'offrait l'amour. Elle finit par planter ses ongles dans son dos avant d'inverser les rôles. Elle aimait chevaucher et dominer : elle avait toujours été la dominatrice, en fait.

« Je te veux en moi, murmura-t-elle. Maintenant... s'il te plait, Tanda... »

Alors qu'elle menait la danse, il déposa ses mains sur ses cuisses chaudes et l'aida un peu en suivant le rythme de ses hanches. Elle arrêta de respirer le quart d'un instant et expira son petit souffle habituel quand il s'introduisit en elle, doucement, lentement. Encore là, Tanda ne répondit pas à son appel d'aller plus vite : il prenait son temps, en prenant bien soin d'aller en profondeur, car c'était là où elle avait le plus de plaisir. Balsa respira plus fort et ne put s'empêcher de gémir, ses gestes devenant de plus en plus demandant en matière de vitesse.

« Je vais vraiment venir..., murmura-t-elle.

- Déjà ?

- Oui...

- Lâche prise, chérie... pense à moi.

- Je ne peux pas tenir plus longtemps...

- Laisse tout aller. Je ne change pas de vitesse... comme ça. C'est bien. »

Il la fit rebondir sur ses hanches et elle put jouir jusqu'à trois fois, en silence. Toutefois, Tanda se fiait à son ouïe : seul son souffle, sa respiration et son corps exprimait où elle en était rendue dans son extase. Tanda décida qu'il était temps d'inverser les rôles à nouveau et il domina sa femme. À cet instant, son rythme devint plus sec, plus violent. Elle emprisonna ses hanches en croisant ses jambes par-dessus lui. Il passa une main dans ses cheveux et la laissa sentir la douceur de sa chevelure, tandis que son autre main chercha la main libre de Balsa, pour la plaquer contre le matelas. Il enfouit sa tête dans son cou et n'écouta que son instinct de l'emmener au septième ciel. Leurs hanches dansaient violemment alors que l'intimité de sa femme se resserrait contre lui, chaude, humide, agréable. Tanda gémit son nom alors qu'il venait à son tour, ralentissant le rythme et se calmant petit à petit, même si Balsa continuait d'en vouloir. Même lorsqu'il avait totalement terminé, il la laissa se décharger de la pression et jouir dans un dernier orgasme qui concluait ce ballet amoureux.

Ils restèrent un instant entrelacés, reprenant leur souffle. Doucement, ils se séparèrent. Un sourire fleurit sur les lèvres devenues plus rose de Balsa. L'amour avait été bon, sentant sa cyprine inonder le matelas en une petite flaque.

« Tu as aimé, beauté ? questionna Tanda.

- Oui... et toi ?

- Pareillement. »

Il retrouva son kimono et l'aida à l'enfiler de nouveau avant de lui passer une serviette propre pour qu'elle puisse essuyer le surplus qui continuait de s'échapper de son corps. C'était leur petite routine de se rhabiller ensembles et il aimait prendre soin d'elle après l'amour. Balsa fit de même avec lui et descendit silencieusement les escaliers pour aller aux latrines familiales. Elle avait appris à ses dépens combien cette étape était importante après les plaisirs de la chair. Elle revint à l'intérieur et échangea de place avec son mari.

Dès que Tanda revint à son tour, il se faufila sous la mince couverture. Balsa s'accota contre lui et ferma les yeux. C'était leur repos amoureux. Ils s'aimaient.


Shuga venait de terminer son entretien privé avec Torogai, au magasin de Saya et de Tohya. Il revint à ses appartements tard dans la nuit. Il n'avait que trente-deux ans. Ça faisait deux ans que Chagum était supposément décédé quand il avait été capturé à Sangal. D'autres spéculations disaient qu'il s'était suicidé, ou encore, avait été tué d'une manière ou d'une autre sur le chemin du retour. Mais Shuga, son ancien tuteur connaissait bien son prince : jamais il n'aurait succombé à un tel désespoir qu'était celui de s'enlever la vie, surtout si son pays était menacé de se faire envahir par l'empire Talsh. Chagum aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider son peuple. Et la lettre qu'il avait reçu de lui par un des serviteurs, Ruin, avait confirmé que Shuga avait bien fait de suivre son intuition et faire confiance au prince.

Le Mikado avait toujours été jaloux de son second fils et l'avait menacé plus d'une fois d'un assassinat. Ce n'était pas un scénario nouveau. En général, il n'y avait pas besoin de beaucoup de raisons – aussi illogiques qu'elles puissent être – pour menacer la vie de son fils. Le Mikado avait évité Chagum depuis qu'il était revenu au palais après l'incident de l'esprit de l'eau. Et quatre ans plus tard, il en était venu à déformer l'admiration du peuple pour Chagum pour forcer une confrontation insensée avec les Talsh.

Mais Chagum n'était pas dupe, il savait très bien que son père avait ordonné sa mort. Cette information avait été une épine dans leur relation pendant plusieurs années. Le temps avait peut-être aplani sur les bords les plus rugueux, mais ni Chagum ni le Mikado n'avait vraiment oublié la source de leur éloignement. Le second prince avait essentiellement bon cœur. Il n'avait donc jamais détesté son père et n'avait jamais été de nature rancunière. Il était également exceptionnellement intelligent et possédait une force d'esprit unique.

Quand le prince eut quinze ans en début de cette nouvelle année, lors de sa cérémonie d'âge adulte, plusieurs jeunes vassaux et guerriers étaient sortis pour rendre hommage au futur Mikado. Voir cette forte démonstration de soutien avait provoqué la colère du Mikado et de ses partisans fanatiques, qui le considéraient comme un dieu. Le Mikado n'était pas doué pour gagner le cœur de son peuple. Pour la première fois, ce manque en lui-même provoqua une profonde insatisfaction personnelle. Lui et Chagum étaient complètement différents. Son fils était déjà en train de modifier l'équilibre des pouvoirs à l'intérieur du palais. Les gens qui s'accrochaient au statu quo étaient menacés par la popularité et l'influence croissantes du Prince.

Shuga arriva dans sa chambre et frotta ses yeux. Il faisait maintenant parti des disciples du Saint-Sage avec Gakaï et Ozuru. Il venait de se coucher dans son lit, quand il entendit des petits pas, très furtifs, venir en sa direction dans l'un des nombreux passages secrets du palais. Bientôt, une petite fillette d'environ cinq ans se présenta en poussant une petite table.

« Aozora-Kohime, petite princesse, que faites-vous ici à une heure aussi tardive ? demanda Shuga en se redressant tranquillement. »

L'enfant devait avoir faussé compagnie à ses servantes qui croyaient qu'elle dormait profondément. Elle avait de longs cheveux noirs, un teint pâle et possédait le même visage enfantin qu'avant autrefois Chagum. Ses yeux possédaient une couleur hors du commun : ils étaient de la couleur sarcelle. Elle se redressa et sauta sur les cuisses de Shuga.

« Est-ce que Chagum-Oniisama va revenir bientôt ? demanda-t-elle en reniflant. »

L'astrologue comprit que même si elle était jeune, les deux ans d'absences de son frère aîné se faisait sentir pour elle. Malgré dix-huit ans d'écart qui les séparaient, Chagum avait toujours été le seul vrai ami d'Aozora au palais, en dehors de Mishuna – la fille de la Troisième Impératrice. Le second prince jadis jouait souvent avec elle quand il le pouvait et ils avaient un lien formidable, étant nés de la même mère. Quand ils apprirent son décès, on avait dit à la petite princesse que son frère aîné adoré était parti pour un long voyage et veillait constamment sur eux. Cependant, le concept de la mort étant encore nouveau pour Aozora, elle s'attendait à ce que Chagum revienne un jour ou l'autre au palais.

« Petite princesse..., commença Shuga, je ne sais pas quand il reviendra. Je sais qu'il vous manque, mais ne perdez pas espoir ma jolie princesse.

- Vous pouvez me raconter une histoire ? demanda-t-elle.

- Si vous vous endormez dans mon lit, qui ira vous reconduire à votre suite royale ? »

L'enfant fit une moue.

« Je peux vous raconter un petit récit, mais après, il va falloir retourner dans votre lit. »

Les yeux d'Aozora se mirent à pétiller. Shuga décida alors de lui parler d'un esprit de l'air, Kuki Ro Gai qui était devenu ami avec son ennemi naturel, un Hi Ro Gai et qu'ensembles, ils avaient vécu de formidable aventure dans le monde de Nayug. Quand il eut terminé, Aozora se redressa sur ses jambes et souhaita bonne nuit au maître astronome avant de disparaître de nouveau dans le passage secret.

Au petit matin, Aozora se fit réveiller par sa servante et se fit habiller. Ce jour-là, ils allaient à la villa de la famille impériale dans les montagnes, où les normes de bienséance étaient un peu plus laxistes qu'elles ne l'étaient au Palais Impérial de Kosenkyo. Malgré la liberté qu'offrait la villa, la petite princesse n'était toujours pas autorisée à se promener où bon lui semblait sans avoir au moins une servante à ses côtés. Un serviteur leurs annonça qu'elles allaient déjeuner avec la Première Impératrice, Riano, et la Troisième impératrice, Imarune. Tout ce que pouvait se souvenir Aozora avec sa sensibilité d'enfant, était qu'elle ne se sentait jamais à l'aise avec ces deux autres femmes.

La Troisième Impératrice ne parlait que par des mots et des phrases courtes sans engagement. Elle disait constamment du mal de Chagum – même s'il était décédé – à son fils Tugum, devenu le Prince Héritier, et au reste de sa famille, parfois en face de la princesse et de sa mère. La Seconde Impératrice, Nokomi, tentait de protéger sa fille du poids de cet abus. Elle n'était pas le genre de femme à dire du mal de qui que ce soit. Elle-même ne pouvait comprendre pourquoi ses rivales se permettaient de venir ainsi les déranger elle et sa fille à la villa. Le Mikado n'était pas au courant de la guerre froide qui se passait entre ses épouses.

Il s'occupait de la possible guerre contre l'empire Talsh et de préparer son fils préféré au trône, Tugum. La mère de Chagum et Aozora était devenue beaucoup plus mince et plus renfermée au cours des deux dernières années. Elle était manifestement malade et en deuil, même si elle persistait à penser que son fils n'était pas vraiment mort. Elle savait vu ce scénario tellement de fois et avait tellement stressé avec cette mise en scène.

Une jeune fille vêtue de vêtements richement brodés couleur d'aube émergea des arbres et fit un signe de la main énergique pour tirer Aozora de sa lunatique.

« Bien le bonjour, Aozora-Neesama !

- Mishuna-Oneesama. Vous vous êtes encore enfuie ? demanda-t-elle de façon formelle, exactement comme l'exigeait le protocole royal. »

Mishuna s'approcha, plissa le visage et rit. Un tel rire serait considéré comme scandaleux par la Troisième Impératrice et ses assistants. Toutefois, étant encore une enfant, Aozora ne put s'empêcher de rire avec elle. Quand Mishuna avait perdu ses deux dents de devant, ses serviteurs l'avaient suppliée de garder la bouche fermée, mais cela n'avait fait que la faire rire encore plus fort. Les relations fraternelles typiques étaient rares dans la famille impériale. Aozora et Mishuna auraient dû être des ennemies ou des rivales, puisqu'elles avaient des mères différentes, mais Mishuna ne ressentait rien d'autre que de l'affection pour sa plus jeune demi-sœur. Elle s'éloignait souvent de ses assistants pour aller à la rencontre d'Aozora. Elle était une fille douce et simple d'esprit.

Le cortège de la Troisième Impératrice venait d'arriver. Il n'était pas là la veille. Aozora devina que Mishuna s'était précipitée à sa rencontre pour aller la voir à la première occasion.

« Pourquoi vous êtes-vous enfuie ? Je ne veux pas que vous ayez des ennuis, commenta la princesse du second palais.

- Le Prince Tugum a fait une énorme crise quand nous sommes arrivés ici, chuchota Mishuna en se penchant vers sa petite demi-sœur. Alors j'ai profité de la distraction pour m'échapper. »

Mishuna avait toujours utilisé le titre officiel de Tugum, trois ans, lorsqu'elle parlait de lui. Sa mère lui avait sans doute demandé de le faire.

« Et je savais que vous seriez là, alors je voulais vous rendre visite ! »

Ses serviteurs étaient sans doute en train de la chercher, fort probablement. Elle devait savoir qu'elle n'aurait pas beaucoup de temps seule après s'être enfuie. Toutefois, Aozora était heureuse qu'elle ait décidé de passer ce court lapse de temps sans surveillance avec elle.

« Merci, Mishuna-Oneesama, dit-elle en la serrant dans ses bras. »

Ses vêtements étaient parfumés à l'écorce de shala. Cette odeur était toujours associée avec celle de sa grande sœur. Elle était si gentille. Ces princesses devraient pouvoir jouer dans les fleurs sauvages du jardin et ne pas s'inquiéter de salir leurs vêtements.

La servante d'Aozora l'emmena vers la place de réception du repas. La Première Impératrice arriva avec ses deux filles jumelles identiques, âgées de onze ans. Elles se nommaient Nagisa et Toshiko. Les jumelles étaient trop occupées à parler entre elles en chuchotant et en gloussant : leurs fiancés étaient déjà choisis et l'une d'entre elles allaient être mariée à un prince Rotan et l'autre à un prince Sangalese quand la guerre serait terminée. La Troisième Impératrice arriva finalement avec son fils Tugum, sa plus jeune fille Mishuna et sa fille aînée, Kana, âgée de douze ans.

Les trois familles mangeaient sur la même table, mais étaient toutes assises en des places différentes, ne se mêlant pas. Tugum piqua une nouvelle crise car il n'aimait pas ce que les servantes avaient déposé dans son assiette et qu'une d'entre elle avait osé vérifier que la nourriture n'était pas empoisonnée. Mais le garçonnet n'était qu'un enfant, après tout. Il ne pouvait pas penser comme un prince plus âgé.

Je m'ennuie de Shuga..., pensa Aozora. Depuis que son grand frère était parti, la petite princesse avait trouvé une source de réconfort chez l'ancien tuteur de Chagum. Il était plus ouvert d'esprit et même s'il avait été désigné comme le futur nouveau Saint-Sage, Shuga trouvait toujours du temps pour divertir la petite princesse. Quand elle serait de retour au Palais Impérial, elle se ferait un plaisir de le revoir.