Update 2022

Kazoku no Moribito

Gardien de la famille

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Partie II


Chapitre 16

Retrouvailles

Chagum frissonna violemment de froid, de peur et de douleur. Balsa le serra contre sa poitrine et ne le lâcha pas. Jin assista à la scène sans rien dire, se faisant discret. Les dents de Chagum claquaient lorsqu'il parvint enfin à sortir un mot.

« Balsa ? Est-ce vraiment toi ? Ou est-ce juste un rêve ?

- Peut-être que tu as raison, dit-elle avec un sourire, et que tout ceci n'est qu'un rêve. Je n'arrive toujours pas à croire à quel point tu as grandi. »

Elle le retira lentement de son étreinte et le fixa comme si elle n'était pas entièrement convaincue qu'il était réel. Elle n'avait peut-être pas retrouvé sa fille aînée, mais au lieu, la vie lui avait fait croiser le chemin du petit garçon qu'elle avait protégé il y a treize ans déjà. Il faisait sombre, alors elle ne pouvait pas très bien le voir, mais elle savait qu'il y avait une coupure alarmante sur le côté droit de son visage.

« Il t'a bien coupé, n'est-ce pas ? marmonna Balsa en touchant très légèrement les bords de la plaie. »

Elle s'étendait du milieu de son front jusqu'au coin de son œil droit. Il faisait trop sombre et trop froid pour qu'elle puisse la soigner et la recoudre maintenant. Mais s'il y avait une chose de positive au froid de l'hiver était que la blessure, bien qu'assez profonde, avait déjà cessée de saigner. La plaie aurait besoin de suture par la suite, mais pour l'instant, la préoccupation la plus importante était de s'assurer qu'elle ne se rouvrirait pas.

« Mettons un peu de pression ici, annonça-t-elle. Ça va probablement faire mal. »

Elle appuya sur les bords de sa blessure fortement. Puis arracha un morceau du couvre-visage shuma de Chagum et l'utilisa comme bandage. Elle enroula le morceau de tissu tout autour de sa tête et l'attacha fermement. Elle le souleva ensuite pour le réinstaller de sorte que les bords soient rentrés à l'intérieur de son manteau pour plus de chaleur.

« À quel point tu as mal ? demanda-t-elle

- Ça va..., gemit-il. C'est engourdi. Les bords font un peu mal, mais ça va.

- Allons se réfugier dans une des cabanes que les bergers et les éleveurs Rotan ont construites le long de la route pour aider les voyageurs en hiver. »

Balsa conduisit Chagum vers sa monture et l'aida à monter. Jin décida d'aider à sa façon. Il repéra une torche en pin dans les sacoches du cheval. Ses doigts étaient engourdis par le froid. Il souffla dessus pour leur redonner une sensation, puis alluma la torche. La flamme luttait pour rester allumée alors que la neige lourde et humide continuait de tomber. Il ne pensait pas que la torche durerait très longtemps.


La guerrière prit le cheval de Chagum par la bride et partit à la recherche des abris. Ils en trouvèrent un à une demi-heure environ, caché dans un bosquet d'arbres enneigés. Au moment où ils l'atteignirent, ils étaient tous les trois engourdis et tremblaient de froid. Jin et Balsa ne parlèrent pas beaucoup, concentrant leur énergie pour garder la chaleur de leur corps et leur rythme dans le froid. Ils aidèrent le prince à mettre pied à terre. Balsa se rendit compte qu'il était inconscient. Le propre cheval de Jin était un animal intelligent et les avait suivis dans la neige.

Jin ferma la porte derrière eux alors que Balsa allongeait Chagum sur le sol, et qu'il allait s'occuper des montures. Elle utilisa le dernier souffle de la torche pour allumer un feu dans la cheminée encastrée dans le mur, qui était déjà rempli de bois de chauffage sec. Elle retourna son attention vers le prince et enleva ses épaisses bottes de cuir. Sa peau était pâle et froide au toucher. Elle devait le réchauffer. Les effets des engelures pourraient s'avérer être dangereux s'ils n'étaient pas traités rapidement.

« Chagum ! s'écria-t-elle en secouant ses épaules. Réveille-toi. Tu dois rester éveillé. »

Chagum gémit et ouvrit à peine les yeux. Ses blessures faisaient mal. Jin revint de dehors.

« Écoute-moi bien, Chagum, dit Balsa. Tu peux m'entendre ? Tu me comprends ? »

Le jeune prince hocha faiblement la tête.

« Tu peux sentir tes doigts et tes orteils ? Essaie de les bouger, s'il te plait. »

Ses doigts et ses orteils bougeaient légèrement. Balsa et Jin commencèrent alors à frotter ses membres pour l'aider à se réchauffer le plus rapidement que possible. Il fronça les sourcils et s'écarta d'abord d'eux, puis se détendit.

« Comment se sentent tes mains et tes pieds ? continua-t-elle de le questionner.

- Mieux. »

Balsa soupira de soulagement et posa plus confortablement les jambes de Chagum sur le sol. Les yeux bleus du prince étaient toujours fermés. La guerrière continua à lui frictionner les pieds jusqu'à ce qu'elle voie une légère rougeur rosâtre revenir sur sa peau. Chagum commença à haleter de douleur.

« Aïe !

- Attends encore un peu, le pria Balsa. Si nous ne réglons pas ça maintenant, tu pourrais risquer de ne plus jamais marcher correctement. »

Jin s'était occupé de ses mains. Lorsque Balsa fut convaincu qu'ils avaient tous les deux fait tout ce qu'ils pouvaient pour le moment pour sauver les membres de Chagum, elle inspecta la blessure de son propre côté. Elle était peu profonde et ne saignait plus. Elle essuya la plaie avec un chiffon propre, puis retira sa ceinture Kanbalese et l'enroula autour de la blessure. Elle se leva en testant ses mouvements. Elle frictionna également ses membres jusqu'à sentir des fourmillements.

« Vous savez bien traiter les blessures, commenta Jin.

- Pas aussi bien que mon mari, dit-elle avec un sourire. Vous avez servi de garde du corps pour Chagum depuis le début ?

- Oui. Partout où il va, je serai avec lui. Comment va Tanda ? Vous avez dit que c'était maintenant votre mari ?

- Il va bien. Et oui, nous allons sur notre dixième année de mariage l'année prochaine.

- Toutes mes félicitations. Je sais que ce ne sont pas de mes affaires, mais... que faisiez-vous ici alors ? »

Il vit un voile de tristesse passer dans ses yeux, mais Balsa se ressaisit rapidement.

« Ma famille et moi se sommes cachées dans les montagnes afin de fuir la guerre... mais ma fille aînée, qui était en plein travail avec moi – quand vous m'avez apporté la lettre – n'est pas de retour. Je la cherchais... mais au lieu, je suis tombée sur vous et Chagum. Quelle surprise.

- J'aurai aimé vous aider, mais je ne l'ai pas croisée non plus. »

Jin avait une petite affection pour Alika depuis qu'elle lui avait parlé de sa famille défunte et qu'il connaissait son attachement pour sa fiancée décédée, Mayuna, qui était toujours sous forme intangible en tant qu'esprit. Balsa s'agenouilla aux côtés de Chagum et souleva le couvre-visage. Chagum dormait et ne se réveilla pas même lorsqu'elle enleva complètement le masque.

Sa blessure semblait bien plus pire à la lumière du feu qu'elle ne l'avait été dans la pénombre. La lame qui lui avait coupé le front avait mordu sa peau jusqu'à sa joue droite. Cependant, elle avait pris la bonne décision d'essayer d'arrêter le saignement d'abord : la plaie était recouverte d'une croûte et ne semblait pas infectée ou enflammée.

Jin proposa de faire chauffer de la neige pour obtenir de l'eau chaude et commença à laver le visage de Chagum en vue de mettre un nouveau bandage. Le Prince Héritier tressaillit et bougea un peu plus loin d'elle, mais elle le maintint, doucement mais fermement. Elle enveloppa la blessure avec une bande de tissu propre. Il était difficile d'enrouler le bandage et Jin offrit un coup de main en gardant Chagum immobile.

« Tu es blessée ? résonna la voix rauque de Chagum.

- Je vais bien, répondit-elle doucement. Tu le seras également. Lorsque nous retournerons à la Grotte des Chasseurs, Tanda pourrait mieux soigner ces blessures que moi.

- ... Alors tu as écouté ce que j'ai écrit dans ma lettre de recommandation ? se soulagea-t-il.

- Oui. »

Balsa lui raconta ce qu'elle avait expliqué à Jin plus tôt et laissa Chagum se rendormir après qu'il lui eut parlé de ses alliances qui avaient échoué et il promit qu'il l'aiderait à retrouver Alika. Elle posa sa tête sur ses genoux et écouta sa respiration silencieuse.

« Eh bien, peut-être que ce que je vais dire va sembler déplacé, mais... tu as beaucoup changé. Tu es devenu un magnifique jeune homme, maintenant, s'émerveilla-t-elle. »

Son visage était profondément bronzé, tout comme la dernière fois qu'elle l'avait vu en tant que garçon. Ses traits s'étaient solidifiés et son visage était celui d'un homme maintenant, mais elle revoyait toujours celui du garçon qu'elle avait connu. Ses cheveux étaient courts et en désordre, mais ça lui donnait un petit charme.


Après que les trois voyageurs eurent récupérés de leurs forces, Chagum décida d'aller à la Grotte des Chasseurs en compagnie de Balsa et de Jin. Il avait tout essayé et il n'avait plus de pouvoir pour faire quoi que ce soit afin d'éviter l'invasion Talsh sur son royaume. Il se sentait tellement impuissant. Balsa poussa la lourde pierre et entra dans la grotte. Un flot de souvenirs envahit l'esprit du prince qui se mit à ressentir de la nostalgie.

« Ah oui, se souvint la guerrière, nous avons des invités surprises ici qui ont aussi cherché à fuir la guerre.

- Ah bon ? s'étonna Chagum. Qui donc ?

- Accompagnez-moi jusqu'au salon. Vous verrez de vous-mêmes. »

Curieux, Chagum se dépêcha de lui emboîter le pas. Balsa leur fit signe d'attendre derrière le rideau qui donnait accès au salon.

Tanda vit Balsa se pointer le bout du nez après trois semaines d'absence.

« Balsa, tu es revenue ! l'accueillit-il en l'embrassant sur les lèvres.

- Bonjour Tanda.

- As-tu retrouvé Alika ou eu des indices ?

- Non, et toi ?

- Non plus.

- ... Dans tous les cas, j'ai de nouveaux visiteurs ici, s'amusa-t-elle. Je pense que leur vue te fera plaisir. »

L'apothicaire pencha la tête de côté et Balsa fit signe à Chagum et Jin d'entrer dans la pièce. Tanda était figé par la stupeur, mais il comprit aussitôt de qui il s'agissait quand il croisa les prunelles bleutées du prince.

« Impossible... Chagum ?!

- Tanda, ça faisait longtemps ! s'écria Chagum. »

Ils se tombèrent dans les bras. Shuga s'était vivement redressé en entendant le nom du prince et courut à sa rencontre.

« Votre Altesse !

- Shuga ! s'exclama-t-il. Tu t'es rendu jusqu'ici par tes propres moyens ?!

- J'ai eu de l'aide... et puis, j'ai aussi une protégée à défendre.

- Une protégée ?

- ... Aozora a toujours su que son grand frère reviendrait, annonça-t-il. »

Aozora leva les yeux vers les nouveaux arrivants. Elle se leva avec Kiyomi dans les bras et s'approcha timidement de Jin et de Chagum. Il lui fallut un moment pour réassembler ses souvenirs, mais elle se souvint dès lors des yeux bleutés d'un homme qui jouait souvent avec elle, des voiles de soie courant sur ses bras et une odeur si familière des fleurs de shala.

« Oniisama ? demanda-t-elle vivement.

- Hey, Aozora-Kohime ! Je ne pensais jamais te voir ici ! »

Sans gêne, Chagum prit sa petite sœur dans ses bras et la fit tournoyer. L'enfant éclata d'un rire contagieux et resta longuement blottit dans les bras de son grand frère adoré. Il fit la rencontre des enfants de Balsa qu'il n'avait jamais eu la chance de rencontrer avant ce jour. Jin n'eut nullement besoin de se présenter, car il avait vus les enfants à chaque fois qu'il allait – avant – délivrer les messages à Chagum.

« Je suis Nao Yonsa, le second fils de Tanda et Balsa, se présenta-t-il à Chagum en s'inclinant légèrement. Je sais que vous êtes passé dans la nouvelle légende du Nyuga Ro Chaga.

- Second fils ? Tu n'es pas celui que Balsa attendait quand elle et moi se sommes quittées ?

- Maman a fait une fausse couche avant de m'avoir. Je suis un bébé arc-en-ciel.

- Oh... je suis désolé...

- Pas grave, tu ne pouvais pas savoir. »

Motoko se présenta à son tour avec les petits jumeaux. Tohya accueillit également son ancien disciple et ami. Chagum remarqua qu'il était plus grand que lui désormais.

« C'est qui le aniki maintenant ? s'amusa-t-il alors qu'ils éclataient de rire.

- Toujours moi, se défendit l'homme à tout faire. Par contre, j'ai des enfants maintenant. Ce que tu n'as pas encore. »

Chagum grimaça alors qu'il se mettait confortable.

Tellement de choses ont évoluée depuis la dernière fois, pensa-t-il pour lui. Tanda traita sa blessure et s'assura qu'elle puisse bien cicatriser. Il n'avait pas besoin de faire de suture. Il n'apposa qu'une pommade collante qui ferait en sorte que les bords de la plaie soit le plus proche possible.

Deux jours après leur arrivée à la grotte, Jin décida qu'il était temps pour lui de retourner au palais, au quartier général des hunters. Il avait appris comment Zen avait apporté Shuga et Aozora en sécurité à cet endroit et il aura beaucoup de chose à échanger avec son collègue de travail.

« Merci pour tout, Jin, le remercia Chagum alors que Tanda lui offrait un sac de provision pour la route.

- Je serai toujours à votre service, votre Altesse. Nous ne plierons pas devant l'ennemi sans avoir bravement combattu. Maintenant que Balsa-San est de retour avec vous, je peux avoir l'esprit tranquille en sachant qu'elle est la meilleure qualifiée pour votre sécurité. »

Jin n'était pas du genre à s'éterniser quand il quittait un endroit et il était très discret, généralement. Les enfants lui dirent au revoir rapidement avant de retourner à leur passe-temps préféré. Shuga, Chagum, Tanda et Balsa le regardèrent partir, lui souhaitant la meilleure des chances.


Depuis quelques nuits, Karuna allait retrouver la chaleur des bras de sa mère et se blottissait contre elle. Balsa continua de garder espoir quant au possible retour de sa fille.

Alika reviendra, elle va revenir, se disait-elle pour garder l'espoir.

Tous les souvenirs, de sa naissance jusqu'à l'entraînement – bien que court – d'Amaya, défilaient un à un dans son esprit.

En préparant le repas du soir en compagnie de Tomoe et Saya, Balsa se perdit dans ses pensées à nouveau. Elle trempa les brochettes dans la sauce salée de façon machinale et la déposa sur le plat de préparation avant de poser son regard sur sa famille et tous les autres invités.

Une grande famille hein ? pensa-t-elle.

Nao avait toujours le nez dans son bouquin, faisant des compétitions de lecture avec Nanda. Motoko était aux anges en s'occupant d'Aozora avec Rinko, alors que Jiguro et Karuna mangeaient leur entrée créée spécialement pour eux, en la partageant avec Fuyuka. Mais elle le ressentait : tous mangeaient avec beaucoup moins d'entrain. Tanda apporta le plat principal à l'aide de Tomoe et de Saya, et ils servirent les assiettes à l'aide de Chagum.

« On lâche nos affaires, s'il vous plait, commanda Balsa. C'est prêt !

- Est-ce qu'on devrait prier pour Alika-Onee-ny-chan ? s'enquit Motoko.

- Oui, faisons-le, l'appuya Tanda. »

Ils se prirent les mains et fermèrent les yeux. Chagum resta planté au beau milieu de la tablée, assistant à cette habitude que Tanda et sa famille avait développé depuis le décès d'un de leur enfant.

« Kasem, prend soin d'Alika et ramène-nous-la en vie. »

Ils se lâchèrent et commencèrent à manger. Les jumeaux ne déconnaient plus, rendant les soupers mornes. Balsa ne parlait pas beaucoup. Tanda était perdu dans ses pensées. Motoko avait beaucoup moins d'appétit, assise aux côtés de Tomoe, qui jetait de petits regards furtifs à Shuga, alors que Nao ne parlait pas du tout.

La guerrière soupira brièvement et allait encore manger du riz quand Nao sursauta vivement comme si une abeille l'avait piqué. Les quinze pairs d'yeux l'observèrent, intrigué.

« Nao ?! s'écria Nanda.

- Il y a une énergie... elle est lourde ! On aurait dit quelqu'un en dépression !

- Est-ce un esprit ?

- Je ne sais pas, on aurait dit les deux. En tout cas, je ressens bien la présence de Kasem, ça, c'est clair, net et précis.

- Les deux ? s'étonna Tanda.

- Une personne et un esprit à la fois... c'est très bizarre... comme une canalisation... »

Les parents s'observèrent lorsque Balsa prit rapidement sa lance, imitée de Motoko qui avait son bâton de bois, et partit en vitesse dans le vestibule.

« Qui est là ?! menaça Balsa en pointant sa lance sur la défensive. »

Un reflet brilla sous la lumière de la torche, dans la pénombre. Des bruits de pas incertains résonnèrent au fur et à mesure que l'intrus approchait et qu'enfin, une silhouette se fit voir.

« Ma... man ? sortit une voix timide, mais extrêmement familière.

- Alika ?! »


Sa voix mourut dans sa gorge et elle lâcha son arme avant de s'élancer vers sa fille aînée. Des larmes de soulagement inondèrent brusquement ses joues.

« Kasem-Sama, Jiguro, merci ! »

Elle cueillit sa fille vivement et l'étreignit fortement. Ce n'était pas un fantôme ni une illusion : elle tenait vraisemblablement sa fille, en chair et en os, dans ses bras. Alika lâcha sa lance et devint molle, comme si toute sa force l'avait soudainement quittée dans l'étreinte de sa mère. Elle aurait presque tombée sur le sol si Balsa ne l'avait pas soutenu. La guerrière attira sa fille aînée vers la lumière et l'aida à se remettre sur pied.

« Tu es frigorifiée !... Tu es venue seule ? Où est Amaya ? Tu es blessée ?! »

À l'entente de son prénom, Alika échappa une slave de larmes, un tsunami presque cascadait sur ses joues rougis par le froid. Balsa le vit aussitôt. Nao se tassa et vit une petite silhouette luminescente marcher vers eux. Même ceux qui n'avaient pas de clairvoyance pouvaient l'apercevoir.

« Kasem..., murmura-t-il.

- Tu nous l'as ramené... merci, chuchota Tanda. »

Alika était incapable de prononcer le moindre mot, secouée par d'innombrables sanglots profonds et de soubresauts incontrôlables. Sa mère l'emmena dans le salon sous le regard des autres, alors que Chagum prenait sa lance, tombée au passage.

Une fois à la lumière, Balsa fut figée de voir à quel point Alika semblait anormale, en très mauvais état. Elle ne se ressemblait plus. À commencer par ses longs cheveux entremêlés, mouillés, souillés de sang et coupés en différents endroits, son manteau et ses vêtements étaient à demi-déchirés, mal remis en place, tâchés également de boue et de sang. Elle avait des blessures, parfois profondes tantôt légères avec des ecchymoses, son teint était d'une pâleur cadavérique, ses yeux étaient sombres et cernés... quant à sa lance, elle était maculée de sang et de boue séchée. Balsa toucha son front et remarqua qu'elle était brûlante. Alika sanglotait moins bruyamment, mais pleurait toujours.

« Faites chauffer de l'eau, on va lui donner un bain tiède ! ordonna-t-elle. »

Aussitôt, la pièce tantôt tranquille s'était transformée en une véritable salle achalandée. On aurait dit que tout le monde voulait aider Alika, curieux de savoir ce qu'elle avait vécu pour être dans un tel état. Elle frissonna. Balsa alla chercher sa cape rouge et la déposa sur ses épaules avant de s'agenouiller et de prendre son visage dans ses mains.

« Comment te sens-tu, Alika ? T'a-t-on fait du mal ? Les Talsh t'ont-ils séquestré et torturé ? »

Elle hocha la tête positivement, incapable de s'arrêter de trembler alors que Tanda retirait la cape de sa femme et la recouvrait d'une chaude couverture.

« Ensuite ? »

Alika n'avait pas prononcé d'autres mots à part « Maman ».

« Alika ? Tu peux me parler ? »

Ses lèvres tremblotaient comme si elle essayait de dire quelque chose.

« Tu peux prendre tout le temps que tu désires... je ne suis pas pressée. »

Entre temps, tout le monde s'était rassemblé pour savoir ce qui lui arrivait. Soudain, Alika, comme réveillée de sa lunatique, remarqua le public devant elle. Elle fut prise d'une panique soudaine, cherchant à se retirer le plus loin possible. Balsa comprit qu'il y avait trop de monde. Ils ne savaient pas ce qu'elle avait enduré comme calvaire pour avoir changé à ce point, mais ils décidèrent de sortir de la pièce, à l'exception de Torogai et de Tanda, pour lui donner un peu d'air et d'espace personnel. Chagum ne voulut pas partir et insista pour rester avec eux. Il gagna.

« Alika ? Alika, c'est moi... ta Maman, essaya Balsa. Tu es en sécurité avec nous.

- Maman...

- Je t'ai cherchée partout ! »

Balsa eut un court soulagement en voyant qu'elle n'avait pas perdu la voix.

« Ma petite chérie... comment tu te sens ?

- J'ai envie de vomir...

- Emmenez un bac, vite ! »

Chagum alla en chercher un et Alika s'empressa de pencher sa tête dedans. Après avoir vomi, elle se mit à pleurer et s'excusa, ce que sa mère s'empressa de lui dire que ce n'était pas grave et qu'elle n'avait pas besoin de le faire.

Quelques instants plus tard, Tanda revint en leur disant que le bain était prêt. Balsa l'emmena en compagnie de Saya et de Tomoe dans la salle de la source. Balsa voulut aider son aînée à se déshabiller et se débarrasser de ses habits souillés et déchirés, mais d'une quelconque manière, Alika refusa et se déshabilla dans un coin avant de cacher ses seins et sa partie intime de ses mains du regard des deux autres femmes.

Elle n'a jamais été gênée de se montrer nue face à moi ou Grand-Mère Torogai... elle aurait pu courir seins nus en forêt sans se soucier du regard des autres... Alika... que t'est-il arrivé ? réfléchit la lancière.

Balsa demanda à Saya d'aller chercher de nouveaux sous-vêtements, le kimono appartenant à sa fille aînée, une ceinture, des plantes médicinales et des bandages. Alika entra dans la source en cachant toujours ses parties, lentement et en grimaçant à cause de ses blessures encore fraîches. Balsa sortit les serviettes et le savon. Elle lui massa vigoureusement les cheveux, observa les différentes blessures et ecchymoses qui marquaient son corps et remarqua que sa fille semblait avoir maigri.

« Attention à tes yeux, je rince. »

Saya revint avec les vêtements. Une fois bien propre, Alika sortit d'elle-même, la serviette cachant son corps alors qu'elle s'extirpait de l'eau. La chaleur de l'eau avait relaxé ses muscles et elle se sentait beaucoup plus détendue, moins courbaturée. Elle s'habilla de façon pudique à l'aide de Tomoe. Par après, Saya pansa ses blessures et apposa de la pommade sur ses ecchymoses avant de couper ses cheveux. Anciennement, ils lui arrivaient aux fesses, désormais, ils étaient rendues au-dessus de ses épaules.

« De quoi... ai-je l'air ? questionna-t-elle.

- De ma fille, répondit Balsa. Ça fait encore spécial de te revoir les cheveux courts. »

Alika ne sembla pas convaincue de la réponse. Balsa la fit dormir dans une pièce isolée pour qu'elle puisse dormir. Elle offrit un thé à sa fille aînée et posa une serviette froide humide sur son front pour calmer sa fièvre.

« Je ne serai pas loin. »

Sa fille aînée la retint par la ceinture, comme lorsqu'elle était enfant. Balsa s'arrêta net.

« Maman...

- Oui ?

- ... Reste...

- D'accord. »

Balsa se coucha à ses côtés, souleva la couverture et la colla contre elle. Alika la serrait comme une bouée de sauvetage, comme si elle était sur le point de se noyer.

« Maman ? murmura-t-elle.

- Oui, trésor ?

- Est-ce que ce n'est qu'un rêve illusoire ? Je vais me réveiller et tu vas avoir disparu ? demanda-t-elle, prête à pleurer. Et je serai encore seule, dans la nature, au froid ? Tout ça est trop beau pour être vrai... est-ce que tu es vraiment là ou tu n'es qu'une illusion... Maman... j'ai peur... »

Son cœur manqua un battement.

« Non, je serai là à ton réveil. Tu es en sécurité ici, dans mes bras. Je suis là, en chair et en os.

- Promis ?

- Promis... regarde... »

Elle glissa l'étoile en bois dans sa main.

« Cette étoile, tu me l'as offert à la fête des mères... c'est un porte-bonheur. C'est un signe que je suis toujours là. »

Alika resta collée contre elle, à serrer la sculpture en bois dans sa main, laquelle reposait dans la main de sa mère, à écouter le battement de cœur de Balsa. Deux heures plus tard, Tanda se pencha vers sa femme qui était à moitié-endormie.

« Comment va-t-elle ?

- Je ne sais pas ce qu'elle a vécu pour devenir comme ça... mais cette nuit, je dors avec elle... elle a très peur, Tanda...

- D'accord. On se reparle demain matin.

- Oui.

- Bonne nuit. »

Il embrassa Balsa sur les lèvres et offrit un léger baiser sur le front d'Alika qui semblait dormir paisiblement contre sa mère comme quand elle était plus jeune. Il l'observa un moment dormir. Si calme, si apaisée...

Tanda sortit de la chambre et alla rejoindre les autres personnes, qui visiblement, attendaient de ses nouvelles. Tous se rapprochèrent.

« Tu es sûre que c'était Alika ? demanda Chagum. Elle semblait si... meurtrie. Si... différente.

- Oui, ajouta Nao, son énergie n'est plus la même.

- Je sais, dit-il. Physiquement, elle est très mal en point, elle ne semble pas, non plus, avoir beaucoup dormi ces derniers temps et est malade. Balsa va dormir avec elle... d'après ce que j'ai vu, elle a besoin d'avoir une présence rassurante à ses côtés pour la rassurer. »

Vers le milieu de la nuit, tout le monde se fit réveiller par les cris d'Alika, provenant de sa chambre. Tous accoururent vers la pièce où ses pleurs continuaient de faire écho sur le mur de la grotte. Tanda découvrit sa fille, recroquevillée sur elle-même en position fœtale sur le lit, les mains appuyées contre ses tempes, pleurant. Balsa essayait, en vain, de la calmer et de lui parler, Alika n'entendait rien. Elle était dans l'impossibilité de pouvoir communiquer extérieurement. La mère de famille jeta un regard suppliant sur Tanda pour lui demander de l'aide.

« ... Il s'agit d'un stress post-traumatique, murmura-t-il tristement.

- Qu'est-ce que je peux faire pour l'aider ?! Elle ne semble pas m'entendre...

- Parle-lui doucement et serre-là contre toi. Elle doit sentir ta présence physique et te prendre en tant que pilier. Comme lorsque l'œuf muait en Chagum, tu te souviens ? »

Balsa hocha la tête et prit doucement sa fille aînée dans ses bras.