Update 2022

Kazoku no Moribito

Gardien de la famille

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Partie II


Chapitre 12

Amour d'une Mère

Il commençait à neiger lorsque Balsa arriva à mi-chemin entre la Grotte des Chasseurs et leur maison. Seule, elle aurait eu plus de vitesse, mais à ce moment-là, c'était différent. Elle était en présence de ses enfants : des enfants qui, contrairement à elle, ne s'étaient jamais aventurés au-delà de leur forêt familiale ni voyagés comme des nomades. Elle faisait des rotations de temps en temps : chacun de ses enfants, à tour de rôle, montait sur son dos pour se reposer. Elle était bien au courant qu'ils n'avaient pas du toute la même endurance qu'elle. Elle vit une petite grotte qui était déserte.

« Nous allons nous arrêter pour la nuit, ici. »

Dès qu'elle entendit ses trois enfants soupirer de soulagement, elle devina qu'ils avaient peut-être marchés plus longtemps que d'habitude. Elle alluma un feu, sortit de la viande séchée et laissa ses enfants manger avec appétit. Jiguro se frottait les jambes en poussant de petites plaintes.

« Tes jambes te font mal ? demanda-t-elle.

- Oui...

- Attend, j'ai quelque chose qui peut aider. »

Elle fouilla dans son sac et en ressortit une pommade. Elle retroussa ses pantalons et commença les frictionner maternellement.

« Maman, est-ce qu'on arrive bientôt ? questionna Motoko alors qu'elle avalait un morceau de viande séchée.

- Dans trois jours nous devrions être arrivés.

- C'est long, se plaignit Jiguro.

- Ça va passer vite, crois-moi. »

Balsa prit à son tour un morceau de viande avant de s'accoter, dos à la parfois rocheuse de la caverne.

« Maman, où tu penses qu'ils sont ? continua de questionner sa fille.

- Qui ?

- Alika-Onee-ny-sama, Papa, Grand-Mère et Nao ?

- Ils sont sûrement en route pour la Grotte des Chasseurs.

- Est-ce qu'on va les retrouver là-bas ? »

Motoko réemballa les noix et la viande dans le sac de provision avant de s'approcher de sa mère et s'y coller.

« Oui, nous allons les retrouver à cet endroit. »

Les jumeaux se collèrent contre elle à leurs tours, et Balsa les couvrit de sa cape alors qu'elle avait déjà mis un manteau plus chaud sur ses épaules.

« Maman ? l'appela Karuna.

- Oui, mon poussin ?

- Est-ce qu'on va mourir ? »

Le cœur de Balsa se serra en entendant sa question. L'enfant était terrifié au fond de lui. La lancière n'avait jamais eu peur de la mort. Elle savait que ses enfants survivraient en sa présence. Elle était une voyageuse dans l'âme et savait survivre dans la nature. Son cœur se serrait parce que ses enfants étaient vulnérables et qu'elle était la seule sur qui ils pouvaient compter et s'appuyer. Elle les colla contre son corps et replaça la cape pour ne pas qu'ils prennent froid.

« Je ne permettrais jamais que vous mourrez, tous les trois. Je ne vous laisserai pas mourir, même si cela doit me coûter la vie. Je vous protégerai coûte que coûte.

- Tu pourrais mourir de faim pour nous ? paniqua Motoko.

- Oui, je serais prête à le faire.

- Tu pourrais mourir de froid aussi ?

- Pour vous garder au chaud, oui. Je serai prête à tout pour vous. Une mère ferait tout pour ses enfants. Aller, dormez un peu avant de reprendre la route, je vais monter la garde.

- Oui, bonne nuit Maman. »

Ils sombrèrent un à un dans un sommeil agité. Au fond d'elle-même, Balsa se sentait épuisée et abandonnée. Elle ne savait pas si Tanda était arrivé au village de Toumi sans se faire repérer : il n'avait jamais été bon pour dissimuler ses traces, même s'il aimait prétendre avoir un meilleur sens que tous les samuraïs du pays. Quant à sa fille aînée, Alika ne donnait aucun signe de vie et ça faisait un moment que Balsa ne l'avait pas revue. Elle espérait de tout son cœur que rien ne soit arrivé à sa fille et sa bru en chemin. Elle essayait de garder espoir malgré tout...


Dès que Balsa rouvrit les yeux, elle se libéra de l'emprise de ses enfants, prenant le risque de les réveiller. Elle fit chauffer de l'eau pour un thé sucré et fit un gruau de blé – c'était plus simple et pratique en voyage à comparer du gruau de riz. Ils se remirent en route et elle effaça toutes traces de leur passage.

Ils croisèrent en route des familles qui fuyaient la guerre eux aussi. Certains avaient même embauché des gardes. En s'éloignant de nouveau dans la forêt, tout redevint plus calme à leurs oreilles. Elle fit descendre Karuna de son dos et décida de faire marcher ses fils un peu.

« Ça va toujours ? s'inquiéta-t-elle quand même.

- Oui, moi, en tout cas, répondit Motoko en tenant la main de son petit frère Jiguro.

- Moi aussi, ajoutèrent les jumeaux en même temps.

- Super. Nous devrions être proches.

- Maman, à quoi ressemble la grotte ?

- À une petite maison creusée à même la roche. De l'extérieur, ça a l'air de rien. Mais à l'intérieur, c'est très grand. On est bien.

- J'ai hâte d'arriver là.

- Je suis sûre que ça va vous plaire. »

Après de longues journées de marche, tout en surveillant leurs arrières et en restant prudents, Balsa atteignit enfin la Grotte des chasseurs, Motoko sur son dos et les jumeaux trottant derrière elles.

« Et voilà la Grotte des Chasseurs.

- C'est petit, se désola Motoko. »

La petite glissa du dos de sa mère, une moue de déception collée au visage.

« C'est beaucoup plus grand que ça en a l'air, la rassura Balsa, amusée. Venez à l'intérieur, nous aurons des provisions et de la chaleur. »

La garde-du-corps avança et vit les traces de pas sur le sol. Elle sourit.

« Entrez, dit-elle en poussant la pierre.

- C'est quoi cet endroit, Maman ? piailla Motoko, folle de joie.

- La grotte voyons.

- Je sais, je sais. Mais ici ?

- Ici, nous entrons dans le vestibule. C'est un peu froid et caverneux néanmoins, alors nous avons creusés des salles un peu plus loin. La cavité à droite est tellement profonde qu'elle en est ramifiée et en devient un Labyrinthe. Je vous interdis formellement d'y aller, par peur de vous égarer et de ne plus jamais en ressortir. Suis-je clair ? »

Elle observa surtout Karuna, sévèrement, qui hocha positivement la tête d'un geste rapide.

« Sinon, il y aura des conséquences, dont pour vous les jumeaux : pas de lance avant huit ans.

- C'est pas juste ! parla Jiguro pour leur duo. À sept ans comme Ali-Neechan et 'Toko-Neechan. Promis !

- Bien. Il y a une source d'eau potable dans celle du milieu, avec les bains et celle de gauche est notre maison généralement... Tanda ? appela-t-elle, proche de l'entrée de gauche. »

La porte en bois s'ouvrit sur son mari et sur Nao. Aussitôt, une première inquiétude s'envola en voyant qu'ils avaient réussi à atteindre la grotte en toute sécurité. Son soupir de soulagement ne passa pas inaperçu.

« Je savais que tu viendrais, Balsa, dit Tanda avec soulagement en la prenant dans ses bras.

- Pas de blessés ?

- Non. Enfin... »

Il regarda son bras enveloppé dans un bandage blanc avant de sourire bêtement.

« Qu'est-ce qui est arrivé à ton bras ? questionna sa femme en voyant le bandage blanc.

- Je me le suis un peu foulée quand je jouais avec les jumeaux...

- Ah... Alika n'est pas de retour avec toi ?

- Non. Elle n'est pas avec toi non plus ? Je croyais qu'elle vous aurait rejoint ici...

- Non plus. Je pensais le contraire... »

Les deux parents se regardèrent, la même lueur d'inquiétude et de panique dans les yeux. La seconde inquiétude de Balsa s'amplifia et un nœud se forma dans son estomac.

« Papa ! s'exclama Motoko en tendant ses bras, sortant Balsa de ses pensées. Prend-moi dans tes bras.

- Je ne peux te prendre que d'un seul...

- Pas grave... »

Il se pencha à son niveau.

« Non ! répliqua-t-elle en changeant d'idée. Donne-moi un câlin !

- Un câlin dans ce cas. »

Il relâcha Motoko et emmena les nouveaux arrivants dans la pièce de gauche; celle qui leur servait de maison. Les jumeaux se mirent à courir de joie dans cet immense endroit.

« Ah oui, Balsa..., l'interpella son mari. Il y a d'autres gens ici.

- Qui ? »

Tomoe apparut dans son champ de vision. Motoko cria haut et fort son nom avant de sauter dans ses bras. Balsa ne comprit pas ce qu'elle ressentait à ce moment, mais en regardant Tanda, elle laissait présager qu'elle ne l'aimait déjà pas...

« Du calme, ma chérie, c'est une amie que j'ai rencontré au Bas Ougi. Elle a du sang Yakue et je ne voulais pas la laisser seule dans la guerre.

- Ah..., répondit-elle simplement avant de continuer à avancer. Ouais, moi aussi je ne voulais pas laisser notre fille aînée seule dans cette guerre, répliqua-t-elle d'un ton sec avant de continuer son chemin. »

Tanda regarda Tomoe d'un regard navré, alors que Motoko ne voulait pas la lâcher d'une semelle.

« Ma femme est juste très inquiète au sujet de ma fille aînée. Elle n'est pas avec nous ni avec sa mère...

- Ta femme me déteste déjà, nota Tomoe. Ça se ressent dans son énergie.

- Il lui faut parfois beaucoup de temps pour qu'elle apprécie une personne.

- Moi, je ne déteste pas, sourit Motoko.

- Tu es drôle et mignonne, Motoko-Chan, la complimenta la jeune femme Yakue.

- Et Maman va finir par t'aimer un jour. Elle va être obligée de t'aimer ! »

La lancière était redevenue taciturne et croisa Torogai qui se délectait déjà d'alcool. Elle vit alors Saya et Tohya avec leurs trois enfants qui jouaient déjà avec les jumeaux. Elle se sentit soulagée temporairement et sa colère se dissipa l'espace d'un instant.

« Balsa-San ! se réjouit Saya en se levant.

- Saya, Tohya ! Je suis contente de vous voir. Aucunes grandes pertes pour votre boutique ?,

- Non, la rassura Tohya. Juste beaucoup de préparatif.

- Alika n'est pas avec toi ? s'enquit Saya. »

La lancière hocha négativement de la tête sans pour autant cacher son inquiétude. Tanda vint lui demander si elle voulait prendre un bain.

« Oui, et j'emmène Motoko avec moi, termina-t-elle en regardant sa fille, toujours dans les bras de Tomoe.

- Mais... Maman, mon bain peut attendre à—

- Pas de mais, tu viens avec moi. Nous nous couchons tôt ce soir, nous sommes épuisés et nous n'avons toujours pas Alika avec nous. »

Elle avança vers Tomoe et se planta devant elle en croisant les bras en attendant la réponse de sa fille. L'atmosphère était tendue. Tomoe était prête à relâcher Motoko, mais la petite s'agrippait fortement à elle.

« Tu devrais y aller, Motoko, essaya de la convaincre Tomoe.

- Non ! »

Tanda serra les dents et essaya de calmer Balsa, à nouveau, même s'il connaissait déjà l'issue de cette confrontation.

« Balsa, si c'est que tu penses, tu as tort. »

Elle rit jaune et tourna son regard, qui avait changé, vers lui. Un regard de confrontation, sans cligner des yeux, comme un combattant prêt à entrer dans le ring.

« Fais-moi rire. Nous sommes en temps de guerre, nous ne nous sommes pas vus depuis deux semaines déjà. J'arrive ici, il y a une étrangère parmi nous, Motoko lui saute déjà dessus comme si elle la connaissait déjà de base et ensuite, Alika manque à l'appel.

- La fatigue et l'inquiétude qui te rongent affecte ton jugement. Je te jure qu'il ne s'est rien passé entre nous.

- C'est vrai ! s'y mit Motoko.

- Ne te mêle pas de ça, Motoko, l'avertit durement sa mère.

- Si je ne peux pas m'y mêler, je prendrai pas mon bain avec toi.

- Parfait, fais ce que tu souhaites.

- Balsa, attend— allait l'arrêter Tanda. »

Mais Balsa était déjà loin et ils entendirent la porte de la deuxième cavité claquer dans le vestibule.

« Tu aurais peut-être mieux fait de me laisser dans cette guerre à la place de ta fille aînée..., commença à penser Tomoe.

- Non, ma femme est épuisée et quand quelque chose l'inquiète beaucoup, elle perd un peu son sens du jugement. Son sang de guerrier aux aguets est de nouveau réveillé. Habituellement, elle n'est pas comme ça. Maître Torogai, n'y a-t-il rien que vous puissiez faire... Maître ? »

Un ronflement se fit entendre : la chamane s'était littéralement endormie après avoir vidé une bouteille et demie d'alcool. Tomoe entra plus loin dans la pièce et déposa Motoko au sol alors qu'elle allait s'asseoir devant le feu.

« Est-ce qu'elle pourrait me jeter hors de la grotte ? demanda la femme Yakue à l'apothicaire.

- Si elle ose faire ça, je te jure que j'irai te retrouver et te ramener ici, essaya Tanda.

- J'ai l'impression de n'avoir emmené que des problèmes en venant ici.

- Ne prends rien de personnel, Tomoe. »

Elle tenta de sourire avant de perdre son regard dans les flammes.

« En fait, ça ne changerait pas grand-chose si je partais...

- Ne dis pas ça, s'attrista Motoko.

- Je n'ai plus de famille, Tanda-San, Motoko-Chan. Plus de père ni de mère. Mon plus petit frère a été enrôlé dans l'armée... Je n'ai donc plus rien à perdre... personne ne m'attend à l'extérieur. Pas même un ami ou un mari. »

Le silence se fit dans la pièce. Il n'y avait que la voix de Saya qui résonnait un peu plus loin : elle chantait une berceuse pour endormir ses deux filles plus jeunes. Tomoe allait se lever quand Tanda la retint par la main.

« Alors, reste avec nous. Je te promets de te protéger des excès volcaniques de ma femme. Certes, nous avons eu beaucoup de chicanes et de malentendus dans notre couple depuis que nous avons des enfants, mais nous sommes encore ensembles à ce jour. Je vais lui prouver que tu es une bonne amie, rien de plus ni de moins.

- ... Et si jamais je me mettais à éprouver de quoi pour toi, que ferais-tu ?

- Je serais navré pour toi puisque je suis déjà marié. Mais si c'est le cas, au fur et à mesure que le temps va avancer, l'amour qui rayonnait dans ton cœur comme un soleil d'été va s'atténuer. Tes sentiments vont s'adoucir, telle une brise d'automne. »

Tomoe serra les dents.

« Balsa fait peur, certes je te l'accorde... »

Il baissa le ton de sa voix et chuchota :

« C'est encore pire quand elle est enceinte et est sur le point d'accoucher... »

Son amie n'arriva pas à rire de cette petite blague, mais Tanda ne se laissa pas abattre et continua de lui parler pour l'apaiser.

« Je comprends que vous vous inquiétez pour votre fille aînée, sortit Tomoe. Je comprends que Balsa doit se faire un sang d'encre pour elle... ce qui est parfaitement normal en tant que mère. Mais en aucun cas, je ne veux vous détourner de votre objectif de la retrouver.

- Je n'ai jamais douté de cela, Tomoe. Je sais que tu serais prête à nous aider pour la retrouver. Balsa a juste besoin de t'apprivoiser, ça va lui prendre du temps, mais elle le fera.

- ... Et lui prouver que je ne te veux pas à moi...

- Exactement. »

Elle soupira alors que Motoko revenait sur elle avant de l'enlacer.


Balsa était enragée. Oui, elle-même se l'avouait. Pleins d'émotions la rongeaient de l'intérieur et elle ne savait pas comment les gérer convenablement. C'était un vrai capharnaüm dans sa tête. Tout en préparant l'eau du bain, elle réfléchissait. Dire qu'elle avait fait attendre Tanda tout ce temps parce qu'elle n'était pas sure de se poser et de ses sentiments. Au départ, c'était lui qui voulait lui demander de l'épouser, mais au final, elle avait fait le premier pas et maintenant que la guerre était sur le point d'arriver, il était avec une autre femme, étrangère dans le décor. Et Balsa ne la connaissait pas assez pour qu'elle la considère comme une simple amie à Tanda. Son orgueil était aussi en train de prendre le dessus et elle refusait de voir les deux côtés de la médaille. Elle était fière comme un coq de combat.

Elle retira lentement ses vêtements, détacha ses cheveux avant d'entrer lentement dans l'eau chaude.

C'est presqu'un luxe, dis donc..., pensa-t-elle en prenant le savon et en se lavant.

Puis, comme une évidence, l'image de sa fille aînée lui apparut en mémoire alors que le savon faisait de la mousse sur le dessus de l'eau clair.

« Alika... où es-tu ?... »

Sa vision s'embua et elle cligna rapidement des yeux pour empêcher ses larmes de couler.

« Alika... »

Elle remit le savon en place, se rinça les mains et ramena ses genoux proches de son corps avant d'y enfuir sa tête, ses longs cheveux à demi mouillé et immergé dans l'eau.

« J'avais promis de tous vous protéger... et même de vous retrouver... »

Elle resta dans cette position à pleurer, sans retenue, profitant de ce moment de solitude pour montrer sa faiblesse et sa tristesse. Après s'être soulagée un peu, elle attendit que ses yeux soient moins rouges afin d'éviter tout soupçon avant de se sécher, d'enfiler son kimono rouge et de sortir de la pièce. Sans adresser un mot à qui que ce soit, elle alla se coucher sur un futon, éloigné des autres.

Lorsque Tanda désira se coucher près d'elle, ou même lui caresser le bras, elle avait ramené ses membres proche d'elle en position fœtal et avait enfouit sa tête dans son oreiller. Tout ça avait été exécuté dans un élan qui fut plus brusque qu'elle ne l'avait espéré.

« Balsa...

- Ne me touche pas...

- Je...

- Laisse-moi dormir, Tanda, je suis fatiguée. Tu peux aller dormir avec ta...

- Ce n'est pas mon amante, Balsa. Et puis, elle dort avec Motoko si tu veux savoir. »

Elle ne dit rien d'autre et resta dans sa position. Elle sentit le matelas devenir plus léger. Tanda avait décidé d'aller dormir ailleurs. C'était mieux comme ça... Elle sortit un petit objet de son kimono et le regarda : c'était une petite étoile sculptée dans du bois. C'était un cadeau de fête des mères qu'Alika lui avait fait quand elle avait neuf ans.

« Quand je serai loin ou chez des amis, si tu t'ennuies de moi, tu auras qu'à le regarder et tu penseras à moi ! Ce sera un porte-bonheur, lui avait raconté sa fille en lui déposant le petit présent dans sa main. »

Balsa essuya ses larmes et s'endormit en serrant cet objet contre son cœur.


Une semaine s'écoula sans nouvelles d'Alika. Journées parmi lesquelles, Balsa ne dit presque pas un mot. Pas seulement à Tomoe, mais également aux autres. Seuls les enfants arrivaient à lui arracher quelques brides de conversations.

Les tensions entre elle et Tanda étaient palpables et vives. Toutefois, lorsqu'il surprit sa femme en train de maugréer dans son coin, il ne put s'empêcher d'essayer d'apaiser son énergie tourmentée.

« Les esprits nous ont abandonnés..., murmurait-elle. Ils sont justes-là pour nous voir tomber et rire de nous...

- Balsa ? l'appela Tanda.

- ... J'ai demandé à Jiguro de veiller sur notre fille aînée... j'ai pourtant eu des signes de sa présence quand ma lance est tombée sur le sol et que son odeur si particulière de musc est parvenu à mes sens olfactifs... mais Alika n'est pas encore là...

- Laisse-lui du temps. Je suis sûr qu'elle a reçu le message de venir nous retrouver. Les esprits ne sont pas insensibles comme le prétendent si souvent les croyances populaires. Ils ne se fichent pas de nous. »

Balsa se leva, se sentant épuisée et exténuée. Motoko les vit et attrapa la manche de son père qui revenait dans la pièce.

« Papa, murmura Motoko, est-ce que toi et Maman allez-vous séparer ?

- Non, ne t'en fais pas.

- Mais si ça devait arriver, Tomoe pourrait devenir ma deuxième Maman, non ? »

Tanda serra les dents en entendant sa dernière phrase alors qu'un bruit attira leur attention dans l'entrée du salon. Balsa avait oublié quelque chose et était revenue dans la pièce au très mauvais moment. Elle les avait regardé sans rien dire, avait abandonné son idée première et fit volte-face, furibonde avant de quitter la pièce.

« Oups..., s'excusa Motoko en mettant sa main sur sa bouche.

- Au mauvais moment... Écoute, Motoko, nous sommes juste très inquiets au sujet de ta grande sœur.

- Tu crois qu'elle est morte ?

- Ne dis jamais ça. Elle n'est pas morte. »

Balsa sortit à l'extérieur et il lui semblât que l'air frais de l'hiver calma son énergie en ébullition, un moment. Elle retira son protège-lame et commença à se battre, exécutant une danse de lance en solitaire. Après quelques minutes, elle se sentait déjà mieux. C'est alors qu'elle planta la pointe de sa lance dans le sol et appuya son front contre le manche de son arme. Soudain, elle se mit à trembler, la tête toujours penchée en avant : les larmes lui picotèrent encore les yeux et elle se mit à sangloter, prenant appuie sur un rocher. Des pas firent craquer la neige nouvellement tombée et Balsa essaya de ravaler ses émotions et être taciturne. Peine perdue.

« Balsa, fit la douce voix de Saya.

- ... hmm ?

- N'aie pas peur, je ne dirais pas que tu as pleuré à qui que ce soit, rassura-t-elle en arrivant plus près. Je peux m'asseoir à tes côtés ou je te laisse seule ?

- ... Tu peux venir... »

Saya s'assit et elle hésita un peu avant de poser sa main sur son dos pour le caresser alors qu'elles s'assirent sur un rocher.

« Tu ne vas pas bien... même si tu essaies de le cacher, je vois que tu ne vas pas bien depuis que nous n'avons aucune nouvelles d'Alika. Tu es en train d'en devenir malade... chose normale pour une mère. »

Balsa essuya ses larmes avec sa manche de kimono.

« On ne sait même pas où elle est... est-ce qu'elle s'est faite assassinée en plein travail ? S'est-elle faite agresser ? L'a-t-on kidnappée pour servir l'armée, même si ce n'est pas en tant que chair à canon ?... On ne le sait pas... Une partie de moi continue toujours de me souffler qu'elle est en vie, je ne sais pas comment... mais je le ressens...

- Je crois que c'est normal.

- Saya ?

- Oui ?

- ... Suis-je une mauvaise mère ? osa-t-elle demander, plus calme, suite à la remarque non-intentionnelle que sa fille Motoko avait jeté par inadvertance.

- Pas du tout ! Pourquoi tu dis ça ? Je t'admire !

- Parfois, je doute...

- Tes enfants sont arrivés ici en sécurité.

- Mais il en manque une... Je n'ai pas retrouvé ma fille aînée... Motoko préfère Tomoe... je voudrais bien avoir une conversation avec ma fille, mais je ne suis pas très bonne pour... comment dire... eh...

- "Formuler tes phrases sans éclater de rage" à tout bout de champs ? devina Saya.

- ... Oui, en plein ça...

- Parle-lui dans un langage simple. Tu ne dois pas l'accuser, et si elle t'accuse, essaie de ne pas le prendre personnel. Les enfants n'ont pas la même mentalité ni la même façon de penser que nous. »

Balsa hocha la tête positivement.

« Tu sais, tu fais une bien meilleure maman que moi, avoua la lancière. J'avoue en être un peu... jalouse ? rit-elle légèrement.

- Chaque parent à sa propre façon d'élever ses enfants et de s'exprimer, Balsa-San. Tu as la tienne, j'ai la mienne, nous avons la nôtre. D'ailleurs, tu devrais également parler à Tomoe, pour connaître son point de vue.

- Je n'en sais rien... j'ai l'impression qu'elle vole mon mari et même Motoko...

- C'est ton point de vue, pas le sien... je te sais orgueilleuse comme un coq. Je te suggère de laisser retomber la poussière un peu avant.

- Je n'ai pas envie de lui parler...

- Et si elle vient vers toi ? Risques-tu de perdre ton sang-froid ?

- C'est fort probable... »

Saya soupira un peu, étant un peu à court de moyens.

« Désolée, Saya... je suis tellement négative ces temps-ci.

- Ce qui est tout à fait normal. Tu n'as pas à t'inquiéter. »

Il y eut une seconde pause. Saya commença à avoir froid et à greloter silencieusement. Enfin, elle proposa à la lancière de rentrer de nouveau dans la Grotte et de s'isoler dans une pièce à part, où elles pourraient se réchauffer. Une fois dans la chambre, elles s'assirent sur le futon. Il y eut un long moment de silence, jusqu'à ce que l'abcès éclate.

« ... Je veux juste retrouver ma fille aînée, c'est tout ! sanglota soudainement Balsa. Je veux ma fille ! »

Chagum l'avait abandonné et sa fille manquait à l'appel. Elle échoua sa tête sur l'oreiller et manqua de peu de manquer de souffle, l'espace d'un instant, tellement elle était prise de soubresauts. Saya prit sa taille et la força à se redresser pour lui faire face et la prendre dans ses bras. Balsa ne repoussa pas cette étreinte et se laissa aller en la serrant plus fort, la tête nichée dans son cou.

Les émotions prenant son côté empathique en otage, Saya se mit à pleurer avec elle : elle avait mal pour Balsa. Cette dernière pleura jusqu'à en avoir mal à la gorge, jusqu'à ce que ses larmes ne veuillent plus couler malgré la cuisante douleur que lui criait son cœur, jusqu'à ce que ses larmes inondent le cou de Saya qui créaient presqu'une cascade. Après une heure à pleurer et à s'exprimer, Balsa était exténuée et n'avait plus la force de se lever. Son corps lui demandait qu'une chose : dormir et se reposer.

« Désolée..., s'excusa-t-elle alors que Saya l'avait couchée sur le futon comme une enfant.

- Tu ne trouves pas qu'on se sent mieux après avoir pleuré ? Ça fait du bien, pas vrai ? »

Balsa hocha uniquement la tête.

« On ne devrait jamais s'en vouloir de pleurer, Balsa. Jamais, tu m'entends ? Reposes-toi, je vais rester à tes côtés. C'est à toi d'être cajolée maintenant... tu en as assez fait. T'as besoin d'une pause. »

La lancière hocha encore la tête et ferma les yeux. Saya replaça sa mèche de cheveux superflus et se mit à caresser ses cheveux avant de fredonner une berceuse. À cet instant, même si Balsa trouvait ça étrange, elle se sentit, l'espace d'un instant retomber en enfance, veillée par une maman. Elle s'abandonna au sommeil pour sombrer dans les bras de Morphée.

Tohya, qui cherchait désespérément Saya depuis de plusieurs minutes, finit par entrer dans la pièce avant de s'arrêter net. Sa femme s'était endormie, collée contre Balsa, une main autour de sa taille. Il décida donc de quitter la pièce à reculons, en douceur afin de ne pas les réveiller. Tanda désira aller les chercher pour le souper, mais Tohya refusa qu'on les dérange.

« Elles semblent si bien dormir... et... Tanda, je pense que Balsa a eu une énorme crise de larmes, tout à l'heure.

- Ah bon ?

- Je l'ai entendu pleurer... et je crois que c'est la première fois que je l'entendais être dans un état pareil. Elle disait très souvent le nom de votre fille aînée et qu'elle la voulait à ses côtés. »

Tanda n'osa rien dire et se concentra sur sa nourriture. Motoko n'avait plus dit un mot depuis l'incident.

« C'est de ma faute..., culpabilisa-t-elle.

- Rien n'est de ta faute, essaya de la rassurer son père. Mange maintenant. »

Torogai proposa de surveiller les plus jeunes enfants pendant qu'ils prenaient leur bain, puis les coucha un à un, à tour de rôle. Elle avait beau être insolente, quelques fois impolie et directe, en tant que "Grand-Mère" désignée, elle savait être maternelle et cajoler les enfants.

Elle prit son petit Usanezumi, qui reposait sur son chapeau, et le passa à Karuna pour qu'il puisse s'endormir avec lui cette nuit-là. Chaque nuit depuis leur arrivée à la grotte, à l'heure du coucher, le Usanezumi se passait de mains en mains afin que les enfants puissent réussir à fermer les yeux.

« Bonne nuit Grand-Mère, murmura tout bas Karuna en collant le petit animal sur sa joue.

- Bonne nuit, mon petit. Aller, dormez bien, nous ne serons pas loin. »


Balsa se réveilla au petit matin et fut agréablement surprise de voir Saya avec un plateau comprenant son petit-déjeuner.

« Bon matin, dit-elle avec un sourire timide.

- Bon matin, Saya.

- J'ai emmené ton petit-déjeuner au lit.

- Oh... merci, la remercia Balsa, encore un peu surprise. »

Elles parlèrent un instant ensemble, avant de prendre un bain toutes les deux et d'aller rejoindre les autres habitants de la grotte dans le salon. Mais Balsa savait ce qu'elle voulait faire cette journée-là. Elle ne voulait pas se mêler aux autres tout de suite, elle devait laisser retomber la poussière. Au fond d'elle-même, son souhait était d'essayer de retrouver Alika, toujours portée disparue et sans nouvelles depuis leur séparation à Rota, au village de Maru.

Il faisait tempête cette journée-là, mais Balsa n'en avait pas peur : elle venait de retrouver son énergie de guerrière. Elle s'habilla chaudement, s'éloigna avec sa lance et sortit sans préavis. Elle chercha dans l'une des forêts les plus éloignées de la cachette, puis à proximité du village de Toumi. Une heure s'écoula sans aucun indice possible des traces d'Alika. Le froid avait commencé à engourdir ses membres et elle commençait à ne plus sentir ses joues. Elle allait devoir rentrer bientôt pour éviter les engelures...

Le vent et les flocons n'étaient plus aussi doux qu'au départ. Elle avait de plus en plus l'impression que des aiguilles la traversaient et égratignaient sa peau. Elle chercha partout dans chaque petit racoin. Deux heures de plus s'écoulèrent. La fatigue commençait à l'envahir, mais elle ne voulait pas abandonner.

Quelle mère délaisserait un de ses enfants dans la misère ? pensa-t-elle.

Elle continua sur un chemin plus dru, proche d'une pente.

Où es-tu... Alika... ?

Soudain, un de ses pieds s'enfonça brutalement dans la neige, comme s'il n'y avait plus de sol et elle perdit pied, déboulant la pente. Elle lâcha sa lance par réflexe d'attraper une branche pour retenir ou ralentir sa chute. Le battement de son cœur avait accéléré : l'adrénaline refaisait surface. Elle posa un de ses pieds sur la pente pour se redresser, mais la branche devenue sèche avec le gel cassa sous son poids et elle fit une violente dégringolade.

Se ramassant une branche en plein torse au passage, lui coupant le souffle, se frappant la tête sur un rocher, elle continua de rouler un peu plus loin avant de s'échouer dans la neige, à demi assommée. Elle tenta de se redresser, mais s'échoua lamentablement au sol, incapable de se redresser. Elle avait perdu un gant au passage et sa paume droite était ouverte alors qu'elle restait immobile sur le sol congelé.

« Où es-tu... Alika ?... Est-ce que tu as peur à quelque part... égarée et au froid ?... T'a-t-on fait du mal... ? murmura-t-elle. Je suis désolée... je n'ai pas su te protéger comme une mère se doit de le faire... »

Les yeux clos, des larmes commencèrent à rouler sur ses joues alors qu'elle perdait toute notion de temps avant de perdre connaissance. La neige l'ensevelit peu à peu et le froid l'engourdissait lentement.