Update 2022

Kazoku no Moribito

Gardien de la famille

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Partie II


Chapitre 11

En route pour la Grotte des Chasseurs

Tanda marcha en compagnie de Tomoe, de son fils Nao et de Torogai. Ils allaient chercher Saya et Tohya. Ils ne pouvaient pas les laisser dans cette guerre, seuls avec leurs trois enfants, alors que Balsa les avaient sauvé une décennie plus tôt et tout ce qu'ils avaient fait pour eux comme service.

Après trois jours de marche, ils atteignirent la boutique qui était fermé temporairement. Ils les retrouvèrent en train de paqueter leurs effets personnels.

« Tanda-San ! les accueillit Tohya avant de faire le saut en voyant Tomoe. Oh ! qui est la femme qui vous accompagne ?

- Une amie que j'ai rencontrée, elle nous accompagne. Nous sommes venus vous chercher afin que vous puissiez fuir la possible guerre avec nous.

- C'est gentil ! s'écria Saya. Nous avions l'intention de partir, également, mais nous ne sommes pas très bien organisés.

- Nous allons vous aider. Ils ne sont pas venus vous voir pour le recrutement ?

- Non, rien de tout ça.

- Ça fait du bien à entendre. N'emmenez que le nécessaire. Tohya, serais-tu être capable de nous dénicher un petit chariot dans ton entrepôt pour pouvoir transporter vos enfants et nos choses ?

- Tu peux me faire confiance ! Je sais où aller en chercher.

- Sois prudent.

- Oui ! »

Nao se mit en tâche d'aider les enfants à faire leurs sacs avec Tomoe alors que Torogai se chargeait de la nourriture et de dénicher de l'alcool, caché à quelque part dans la boutique. Tohya revint avec un petit chariot. Ils placèrent les provisions et les sacs à l'intérieur avant de sortir à l'extérieur. Il commençait à faire de plus en plus froid. Nao sentit que les premières neiges ne tarderaient pas à arriver.

« La route sera longue, mais d'ici une semaine, nous devrions être arrivés, calcula Tanda. Et avec mon Maître, elle va nous montrer les raccourcit les mieux cachés et les plus rapides.

- Bien sûre, évidemment, confirma Torogai sur un ton presque sarcastique. »

Ils partirent rapidement et prirent un sentier à travers la forêt, tout en évitant les gardes forestiers. Ils croisèrent des personnes et des mendiants plus ou moins bizarres les uns les autres. De même qu'un vieil homme s'était presqu'agrippé à Tohya pour quêter quelques lugals. Le coursier l'avait vite repoussé et avait accéléré de vitesse.

Les voyageurs ne parlaient pas beaucoup en cours de route. Et dès que la nuit s'annonçait, Torogai dénicha une petite cachette dans les montagnes, à l'intérieur une crevasse. Ils mangèrent de petites rations et se reposèrent de la route. Tomoe se rapprocha de Tanda.

« Tanda-San, est-ce que votre femme va être avec nous ?

- Oui, elle y sera avec mes autres enfants.

- ... C'est peut-être un peu d'angoisse venant de ma part, mais j'ai bien peur qu'elle ne m'aime pas...

- Tu as peur de lui déplaire parce que j'ai voulu que tu viennes avec nous en sécurité, loin de la guerre ? Elle ne m'en voudra sans doute pas. Balsa est spéciale, mais je pense que la survie de nos enfants va la préoccuper bien plus que toi.

- Tu es si confiant.

- Parce que j'en ai vu de toutes les couleurs avec elle, alors je sais à quoi m'attendre... du moins, la plupart du temps. Aller, il nous reste encore un peu de chemin à faire, nous devrions dormir pour se reposer.

- Bonne idée. »

Elle se mit dos à Tanda, recroquevillée sur elle-même. L'homme Yakue prit une chaude couverture et la déposa sur ses épaules avant de l'imiter. Il commença à neiger cette nuit-là.

Après avoir calmé les crises des enfants qui n'en pouvaient plus de marcher, ils atteignirent enfin à la grotte après un long voyage épuisant et stressant. Tanda poussa la grosse pierre et entra pour allumer quelques bougies, idée d'éclairer les lieux.

« Cet endroit tient le coup ! s'exclama Torogai. Aller les amis, nous avons beaucoup de préparatif à faire, et nous serons longtemps dans cette grotte, donc aussi bien établir un protocole et quelques règles pour en maintenir l'équilibre. Mais avant toute chose, moi, je me repose ! »

Nao observa son père qui secoua la tête et aida à allumer des bougies dans la grotte. Tanda prévint les enfants de ne pas aller dans la cavité de droite, que celle du milieu avait une fontaine naturelle d'eau et que celle de gauche était leur maison. Tous se mirent en tâche de nettoyer la grotte, faire les provisions et préparer les lits.

« Qui veut prendre un bain ? offrit Tanda.

- Un bain ?! Il y a une source chaude ici ? s'exclama Tohya.

- Pas une source chaude à priori, mais dans la salle d'eau, il y a un grand bassin creusé naturellement dans la roche. Il n'est pas très profond, mais l'intérieur y est lisse et ressemble à un bol. Grâce à un mécanisme en bois et en terre cuite que j'ai installé avec Balsa et Maître Torogai, nous pouvons faire en sorte que l'eau tombe dans ce bassin et se réchauffe grâce à un mécanisme de chauffage.

- Allons donner un bain aux enfants, acquiesça Saya, je suis sûre qu'ils aimeraient beaucoup ça ! »

Ils allèrent chercher les enfants et Saya les surveilla alors que Tanda lui montra comment le mécanisme fonctionnait.


Après s'être séparée de sa fille et Amaya, Balsa fut entraînée dans un tourbillon d'aventure. Chagum était toujours vivant et cherchait un moyen de crée des alliances clandestines avec les pays voisins. Elle avait commencé par faire des recherches à Rota, sur le marché noir, puis avait joué à des jeux de mise avec les gardes du seigneur Rotan, espérant ainsi recevoir des indices sur la position actuelle de Chagum. Ayant été imprudente, elle s'était retrouvée droguée avec du massal qui était en fait du porc effiloché mélangé à des œufs. Le plat entier était frit avant d'être servi et Balsa en avait mangé pendant trois journées consécutives.

Ayant perdu ses moyens de combattre convenablement, elle fut emmenée par un espion Talsh du nom de Hugo – qui lui avait plus ou moins sauvée la mise –, s'était retrouvée enfermée dans un entrepôt qui avait pris feu avant de parvenir à s'échapper avec son kidnappeur dans une petite embarcation en suivant le courant d'une rivière.

Elle avait ensuite fait face à des Kashal, qui étaient les équivalents des magic-weaver, mais d'origine Rotan et qui partageaient leurs yeux et leurs visions avec les animaux qu'ils apprivoisaient. Enfin, Balsa put rencontrer leur chef, mais il fallut un long moment aux Kashal avant de lui donner l'autorisation. Ils avaient passé des heures à se consulter et à discuter les uns avec les autres. Ils avaient pris sa lance et ses armes. La sensation pour Balsa était comme si elle se sentait nue sans elle. Elle avait passé des heures, confinée dans une petite auberge juste à l'extérieur de Tsuram.

Au deuxième jour, la délibération des Kashal prit fin. Un jeune homme était allé la chercher à l'auberge le matin du troisième jour et l'avait fait monter sur le dos d'une seconde monture avant de suivre la route de Sal, qui faisait face au nord pour enchaîner dans un galop. Une fois à la lisière d'un champ et à l'orée d'une forêt, le jeune homme qui avait conduit Balsa lui avait bandé les yeux afin de conserver cet emplacement secret et caché.

Ses yeux enfin libérés, Balsa suivit le jeune homme vers la forêt de l'autre côté de la rivière. L'herbe était très haute, environ à hauteur de genou, dans la plupart des endroits et le chemin était juste assez large pour qu'une personne puisse passer à la fois. Balsa entendit un bruit étrange comme un sifflement ou de la musique. Les villageois soufflaient dans des tiges d'herbe comme de minuscules flûtes. Elle éclata de rire. L'homme l'accompagna, contaminé par son fou rire. Après tout, ne dit-on pas que le rire était contagieux ?

« Qu'est-ce qu'il y a, dame Balsa ? questionna l'homme.

- Je me souviens quand le père de mes enfants leur a montré comment faire des flûtes d'herbes. Ma fille aînée ne devait pas avoir plus de quatre ans. Quand elle a compris l'astuce de faire du bruit avec, plus rien ne pouvait l'arrêter de nous écorcher les oreilles avec. Sa Grand-Mère a dû lui confisquer le temps du repas.

- Oh... vraiment ?

- Oui ! Hahaha. »

La rivière qui apparut devant eux était peu profonde, alors ils n'eurent aucune difficulté à la traverser. Ils gravirent une pente raide. Les prairies reculaient à chaque pas derrière eux, laissant place à une zone boueuse et rocheuse. Les pierres protégeaient les berges de l'érosion, ce qui contribuait à protéger les maisons souterraines des Kashal. L'homme s'arrêta brusquement au-dessus d'une épaisse touffe d'herbe. Il cogna délibérément deux fois du pied. L'herbe remua, puis se sépara, révélant deux personnes cachées dans un trou.

« C'est la maison de notre chef, la renseigna-t-il. »

Balsa s'accroupit en premier et regarda à l'intérieur. Il y avait des marches grossières menant à un niveau encore plus bas, bloqué par un homme d'âge moyen. Lorsqu'elle rencontra son regard, il hocha la tête.

« Bienvenue. Veuillez entrer. Notre chef vous attend. »

Les escaliers étaient très étroits. Balsa devait se pencher pour ne pas se cogner la tête en descendant. Une fois au bas des escaliers, elle resta surprise. La pièce était très grande et suffisamment haute pour s'y tenir debout confortablement. Elle était également très éclairée : aussi claire que le jour. La lumière provenait du soleil. Il y avait de minuscules interstices dans le mur qui laissaient entrer les rayons chauds. Elle était jaune, comme si la pièce était plongée dans une luminosité dorée. Tout semblait blanc : les murs, le sol, le plafond. Seul le foyer était noir de suie non nettoyée. Des étagères bordaient les murs. Il y avait des boîtes de fournitures, des cruches d'eau et d'autres liquides, ainsi que des poupées et des jouets pour enfants. L'air sentait bon, comme le sucre et les bonbons.

Il y avait une table basse où l'on pouvait manger au milieu de la pièce. Une femme grassouillette un peu plus âgée que Balsa était assise à la table avec un bébé sur ses genoux. Un vieil homme aux cheveux blancs était assis à côté d'elle. Le bébé était silencieux, dormant comme une bûche. Quand la femme aperçut l'invitée, elle se leva de sa chaise et passa le bébé au vieil homme.

Elle sourit et lui fit signe.

« C'est un plaisir de vous rencontrer, la salua-t-elle. Je suis Ahal Tohasa, du clan de la rivière Tohasa. Vous devez être Balsa la lancière.

- Oui, répondit-elle. »

Balsa était un peu confuse. Elle ne savait presque rien sur les familles Kashal de Rota. Elle s'était attendue à ce que le chef des Kashal soit un homme ou du moins, un guerrier, mais Ahal Tohasa semblait être une femme tout à fait ordinaire. Cette dernière rit quand elle vit l'expression de la nouvelle arrivante.

« Je vois, comprit Ahal. Vous ne pensez pas que je ressemble beaucoup à un leader, n'est-ce pas ? Je sais que je ne ressemble pas à grand-chose, mais il y a beaucoup de choses que je peux faire. Si ça m'est possible et profitable, je le fais. Sinon, je n'aurais pas été choisi. Mais laissons de côté les premières impressions. S'il vous plait, asseyez-vous. »

La guerrière se plaça en face d'Ahal et s'assit de façon à lui faire face directement.


Après avoir discuté des récents événements concernant la perte de certains de ses sujets, la leader des Kashal en vint au sujet qui intéressait le plus Balsa : Chagum.

« C'est comme l'a dit le Prince Héritier Chagum. Essayer de vous interroger, c'est comme essayer d'obtenir de la soupe d'une pierre.

- Vous avez vu le Prince Héritier Chagum ?! s'exclama-t-elle.

- Oui, sourit Ahal vivement. Je vous l'aurais dit plus tôt, mais bon, nous ne sommes jamais trop prudents ces temps-ci. »

Elle raconta quelques péripéties qu'il avait fait, notamment, dupée la petite-fille d'un seigneur Rotan, amoureuse de lui, après l'avoir convaincue de sortir se promener dans le jardin avec lui, à minuit... seuls. Balsa sourit également. Imaginer Chagum se faufiler hors de sa chambre pour un rendez-vous secret avec une jeune femme était un scénario très à l'eau de rose. Mais après tout, il avait vingt-trois ans !

Ahal se leva. Elle retira un unique parchemin d'une étagère au mur et se tourna vers son invitée.

« Le Prince Héritier Chagum a beaucoup parlé de vous. »

La lancière retint son souffle et leva les yeux vers elle.

« Quand il nous a dit qui il était, j'ai décidé de lui poser des questions sur son passé : pour vérifier son identité et découvrir quelles parties des chansons chantées à son sujet étaient vraies. Le Prince Héritier Chagum a semblé choqué que je lui demande une telle chose. Il n'a pas voulu répondre à mes questions, mais il a laissé cette lettre ici au cas où nous vous trouverions, peu importe où à Rota. Il voulait que nous vous disions qu'il était en sécurité et quels étaient ses plans.

- Quand vous a-t-il remis cette lettre ?

- Le jour même où nous vous avons amené ici, dans l'après-midi. »

L'énergie de Balsa frappa les esprits comme un coup de fouet. N'importe quels médiums en auraient eu le souffle coupé. Elle regarda Ahal avec une expression sévère et très dure. Ses yeux bruns étaient devenus noirs !

« Vous deviez savoir qui je cherchais quand vous m'avez amené ici, lui reprocha-t-elle durement. Pourtant vous l'avez renvoyé trois jours auparavant. Vous m'avez confiné ici pendant tout ce temps. Pourquoi feriez-vous ça ? Pourquoi ne m'avez-vous pas laissé partir avec lui, ou du moins être en mesure de le suivre ?

- Il nous l'a demandé, répondit simplement Ahal. »

Elle tendit le parchemin qu'elle tenait à Balsa.

« Il a écrit ceci pour vous. Il l'a écrit devant moi et s'en fichait que je le lise ou non. Tout ce qu'il voulait, c'était que je vous le livre. »

Balsa parvint à se calmer un moment et accepta la lettre avant de commencer à la lire. C'était écrit en Rotan, d'une main ferme et nette.

« Balsa,

Je sais que tu me cherches, grâce à Jin et à Mon. Merci. Je n'ai pas de mots pour te dire à quel point je suis heureux que tu aies fait tout ce chemin jusqu'à Rota en toute sécurité. Je voulais te voir quand tu as rencontré l'autre Kashal, mais je n'ai pas pu. Je dois te demander d'arrêter de me chercher. Je suis certain que ta famille adorée a plus besoin de ton aide que moi.

Le Nouvel Empire de Yogo sera bientôt en guerre. Si je ne réussis pas dans mon plan, et bientôt, alors chaque ville, chaque village et chaque champ deviendra une nappe de feu. Retrouve ta famille et fuyez ensembles vers les montagnes pendant qu'il est encore temps. La Grotte des Chasseurs devrait bien fonctionner comme cachette pendant ce temps-là.

Tant que je sais que vous êtes tous vivants quelque part, je peux continuer d'essayer. Je vais bien, Balsa, vraiment. S'il te plaît, ne t'inquiète pas pour moi. Je jure que je reviendrai un jour sain et sauf au Nouvel Empire de Yogo, quoi qu'il arrive. »

Une fois la lecture terminée, des larmes roulaient sur ses joues. Elle baissa les yeux sur la lettre et la relut, pour être sûre d'avoir bien saisi le message. Bien qu'elle fût heureuse que Chagum soit en sécurité, elle préférerait de loin le protéger par elle-même. L'idée qu'il l'avait délibérément abandonnée faisait mal à son cœur de maman.

« S'il vous plaît, ne vous inquiétez pas, essaya de la rassurer la leader des Kashal. Je l'ai envoyé directement au Prince Ihan de Rota, avec une escorte. Il sera parfaitement en sécurité. »

Balsa hocha la tête.

« Allez-vous rentrer chez vous ? demanda-t-elle doucement. J'ai votre lance ici et votre sac, mais vous ne semblez pas avoir beaucoup d'argent ou de choses. Nous pouvons vous donner ce dont vous avez besoin. Il suffit de demander.

- Merci, sourit la guerrière Kanbalese. Mais je suis bien. J'ai pas mal d'argent caché dans mes vêtements et j'ai l'habitude de voyager. Si possible, je voudrais vous emprunter un cheval. Je le laisserai à Tsuram chez un palefrenier pour que vous puissiez venir le récupérer.

- Bien sûr, nous vous prêterons un cheval. Où allez-vous le retourner, plus précisément ?

- Sur la rue Okul, à l'auberge Taku Hol. Ma monture y est. J'ai payé à l'avance plus d'une semaine, il est donc probablement toujours là.

- Je connais l'auberge Taku Hol. C'est juste au bord de la mer. Laissez le cheval là-bas et nous viendrons le récupérer. »

Le mari d'Ahal ramassa sa lance et la lui redonna. La lumière qui filtrait par les trous du mur avait diminué et virait au rouge. C'était presque le coucher du soleil.

Il était minuit dépassé lorsque Balsa atteignit le port de Tsuram. Il y avait encore beaucoup de monde autour de l'auberge Taku Hol, louant ou ramenant des chevaux. Certains revenaient manifestement de tavernes ou de jeux de hasard. Ils appelaient leurs amis d'une voix légère pendant qu'ils faisaient leurs affaires. Lorsque Balsa entra dans l'auberge, le propriétaire semblait mécontent et se tenait avec un autre homme, sans doute son ami. Il lui dit qu'il avait failli vendre sa monture et ses affaires pour récupérer ses pertes.

« Je suis désolée d'avoir été absente si longtemps, s'excusa-t-elle. J'ai été... inévitablement détenue. Mais ne vous ai-je pas payé dix jours d'avance pour commencer ? rappela-t-elle en s'approchant de l'âtre et frottant ses mains glacées l'une contre l'autre.

- Hum... Si vous ne l'aviez pas fait, vos chevaux seraient déjà partis, rétorqua-t-il, pas du tout convaincu. »

Il posa ses mains sur ses genoux et se leva dans une plainte. Il traversa la pièce et récupéra un trousseau de clés dans un endroit caché dans le mur. Il tripota un instant les clés, puis en donna une à Balsa.

« Voilà. La cuisine est fermée et les feux ont été éteints, je ne peux donc pas vous nourrir ce soir. Mais les bains sont toujours ouverts si vous en avez besoin. »

La lancière hocha la tête en acceptant la clé. L'aubergiste jeta un coup d'œil à son visage.

« Votre visage est pâle. Allez-vous bien ? la questionna-t-il.

- Vraiment ? se surprit Balsa en le regardant. Pourtant, je me sens bien.

- Restez ici pour la nuit. Vous aurez probablement un rhume demain matin. Vous devriez m'écouter. »

Il se détourna d'elle et quitta la pièce. Il se dirigeait vers la cuisine. La nouvelle arrivante se tenait proche du feu avec l'ami de l'aubergiste. Il lui tendit son verre plein.

« En voulez-vous, madame ?

- Merci, mais je vais refuser. Je n'aime pas boire à jeun. »

L'aubergiste revint dans la pièce, portant une marmite et une assiette en bois.

« Ce n'est pas bon pour la santé d'aller au lit le ventre vide, dit-il d'un ton bourru en posant la marmite sur le feu pour en réchauffer le contenu. Peut-être que les jeunes peuvent s'en tirer en sautant un repas ou deux, mais ces vieux os ne le feront pas. Je sais que vous êtes une femme encore assez jeune. Vous devez rester en bonne santé pour pouvoir avoir des enfants.

- Ouf ! soupira Balsa, presque désespérée. Non merci, mon horloge biologique se tient très bien comme elle est en ce moment. J'ai eu six enfants jusqu'à maintenant, et cinq ont survécu, c'est suffisant pour mes quarante-et-un ans maintenant. Je ne pense pas être en mesure de revivre à nouveau les douleurs de l'accouchement...

- Et alors ? Ma mère m'a eu quand elle avait quarante-cinq ans. »

Il souleva le couvercle en fonte de la marmite, révélant un ragoût appelé raru. Il devait en rester dans la cuisine. Il y avait une légère pellicule d'huile sur le dessus, mais elle disparut lorsque l'aubergiste la remua. De la vapeur s'éleva de la marmite, répandant un arôme agréable dans la pièce.

« Ma mère a eu vingt enfants âgés de seize à soixante ans, dit-il. Dix-huit d'entre eux ont vécu jusqu'à l'âge adulte. Ma femme a eu dix enfants, et sept ont survécu et grandi. Enfin, bref. Tant que vous êtes heureuse avec votre vie actuelle, c'est l'important. »

Une fois le ragoût bouillonnant, l'ami de l'aubergiste en versa dans l'assiette en bois avant de l'offrir à Balsa. Une fois sa portion terminée, elle les remercia avant de retourner dans sa chambre. Cette auberge était assez grande, il y avait de nombreuses chambres d'alignées le long d'un couloir. Tout était silencieux. La plupart des personnes qui avaient loué une chambre devait déjà être endormis. Le couloir était froid. Une fois dans la chambre, Balsa s'assit sur le lit. Elle regarda un moment l'obscurité, puis fit face à la fenêtre, d'où on pouvait voir les lumières d'un jeu de hasard de l'autre côté de la rue. Elle entendait les cris des hommes et les rires aigus des femmes, portés par le vent, tantôt forts et tantôt doux comme la montée d'une marée.

Alors qu'elle prenait un bain, elle se mit à réfléchir aux possibles scénarios. La guerre au Nouvel Empire de Yogo commencerait probablement au début de la nouvelle année, après la fonte des neiges profondes. C'est ce qu'Hugo lui avait dit. Chagum l'avait suppliée de fuir dans les montagnes à la Grotte des Chasseurs avec sa famille avant que la guerre n'éclate.

Le visage de chacun de ses enfants apparut à tour de rôle dans son esprit. Sa décision se prit presqu'instantanément. Elle retournerait dans les montagnes au Nouvel Empire de Yogo dès le lendemain, aux aurores. Elle n'était qu'une personne. Elle n'était pas assez forte ou assez influente sur un peuple pour arrêter une guerre entre nations, mais elle se savait assez forte pour protéger les personnes qui lui étaient le plus importante : sa famille.

De retour dans sa chambre, Balsa s'en voulait maintenant de s'être séparée de sa fille aînée et de sa bru, mais elle devait leur faire confiance. Tanda savait déjà que s'il y avait quoique ce soit, il devait fuir à la grotte, mais la lancière ne se souvenait pas d'en avoir fait part à sa fille. Il n'y avait aucun moyen pour qu'elle puisse la prévenir et la contacter. Elle n'était pas une magic-weaver qui pouvait communiquer avec les esprits de la nature et faire passer des messages comme Torogai. Balsa poussa un faible juron, maudissant sa propre impuissance, lorsqu'une idée éclair lui frappa la tête.

« Les esprits ! s'écria-t-elle, telle une évidence. Mais oui ! »

Alika lui avait tellement parlé des gardiens spirituels et des esprits qui la suivaient que Balsa savait qu'eux l'écouteraient et feraient passer le message jusqu'à la jeune médium. Elle chercha rapidement le nom d'un esprit en particulier et, naturellement, Jiguro lui vint en tête. La guerrière ferma les yeux et pria de toute son âme son père, à la fois mentor et protecteur.

Jiguro... si tu m'entends, s'il te plait, avertis ta petite-fille et Amaya qu'elles doivent nous rejoindre à la Grotte des Chasseurs le plus rapidement possible... je compte sur toi, Papa.

Elle rouvrit les yeux, se sentant un instant soulagée, quoiqu'un peu sceptique de prier une entité. C'est alors que sa lance, qui reposait dans le coin du mur, tomba sur le sol, la faisant sursauter. S'en suivit rapidement, subtilement, d'une odeur légère de musc. Cette odeur lui était si familière que Balsa comprit que sa demande avait été entendue et que Jiguro s'occupait de veiller sa fille. Sur ce, elle s'endormit rapidement.


Balsa se réveilla à l'aube avec la lumière naturelle du matin qui pénétrait par la fenêtre. Elle entendait les gens s'agiter et commencer leur travail de la journée. L'odeur appétissante de la friture de pain sans levure lui parvint au nez et l'odeur de la cuisine flottait dans toute l'auberge. Elle reconnut le bam. Le bam frit était un petit-déjeuner courant pour les habitants de Rota.

Bien que la lancière soit réveillée, elle avait du mal à se débarrasser de la sensation de son rêve. Elle avait rêvé que Tanda s'était endormi dans ses bras après avoir fait l'amour. Elle avait pleinement ressenti une montée de libido et aurait pu se réveiller dans un orgasme. Balsa n'avait pas pour habitude de faire des rêves à connotation érotique...

Elle observa sa chambre d'un air légèrement déçu. Elle était encore plongée dans la chaleur et le souvenir de son rêve, ses sensations. Balsa soupira et se retourna dans son lit pour fixer le plafond. Elle se tapa légèrement sur les deux jours pour s'aider à sortir de sa transe nocturne. Elle savait de toute façon qu'elle retrouverait bientôt sa famille et ses enfants. Avec un peu de chance, Alika serait aussi de retour et les attendrait à la Grotte des Chasseurs.

La première neige était tombée dans le nord de Rota. Balsa plaça sa paume sur le tronc d'un arbre, observant la scène devant elle depuis le couvert des bois. Au loin dans la vallée fluviale en contrebas, une forteresse était en construction le long de la route. Elle se souvenait que cette route était très fréquentée, mais il n'y avait aucun signe que des personnes la parcouraient maintenant. Elle avait pensé voyager vers le sud depuis les Montagnes de Brume Bleue. C'était plus facile à dire qu'à faire. De nombreuses routes principales et communes avaient été bloquées. Comme elle n'avait aucune envie de contourner les blocages, elle avait coupé à travers les montagnes à la place. Il y avait maintenant de nombreuses forteresses dans les montagnes qu'elle n'avait jamais vues auparavant et elle ressentait toujours un vague sentiment de malaise – et un brûlant sentiment d'impatience – chaque fois qu'elle passait devant une autre forteresse ou un blocus.

Balsa écoutait le chant des oiseaux en descendant le sentier de la montagne. Les arbres avaient commencé à perdre leur feuillage et bientôt, le Nouvel Empire de Yogo tomberait dans la saison froide. Le paysage devint familier et elle sut qu'elle était de retour à la maison. Plus elle approchait la clairière, plus il lui semblait entendre les voix familières de ses enfants. Elle arriva à destination pour y apercevoir ses petits jumeaux qui se chamaillaient sur le sol, encore une fois. Ne prenant pas la peine de déposer ses bagages, elle se précipita vers ses enfants pour les séparer.

« Ça suffit vous deux ! leur dit-elle. »

Les jumeaux figèrent en la voyant. Ils furent si contents qu'ils en oublièrent la cause de leur chamaillerie et lui sautèrent au cou.

« Maman ! dirent-ils.

- Bonjour, mes trésors.

- Tu es revenue ! ajouta Karuna.

- Mais bien sûr que je serai revenue pour vous. »

Elle se redressa et ils se dirigèrent vers le refuge. Tanda sortit la tête, en suivant son intuition et sourit en voyant sa femme de retour parmi eux. Il déposa un doux baiser sur ses lèvres.

« Bienvenu à la maison, mon amour, murmura-t-il. Comment s'est passé ton travail ?

- Très bien. Alika et Amaya se sont séparées de moi après avoir mené nos clients... elles sont sans doute encore en train d'escorter une autre famille de marchands Rotan ou Kanbalese à travers les montagnes. Amaya se débrouille franchement bien.

- Content d'entendre ça.

- De plus... il y a de fortes chances que Chagum soit encore en vie, annonça-t-elle alors que Motoko lui sautait dans les bras.

- Maman ! s'écria-t-elle.

- Bonjour mon cœur. »

Balsa reporta son attention sur son mari. Elle lui passa la lettre que Chagum avait écrite. Tanda essuya ses larmes et comprit le message après la lecture.

« Nous devons partir maintenant, déclara Balsa.

- Mais, Maman, rétorqua Motoko. Alika-Onee-ny-chan n'est toujours pas revenue avec 'Maya-Chan...

- Mon cœur, nous n'avons pas le temps de les retrouver. Ce serait impossible avec la limite de temps que nous avons. Ta grande sœur sait déjà qu'elle doit venir nous rejoindre à la Grotte des Chasseurs. »

Sa fille fit la moue.

« Il faut aussi retrouver Nao, ajouta la lancière. Lui, au moins, nous savons où il est.

- Balsa, tu es épuisée et exténuée, lui reprocha Tanda. Restes ici avec les enfants.

- Mais ton fils est en danger au village de Toumi. Il faut que j'y aille !

- Fais confiance à Maître Torogai. Et dans l'état dans lequel tu es, tu n'atteindras pas ce village d'antan en moins de quatre jours. »

Il vit la lueur de ses yeux changer et les vit briller de plus en plus.

« Mais je ne mériterai plus le titre de Maman si je ne vais pas le chercher, Tanda... Alika est assez vieille pour prendre soin de sa propre sécurité, mais notre fils...

- Moi non plus, je ne mériterai plus autant le titre de Papa si je ne vais pas le secourir... »

Il y eut une courte pause. Tanda invita Balsa à l'intérieur et commença à préparer ses choses. En fait, il les finalisait. Il avait déjà pris de l'avance et avait presque tout mis dans ses sacs pour le voyage. Il déposait son sac sur ses épaules quand il embrassa sa femme à nouveau.

« Je vais aller le chercher. C'est plus sûr.

- Mais...

- Va en direction de la Grotte des Chasseurs, maintenant ! Ne te retourne pas et emmène les enfants avec toi ! »

Elle soupira et regarda ses plus jeunes enfants qui la regardaient, confus. Tanda n'était peut-être pas un guerrier, mais il avait aussi son côté têtu et courageux, à sa façon.

« Votre père est fou parfois... Allons-y, nous n'avons une minute à perdre. N'emmenez que le nécessaire.

- Mais Alika-Onee-ny-chan... et Papa..., s'inquiéta Motoko dans un murmure.

- Nous devons leur faire confiance, c'est tout ce que l'on peut faire pour eux. »

Elle prit la boîte de Kasem et aida ses enfants à ne prendre que le nécessaire pour le voyage. Elle bloqua la porte avant de partir en direction de la Grotte des Chasseurs. Motoko prit son petit frère Jiguro sur son dos alors que Balsa prenait Karuna dans ses bras, utilisant un raccourcit.


La clairière était déserte lorsqu'un homme se pointa le bout du nez. Généralement, Tanda était toujours-là. Mais désormais, plus de douze ans s'étaient écoulés depuis la dernière fois qu'il avait croisée l'herboriste.

Noshir regarda son bout de papier avec un mince tissu bleu représentant l'armée de Yogo. Il était le frère aîné de Tanda de neuf ans. Le recrutement pour l'armée continuait encore son mouvement et parmi les villages Yakue, celui où les deux frères de Tanda habitaient, une quinzaine d'autres hommes avaient été choisi au hasard. Kaïza, leur plus jeune frère, avait été choisi pour server le Mikado contre l'envahisseur.

Mais comme il venait d'avoir un nouveau-né, une magnifique petite-fille, pris au dépourvu, il avait demandé de l'aide à Noshir. Immédiatement, l'aîné avait vu l'opportunité de se débarrasser de son petit frère étrange et inutile à la famille – à savoir Tanda –, trouvant comme mensonge que c'était un choix de la famille et non pas par pur décision égoïste venant de sa part. Malheureusement, il ne trouva pas Tanda comme il l'avait espéré.

« Ce bon à rien à peut-être finalement été aussi enrôlé dans l'armée, hasarda-t-il. Peu importe... »

Noshir jeta la lettre et le bout de tissus dans le petit étang, cracha sur le sol, se fichant complètement des bonnes manières et retourna se prélasser dans son village. Le sort de sa famille ne l'importunait pas. Ses sœurs étaient juste bonne pour la reproduction de l'espèce humaine, et Tanda pouvait être manipulé facilement, ce qui faisait de lui une proie facile. Seul Kaïza était important aux yeux de Noshir.

Il ignorait bien sûr que les esprits l'avaient épié et que la majorité d'entre eux détestaient son énergie...