Update 2022
Kazoku no Moribito
Gardien de la famille
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Partie II
Chapitre 10
Une passion pour la spiritualité
En moins de deux semaines, Nao apprit énormément de légendes, de récits et de contes Yakue grâce au Doyen du village et bien sûr, l'aide des esprits. Bientôt, il n'y aurait presque plus de place dans son bouquin, qui à son arrivé, n'était rempli que de moitié. Torogai n'étant pas toujours sur le dos de son petit-fils à épier ses moindres faits et gestes, elle le laissa s'aventurer partout où il le voulait et le laissa même dormir – la plupart du temps – chez Maho. Elle savait qu'avec Nimka, Nao ne courait aucun danger et était entre bonnes mains.
« Je suis triste..., annonça Maho à Nao, alors qu'ils marchaient dans la forêt.
- Pourquoi ? s'inquiéta-t-il.
- ... J'aimerai vraiment communiquer avec Hanae, Amadra et Anarion, mais je les entends pas ni ne les vois... Je peux pas toujours te demander de traduire et faire l'interprète. Tu vas finir par être lasse de toutes mes questions...
- Est-ce parce que tu as aussi des questions un peu plus intimes à lui demander ? comprit Nao.
- Un peu...
- Je pourrais t'apprendre un moyen de communiquer avec elle. C'est simple à faire et facile à utiliser. Tout le monde peut y parvenir.
- Ah ?
- Est-ce que ta Maman a des bijoux taillés ? De préférence dans la pierre ?
- Eh... je pense que oui. »
Maho courut à sa maison.
« Maman ? demanda-t-elle à Nimka.
- Oui, ma belle ?
- Est-ce que tu as des bijoux que tu utilises plus ? Nao et moi, on aimerait faire des bricolages avec... »
Nimka haussa les sourcils et se dirigea dans sa chambre pour en retirer un petit coffre. Elle le tendit à sa fille dont le visage s'illumina à sa vue. Les deux enfants sortirent de nouveau à l'extérieur pour en vider le contenu sur une couverture et y chercher une forme semblable à une pyramide inversé ou une goutte d'eau. Malheureusement, les pierres n'étaient pas de la forme que Nao avait espérée être. C'est alors que tout au fond de la boîte, un objet attira son attention. La matière n'était pas faite de pierre, mais bien de bois. C'était une petite pyramide inversée, facettée à six côtés avec une attache sur le dessus qui était plat.
« Lui, lui, lui ! résonna la voix de sa troisième gardienne, Shiro, dans son esprit.
- Maho..., dit-il, ce n'est peut-être pas en pierre, mais il fera l'affaire.
- Ah ? »
Il lui déposa le pendule de bois dans la main.
« Il a encore l'énergie de ta Maman, mais ce n'est pas grave. Nous pourrons le purifier grâce à quelques herbes dans lesquelles nous l'aurons fait reposer une journée complète. Je pourrai également attacher une chaîne ou une ficelle à l'anneau qui sert attache pour qu'il puisse bien se balancer.
- Tu ferais ça ? s'écria-t-elle, les yeux pétillants.
- Oui. »
Ils trouvèrent une belle corde en cuir et Nao créa une belle tresse en guise de chaîne. Maho choisit d'y glisser quelques perles et bijoux pour la personnalisée. Dans un petit pot, ils y déposèrent de la lavande séchées avec d'autres herbes purificatrices avant d'y mettre le petit pendule à l'intérieur. Alors que le petit bijou était en train de se faire purifier, Maho demanda à Nao s'il avait déjà croisé des personnes ayant plus de trois esprits les accompagnants, et ce, de façon permanente.
« Hum... Oui, mais c'est rare. La seule personne que j'ai rencontré qui en avait autant, de façon permanente, en avait plus de quinze... »
Nao ne désira pas lui parler de Monsieur Jin, qui parfois, apportait des lettres à ses parents. Le hunter était accompagné d'une horde d'esprits dont une de ses âmes sœurs – Mayuna – et sa famille dans cette vie-ci, en plus des amis de son gardien primaire, ce qui montait sa bande à une quinzaine d'individus.
« Moi aussi, j'aimerai avoir une horde ! annonça-t-elle.
- En es-tu sûre ? demanda Nao, incertain.
- J'ai déjà Hanae, Amadra et Anarion. Parfois, les sœurs et les frères spirituels de ma gardienne viennent nous voir, ce qui monte déjà le compte à sept ou huit. On pourrait monter notre propre horde, comme tu as déjà tes gardiens. Alors ensembles, nous en avons une dizaine déjà. Mais je sais pas si ma gardienne serait d'accord... »
Le fils de Tanda regarda la gardienne spirituelle pour avoir son avis et transmit la réponse à la fille de Nimka.
« Elle dit que tant qu'elle n'est pas mise de côté et ne se sent pas remplacée, tant que ça te rend heureuse et que ça te protège, il n'y pas de problèmes.
- Alors... Où pourrait-on trouver des esprits qui voudraient bien rejoindre notre groupe spirituel ?
- Eh... à priori, ça se peut que ce soit moi qui les déniche et les réfère à toi.
- Oh ?
- Quand je suis en vacances, je suis beaucoup plus susceptible d'attirer à moi des esprits passagers dont l'énergie concorde avec la mienne.
- Et... tu penses qu'ils désireront me rejoindre ? demanda-t-elle timidement.
- Bien sûr. Ton énergie est très belle et j'ai confiance que Hanae analysera de façon méticuleuse les esprits qui voudront te rejoindre. Aussi, il y a autre chose que j'aimerai te dire.
- Quoi donc ?
- Je connais des entités qui sont plus dangereuses que les gardiens.
- Plus "dangereux" qu'eux ?
- Oui. Des femmes et hommes en blanc, ou plus communément appelé « faucheurs ». Il est très rare que cette race d'esprit appartienne à une personne et ils sont très forts. Ce sont les fils et les filles de La Mort. Et pour en avoir un, ou une, il faut avoir joué et gagné contre elle. Si tu veux, je pourrais t'en présenter une.
- ... La Mort... comme la Grande Faucheuse ou les Shinigami ?
- C'est ça, oui. »
Malheureusement, Nao fut tellement absorbé dans son apprentissage des contes et légendes Yakue qu'il n'eut pas le temps de présenter son amie esprit, la femme en blanc, à Maho. Par chance, Maho ne semblait nullement pressée de la rencontrer.
Même si Torogai ne voyait pas les auras aussi clairement qu'Alika, elle sentit que l'énergie de Nao était plus dense et plus rayonnante que d'ordinaire. Il avait des étoiles dans les yeux quand il apprenait de nouveaux contes et légendes, avec des coutumes. Mais elle l'entendait aussi parler très souvent du monde spirituel et des esprits avec son amie Maho. Préférant le mettre en garde, elle entama la discussion à ce niveau avec lui.
« Nao, pouvons-nous discuter un peu ?
- Qu'est-ce qu'il y a, grand-mère ?
- Rassure-moi : tu ne parles pas de ton don de clairvoyance à tout le monde, n'est-ce pas ?
- Non, juste à Maho. Je lui ai dit de ne pas en parler avec ses autres amis.
- Tu lui as au moins dit que tout le monde avait un gardien ?
- Oui... et hier, elle m'a demandée un moyen de pouvoir communiquer avec sa gardienne Hanae sans avoir à toujours demander mon avis et mes interprétations...
- Si tu le veux, je pourrais lui expliquer le fonctionnement et les règles du pendule pour que ce soit sécuritaire et qu'elle n'ouvre pas de brèches ni de portails par accident.
- Tu es la mieux placée pour, en fait.
- Sinon... »
Elle regarda derrière lui.
« Tu es au courant qu'en dehors de tes trois gardiens, d'autres esprits sont arrivés et te suivent depuis le début de nos vacances ? »
Nao se raidit. Il ne lui avait pas encore fait part du plan de Maho à ce que lui et elle partagent une horde énorme d'esprits qui se cherchaient un chez soi et un foyer.
« Pourquoi cherches-tu soudainement à avoir autant d'esprits avec toi ? continua de l'interroger Torogai. Je ne te chicane pas, je tiens seulement à te mettre en garde. »
Il finit par céder et lui raconta tout ce qu'il vivait avec Maho et sa forte curiosité par rapport au monde spirituel. Torogai comprit que la fille de Nimka se sentait plus en sécurité avec plusieurs esprits plutôt qu'un seul constamment avec elle. Quant à son petit-fils, ce dernier croyait que la puissance combinée de ses trois gardiens n'étaient pas suffisante pour se protéger de possibles dangers spirituels.
« Être médium, Nao, ne signifie pas être en compétition. Tu ne deviens pas plus puissant en étant entouré d'une grosse bande d'esprits et rare sont ceux qui parviennent à rester humble lors de ce cheminement. Ça peut aider, mais ce n'est pas le principal.
- Et si les esprits sont bien avec moi ?
- Tant mieux, moi je dis. Il serait seulement important de créer des liens avec eux, et s'il y en a, qui, au fils du temps, désirent quitter la horde de façon définitive, ne les retiens pas. Et au fait, parmi les nouveaux esprits qui t'accompagnent, il y en a une en particulier qui se sent déjà faire partie de tes principaux gardiens.
- ... Tu veux dire... l'esprit appelée Leesiah ?
- Oui. »
Il tourna la tête vers elle. Elle avait le teint pâle, les yeux verts avec des cheveux blonds ondulés qui lui arrivaient au milieu de la poitrine, pas plus grande que sa sœur aînée, Alika. Elle avait aussi moins de formes qu'elle et elle semblait très attachée à Shiro. Leesiah bombardait également Nao de pleins de petites histoires et anecdotes reliées à ses vies passées.
Maho alla retrouver Torogai dans le bâtiment principal quand son ami lui dit que sa grand-mère pourrait mieux l'orienter quant à l'utilisation du pendule. Déjà en touchant l'objet, la chamane ressentit l'énergie émotionnelle de Nimka à l'intérieur du pendule.
« Il s'agit d'un précieux objet, raconta-t-elle. Ainsi, mon petit-fils t'a parlé de son univers et l'existence des gardiens spirituels ?
- Oui...
- C'est super. Je vais t'apprendre à bien utiliser cet objet. Avant chaque séance, tu dois choisir qui est l'esprit, ou le gardien, que tu veux contacter. Puis, tu dois toujours, toujours répéter les règles de l'interprétation. Et à la fin de chaque de séance, tu dois toujours remercier l'esprit qui t'a parlé. Comme tu ne les vois pas ni les entends, je vais te proposer de choisir des pierres qui représenteront ta gardienne et tes autres copains esprits. »
Torogai sortit de son sac une petite pochette en tissus avant de l'ouvrir. Elle disposa sur le tapis différentes pierres fines dans tous les tons de couleurs.
« Je vais t'en donner sept à choisir au hasard.
- ... Comment je vais les choisir ? questionna l'enfant.
- Suis ton intuition. Si ton regard se pose sur une pierre en particulier, c'est qu'elle t'est destinée. »
Avec beaucoup de difficulté – car toutes les pierres avaient de belles couleurs – Maho en choisit sept : deux mauves, une bleue, une rouge, une blanche et deux translucides. La chamane lui proposa ensuite, parmi les sept pigés, d'en choisir trois pour désigner Hanae, Amadra et Anarion.
« Et qu'est-ce qui va se passer concernant les pierres seules ?
- Tu peux les attitrer à tes amis ou attendre qu'un nouvel esprit te montre son désir de communiquer avec toi. Si par exemple, la bleu représente Nao, alors elle représentera également ses gardiens.
- Ah d'accord.
- Maintenant, tu vas les disposer en cercle, de sorte à faire un centre libre. »
Maho s'exécuta. C'est alors que Torogai prit son pendule et, assise en tailleur, déposa son coude sur sa cuisse pour que son bras soit soutenu et stabilisé.
« Admettons que tu désires parler à Hanae, tu sélectionnes la pierre dans ton cercle et l'emmène au centre. À partir de maintenant, tu dis tes règles. Tu peux choisir tes propres signes à interpréter, tout comme tu peux prendre les miens en général.
- Quels sont vos signes ?
- Avant et arrière signifie "oui", gauche à droite signifie "non" et en cercle signifie "peut-être" ou "bof". Et tu dois préciser que tous ces signes doivent se faire devant toi.
- Pourquoi "devant moi", Maître Torogai ?
- Parce que si l'esprit est assis à ta droite, son "oui" devient un "non" pour toi, tu comprends ? »
L'enfant hocha la tête pour confirmer qu'elle comprenait tout ce que la chamane lui disait
« Il va te falloir un petit temps d'adaptation. Mais à la fin, tu finiras par t'habituer. Par contre, un conseil de débutant : ne jamais l'utiliser quand tu es fatiguée. Tu risques de te tromper dans tes interprétations. Je vais faire un petit exemple.
- D'accord.
- Bonjour Hanae, es-tu là ? »
Le pendule, immobile, ne bougea pas pendant quelques instants, mais Maho le vit trembler légèrement avant qu'il ne fasse petit un mouvement d'avant-arrière.
« Je sais que tu nous écoutais, continua Torogai, mais je vais quand même, par mesure de prévention, te répéter les règles comme c'est la toute première fois. Tous les signes sont devant moi. »
Après avoir établis les règles, Maho questionna Hanae et fut surprise de voir le pendule bouger. La main de Torogai était presque parfaitement immobile. Nao vit que l'esprit manipulait le pendule du bout de son doigt. Après avoir montré la séance, Torogai salua la gardienne, repositionna la pierre à sa place autour du cercle et remit le pendule dans les mains de Maho, solennellement.
« Voilà comment on fait, cocotte.
- Le pendule est froid ! s'écria-t-elle.
- Oui, confirma Nao avec un sourire, Hanae est une puissant gardienne. Si tu utilises le pendule pendant de longues minutes, il est normal que la pierre devienne froide, mais plus l'esprit est fort, et plus il sera froid en peu de temps.
- Wow... »
Nao sentit que son amie était heureuse et ça lui faisait chaud au cœur. Cinq autres esprits rejoignirent Maho entretemps.
Ils étaient en train de jouer dans la chambre de Maho, quand Nao lui dit qu'un esprit désirait lui parler. Elle le regarda et fut surprise de voir que Nao – ou du moins, l'esprit en tant que tel – désirait lui passer une devinette. L'esprit ne parla pas, ne faisant que mimer ses gestes. Il s'empara alors de son cahier, là, où elle avait écrit tous les noms de ses nouveaux amis esprits pour s'en souvenir. Il posa son doigt sur la feuille et descendit à un nom dans la horde de Nao.
« ... Leesiah, épela-t-elle.
- Tu n'es pas très bonne avec les devinettes, n'est-ce pas ? sortit l'esprit en possession du corps du jeune garçon. »
Elle n'utilisait pas le larynx artificiel, alors il était difficile pour Maho de savoir si Nao était conscient ou pas de sa possession.
« Il est conscient, répondit-elle à sa question silencieuse.
- Comment tu l'as su ? s'étonna Maho.
- Ça se ressentait dans ton énergie... enfin, bref.
- Alors... comment est notre horde ?
- C'est amusant. Par contre, on m'a littéralement ensevelit des règles de la horde.
- Qui sont ?
- Ne pas répliquer quand tu es fâchée. De ne pas brimer la confiance de la horde, et j'en passe. Disons que j'ai la tête qui va un peu exploser en ce moment. Pour l'instant, je ne peux pas rester longtemps dans le corps de Nao, ça fait trop étrange encore de me sentir vivante à nouveau... »
Après avoir discuté une dernière fois, Nao reprit possession de son corps. Maho lui raconta son échange qu'elle avait eu avec Leesiah et comme elle n'était pas dangereuse, le fils de Tanda pensa qu'il avait seulement eu quelques craintes irrationnelles.
Le soleil commençait à se lever quand Nao rouvrit les yeux dans la chambre de Maho. Il tourna la tête vers la place qu'occupait son amie et fut surprit de voir qu'elle n'était plus là. C'est alors qu'il entendit des voix s'élever proche de la place publique du village. Il repoussa la couverture et s'habilla à la hâte avant de sortir de la maison, les cheveux détachés. Il retrouva l'énergie de Nimka, avec son mari Hiwata, Noya et Maho. Il observa l'entrée du village et un frisson d'horreur lui parcourut l'échine. Il n'avait jamais vraiment porté attention aux détails de la guerre ni le recrutement que le Mikado faisait parmi les villages Yakue et Yogoese – déjà pauvres de base – pour son armée, mais il n'aurait jamais cru que les soldats fassent tout le chemin vers Toumi pour choisir une quinzaine d'hommes pigés au hasard afin de grossir les rangs.
Nao se colla contre Maho en essayant de ne pas se laisser envahir par le stress qui lui tordait l'estomac. Torogai se tenait aux côtés du Doyen, Saika. Lorsque le chef qui menait le recrutement commença à nommer les différents noms des hommes âgés entre quinze et cinquante ans, plusieurs Yakue se mirent à pleurer et même à protester. Nao sentit son amie perdre l'équilibre lorsque le nom de son père fut appelé pour servir la guerre d'un ennemi impur et corrompu. Nimka éclata en sanglots en serrant son époux dans ses bras. Ils retournèrent à la maison pour préparer ses choses : ils n'avaient pas eu de préavis et les recruteurs repartaient avec les hommes choisit le jour-même.
« Pourquoi il a fallu qu'ils viennent jusqu'ici ?! s'indigna Nimka, les joues mouillées par les larmes tandis que Maho, Nao et Noya se tenaient plus à l'écart. »
Hiwata posa sa main sur sa joue, arrêtant ce qu'il faisait.
« Nous devons défendre notre pays, même si notre village est relativement isolé et perdu au milieu des montagnes.
- N'y va pas... par pitié...
- Je n'ai pas le choix, ma chérie. Si je tente de m'enfuir, je serai mis à mort pour cause de trahison.
- Tu n'as aucune base militaire, Hiwata ! C'est complètement insensé et irréfléchi ! »
Nimka ne parvenait pas à raisonner – et qui l'aurait été dans pareille situation ? Hiwata savait qu'il ne pouvait pas réussir à rassurer sa femme. Quand ses affaires principales furent rassemblées dans un sac en cuir, il lui dit :
« Je ne vais pas mourir. Je reviendrai pour vous. »
Maho se jeta alors dans ses bras. Malgré qu'il désire paraître fort, Hiwata avait les larmes aux yeux.
« Tu vas prendre soin de Maman pendant mon absence, d'accord, ma chérie ? lui demanda-t-il.
- ... Oui, mais je veux pas te perdre, Papa !
- J'ai dit que je n'allais pas mourir. Je vais être revenu d'ici le printemps prochain. »
Sa fille le serra encore plus fort dans ses bras en pleurant. Il prit également Noya dans ses bras, pas plus âgé que quatre ans. Nao s'évada en douce et alla retrouver sa grand-mère.
« Quelle étrange tournure pour nos vacances, commenta Torogai.
- Que fait-on Grand-Mère ?
- ... Nous allons rester encore un moment, le temps de trouver des solutions pour aider la main d'œuvre au village de Toumi, mais après, il va nous falloir quitter cet endroit pour se cacher à la Grotte des Chasseurs. »
Nao arqua un sourcil : il n'avait jamais visité une grotte qui s'appelait ainsi.
« Est-ce que Maho et Nimka pourraient nous accompagner ? proposa-t-il.
- Tu peux essayer, mais mon intuition me dit qu'elles ne voudront pas quitter ce village... »
Le garçon s'essaya pareil, mais Maho ne démontrait aucun enthousiaste à le suivre.
« Je ne peux pas...
- Pourquoi ?
- Je dois rester avec Maman... je ne peux pas la laisser seule ni abandonner mon village alors que Papa est parti dans l'armée servir le pays... »
Il sembla triste à l'entente de son choix, mais il comprenait en même temps. Les adieux des familles de Toumi quant aux adolescents et hommes choisit furent si cruels et poignants que Nao n'eut d'autres choix que de bloquer ses émotions, étant un garçon très sensible et empathique. À un tel point, qu'il parut froid de l'extérieur et avait l'air de s'en foutre, ce qui n'était aucunement le cas. Il resta auprès de Maho pour la consoler pendant la nuit, mais elle se levait et allait retrouver la chaleur des bras de sa mère qui faisait de l'insomnie. Il décida de la laisser tranquille pour quelques nuits, retournant proche de Torogai.
Alors qu'il venait de se lever en plein milieu de son sommeil pour soulager sa vessie sur le point d'exploser, il jeta un regard à l'extérieur comme si son intuition le poussait à regarder dans cette direction. Quelle ne fut pas sa surprise d'y voir Nimka, tenant par la main sa fille, marcher en direction de la forêt. Il jeta un œil à sa grand-mère : elle ronflait à en faire trembler les murs et était profondément endormie. Nao en profita alors pour se glisser en douce, hors de la maison Yakue, son pyjama kimono sur le dos et les cheveux encore détachés. À pas feutré, comme enseigner par Balsa, il les suivit dans la forêt. Elles arrivèrent dans un endroit où un petit ruisseau s'échappait du cours principal de la rivière pour former un étang. À sa surface flottaient d'innombrables nénuphars aux fleurs blanches, mais ce n'était pas des sig salua. Un curieux phénomène se produisit alors sur la mare et Nao fut assez proche pour en être témoin : de petites lumières s'étaient mise à danser au cœur des lotus par intervalles irréguliers, comme si des lucioles avaient trouvé refuge en leurs seins.
Maho était certaine d'halluciner, dû à sa fatigue nocturne, mais lorsque Nimka cueillit un nénuphar pour l'examiner de plus près, une petite créature irisé sauta à l'eau et disparut dans la mare.
« Maman..., murmura Maho. Le visage de cet être minuscule était celui de Papa...
- Comment est-ce possible ? murmura Nimka, le teint livide. »
Nimka arracha un autre nymphéa et chercha à regarder de plus près son occupant. La créature s'éteignit et sauta à l'eau, mais juste avant, la jeune femme Yakue avait eu le temps de constater qu'il avait les mêmes traits que le premier : ceux d'Hiwata. Nao décida de se montrer. Croyant qu'il s'agissait de soldats ou d'espions, Nimka attira instinctivement sa fille contre elle.
« Par pitié, ne nous faites pas de mal !
- Non, c'est moi, répondit rapidement Nao.
- Nao ? s'étonna Maho. Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Eh... j'avais besoin de me soulager, mentit-il, puis j'ai essayé de suivre une luciole et je me suis retrouvé ici... c'est quoi cet endroit ? »
Nostalgique, Nimka lui apprit qu'il s'agissait de mizuyue, des lunes d'eau, dans la langue ancienne des Yakue. C'était ici où elle avait rencontré Hiwata et qu'ils avaient eu le coup de foudre l'un pour l'autre.
« D'après une légende, il s'agit d'une énergie spirituelle, raconta-t-elle. On dit de ces êtres minuscules qu'ils savent réconforter... mais j'ignore pour quelles raisons j'ai vu le visage de mon mari deux fois sur le visage de ces êtres. »
Fasciné et se promettant de déposer ces connaissances dans son bouquin dès le lendemain, Nao s'agenouilla et regarda les mizuyue. La lueur s'était éteint et plus rien ne brillait dans la pénombre.
« Il y a des milliers de créatures magiques dans notre univers, mais la majorité des personnes ne prennent pas le temps de faire leur connaissance, sauf les chamanes comme ma grand-mère ou Papa, ou les O Chal – qui, en Yakue, signifie "un canari dans une mine de charbon" – des personnes qui peuvent voir à la fois Nayug et Sagu. »
Un esprit de passage s'adressa à Nao pour qu'il puisse répondre à la question actuelle de Nimka.
« Peu d'heureux mortels ont été témoins des esprits des mizuyue. Ces petits êtres se manifestent dans ces belles fleurs uniquement lorsqu'une personne est amoureuse, ou que son âme sœur lui manque terriblement... »
Nao rougit en surprenant ses propres paroles. Il se demandait si Tanda verrait le beau visage de sa mère s'il allait proche de cet étang ? La jeune femme Yakue hocha la tête en guise de compréhension et déjà, son énergie sembla plus calme. Elle se redressa, vite suivit de Maho. Le fils de Tanda les suivit et les escorta jusqu'à leur maison, ramassant au passage une branche en bois, avant de rentrer de nouveau à son logis temporaire. Le ronflement de Torogai ne lui avait point manqué entre temps...
Quelques jours après que les recruteurs de l'armée du Mikado furent passés, Torogai reçut un visiteur inattendu au village alors que la date butoir de la fin de leurs vacances approchait à grand pas. Lorsque Nao ouvrit les yeux et sorti hors du bâtiment principal, il eut toute une surprise.
« Papa ! Ils ne t'ont pas pris ! s'exclama-t-il en lui sautant dans les bras.
- Bien sûr que non. J'ai toujours eu de la chance.
- Où est Maman ?
- Maman est revenue... elle est déjà en route vers la Grotte des Chasseurs. La guerre ne va commencer qu'au douzième jour du printemps à Yogo, quelques semaines seulement après la fonte des neiges hivernales.
- Ah, je vois... et qui est la femme qui t'accompagne ? demanda-t-il en regardant Tomoe, intrigué et méfiant.
- C'est Tomoe-San, une amie. Elle nous accompagnera.
- Nous partons quand ?
- Aujourd'hui si possible. Nous ne devons pas tarder.
- Est-ce que j'ai le temps de dire au moins au revoir à Maho et sa maman ?
- Maho ? s'étonna Tanda.
- C'est une amie que j'ai rencontré ici... Son père a été recruté par l'armée il y a quelques jours et sa mère dit qu'elle te connait.
- Quel est son nom ?
- Nimka... tu veux venir avec moi pour la voir une dernière fois ? »
Tanda enjoint le pas de son fils, suivit de Tomoe alors que Torogai allait récupérer leurs effets personnels au bâtiment principal du village. Nao cogna à la porte de Nimka et cette dernière alla ouvrir en bougeant l'épais rideau tissé qui servait de porte. Elle poussa un petit couinement de surprise.
« Tanda-San ?!
- Bonjour Nimka. Je suis venu chercher mon fils moi-même.
- Oh ? Est-ce votre femme derrière vous ? demanda-t-elle en voyant Tomoe.
- Non, pas du tout. Je suis marié à Balsa et je l'aime plus que tout. Tomoe-San est une amie, c'est tout et elle fuit la guerre avec moi. »
Nimka les invita à entrer et s'amusa de voir à quel point Nao avait hérité des traits de Tanda, étant une petite copie-conforme de son père. Tanda sentit que Nimka avait les yeux encore rougit et que sa voix, bien qu'heureuse d'avoir des visiteurs, était encore remplie d'émotion. Ils échangèrent leurs nouvelles après qu'elle lui ait présenté ses deux enfants. L'apprenti chamane avait toujours cru que Nimka avait eu le béguin pour Chagum – pour l'avoir ainsi aidé à s'enfuir quand il était dans un état émotionnel très instable avant que Balsa ne les retrouve. Mais aujourd'hui, il se rendit compte qu'elle avait trouvé son âme sœur parmi son peuple et que la séparation lui causait une douleur atroce... Balsa aurait sans doute été dans le même état d'esprit si elle avait appris qu'il avait dû être recruté par l'armée.
Nao décida d'isoler Maho dans sa chambre pour lui parler seul à seule avant son départ. Il fouilla dans ses poches et lui offrit quelque chose : une petite pierre bleutée.
« Tu vas pouvoir communiquer avec l'esprit spécial que j'ai envoyé pour toi, murmura-t-il.
- Qui c'est ?
- Elle s'appelle Yoriko et va veiller sur toi. C'est la femme en blanc que je t'ai parlée, et c'est la plus jeune de sa famille. Cette pierre représente une promesse pour qu'on se recroise de nouveau.
- Merci... à quoi ressemble Yoriko ?
- Elle a les cheveux blonds très longs, qui lui arrivent aux genoux. Elle a les yeux vairons : un bleu et un vert et est très petite... 5'2". Elle a beaucoup de jasette, je pense que vous allez bien vous entendre ensembles. »
Son amie serra la pierre contre son cœur et alla la déposer dans sa petite boîte avec ses autres pierres. Elle fouilla ensuite parmi quelques ficelles accrochées à un crochet et Nao comprit que c'étaient en fait des bracelets tissés. Maho revint avec un petit bracelet à ficelle bleu et brun, au centre duquel une perle miroitante y avait été enfilée.
« Ce n'est pas grand-chose... et c'est tout ce que j'ai à t'offrir... mais j'espère que tu te souviendras de moi et que quand la guerre sera terminée, tu reviendras me voir.
- Je le promets. Les esprits prendront soin de toi, et tu as toujours ton pendule si jamais. »
Ils se donnèrent un câlin, mais Maho le retint plus longtemps et déposa ses lèvres contre sa petite joue chaude. Nao fut pris de stupeur et resta immobile un moment jusqu'à ce que Tanda cogne à la porte, leur indiquant que le départ était imminent. Ils sortirent de la pièce, puis à l'extérieur. Torogai tendit les deux sacs qui appartenaient à son petit-fils. Puis, Nao quitta le village de Toumi en jetant un dernier regard derrière lui. Il se mit à pleurer : Maho lui manquait déjà.
« Ça ne va pas ? demanda son père.
- ... J'ai aimé rester à Toumi... je me sentais comme à la maison avec eux. »
Tanda n'étant pas dupe, il comprit que son fils commençait à expérimenté les joies que l'amour emmenait dans le cœur des garçons, pour l'avoir lui-même si souvent vécu avec sa femme.
« Est-ce que ton cœur bat pour cette jeune fille appelée Maho ? »
Son fils baissa timidement les yeux. Il ne possédait qu'une compréhension théorique de ce type de sentiments. Il avait capté les regards remplit d'étoiles d'Amaya pour sa grande sœur Alika. Il avait vu ses parents se prendre par la main et s'embrasser. Il les avait même déjà surprit en train de faire l'amour lorsque plus jeune, mais ni sa sœur ni ses parents ne semblaient aussi pêle-mêle dans leurs émotions.
« Je ne sais pas... mais j'apprécie beaucoup. C'est une bonne amie, si ce n'est ma meilleure amie...
- Je vois. Bien, maintenant allons chercher Tatie Saya et Tonton Tohya avec leurs enfants avant d'aller rejoindre Maman à la Grotte des Chasseurs.
- Oui.
- En route, commanda Torogai. »
