Update 2022
Kazoku no Moribito
Gardien de la famille
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Partie II
Chapitre 15
Cartes sur Table
Le soir venu, Tanda était encore très en colère contre Balsa. La furtive idée de ne pas lui donner ses médicaments lui traversa l'esprit, mais malgré tout, il l'aimait, c'était sa femme et pour elle, il était prêt à prendre soin d'elle malgré sa colère. Il allait se diriger vers la pièce quand Tomoe posa une main sur son épaule. Saya un peu plus loin les observait discrètement.
« Laisse, je m'en occupe.
- Tomoe... ?
- Tanda, ta femme est épuisée. Physiquement, mentalement. Ta fille aînée ne se montre toujours pas après plusieurs semaines... J'ai perdu la notion du temps. Mais j'en ai marre de rester coincée dans le décor, à ne rien faire pour éviter de brusquer les choses ou de risquer de me faire incendier par ta femme et n'être que spectatrice comme une vraie paumée de la vie. Je veux aider, d'une quelconque façon, je l'ignore, mais je veux aider. J'ai l'impression de n'avoir emmené que des problèmes en venant ici, donc aussi bien essayer de régler et améliorer les choses plutôt que de les faire s'empirer. »
Elle prit le plateau et Tanda la laissa partir, Saya sur les talons. Il décida donc d'aller voir Shuga et Zen pour discuter un peu... et changer lui-même ses idées.
Balsa, toujours clouée au lit, se retourna en entendant des pas venir en sa direction. Elle vit Tomoe avec le plateau de médicaments. L'espace d'un instant, elle avait envie de s'armer d'un regard colérique, mais son mal de tête la fit plus grimacer qu'autre chose.
« ... Bonjour Balsa-San, répondit timidement Tomoe. »
La guerrière ne savait pas quoi répondre, mais elle vit Saya, un peu plus en retrait derrière Tomoe, lui faire signe pour l'encourager à la discussion. Elle souriait tranquillement. Balsa prit une inspiration et força un regard aimable... qui parut plus fatigué qu'autre chose.
« Bonjour Tomoe.
- Je viens juste vous apportez votre repas et vos médicaments, ajouta-t-elle.
- C'est gentil. »
Tomoe inclina un peu la tête. Elle déposa le plateau au sol et allait repartir quand Balsa l'arrêta d'un raclement de gorge.
« Hum... tu peux rester. »
À ce moment précis, Balsa se faisait rage intérieurement pour ne pas laisser son orgueil ni sa colère prendre le dessus sur elle. C'était pénible, vraiment pénible, mais elle le voulait réellement. Savoir que Saya les surveillait de loin, un peu comme une maman poule, la rassurait. À ce moment, Saya était la paix de Balsa et servait de catalyseur. C'était grâce à elle qu'elle parvenait à conserver son sang-froid. Tomoe, elle, intérieurement, était littéralement en train de paniquer et ses mains étaient engourdies par la nervosité. Elle tenta de calmer sa crise de panique.
« Prend place, l'invita Balsa. »
L'interpellée s'assit sans rajouter autre chose, détournant le regard, malaisée.
« En général, quand je suis un état de grande fatigue ou d'épuisement, quand je convoque quelqu'un ce n'est jamais un bon signe..., expliqua Balsa. »
Tomoe grimaça intérieurement.
« ... Mais tu sais ? Je ne pense pas que ce soit bien de laisser les choses aller de cette manière, avoua-t-elle enfin, en marchant sur son orgueil et ça lui faisait mal.
- Je sais ce que vous pensiez...
- Tutoies-moi, je préfère ça, s'il te plait.
- D'accord...
- Continue. Je t'écoute. »
Balsa prit la tasse de thé qui trainait sur le plateau, souffla dessus et but quelques gorgées, se brûlant la langue avant de planter son regard dans celui de Tomoe.
« Il ne se passe rien entre Tanda et moi, finit par avouer Tomoe. Malgré que tu puisses penser le contraire... je t'assure que je n'essaie en aucun cas de te le prendre, c'est ton mari, après tout et tu es sa femme... penses-tu que je suis en train de te mentir en disant ça ?
- Non, je sais que tu dis la vérité. Continue, s'il te plait.
- Même si je tomberai amoureuse de ton mari, il serait terriblement navré pour moi. Et ensuite... parce que... je ne veux pas d'un amoureux.
- Explique ? »
La femme de Tanda grimaça à la suite d'une cuillérée de sirop. Tomoe le remarqua.
« Désolée, se justifia Balsa, j'ai toujours détesté prendre ce remède... mon mari n'arrive même pas à le rendre appétissant... »
Tomoe échappa un rire de nervosité. Balsa l'accompagna un instant.
« En fait, reprit Tomoe, si je ne veux pas, c'est que... attend un instant. »
Elle tira sur une cordelette accrochée à son cou. Une bague en argent reposait à travers la ficelle. Balsa sentit son cœur arrêté un instant.
« Tanda sait déjà concernant cette bague, mais il ne connaît pas l'histoire derrière la mort de mon fiancé... mais il y a trois ans, j'étais fiancée à ce dernier. Puis, il a dû partir. Aller à la pêche pour son travail. On ne pensait pas que ça tournerait au désastre, et comme il ne revenait pas, je n'avais aucune nouvelles de lui... »
Alors elle sait exactement ce que je vis en ce moment..., comprit Balsa. Pendant un moment, la lancière se trouva bête d'avoir agis aussi intensément.
« Peu de temps, on m'a appris que leur bateau avait coulé. Quelques survivants sont revenus, mais pas mon amoureux... on m'a remis sa bague de fiançailles en même temps... »
La femme Yakue regarda Balsa et sourit tristement.
« J'espère ne pas trop te faire peur avec cette histoire. Je ne veux pas que tu te fasses un lien avec mon histoire de disparition avec celle de ta fille aînée.
- Oh non, ne t'inquiète pas.
- Tanda est juste un bon ami. Et Motoko m'apprécie beaucoup...
- Elle est maladroite, ajouta Balsa en souriant. Elle a toujours été comme ça.
- Ce matin, tu as manqué quelque chose. Quelque chose qui m'a rendue mal à l'aise...
- Dis toujours ?
- Je lui brossais les cheveux quand elle a dit : 'Maman, aujourd'hui je voudrais avoir deux mini-lulus'... »
À sa plus grande surprise, la guerrière ne se mit pas en colère. Voyant que cette dernière était ouverte d'esprit, Tomoe continua sa péripétie.
« Elle a tout de suite remarqué par après comment elle m'avait appelé et est partie pleurer dans son coin, parce qu'elle était gênée et se sentait coupable de t'avoir trahi d'une certaine façon. J'ai été la voir et j'ai dit : – Maman, c'est juste pour ta Maman d'amour, d'accord ? Et j'ai rajouté qu'elle pouvait m'appeler Tatie Tomoe. Elle m'a répondu : – D'accord... je suis désolée... Tatie Tomoe... »
Balsa continuait toujours de sourire.
« Je pense que nous devrions se voir, Motoko et moi, pour discuter un peu.
- Oui, je le pense aussi, l'appuya la femme Yakue. Elle a besoin de sa maman. Et... avant de retourner à mes affaires, tu sais... je suis vraiment prête à vous aider pour retrouver Alika-Chan...
- Merci, vraiment... Je suppose que c'est maintenant à moi de m'expliquer... »
Elle inspira profondément, son égo lui faisait mal. Atrocement mal.
« Je suis désolée d'avoir trop douté de vous. Par "vous", j'entends par-là Tanda et toi.
- Non, c'est normal.
- Mais—
- Tu étais épuisée et à cran. Parce que tu as concentré toute ta force et ton énergie sur ta seule et unique volonté de retrouver ta fille aînée. Chose normale pour une mère. Tu n'es pas en paix et ne pas avoir de ses nouvelles t'as rendue morte d'inquiétude. Tu es prête à mourir et à souffrir pour tes enfants, ça se ressent, ça se voit.
- ... Désolée... pour mes crises... »
Tomoe sourit et lui dit que ce n'était rien. Elle lui rappela seulement qu'elle était fatiguée d'être dans le décor, sans rien pouvoir faire.
« J'ai beau avoir entraîné ma fille, dit Balsa, la savoir seule avec Amaya, sa petite-amie, me rend nerveuse. Tu sais qu'en temps de guerre, nous pouvons tomber sur n'importe qui...
- Je comprends. Mais il faut lui faire confiance. Comme tu l'as dit : elle a de bonnes bases pour se défendre.
- Tu as raison... mais j'ai tellement l'impression que Tanda prend le tout avec une légèreté déconcertante.
- Tanda semble moins expressif que toi, ou bien, il panique intérieurement et ne veut pas rajouter sa panique à la tienne. Sinon, vous allez finir par craquer tous les deux à cause du stress et il ne le faut pas. Mais, ça, ce n'est que théorie. Ma théorie. Je ne suis pas dans votre couple et avec tout le respect que je vous dois, je ne tiens pas à m'immiscer dans votre relation.
- ... Je pense que nous sommes quitte ? demanda Balsa en levant son petit doigt.
- Nous sommes quittes, accepta-t-elle en croisant son petit doigt avec le sien. »
Promesse scellée. Voilà ce que ce signe signifiait. Saya sourit et sortit de la pièce, soulagée.
Lorsque Tanda retrouva les deux nouveaux visiteurs, il resta figé : Shuga et Zen étaient au milieu de la marmaille d'enfant avec les trois enfants de Saya et Tohya et les jumeaux. Ils ne semblèrent nullement agacés par eux.
Motoko parlait avec Aozora alors que Nao était encore dans son coin avec son bouquin et son pendule amulette.
« Shuga-Sama, Shuga-Sama, s'il vous plait, dessinez-nous un mouton ! disaient à l'unisson les jumeaux. »
Shuga prit un pinceau et fit un rapide dessin du mouton en question sur du papier. Les enfants étaient éberlués de la vitesse à laquelle il le créait.
« Monsieur Zen, Monsieur Zen ! S'il vous plait, dessinez-nous un poisson ! »
Zen imita le liseur d'étoile et dessina un poisson Koï. Tanda ne fit aucun commentaire sur ce qu'il voyait et jeta un œil à Torogai, qui était légèrement en retrait et veillait que tout se passe bien.
Après avoir donné le bain aux enfants et les mettre au lit, Tomoe revint vers Tanda.
« Alors ?
- ... Je te laisse deviner... ou ne préfères-tu pas ?
- Elle a éclaté ? »
Tomoe rit.
« Non, nous nous sommes expliquées. Elle était étonnamment calme et tout s'est mieux passé que je ne croyais. »
Tanda soupira de soulagement. C'est alors qu'il vit Tomoe s'adresser à Shuga, plus loin. Il fit un sourire en coin avant de reporter son attention sur ses commandes.
Shuga remarqua Tomoe du coin de l'œil. Étant de nature charismatique et facile d'approche, il leva la tête en sa direction. La jeune femme Yakue lui fit un doux sourire.
« Bonjour Shuga. Est-ce que je te dérange ?
- Mais pas du tout, tirez-vous une bûche, l'invita-t-il.
- Pas de formalités avec moi, tu peux me tutoyer.
- Je suppose qu'il s'agit d'une habitude… »
Tomoe rit.
« À ta façon de parler, ça paraît que tu es habitué de côtoyer des aristocrates.
- Oh je…
- Pas besoin de te sentir complexé. Ça te donne un certain charme. Travailles-tu au Palais Impérial ?
- Je suis un liseur d'étoiles. Je fais partie de ceux qui habitent le Second palais.
- Donc, tu es un noble.
- Aussi étrange que ça puisse paraître, pas du tout, même si mes manières et ma façon de parler peuvent semer la confusion. Je viens d'un petit village de pêcheurs. »
Elle arqua un sourcil, surprise de cette révélation. Il lui expliqua donc que contrairement à la famille royale, les liseurs d'étoiles avaient été choisi parmi toutes les classes sociales afin d'étudier les astres et lire l'avenir, prévoir des tragédies et des catastrophes naturelles. Shuga avait été le plus jeune liseur d'étoile à avoir été promu et sa brillante intelligence n'était pas passée inaperçue. Les gens disaient qu'il était un génie, d'autres l'avaient placé sur un pied d'estale, le considérant comme un « demi-dieu ». Mais Shuga ne s'était pas laissé enorgueillir par ces compliments. Il était toujours resté humble, encore plus depuis que ses amis se sentaient mis de côté à chaque fois qu'un nouveau liseur d'étoile le vénérait presque en le prenant comme une figure autoritaire.
« Je comprends mieux maintenant, conclut Tomoe. J'ai eu les grosses lignes du "pourquoi" tu es ici, avec nous, mais ta présence est super. Tu as le tour avec les enfants.
- Ah?
- Tu sembles surpris que je te fasse la remarque.
- Oh, c'est parce que je n'ai pas encore d'enfants. Mais naturellement, j'arrive à bien les divertir.
- As-tu une femme ?
- Non plus. »
Il y eut un petit silence durant lequel ils regardèrent les jumeaux imités des « bébés ralunga », poursuivant les deux filles de Saya et de Tohya.
« Et toi ? questionna Shuga. As-tu un mari ? »
Tomoe semblait être prise au dépourvue, le quart d'un instant.
« Oh... eh... non. Je suis veuve, annonça-t-elle sans pudeur.
- Je suis désolé de l'entendre.
- Tu ne pouvais pas savoir, Shuga-San. Ça ne me dérange pas d'en parler même si parfois, j'ai les larmes aux yeux.
- Je suis sûr que tu trouveras une personne formidable, même si elle ne prendra jamais la place de ton bien-aimé défunt.
- Merci. Toi aussi, j'espère. »
Les deux adultes furent coupé dans leur conversation quand Motoko et Aozora leur demanda de se joindre à eux pour des jeux de créativités tels que l'origami et le dessin.
Zen avait choisi de quitter la Grotte des Chasseurs trois jours après leur arrivée à cet endroit. Il avait mené Shuga et Aozora en parfaite sécurité. Sa mission était complétée. La petite princesse s'amusait avec ses nouveaux amis et elle en avait oublié presque Zen et le tuteur de son frère aîné. Le hunter se tenait maintenant devant l'entrée, avec les adultes.
« Merci de nous avoir mené en sécurité jusqu'ici, le remercia Shuga.
- Même s'il s'agissait de ma mission, le voyage a été fort amusant, répondit-il. Vous allez être en sécurité ici et je garde le secret de cet endroit.
- C'est gentil, dit Tanda. »
Tomoe revint avec Aozora qui se dépêcha de sauter dans les bras du grand homme.
« Il faut que j'y aille, maintenant, Aozora, annonça Zen.
- On voulait encore que tu prennes le thé avec nous, s'attrista l'enfant.
- Nous pourrons continuer à le prendre quand les "vacances" seront terminées, tenta-t-il de la rassurer. Entretemps, veille bien Kiyomi et continue de pratiquer tes tresses.
- Oui ! »
À ce moment, Motoko appela l'enfant et la fillette retourna à ses activités, ne se préoccupant plus du départ de Zen. Balsa, bien qu'encore malade, s'approcha et inclina la tête.
« Puis-je... vous demandez quelque chose ?
- Bien sûr, lancière, qu'est-ce ?
- Si par hasard vous venez à croiser ma fille Alika, pouvez-vous lui dire de revenir ici ? Plus le temps passe, et plus je crains qu'elle n'ait pas reçu mon message...
- Je le ferai volontiers si je venais à croiser son chemin.
- Elle ne sera pas difficile à reconnaître, lâcha Torogai. Plus ma petite-fille grandit, et plus elle ressemble à sa mère, c'est fou.
- Et elle porte une lance aussi, donc, impossible à ne pas reconnaître, s'empressa d'ajouter Tanda.
- Je pourrai même l'escorter jusqu'ici si c'est le cas, conclut Zen. Merci pour tout. »
Ainsi, Zen quitta la Grotte des Chasseurs, le cœur léger.
Deux semaines s'écoulèrent depuis. Balsa se redressa de sa fièvre. Les tensions entre elle et son mari s'étaient grandement apaisées. Elle continuait activement de rechercher sa fille aînée à l'aide Tomoe et de tous les gens de la grotte. Elle priait jour et nuit Jiguro de la lui ramener, et de la guider à eux, mais l'absence des signes spirituels lui tapait sur les nerfs et elle en venait toujours à la même pensée que les esprits pouvaient être cruels avec ceux qui ne les voyaient pas.
Même Nao avait essayé de contacter Alika avec les esprits, mais n'y était pas parvenu. Balsa ne dormait plus, ou du moins, elle dormait mal. Rien ne pouvait mettre au repos son instinct protecteur. Sa fille aînée n'était toujours pas de retour et ils n'avaient aucun signe d'elle. Torogai avait même fait des appels d'âmes et était revenue bredouille.
Un jour, Karuna surprit Balsa en train de pleurer, en secret dans une des nombreuses pièces de la grotte. Il s'approcha doucement d'elle.
« Maman ? »
Elle sursauta, essuya rapidement ses yeux et sourit de façon forcée.
« Qu'est-ce qu'il y a, mon trésor ?
- Cache-toi pas, t'as droit de pleurer...
- Je sais, mais je dois être forte. Pour vous.
- Avec moi, t'as pas besoin. T'es déjà assez forte pour moi.
- ... Les grandes personnes pleurent aussi... elles ne sont pas insensibles. »
Balsa observa longuement son fils, avant que ses yeux ne se remplissent à nouveau de larmes et elle attira son enfant dans ses bras, à le serrer contre son cœur. Karuna leva ses yeux bruns vers sa mère et regarda les larmes qui roulaient sur ses joues et les mouillaient. Il se retira de son étreinte et se mit debout, devant elle, avant de prendre doucement son visage de ses petites mains. Tendrement, il l'embrassa sur le front. Il y avait là, quelque chose de si divin, céleste : un enfant qui prenait soin d'un adulte.
« Moi, je serai toujours là pour toi, Maman.
- T'es un amour, Karuna !
- Alika-Oneechan sera là.
- Oui. Il faut lui faire confiance, tu as raison.
- Elle va être là. »
Ils restèrent un moment collés ensembles avant de s'endormir, naturellement, blottis l'un contre l'autre dans la chaleur de leur étreinte.
À la fin de la deuxième semaine, Balsa emballa ses affaires. Elle devait être active. Rester à la grotte n'aidera pas son stress concernant la disparition de sa fille. Elle désirait la chercher. Tout le monde était en sécurité à la grotte, il ne pouvait rien leur arriver. Même Shuga avait été escorté avec la petite princesse grâce à Zen qui comprenait l'enjeu de cette situation. Tanda entra dans la pièce quand sa femme terminait d'attacher sa cape sur ses épaules.
« Tu es certaine que..., allait-il commencer.
- Je n'ai plus le choix Tanda, répondit-elle. Si je reste plus longtemps ici, je vais devenir folle. Si, au moins, je peux participer à la recherche de notre fille aînée, les choses vont changer et mon esprit pourra être en paix.
- Et qu'est-ce que ça fait si Alika revient ici pendant que sa mère est partie ?
- Au moins, elle sera revenue à la grotte. Et c'est l'important. J'ignore combien de temps je serai partie, mais je compte sur toi et Maître Torogai pour garder toutes ces personnes en sécurité pendant mon absence. »
Avec un dernier baiser sur les lèvres, Balsa quitta la grotte après avoir dit au revoir à ses enfants. Motoko ne piqua aucune crise sur le fait que sa mère ne l'emmenait pas avec elle. Aozora attirait peut-être toute son attention.
Tous les détours que Balsa prit la forcèrent à se frayer un chemin à travers les montagnes pour éviter à la fois les forteresses et les soldats en patrouille. Ces directions la poussèrent toujours plus à l'ouest qu'elle ne le souhaitait. Elle était maintenant proche de la frontière entre le Nouvel Empire de Yogo et Rota. Elle était irritée d'avoir déraillé si loin. La lancière jeta un dernier coup d'œil à la forteresse avant de poursuivre sa route. Il n'y avait pas beaucoup de soldats qui la gardaient. Elle ne vit que deux guetteurs debout au sommet d'une tour. La construction de la forteresse était également bâclée et peu sophistiquée. Ce n'était peut-être pas évident à remarquer vu du sol, mais si on jetait un œil plus attentif, on pouvait voir que la plupart des murs étaient formés de rondins empilés et tissés avec de l'herbe et de la paille. Ce n'était pas aussi solide et dur que la pierre, ou même de l'argile bien compactée.
Balsa ne put s'empêcher de comparer cette forteresse rudimentaire à d'autres qu'elle avait vues. Il y en avait une au sud de la capitale le long de la frontière de Yogo et de Sangal qui était en pierre et solidement construit. Cette forteresse n'avait même pas été construite afin de profiter d'un terrain élevé. Elle avait vu quelques forteresses avec une construction solide au cours de son voyage, mais la plupart de celles qu'elle avait vues ressemblaient beaucoup à celle de la vallée fluviale en contrebas. De nombreuses mains s'étaient précipitées au cours des deux dernières années pour construire ces forteresses, même si Balsa doutait qu'elles fassent beaucoup de bien face à une armée énorme et bien équipée.
Je suis certaine que les espions Talsh sont au courant de ces forteresses, pensa la garde-du-corps en fronçant les sourcils. Ils savent probablement qu'elles sont mal construites et mal équipées.
Et cela n'augurait rien de bon pour l'avenir. Balsa connaissait bien les espions et les assassins des Talsh. Elle savait qu'ils avaient recueilli des informations sur le Nouvel Empire de Yogo pendant des années avant de se décider à l'envahir officiellement. Le royaume du Nouvel Empire de Yogo était sérieusement désavantagé à bien des égards. La guerrière ne doutait pas une seconde que l'armée Talsh puisse se frayer un chemin vers la capitale qui évitait toutes ces fortifications et points de contrôle. Leur réseau d'information était probablement trop bon.
Il commença à neiger. D'abord doucement, puis devenant de plus en plus épais, à un tel point que Balsa commençait à ne plus voir le chemin à trois mètres d'elle.
L'endroit le plus proche du palais de Rota avec une auberge se trouvait à Toluan. Elle soupçonnait que sa fille aurait pu s'y rendre avec Amaya pour se protéger de la neige. Il était également possible qu'elles se réfugient dans des enclos et des granges pour animaux qui étaient si souvent utilisés par les agriculteurs et les éleveurs pauvres pendant l'hiver. Balsa l'avait souvent fait et avait montré à Alika où les trouver lors de sa formation. La neige continuait de tomber : c'était un blizzard. C'était si soudain et il rendait les déplacements de plus en plus difficiles. La neige était cependant un problème courant dans le nord de Rota. C'est pourquoi il y avait de nombreux enclos et granges parsemant la route, aménagés pour l'usage de tous.
La route de Toluan était généralement achalandée de caravanes et de marchands, mais très peu de gens voyageaient à cet endroit pendant l'hiver. Balsa ne rencontra pas âme qui vive alors qu'elle continuait d'avancer. Le soleil commençait à se coucher. La forêt s'assombrissait de chaque côté de la route et semblait oppressante. La guerrière pouvait sentir le vent la traverser. Elle vit des empreintes de sabots dans la neige et il y en avait beaucoup. Balsa courut alors dans la direction des empreintes. Elle entendit le bruit des sabots devant elle : il y avait trois cavaliers à proximité, mais il était difficile de les voir à travers toute cette neige qui faisait obstacle. L'un des cavaliers était un homme avec une épée à la main, essayant de pourchasser l'autre, qui fuyait désespérément, alors que le dernier des cavaliers officiait en tant que garde pour le cavalier qui désirait s'enfuir.
« Hey ! hurla Balsa pour attirer l'attention sur elle. »
Ça fonctionna, car l'assassin se tourna vers elle alors qu'elle lançait sa lance sur lui, aussi rapide et droite qu'une flèche. L'homme se retourna pour éviter d'être transpercé dans le dos juste à temps. Elle vit que la pointe de sa lance avait effleuré l'encolure du cheval de l'homme. Le cheval blessé cria et s'effondra dans la neige. L'homme sauta de la selle et atterrit gracieusement sur le sol près de sa monture. Il n'offrit pas un second regard à Balsa. Il se retourna rapidement et jeta quelque chose de dur sur le cheval d'un des cavaliers. Ce dernier tomba au sol, déstabilisé. L'assassin désira entrer en combat singulier avec le cavalier blessé qui s'était empressé de se redresser, mais la monture du second cavalier empêcha un croisement de fer. Balsa reconnut Jin ! Alors le second homme devait être... Chagum ?!
Jin avait retrouvé Chagum lors de son voyage à Rota. Ce dernier essayait désespérément d'établir une alliance avec les pays voisins du Nouvel Empire de Yogo. Ils avaient affronté beaucoup d'ennemis en cours de route, et ils étaient arrivés à Kanbal, le pays natal de Balsa. Chagum avait désiré rencontrer le roi de Kanbal actuel, Randalle, via les bergers, mais ceux-ci lui avait dit qu'ils ne convoquaient jamais les lanciers ou le roi en personne en dehors de la cérémonie des remises.
Le prince ressentit un véritable désespoir s'emparer de lui. Il ne savait pas quoi dire d'autre pour convaincre les bergers et son plan d'alliance tombait à l'eau. Courageusement, il se redressa avec Jin à ses côtés. Il regarda tous les bergers et dit en langue Kanbalese :
« Merci d'avoir accepté de nous entendre, termina-t-il en regardant son garde temporaire. Allons-y, Jin. »
Jin hocha la tête. Un des bergers leur proposa de se reposer dans un de leur abri. Chagum savait que lui et Jin avait besoin de repos, mais il ne voulait pas compter sur eux alors qu'ils avaient refusé sa demande d'être guidé vers le roi de Kanbal. Mais ils n'avaient pas d'autre choix que d'accepter. Ils n'avaient plus d'argent pour une auberge, même s'ils pouvaient facilement en trouver une dans les montagnes avant de mourir de froid. Ils dormirent à l'intérieur des minuscules habitations. Jin se sentit comme un géant ! Chagum dormit comme une bûche, mais il se réveilla en sursaut, en sueur, suite à un cauchemar. Le hunter déposa son bol vide.
« Tout va bien, vous êtes en sécurité, Votre Altesse.
- Jin..., murmura Chagum.
- Je suis désolé. Je nous ai amenés jusqu'ici pour rien. »
Le Prince Héritier secoua la tête. Il fixait le feu. Il se frotta le menton, le trouvant lisse et sans poils, contrairement à beaucoup d'hommes bergers qu'il avait vus qui avaient une barbe bien garnie et pourtant bien trimés.
« Vous ne pouviez pas savoir comment les choses allaient se passer. L'avenir n'est jamais certain. Je suppose qu'il n'y a rien que nous puissions faire maintenant que nous avons au moins essayé. Nous devons retourner au Nouvel Empire de Yogo, désormais. »
Jin hocha la tête.
« Rendormez-vous, ordonna-t-il.
- Je vais faire ça de ce pas. »
Une fois la nuit passée, Chagum et lui remercièrent les femmes bergères de les avoir hébergées pour la nuit et d'avoir partagé leur délicieuse nourriture. Ils sortirent pour récupérer leurs montures dans les enclos à chèvres du village. Jin sella le cheval de Chagum et resserra les sangles autour de son ventre. Le prince caressa sa monture et se mit en selle avec un petit rire.
« Ça fait du bien d'être de nouveau en selle, déclara-t-il. »
Le hunter lui renvoya son sourire et prépara à son tour son propre cheval pour le départ. Le ciel était clair et sans nuages quand ils se mirent en route. Le vent était froid. Les hivers Kanbalese ressemblaient à ça. Ils passèrent par les frontières de Kanbal et de Rota et s'apprêtaient à entrer par celles de Yogo par des détours lorsqu'un assassin Talsh apparut et leur bloqua la route. Jin s'empressa de se mettre en barrière entre le prince et lui.
« Restez derrière moi, Votre Altesse ! cria haut et fort Jin. »
Ce dernier se redressa sur le dos de son cheval, relâchant les rênes. Il plia les genoux et bondit entre l'assassin et Chagum. L'assassin le regarda passer au-dessus de sa tête. Jin décrocha un coup de pied direct sur lui à partir du haut, si fort, qu'ils se retrouvèrent tous deux étendus dans la neige. Il mit son genou dans les côtes de l'homme et agrippa la main qui tenait son épée. L'assassin transféra l'épée de sa main droite à sa main gauche dans un mouvement simple et jeta son genou vers la gorge de Jin. Il avait atterri sur lui pendant la chute, mais cette manœuvre lui avait permis de coincer le hunter sous lui. L'assassin crut avoir le dessus quand un nouveau coup de pied arriva sous sa mâchoire. Jin se redressa soudainement, stupéfait. Il vit alors Balsa se tenir devant lui et repousser l'homme d'un poignard.
« Où est ma fille ?! grogna-t-elle comme si elle jetait la faute de la disparition d'Alika sur le monde extérieur. Tu es un Talsh... »
Ils se firent face sans bouger pendant quelques instants, chacun étudiant l'autre. Balsa vit le sang couler sur le sol neigeux. Ça venait du bras gauche de l'homme. L'assassin ne pas prêta attention à la blessure. L'épée qu'il tenait était d'un style peu familier, avec un manche court et une lame large, mais Balsa était certaine d'en avoir déjà croisé chez des guerriers dans ses années plus jeune.
La guerrière vit alors un projectile du coin de l'œil fuser l'air. C'était l'épée brisée de Chagum, qu'il avait lancée dans l'air en direction de l'assassin. Ce dernier fit dévier l'arme avec une expression irritée.
« Balsa ! cria Chagum. »
Sa voix était plus rauque. Il n'avait plus sa voix d'enfant. La lance de Balsa vola droit vers sa propriétaire et cette dernière l'attrapa d'une main. Maintenant bien armée, elle fit face à l'assassin qui avançait dans la neige. Dans un mouvement si rapide qu'il était difficile de pouvoir suivre, elle balança sa lance pour frapper l'assassin à la tête. Il esquiva son coup et pensa à s'éloigner d'elle. Mauvaise idée. Balsa ramena le bout du manche de sa lance vers son ventre dans un mouvement brusque. Quand il pencha en avant, elle leva sa lance pour le frapper fort au menton, à nouveau.
Il cracha du sang, sa tête projetée en arrière sous la force du coup. Il sourit comme un démon alors qu'il réduisait la courte distance qui le séparait de Balsa, du sang brillant entre ses dents. Ils se croisèrent en même temps : Balsa l'égorgea en même temps qu'il lui ouvrit le flanc. Ils restèrent figés un instant. Puis, enfin, l'assassin s'effondra en sang sur le sol blanc de neige. La guerrière de Kanbal vérifia que l'assassin ne bougeait plus, avant d'appuyer fortement sur son propre flanc, le gauche cette fois. Chagum se tenait devant elle, partiellement couvert par des tourbillons de neige avec Jin.
« Chagum ? s'étouffa Balsa.
- Balsa, dit-il en s'approcha de quelques pas. »
Alors que le prince la serrait dans ses bras, Balsa réalisa qu'il était plus grand qu'elle ne l'était maintenant.
