Update 2022
Kazoku no Moribito
Gardien de la famille
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Partie II
Chapitre 9
Us et Coutumes
Au matin, Balsa expliqua son plan à la famille de Sain et aux filles avant de descendre dans une gorge. Il y avait un village près de la rivière en contrebas. Lorsqu'ils atteignirent presque le village, le temps se gâta du tout au tout. Le ciel se chargea de nuages et le vent soufflait fortement au sud.
« Pas un autre rakkaral ? murmura Amaya.
- Il semblerait, confirma Balsa. Dépêchons-nous. »
En mer, le rakkaral provoquait d'énormes tourbillons et tempêtes de vent, mais une fois sur la terre ferme, il saccageait les champs et les cultures dans des vortex combinant le vent et la pluie. Le village de Sain était Tanoru, à au moins une journée de là, quand il faisait beau temps. Le village voisin s'appelait Maru.
« Je promets d'amener Sain et sa famille en sécurité à leur village, promit Alika. Va sans craintes, Maman.
- Merci, mon ange. Tu m'aides énormément. »
La pluie tombait comme des cordes lorsqu'ils atteignirent Maru. Balsa choisit de rester à l'auberge du village pour attendre la fin de l'orage. Le hurlement du vent et de la pluie était clairement audible même à l'intérieur de l'auberge. Amaya était un peu tendue, mais elle faisait de son mieux pour rester calme et concentrait toute son attention sur Raï qui l'adorait.
« Ça l'air plutôt dur là-bas, commenta gentiment le propriétaire de l'auberge. Je vais vous apporter de l'eau pour vous rafraîchir. Il fait si chaud et humide. »
Les clients de Balsa hochèrent la tête avec reconnaissance et s'assirent près de la porte de l'auberge. Le père de famille leva les yeux vers Balsa.
« Vous nous avez amenés ici. Ce n'est pas grave si vous devez partir, dit Sain avec un sourire que la lancière lui renvoya.
- Alika fera le reste du chemin avec vous pour s'assurer que tout aille bien. Malheureusement, j'ai une urgence et je dois partir.
- Vous ne nous abandonnez pas. Il reste encore votre fille et son apprentie avec nous. »
C'était la première fois qu'elles voyaient Sain sourire. Il se leva et les salua.
« Vous nous avez sauvés. Je ne l'oublierai jamais. »
Il sortit le reste du paiement du travail de Balsa de sa poche et le lui donna. Elle hocha la tête en guise de remerciement, puis se tourna vers le propriétaire de l'auberge. La part d'Alika et d'Amaya arriverait quand elles les auraient déposés au village de Tanoru.
« Pardonnez-moi d'être si brusque, annonça Balsa, mais j'ai besoin de faire quelques préparatifs avant mon départ. J'aimerais manger le plus tôt possible. Ensuite, j'aurai besoin de nouvelles sandales de paille et de vêtements de pluie. Je veux me mettre en route dans une heure.
- Quoi ? se stupéfia l'aubergiste. Vous avez l'intention de repartir dans cette tempête ? »
Elle acquiesça. Elle enleva ses sandales trempées, puis s'assit près de Sain et de sa famille.
« Je vais dormir un peu et me nettoyer, mais ensuite, je dois repartir. »
Les parents de Raï la regardèrent avec inquiétude. Le vent devenait de plus en plus fort.
« Dame Balsa, vous ne pouvez pas sortir lorsque le temps est comme ça. Vous n'avez pas du tout dormi la nuit dernière, et notre voyage a été long et fatiguant. Vous devez être épuisées. Vous devriez vous reposer et attendre que l'orage passe.
- Merci pour votre inquiétude, ça me touche beaucoup, mais je vais bien. Vraiment. J'ai l'habitude de voyager par tous les temps. Beau soleil, pluie battante, neige. J'y suis habituée. »
L'homme s'occupant de l'eau chaude pour les clients de l'auberge entra dans la pièce. Balsa se leva rapidement le visage, le cou, les bras et les jambes. Ses anciens clients la regardaient toujours avec des expressions inquiètes, mais ne disaient rien d'autre. Raï donna un gros câlin à Amaya, ne désirant pas être séparée d'elle quand ils seraient de retour à son village.
« J'ai quelque chose pour toi, annonça Amaya maternellement. »
Elle sortit de sa poche une belle pierre hakuma. Lors de ses formations au niveau spirituel avec Alika, elle avait découvert les boutiques ésotériques et avait déniché des pierres provenant de Kanbal. Nécessairement, elle en avait choisi et acheté quelques-unes avec l'aide de sa petite-amie et, depuis, elle en transportait toujours sur elle pour bénéficier de leurs propriétés et énergies.
« C'est pour toi, Raï, déclara-t-elle en lui mettant la pierre dans la main. Cette pierre est un porte-bonheur. C'est un hakuma qui vient des grottes de Kanbal. Elle te protégera pendant notre retour à ta maison. Conserve-la précieusement et tu penseras à moi à chaque fois que tu la regarderas.
- Merci Amaya-San ! »
Elle la serra de ses petits bras. Balsa se sépara de sa fille et de sa bru après leur avoir demandé d'être prudentes et de prendre soin d'elles. S'il y avait un quelconque éclat de guerre, il fallait impérativement qu'elles se rendent à la Grotte des Chasseurs.
« Tout ira bien Maman, la rassura Alika, confiante. Nous serons très prudentes.
- Je ne doute pas une seconde de tes capacités. »
Elle tourna son attention vers sa bru.
« Le fait que tu nous aies accompagné jusqu'ici m'a vraiment impressionné, Amaya. Le travail de garde te va à merveille.
- Tu exagères, Balsa, s'embarrassa Amaya.
- Oh que non, je dis la vérité.
- Maman dit toujours la vérité, l'appuya Alika. Maintenant file. Niisan t'attend. »
Sa mère hocha la tête et quitta sous la pluie.
Nao finalisa ses bagages une journée après le départ de sa mère et alla rejoindre sa grand-mère.
« Je suis prêt !
- J'espère que tu vas bien t'amuser là-bas, lui souhaita Tanda en lui donnant un câlin.
- Oui.
- Soyez prudents, hein ?
- Évidemment, je connais le chemin maintenant, le rassura Torogai. Bien, nous y allons. À la prochaine ! »
Tanda les regarda partir au loin en essayant de retirer un peu l'inquiétude de son esprit. Il espéra que son fils s'amuse autant que sa mère quand elle partait en voyage pour un temps indéterminé.
« Ça ira bien, Papa, essaya de le calmer Motoko.
- Je sais.
- Et si on allait cueillir des fruits sauvages avec Karuna et Jiguro ?
- Tu sais quoi ? Quelle excellente idée ! »
Nao suivit Torogai à travers les montagnes et les différents passages secrets qui les mèneraient dans l'un des derniers villages Yakue pur souche. Il trépignait d'impatience et était fébrile. Les conversations qu'il avait en chemin avec sa grand-mère étaient principalement composées de « ton père... » ou « ta mère... » ou des histoires reliées aux us et coutumes Yakue.
« Je suis particulièrement contente que devenir compteur soit l'un de tes rêves, commenta la chamane.
- Grand-Mère, est-ce vrai que les us et coutumes Yakue commencent à disparaître et qu'ils ne forment plus de compteur à ce village ?
- C'est bien vrai. Et c'est une honte ! Honte à nos ancêtres qui se sont tellement efforcés de conserver ces légendes et contes mythiques.
- Avec moi, vous pouvez être sûres d'avoir un excellent compteur.
- Je n'en doute pas. Ils seront sans doute ravis de recevoir un jeune garçon aussi talentueux que toi. D'ailleurs, les esprits t'ont-ils aidé à rassembler quelques pièces de ce puzzle avec des mystères autrefois irrésolu ?
- Oui. La moitié de mon livre en est déjà bien rempli. »
Ils dormirent à la belle étoile, parfois dans des grottes naturelles et mangèrent ce que Nao chassait. Bien qu'il ne maîtrisait pas la lance ni les arts martiaux aussi profondément que le reste de sa famille, Balsa l'avait toutefois formé pour qu'il puisse bien se débrouiller dans la nature en chassant.
Après de longues heures de routes et de marche, un portail taillé à même le tronc d'une énorme souche d'arbre se dressa devant eux. L'arbre, jadis, avait sans doute été l'un des plus gros dans la région. Des os de Nahji étaient accrochés à des ficelles.
« Ah ! s'émerveilla Nao dans un murmure.
- Est-ce que tu devines ce que c'est ?
- Oui ! J'en ai souvent entendu parler dans mes livres. C'est un charme de séparation des chemins. On secoue les os de Nahji pour éloigner les mauvais esprits et les empêcher de pénétrer dans le village.
- Bien joué. Tu as bien retenu tes leçons. »
Nao sauta pour secouer la corde avec sa tête. Torogai quant à elle prit uniquement le bout de sa canne.
« Les esprits m'ont dit que le charme fonctionnait vraiment.
- Les esprits Yakue ?
- Oui.
- Que je vous envie, toi et ta sœur aînée. Vous êtes vraiment chanceux d'avoir ce don, même si je peux les voir aussi, mais seulement qu'en méditant et en faisant des incantations.
- Mais tu es un puissant chamane, la meilleure de tous les temps ! Tu nous as même mis au monde.
- J'ai aidé, le corrigea-t-elle. Votre mère a fait le plus gros du travail.
- Oh oui, quand on y pense.
- Bon, aller ! Toumi se trouve juste derrière cette colline. »
À leur arrivée, les villageois Yakue se rassemblèrent autour d'eux. La dernière visite qu'ils avaient eue remontait à plus de douze ans, quand Shuga et les hunters du Mikado s'étaient pointés à cet endroit pour reprendre Chagum de force.
Nao ne fut nullement intimidé par les regards curieux du peuple natif. Le nouveau Doyen du village avança vers la place publique.
« Bienvenu à vous, chers visiteurs ! Je suis Saika, le nouveau Doyen du village de Toumi.
- Nouveau ? se surprit Torogai.
- Malheureusement, Souya l'ancien Doyen de ce village nous a quitté il y a de cela bientôt cinq ans. J'ai pris sa relève. Venez chez moi pour discuter.
- Nous sommes venus ici pour découvrir dans les moindres détails tous les us et coutumes du village de Toumi, annonça le chamane.
- Pour quelle raison ?
- Moi, sortit solennellement Nao. Je veux devenir compteur. »
Un murmure d'étonnement, d'admiration et de confusion parcourut les rangs des villageois. Avant de pouvoir ajouter quoique ce soit de plus, ils furent tous les deux conduit chez le Doyen Saika. Ils prirent place au centre de la pièce pour approfondir cette discussion. Torogai lui raconta que Nao était différent des enfants Yakue, qu'il avait des origines Kanbalese du côté maternelle, et que son père était un métis yogoese et yakue.
« Il a une mémoire phénoménale et a une très bonne connaissance du monde spirituel, continua-t-elle de le vanter.
- Le monde spirituel ? demanda Saika, soudain intéressé.
- Oui, je vois les esprits, je leur parle, je communique avec eux et je suis un portail, l'aida Nao.
- Un portail ?
- En gros, je peux laisser des esprits me posséder quand j'accepte de le faire. Le vrai thème est de la canalisation. Mais je ne laisse pas n'importe quels esprits emprunter mon corps. Car qui je peux être si tout le monde est moi ?
- Que de sage parole, dis donc. »
Alors que Torogai continuait de vanter ses exploits et montrer ses livres ainsi que l'énorme bouquin dans lequel le gamin gribouillait toutes ses notes en les peaufinant, l'œil de Nao fut attiré par un bref mouvement derrière le rideau. Il eut tout juste le temps de voir une jeune fille, dont l'estimation de son âge devait être proche du sien. Elle venait de s'enfuir après qu'il l'eut remarqué. Il ne s'en fit pas plus et haussa les épaules avant de se concentrer de nouveau sur les adultes.
« Vous savez, c'est très regrettable, disait Saika, mais la tradition des compteurs s'est éteinte depuis un moment. Je suis sûr que vous, chamane Torogai, en avez conscience mais l'entrainement des conteurs est très difficile. Depuis sa plus tendre enfance, un apprenti doit retenir des milliers d'histoire, du matin au soir. C'était bien trop cruel d'imposer cela à une personne. Nous n'aimions pas vraiment ce genre de choses, donc nous n'avons plus désignés de successeurs...
- Pfff... c'est toujours aussi affreux entendre ça de la bouche d'un Yakue pur souche qui se dit conservateur de ses origines, tu parles ! lâcha Torogai.
- Grand-Mère..., s'embarrassa Nao, gêné. »
Il faut dire que Torogai avait toujours le don de réprimander les gens avec les mots appropriés à la situation.
« Désormais qu'il y en a un qui se propose gratuitement, librement, de devenir un conteur sur un presque plateau d'argent, voire même, un plateau d'or, vous voulez le retourner de bord à cause de ces mœurs qui vous semble être cruel ? Je peux vous assurez que même s'il n'est pas 100% Yakue, ce petit est un génie. Un génie comme il en naît rarement par génération. Posez-lui une question sur une légende ou un conte, et il va se faire le plaisir de vous répondre.
- Si vous désirez, je peux même canaliser un ancien conteur Yakue, offrit Nao. Il est avec nous. Il a sa main sur mon l'épaule et tient vraiment à vous parler. Promis, ce n'est pas dangereux. Son nom est Tadashi, je pense que ça vous dit quelque chose ?
- Oui, en effet. Ce compteur s'appelait Tadashi. Il était connu pour sa brillante mémoire. »
Nao arrêta de bouger et se laissa posséder par l'ancien conteur Yakue. Ses yeux bleus devinrent soudain couleur vert émeraude. Grâce à une capacité que sa grande sœur Alika avait développée et lui avait apprise en tant que médium, Nao permettait aux esprits de créer un larynx artificiel énergétique pour projeter leur voix sans utiliser la sienne. Ce qui était beaucoup moins mélangeant et ne ressemblait pas à une usurpation d'identité ou de la comédie venant du canalisateur.
« Bonjour, sortit une voix grave de jeune homme de la bouche de Nao.
- Eh, bonjour ? répondit Saika, surprit et un peu sur ses gardes. »
La vision spirituelle de Torogai se modifia naturellement en regardant son petit-fils. Elle ne le voyait plus physiquement comme l'enfant de Balsa, mais exactement comme le corps physique du conteur lui-même. Elle pouvait voir ses vêtements, bien que floue, ainsi que son visage et sa barbe noir trimé, superposé sur l'apparence physique de Nao.
« J'aimerai remercier Nao Yonsa de m'avoir permis de me matérialiser dans ce monde.
- Nous vous écoutons, Sage Tadashi-Dono.
- Je comprends que la tradition des conteurs vous paraisse comme une forme de souffrance ou un martyr pour les jeunes apprentis et que vous avez voulu bien faire en arrêtant la formation de contes oraux. Mais il est important de ne pas perdre les légendes et les traditions ancestrales qui étaient-là et bien présentes avant l'arrivée des Yogoese et leur Histoire Officielle de la fondation.
- Dites-moi ce qui pourrait nous pousser à reprendre la tradition des conteurs dans ce village alors ? Du matin, aux aurores jusqu'à la nuit tombée, un enfant doit retenir une vingtaine d'histoires et de légendes.
- Alors trouvez une personne qui désire réellement être conteur, avec passion, et non pas que ce soit une personne désignée au hasard qui se trouvera avec un fardeau qu'il ne veut pas porter. Qu'y a-t-il de plus triste que d'exercer un métier dans lequel on ne s'épanouit pas ? De plus, nous avons eu une bonne leçon il y a douze ans, avec le Nyuga Ro Chaga, le Prince Heritier Chagum.
- En effet, l'appuya Torogai. Heureusement que la jeune Nimka, dans le temps, nous a raconté le récit de sa grand-mère. Elle nous a sauvé la mise.
- Désormais, son histoire est gravée dans la pierre, ici, dans les nouveaux récits Yakue. Mais comprenez-vous à quel point il est important de conserver d'anciens récits et coutumes ? On ne sait jamais quand ça va servir dans un futur proche ou lointain. Et si vous voulez mon opinion... »
Il se pointa lui-même.
« Je suis parfaitement d'accord que ce petit va devenir un excellent conteur. Si j'étais vous, je ne dirais pas non à l'offre.
- Désormais, tout semble un peu plus clair, avoua Saika. Nous allons écouter vos propositions et faire le meilleur des choix, ô sage Tadashi.
- C'est parfait. Merci de m'avoir permis d'entrer en contact avec vous. Je vous redonne votre petit invité. »
Nao reprit lentement possession de son corps. Il frissonna.
« Je dois avouer que c'est une chose que je n'apprécie pas beaucoup de faire, commenta le garçon.
- Ah non ? Pourquoi ? demanda Saika, curieux.
- Je me sens comme une vieille serviette qu'on aurait utilisée pour nettoyer les plancher... L'énergie de l'esprit continue toujours de me picoter la peau après, c'est difficile à décrire. »
Comme pour prouver ses dires, Nao se gratta le bras en grimaçant. Torogai continua à déployer des efforts colossaux pour convaincre le nouveau Doyen de laisser la chance à son petit-fils.
« Je vais avoir besoin de d'autres avis avant de prendre une décision officiel, annonça-t-il enfin.
- De toute façon, nous resterons ici pendant un mois, dit la chamane en prenant une bouteille de saké. Donc vous aurez encore le temps de l'étudier et de faire votre propre opinion. »
Le fils de Tanda prit congé et décida d'aller se promener dans le village. Ses yeux bleus étaient l'unique chose qui le faisait ressortir du lot. Pour une personne extérieure du village de Toumi, il se fondait dans la masse Yakue avec son teint basané et ses traits en commun avec son père Tanda.
Dans un petit village ancestral, tout le monde se connaissait. Nao ne passa donc pas inaperçu aux yeux des villageois qui le saluaient poliment et avec curiosité. Il reçut aussi beaucoup de compliment sur ses yeux bleus. Il allait prendre un chemin dans la forêt pour s'y promener lorsqu'il recroisa à nouveau la jeune fille qui l'avait épié derrière le rideau quand il parlait avec le Doyen du village. Cette fois-ci, elle était assise sur la branche basse d'un arbre. Le garçon s'approcha doucement, mine de rien.
« Bonjour, toi. Je t'ai déjà vu avant. T'as pas à avoir peur, je ne suis pas un... espion. »
La jeune fillette bougea de son perchoir et descendit prudemment. Elle avait les cheveux bruns très foncés, mais pas noir, attachés en deux chignons. Ses yeux étaient bruns foncés et sa robe était rose et de style Yakue.
« Je ne t'ai jamais vu ici..., sortit-elle.
- C'est normal, je ne suis pas d'ici. Je suis en voyage de connaissances avec ma grand-mère.
- Pour combien de temps ? demanda la jeune fille, encore un peu méfiante.
- Un bon mois, je dirais. »
Il se gratta le derrière tête, montrant sa légère gêne.
« Tu as l'air Yakue..., observa-t-elle. Mais tu as les yeux bleus comme l'eau...
- Oui... les yeux bleus sont rares chez les Yakue, même si la plupart sont métis.
- Tu as aussi quelques caractéristiques que je ne reconnais pas...
- Ma maman vient de Kanbal. C'est quoi ton petit nom ?
- Maho... ça signifie magie. Et toi ? Je te renvoie la pareille.
- Nao. Ça signifie encore ou davantage. Ça se ressemble, tu ne trouves pas ?
- C'est vrai.
- Parfois, je dis que mon nom a plutôt rapport au fait que je veux toujours en apprendre encore et davantage. Ma soif de connaissances n'est jamais totalement désaltérée. »
Il regarda le ciel qui commençait à se peinturer des couleurs du crépuscule.
« Ce sera bientôt entre chiens et loups.
- ... T'as peur de la nuit ?
- Non. Je disais ça comme remarque, la rassura-t-il avant de forcer un petit sourire. Je voulais détendre l'atmosphère. Pourquoi es-tu si méfiante de moi ?
- Je ne suis pas méfiante. Je t'analysais simplement. Tu parles comme un livre ouvert, tu parles bien et tu prends le temps de bien articuler les mots.
- Maman me dit la même chose.
- La mienne veut que je rentre bientôt, tu veux venir chez moi ? Elle est au courant. En fait, tout le village est au courant que nous avons des visiteurs. Tu es le bienvenu.
- Pourquoi pas. Si tu le proposes. »
Il la suivit jusqu'à sa maison et franchit le seuil de la porte.
« Maman ! l'appela Maho. On a un invité surprise. Le petit garçon venu en voyage avec le chamane Torogai.
- Le chamane Torogai ? s'étonna la mère de famille. Je la connais un peu. »
La mère de Maho se montra à Nao. Elle avait une robe à longue manche rose et ses cheveux étaient attachés en chignon comme la coiffure traditionnelle des Yakues. Elle portait des bracelets sculptés dans une pierre fine couleur jade. Elle était en train de préparer à souper avec un petit garçon qui tournait sans cesse autour d'elle.
« Calme-toi un peu, Noya, pria-t-elle au petit garçon.
- Je te présente ma Maman, continua Maho. Maman, voici Nao Yonsa.
- Enchanté, répondit Nao en s'inclinant.
- Relève la tête, le pria la mère de Maho alors qu'elle examinait son visage. Dis-moi petit, serais-tu parent avec un certain Tanda-San ?
- Oh ! comment le savez-vous ? C'est mon père.
- Tu es... son fils ? s'exclama-t-elle. Je suis Nimka. Je l'ai rencontré quand j'avais à peu près treize ou quatorze ans concernant l'histoire du Nyuga Ro Chaga. Je les ai aidés à reconstituer les pièces de cette intrigue. Tu as une grande sœur, n'est-ce pas ?
- Alika-Oneechan, c'est bien vrai.
- Quelle coïncidence, je ne m'attendais pas à accueillir l'un des enfants de Tanda-San ici, fais comme chez toi. »
Nao s'assit aux côtés de Maho, sans oser déranger.
« T'as quel âge ? osa demander sa nouvelle amie.
- J'ai eu dix ans l'hiver dernier. Et toi ? Quel âge as-tu ?
- J'ai huit ans, je vais avoir neuf ans le mois prochain. »
En faisant un calcul rapide, il comprit que Nimka devait avoir seize ans quand elle avait mise au monde Maho. Elle devait être âgée de vingt-cinq ans à ce jour. Le petit frère de Maho, Noya, probablement âgé de quatre ans, n'osait pas trop l'approcher, préférant rester accroché aux jupons de sa mère, timide et réservé.
« Papa va rentrer bientôt ? demanda sa fille aînée.
- Il devrait arriver après souper, avec le temps des moissons, il est très occupé aux champs avec les autres hommes du village. Nous allons manger avant lui.
- D'accord. »
Tandis qu'il mangeait, Nao essaya de soutirer quelques informations concernant l'éclosion de l'œuf. Nimka se laissa emporter dans ses récits et le fils de Tanda ne perdit pas un morceau. Il s'habitua peu à peu à l'ambiance et commença à se sentir à l'aise au village de Toumi qui partageait les racines de ses ancêtres.
Il rencontra le père de Maho. Il avait la peau beaucoup plus foncée que sa femme, et était plus bâtit physiquement que Tanda. Son visage avait des traits plus distingué également, mais dans ses yeux recelaient une grande sagesse.
« Nao, voici mon mari, Hiwata, le présenta Nimka. Il vient du village de Tohata, là, où la majorité des personnes sont Yakue pur souche.
- Enchanté de vous rencontrer, le salua poliment de garçon.
- Bonjour. Nous n'avons pas beaucoup de visiteurs, alors c'est un vrai plaisir de rencontrer quelqu'un de nouveau. Comment aimes-tu le village de Toumi ?
- Je me sens bien, mais je n'ai pas encore eu le temps de l'explorer plus en profondeur. Heureusement, j'ai un bon guide. »
Nao regarda Maho qui sourit timidement.
Maho et Nao étaient devenus de très bons amis en peu de temps. Elle lui présenta ses amis et ils se tenaient souvent ensembles pour jouer. Elle ne voulait pas qu'il reparte quand la date butoir de ses vacances arriverait. Se sentant en confiance, Nao essaya de tester son ouverture d'esprit. Il voulait lui parler de son don de clairvoyance, car en dehors de sa grande sœur, il n'avait jamais vraiment eu d'amis avec qui parler de ce sujet. Ils étaient dans la forêt à ce moment-là, proche d'un petit ruisseau.
« Dis Maho, est-ce que tu crois aux esprits ?
- Les esprits du feu, de l'eau, de la terre et de l'air ? s'enquit-elle alors qu'elle pataugeait dans l'eau.
- Non. Pas ceux-là, ce sont des élémentaires... je veux parler des esprits humains.
- Des fantômes ?
- "Esprits", la corrigea-t-il. Pas "fantômes". »
Elle leva les yeux vers lui, perplexe.
« Je dirais que oui, même si je ne les vois pas. J'aimerai bien posséder cette vision.
- Y a-t-il d'autres enfants ici qui possèdent la vision ?
- J'en connais quelques-uns qui parlent ouvertement d'eux, mais je n'ai jamais vraiment prêté attention. Pourquoi ?
- Disons que... je suis comme eux.
- Tu vois les esprits ? s'exclama Maho.
- Oui. Je les vois tous.
- Est-ce qu'ils sont méchants comme le prétendent les légendes ? s'apeura-t-elle.
- Non, même si certains peuvent l'être, il y a plus de chances que tu tombes sur un esprit bienveillant que mauvais et manipulateur. Ceux qui m'accompagnent et ceux de ma famille sont très gentils. Ils ne nous veulent aucun mal. »
Maho se reprocha de lui.
« Tu sais que toute âme réincarnée sur le plan terrestre et le monde physique possède au moins un gardien spirituel ? continua-t-il.
- Un gardien ? Tu veux dire comme un ange gardien ?
- Oui, mais dans le vocabulaire de ma sœur, ma grand-mère et moi, nous les appelons uniquement "gardiens". Ce sont des âmes qui ont déjà été vivantes et qui possèdent des vies antérieures comme nous. Normalement, ils possèdent un lien antérieur, ou spirituel, avec le protégé.
- Et... est-ce que j'en ai un ou une ?
- Nous avons tous un gardien ou une gardienne. Un être vivant ne peut pas aller sur terre sans être veillé par un esprit. Et oui, tu as une gardienne.
- Tu connais son nom ? »
Nao regarda l'esprit en question. Elle avait de longs cheveux blond vénitien ondulés avec des yeux noisette et un teint pâle comme ceux des Yogoese. L'information lui parvint par télépathie.
« Hanae, répondit-il simplement.
- Oh, c'est un joli nom... elle m'aime ?
- Bien sûre que oui ! Et elle a toujours un long bâton avec elle qui l'accompagne partout.
- C'était quoi son lien avec moi ?
- Elle a souvent été ta grande sœur dans vos vies antérieures. Elle te suit impérativement depuis ta naissance et te connait comme le fond de sa poche.
- Wow... et toi, tu as un gardien aussi ?
- J'en ai trois. La limite s'arrête à quatre gardiens, pas plus. Quand il y a plusieurs gardiens, il y en a toujours un qui est le principal : c'est le gardien primaire. Les autres sont des gardiens secondaire, mais leurs rôles est aussi important que le premier.
- Tu connais le nom de tes gardiens.
- Mon gardien primaire s'appelle Seiji. Mes deux autres gardiennes, secondaires, s'appellent Yukine et Shiro.
- Alors tu es fort ?
- Le nombre de gardiens ne signifient en rien la puissance du protégé, mais ça peut aider... dans certaine situation. Par contre, je suis plus fort que ma sœur aînée, Alika, qui est aussi médium. Je suis aussi le seul de ma famille qui possède plusieurs gardiens. »
Suivant ce dévoilement, Maho se mit à questionner non-stop Nao à propos de ce que faisaient leurs gardiens, où ils étaient, ce qu'ils disaient. Elle voulait tout savoir les concernant. Elle était dans cette phase que Torogai nommait : la phase du débutant. Dans cette période, la personne, nouvelle dans les énergies, était très curieuse, prenait connaissance des limites à ne pas franchir, désirait en apprendre davantage et se sentait invincible. Et Nao fut pris dans ce tourbillon en lui enseignant tout ce qu'il connaissait à cœur joie.
Il apprit également à son amie les différentes propriétés des pierres, communément appelé de la « lithothérapie » ainsi que les vies antérieures et les différentes races spirituelles. Maho adorait discuter avec lui et encore plus quand il se mit à faire de la canalisation avec différents esprits de niveaux énergétiques différents. Parfois il créait son larynx artificiel, qui permettait aux esprits de prendre leurs voix, d'autres fois il gardait sa voix. La jeune fille avait alors communiqué avec les trois gardiens de Nao, même si de temps en temps, elle restait quand même sur ses gardes, croyant que son ami pouvait faire la comédie et se faire passer pour eux.
« Est-ce que tu pourrais me dire si ma maison est hantée ? questionna la jeune fille.
- Ah, pourquoi ça ?
- ... Parce que je me sens constamment observée la nuit, dans un coin de ma chambre et je voudrais avoir le cœur net.
- On peut aller jeter un œil, mais dans l'ensemble, ta maison est vraiment saine. »
Ils entrèrent dans la maison. À cette heure-là, elle était déserte. Nimka travaillait avec les autres femmes du village et avait apporté Noya avec elle, tandis que Hiwata était retourné aux champs dès l'aube. Maho lui pointa le coin de sa chambre. Nao arqua un sourcil en y voyant deux esprits s'embrasser dans le coin. Ils arrêtèrent de se minoucher quand ils virent qu'une personne pouvait les voir.
« Tu vois quelque chose ? demanda son amie.
- ... Deux esprits qui ne sont pas méchants. Attend, je vais essayer de leur parler. »
Le couple d'esprit se redressa. L'homme esprit avait les cheveux blancs argentés longs, les yeux dorés et n'était pas plus grand que 5'0". Il portait un kimono gris avec un hakama blanc. La femme, quant à elle, était plus grande que lui, 5'5". Ses cheveux blonds clairs étaient bouclés et elle avait des yeux d'ambre. Elle portait un simple yukata mauve et bleu.
« Qui êtes-vous ? demanda Nao. Si vous avez de mauvaises intentions, je vous demanderai de quitter la maison de Maho. »
À son plus grand étonnement, le couple d'esprit se regarda et la jeune femme prit la parole, calmement.
« Je ne pensais pas qu'un vivant puisse nous voir un jour, déclara-t-elle. Nous ne sommes pas méchants.
- Qu'est-ce qu'ils disent ? voulut savoir Maho. »
Nao lui répéta mot pour mot les paroles de l'esprit.
« Nous habitons ici depuis bien plus longtemps que la famille de Nimka, continua de les renseigner l'esprit.
- Alors vous êtes un peu... comme les gardiens de cette maison ? comprit Nao.
- C'est cela. Nous connaissons également tous les gardiens de la famille de Maho, dont Hanae.
- Comment vous appelez vous ? »
Lorsque les esprits se présentèrent à Nao, il fut surprit de voir que ces noms n'étaient pas d'origine Yakue ou Yogoese. Il eut plus de difficulté à prononcer le nom de l'homme, que celui de la femme.
« Je m'appelle Amadra. Voici mon mari, Anarion. »
Maho fut soulagée de voir qu'il y avait d'autres esprits qui la veillaient en dehors de sa gardienne. Nao se sentait heureux de pouvoir enfin partager son secret, en plus de peaufiner ses connaissance en matière de légendes Yakue.
Note : Pour ceux qui seraient curieux d'en apprendre davantage sur les dons spirituels et médiumniques qu'Alika et Nao possèdent, je vous invite à aller feuilleter « Le journal d'Alika : l'enfant médium qui communique avec les morts ». Cette fanfic en parallèle explique plus en profondeur les sujets que j'aborde dans la trame principale de ma série – ce dont je ne fais pas, car ce n'est pas le sujet premier de Kazoku no Moribito.
