Update 2022

Kazoku no Moribito

Gardien de la famille

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Partie III


Chapitre 18

Réconfort

Lorsqu'Alika se réveilla de sa sieste, Balsa polissait leurs lances.

« Tu n'es pas allée voir Papa ? demanda-t-elle.

- Quelques fois. Comment te sens-tu ?

- ... Épuisée. »

La lancière déposa la lance de sa fille sur le sol et s'approcha d'elle. Balsa lui dit qu'elle n'avait pas pu vérifier si elle était vraiment enceinte, mais elle avait décidé d'avoir confiance en ses dires. Avant même de proposer des solutions, Alika fut plus rapide qu'elle.

« Je dois avorter, sortit-elle rapidement, sur un ton autoritaire qui démontrait que son idée était fixe et que rien ne pourrait la faire changer d'idée. Je ne veux pas d'un bébé à ma charge... un enfant dont je ne peux même pas connaître le géniteur. S'il te plait, Maman, fais quelque chose ! la supplia-t-elle. Je ne pourrais pas vivre avec ce fardeau, avec une vie remplit de haine cachée et de secrets ! Je n'arrive même pas m'occuper de moi-même ! Regarde l'état dans lequel je suis présentement ! »

Alika éclata en sanglots.

« Je n'ai pas le choix, Maman... je ne peux tout simplement pas le faire. Je ne voulais pas être enceinte... Je sais que pleins de femmes auraient tout fait pour ne pas perdre leur bébé, comme toi et Kasem, mais... moi... »

Balsa la fit taire en posant son doigt sur ses lèvres.

« Tu n'as pas besoin de te justifier, la rassura-t-elle. C'est ton corps, ce sont tes décisions. Ton ventre, tes choix. J'ai eu beaucoup de grossesses, mais j'étais prête et j'avais fait l'amour avec un homme qui m'aimait et que j'aimais... Pour toi, cette grossesse n'est pas nécessaire avec tout ce que tu vis présentement. Ce n'est pas le bon moment...

- Dans d'autres circonstances... peut-être...

- Oui. De plus, nous sommes en temps de guerre. Je vais demander à Papa des plantes médicinales pour. Nous allons tout arranger. Je te le promets. Ai-je ta permission d'en parler à Papa et peut-être, Grand-Mère ? Je ne peux pas garder ça pour moi seule.

- ... Papa et Grand-Mère... Je ne veux pas que les autres le sachent...

- Pas même Chagum ?

- Pas même Niisan... d'ailleurs, il fait quoi ici ? Tu l'as retrouvé ?

- Oui. C'est lui que j'ai trouvé à ta place quand je te cherchais avant ton retour ici.

- Oh…

- Très bien. Ça restera entre nous. »

Elle lui baisa le front et quitta la pièce. Dès que Balsa entra dans la pièce principale, elle se dirigea vers Tanda en lui faisant signe qu'elle avait terminé son entretien privé avec leur fille aînée. Chagum vint les rejoindre.

« Alors ? questionna le second prince.

- Je comprends maintenant pourquoi elle réagit si différemment. Et pourquoi elle semble sur ses gardes... par contre, je suis désolée Chagum, mais à la demande d'Alika, je ne peux malheureusement te faire part de ce qu'elle m'a dit. C'est pourquoi je dois m'entretenir qu'avec Tanda et Torogai. »

Chagum sembla déçut, mais il comprenait que ce que sa petite sœur de cœur avait vécu devait être très grave pour qu'elle choisisse une telle confidentialité... même après plus de treize ans suivant leur première rencontre. Torogai et Tanda suivirent Balsa. Ils s'enfermèrent dans une des nombreuses pièces naturelles que la grotte possédait. Elle leur raconta, sans avoir retenu les minimes détails qu'Alika lui avait comptés, les grosses lignes et la mort d'Amaya suite à une pneumonie. Balsa décida de terminer sur cette phrase :

« Tanda, Torogai... je sais que vous êtes Yakue et que certaines de vos valeurs entrent en collision avec ce que je vais dire. Mais la situation est urgente et ça ne peut attendre... peu importe ce que vous direz, je me range du côté d'Alika et je l'aiderai, coûte que coûte. Quitte à ce que vous me reniez, tous les deux. »

Tanda et Torogai se jetèrent un œil intrigué avant de reposer leurs regards sur elle.

« Qu'est-ce que c'est ? s'inquiéta Tanda.

- ... Alika doit avorter. »

Cette révélation créa un choc. Torogai ne ferma que les yeux.

« Je vois... la petite peut bien faire ce qu'elle veut de son corps. Je n'ai pas mon mot à dire sur elle. »

Sur ce, la chamane tourna les talons et s'en fut.

Balsa continuait toujours de digérer le récit cru de sa fille. Elle voulait tellement que ce ne soit qu'un cauchemar. Que quand elle se réveillerait, Alika serait comme avant. Mais elle devait se rendre à l'évidence : c'était un triste visage de la réalité et elle devait y faire face. Elle ne pouvait fermer les yeux sur cette réalité, car les yeux de sa fille l'avait vu.

La lancière était là. Seule. Désemparée. Impuissante. Spectatrice.


Balsa se dirigea vers Motoko qui parlait avec Tomoe, assise sur ses genoux. Tomoe avait trouvé appuie sur le palier de bois. Aussitôt, en voyant sa mère arriver, Motoko descendit de son accotoir rapidement avant de s'asseoir aux côtés de son amie.

« Bonjour Motoko.

- Allô Maman, dit-elle timidement en baissant les yeux. »

À sa plus grande surprise, Balsa la souleva et la remit sur les genoux de Tomoe.

« Il n'y a plus de problèmes, sourit-elle. J'aimerai discuter avec toi.

- Peut-être que Tatie Tomoe devrait...

- Oui, je vais vous laisser seule à seule, annonça Tomoe. Ne t'en fais pas, tu viendras me rejoindre avec Shuga quand tu auras terminé, 'Toko-Chan.

- D'accord. »

Motoko se retira à nouveau des genoux de Tomoe et se rassit, sans pour autant regarder sa mère dans les yeux.

« Je suis désolée de t'avoir mise de côté et d'avoir cru que tu voulais me remplacer par Tomoe, s'excusa Balsa. J'étais trop inquiète au sujet de ta sœur aînée et j'étais beaucoup fatiguée dernièrement...

- Je sais, je t'en veux pas...

- Tomoe-San et moi, nous nous sommes expliquées. Nous avons réglés les malentendus.

- Mais je suis responsable... C'est pas vrai que je veux une autre Maman que toi... Mais Papa et toi vous vous chicaniez beaucoup, donc j'ai eu peur que vous vous sépariez...

- Oui, c'est vrai que nous avons eu beaucoup de conflits dernièrement. Nous n'étions pas d'accord sur les mêmes sujets. Ça arrive, dans un couple, des chicanes.

- Tu m'aimes encore ?

- Ce serait plutôt à moi de te poser la question, cocotte, rit Balsa en touchant le bout de son nez.

- Moi, je t'aime toujours. Je voudrais que tu sois là plus souvent. »

Balsa sourit.

« Oui, je serai plus présente pour toi désormais que je sais Alika en sécurité.

- Elle va bien ?

- "Bien" est un grand mot... elle va... mieux.

- D'accord...

- Tu me donnes un câlin ? »

Sa fille fit une moue avant de céder avec un sourire et de se jeter dans ses bras.

« Désolée, Maman...

- Aucun problème, mon cœur. »

Elles restèrent un moment enlacées jusqu'à ce que sa seconde fille redresse la tête.

« Est-ce que tu vas te fâcher si je vais voir Tomoe-Chan et que je joue avec ?

- Non, ne t'en fais pas. Tu peux jouer avec qui tu veux.

- D'accord !

- Aller, va. »

Motoko lui donna un bisou mouillé sur la joue avant d'aller rejoindre Tomoe qui était partie voir Aozora et Chagum.

Un autre problème de réglé. Finalement, tout va s'arranger..., pensa Balsa en regardant un œil sur le petit peuple devant ses yeux.


Depuis qu'ils s'étaient retrouvés, Balsa et Tanda n'avaient quasiment pas eu de moments intimes à eux seuls. Avec les crises de jalousie et les conflits de couple, ils s'étaient éloignés. Ils s'étaient éloignés avec la disparition de leur fille aînée, mettant leur mariage à rude épreuve et en danger, laissant les « quiproquos » semer le doute dans leurs esprits. Or, depuis le retour d'Alika, ils cherchaient à se réunir pour pouvoir enfin mettre leurs nouvelles à jour puisque Balsa était la principale – et possiblement l'unique – personne à connaître l'état actuel de leur fille. Cette dernière n'avait parlé à personne sauf à sa mère.

Sentant que le couple cherchait à se retrouver dans cette routine bouleversée, Chagum et Tomoe avaient donc comploté ensembles, de sorte à les pousser dans le dos pour prendre un bain commun et passer une soirée en amoureux. C'était une idée qui leur plaisait bien. Surtout Chagum... Alors que l'eau remplissait le bain, creusé à même la pierre, et se réchauffait, ils entrèrent dans la pièce.

« Ça fait étrange, commenta Balsa.

- De se retrouver que nous deux, pas vrai ? ajouta Tanda.

- Oui...

- Pourquoi ne pas en profiter pour ressouder nos liens qui étaient en train de s'effriter ? proposa-t-il en se déshabillant.

- Pourquoi pas. »

Elle l'imita et se mit complètement à nue avant d'embarquer dans le bain, vite imité de son mari.

« C'est toi qui as mis les pétales de fleurs sur la surface de l'eau ? questionna-t-elle.

- Non, c'est sans doute un tour de Chagum, rit nerveusement Tanda. »

Balsa sourit et laissa son mari se rapprocher. L'atmosphère qui régnait était un peu bizarre au départ, mais ils finirent par se détendre.

« Comment ça se passe du côté d'Alika depuis son retour ici ? osa-t-il enfin demander.

- Elle n'a plus d'énergie et elle est pudique. Ses nuits sont difficiles et elle continue de cauchemarder à propos de cette nuit-là. Tanda, j'ai vraiment besoin de ton aide pour l'aider à avorter... et même si tu t'y opposerais, j'irai voir un autre médecin ou magic-weaver. Alika n'a pas besoin d'un enfant à sa charge et elle n'est pas stupide. Elle a calculé les enjeux et a projeté son esprit dans l'avenir. Je connais ma fille et je sais que ceci n'est pas une décision prise sur un coup de tête venant de sa part.

- ... A-t-elle... pensé à l'adoption ? »

Aussitôt cette question posée, Balsa se raidit comme si elle avait été piquée par une guêpe. Son regard s'assombrit et, d'un ton plus sec qu'elle ne l'espérait, sortit sèchement :

« Non. Elle ne m'en a pas fait part, mais son choix est fait et elle ne changera pas d'avis. Elle est comme moi sur ce trait de caractère.

- Je sais que vous êtes toutes deux bornées, mais, tu sais—

- Tanda. Je ne veux pas escarper ce chemin sensible et argumenter avec toi. Avant de passer par l'adoption, il faut qu'elle subisse la grossesse en entier, passe par les contractions et accouche pour faire passer un paquet de plus de cinq livres entre ses jambes. Je sais que tu ne peux pas savoir ce que ça fait d'être enceinte et de devoir accoucher, mais je peux te dire une chose : c'est difficile et ça fait mal. Autant pour le corps que pour le mental. C'est physiquement dur et il y a tous les désagréments qui s'en suivent et plusieurs femmes meurent en donnant naissance. J'ai été assez forte pour survivre aux accouchements de nos enfants, et je ne le regretterai jamais... mais Alika... »

Elle soupira et grogna. Tanda essayait de placer un mot pour expliquer son point de vue, mais Balsa ne lui permettait pas de le faire. Il comprit qu'elle protègerait leur fille jusqu'à la mort et qu'il ne pouvait pas s'argumenter avec elle.

« ... ce n'est pas pareil ! continua-t-elle de fulminer. L'adoption créée une blessure des deux côtés, mais je tiens à croire que celui ou celle qui va le plus en souffrir est l'enfant ! Ce dernier qui va se demander pourquoi on l'a mis au monde. Quelles étaient les circonstances de sa naissance, de sa conception ? Il valait si peu que sa mère biologique l'a jetée de sa vie ? Et si on lui cachait véritablement son adoption ? Tu as pensé à tout ça ?! C'est quelque chose qui va rester avec iel toute sa vie, car le processus d'attachement se forme très tôt dans la vie d'un bébé.

- ... Non, je n'y ai pas pensé...

- Et que tu le veuilles ou non, Alika va rester la génitrice de ce petit être. Elle va savoir à chaque jour qu'elle a placé un être né de sa propre chair et son propre sang, à quelque part dans le monde... même pour son bien-être, elle l'aura abandonnée... Pour ma part, je serai toujours en faveur de l'avortement, car mettre un enfant en adoption, c'est de ne pas penser à l'enfant en premier lieu. À quoi ça sert de faire un enfant si au final c'est pour l'abandonner et le laisser aux mains d'inconnus ?! Ça ne fait aucun sens à mes yeux !

- Balsa, je— »

La tournure psychologique que sa conversation prenait surprit Balsa et elle s'éloigna dans l'eau, ne remarquant à la toute dernière minute qu'elle était en train de pleurer. Tanda s'approcha doucement d'elle et caressa son bras.

« Balsa, je suis désolé... si je me suis mal exprimé, je m'en excuse sincèrement. Ne sois pas fâchée contre moi, je t'en prie, mon amour...

- Je ne suis pas fâchée contre toi ! s'écria-t-elle vivement. Je suis fâchée contre les Talsh ! Ils ont violenté ma fille et l'ont engrossée ! Je les hais pour tout le mal qui lui ont fait subir ! Elle est traumatisée pour le reste de ses jours ! C'est trop ! Comme je te l'ai dit, si tu ne veux pas nous aider, j'irai chercher mon aide ailleurs ! »

Elle s'apprêtait à se redresser, quand Tanda lui emprisonna le poignet.

« Je vais aider ma fille, annonça-t-il. Je vais vous aider pour cette décision... ne sois pas fâchée contre moi, mon amour, je t'en prie. »

Sa femme grogna.

« Balsa, calme-toi, je t'en supplie. Reviens ici et calme-toi.

- J'ai eu si peur de la perdre, Tanda... si peur... et maintenant qu'elle est de retour avec nous, c'est le seul soutien, pour le moment, que je peux lui offrir. Alika a besoin d'aide. Elle a besoin de nous deux.

- ... Je serai là. Je l'aiderai. Elle est ma fille, après tout. Je ne suis pas insensible à sa douleur ni à la tienne et tu le sais. »

Balsa se laissa pleurer un long moment, Tanda ne caressant que son dos et la gardant proche de lui jusqu'à ce que toute sa souffrance soit sortie avec ses larmes. Quand elle fut plus calme, il l'embrassa sur le front avant de chercher ses lèvres.

« Je t'aime, Balsa.

- Je t'aime aussi, Tanda. »

Ils y mirent plus de passion. Balsa se positionna par-dessus lui, les cuisses écartée, emprisonnant ses hanches et ils glissèrent dans l'eau, dans une énorme éclaboussure. Ils se redressèrent. La frange mouillée de la lancière lui tombait devant les yeux, tandis que Tanda replaçait maladroitement ses cheveux.

« J'ai l'impression d'être retourné en enfance, rit-il.

- Moi aussi. Mais à l'époque tu pouvais monter sur mon dos. Jusqu'à ce que tu grandisses, maugréa-t-elle. T'étais mon adorable petit frère... dans le temps. »

Tanda sourit avant de l'embrasser à nouveau. Puis, il repoussa un peu Balsa, mal à l'aise.

« Tanda ? Qu'est-ce qui ne va pas ?

- Rien... tu es juste en train de m'exciter... »

Elle comprit en baissant les yeux et rosit.

« Nous pouvons toujours faire l'amour... ça détend aussi.

- Il y a une vingtaine de personne dans la grotte. De plus, on pourrait nous entendre... »

Balsa haussa les épaules.

« Et alors ? Les adultes ont du sexe. Le sexe est bon pour le corps et le moral... quand c'est réciproque et que tous les deux sont consentant pour. Je pense que tout le monde ci-présent a au moins fait l'amour une fois dans sa vie... sauf peut-être Chagum… mais je ne peux pas dire.

- J'imagine que c'est le premier à nous taquiner là-dessus. Nous sommes toujours un couple malgré que nous ayons des enfants.

- Tu as raison, ils vont comprendre.

- Ces derniers temps, ça a été assez difficile. Notre couple en a pris des méchants coups. Nous pouvons toujours faire l'amour ici.

- Quoi ? Dans l'eau ? s'étonna Balsa.

- Non, ça fait mal dans l'eau... juste là, à côté de la fournaise qui chauffe l'eau. Je suis sûr qu'avec l'humidité et la chaleur, ça va être plaisant.

- Mais nous n'avons pas de lit.

- Nous allons utiliser nos vêtements.

- Décidemment, tu es rempli de ressources. »

Ils sortirent, se séchèrent à demi avant de prendre leurs vêtements et les étendre sur le sol, qui étonnamment, était tiède. Balsa, qui en général, préférait être sur le dessus et mener la danse, décida de laisser Tanda prendre les devants. Elle n'avait pas la force de diriger cet amour. Il ne se fit pas prier et naturellement, se positionna par-dessus elle... À cet instant, les yeux de Balsa se remplirent de larmes.

« Tu as mal, Balsa ? s'inquiéta Tanda.

- Non, je n'ai pas mal…

- Alors qu'est-ce que tu as, mon amour ?

- Je pense que je pleure, car… je me sens en sécurité et suis heureuse d'être avec toi… »

Son mari l'embrassa dans le cou.

« Ça faisait très longtemps que nous n'avions pas eu d'intimité à nous deux. Je te sens heureuse, malgré Alika.

- Oui. Je suis tellement heureuse de pouvoir faire l'amour avec un homme qui m'aime, me respecte et ne me prend pas que pour un simple objet. »

Elle ne parvenait pas à contenir ses larmes et elle sentait une injustice profonde que sa fille n'avait pas pu vivre ça dans la douceur.

Enfin, elle lâcha-prise, oubliant tous ses tracas et se concentra sur l'acte en soi. Tanda lui intima de se libérer de toute sa tension, prenant bien soin de lui donner du plaisir.

Ils dormirent un peu, collés l'un contre l'autre, dans la salle d'eau après l'amour, puis se forcèrent à se lever. Bien qu'ils auraient aimé tout faire silencieusement, ils s'étaient quand même relâchés et se doutaient fort bien qu'on ait pu les entendre; la grotte n'était pas insonorisée naturellement. Le regard gêné de Chagum indiquait bel et bien qu'il les avait entendus un instant.


Le lendemain, Balsa alla réveiller sa fille aînée.

« Bon matin, mon petit rayon de soleil. »

Alika bougea dans son lit et regarda sa mère d'un œil endormit.

« ... Ton aura est plus brillante, remarqua-t-elle. Tu as fait l'amour avec Papa, hier soir ? »

Les joues de Balsa rosirent un instant et elle sourit timidement, tenant un bac vide dans ses bras avant de s'agenouiller. Alika refoula une grimace de dégoût à la simple pensée du sexe et se redressa dans son lit. Les nausées l'assaillirent. Balsa se dépêcha de lui mettre le bac sous le nez et elle vomit plusieurs fois. La jeune femme sentit sa mère lui caresser le dos.

« Urgh... tuer-moi quelqu'un, grogna-t-elle, remplit dégoût, vomissant à nouveau.

- Tout va bien, ce sera bientôt finit, mon cœur.

- Urgh... par pitié... je n'aime pas être enceinte...

- Peut-être que tu aimeras ça... mais seulement quand tu seras prête, ma belle. Alors je comprends ta répugnance. »

Une fois terminée, Alika se sentit assez forte pour sortir de la chambre. Tous furent surpris de la voir arriver dans la grande pièce du salon. Chagum, trop abasourdi de la voir si différente, physiquement et mentalement, ne put se retenir davantage et alla directement vers elle. Il était heureux de voir que la fillette qu'elle avait été était désormais une jeune femme forte jolie. Un vrai portrait craché de Balsa. Son regard était terne et des cernes sous ses yeux étaient visibles, signe de son exténuation.

« Hey, Alika-Imouto, tu me reconnais ? lui demanda-t-il. »

Alika sortit de ses pensées et l'observa un moment, incertaine.

« C'est moi, ton Niisan comme tu m'appelais à l'époque.

- Hah... Niisan..., dit-elle sans grande joie. »

Pour tenter de l'égayer, Chagum plaça sa main au-dessus de sa tête. Alika baissa instinctivement la tête, comme pour se protéger, légèrement effrayée.

« Je m'excuse, je ne voulais pas te faire peur, s'excusa le prince. Je voulais juste te dire que tu es plus petite que moi et... je vois tu n'as pas réussi à dépasser ta maman en taille ? »

Alika se retourna vers sa mère et baissa la tête, légèrement courroucée.

« Ce n'est pas que je n'ai pas essayé de la dépasser, hein ? répondit-elle enfin.

- Encore cinq centimètres et tu m'aurais dépassé, s'amusa Balsa. »

Chagum décida de laisser sa petite sœur de cœur respirer un peu. Cette dernière continua de se frayer un chemin pour aller se terrer sur l'étage plus haut qui faisait office de mezzanine. Ce changement d'attitude frappa la guerrière en pleine poitrine et elle comprit qu'elle venait de perdre la petite fille souriante, énergique et optimiste suite à cet évènement. Le prince regarda Balsa, confus. Elle haussa les épaules, un air désolé au visage alors que les jumeaux allaient vers leur grande sœur avec Motoko. Seul Nao restait en retrait.

« Onee-ny-chan ! s'écria Motoko en lui tombant dans les bras. »

Doucement, Alika, déprimée comme jamais auparavant, l'avait retirée d'elle.

« Je suis désolée... je ne désire pas être collée...

- Onne-ny-chan... qu'est-ce qui se passe ? »

Sa grande sœur détourna la tête vers le mur. Jiguro et Karuna avaient senti qu'elle n'était plus la même et avaient choisi de retourner à leur jeu de : Shuga-Sama, dessinez-nous un mouton !

Tanda prépara le thé spécial pour l'aider, comme demandé par Balsa. Il offrit la tasse bien en face de sa fille aînée en arrivant à l'étage de la mezzanine. Cette dernière regarda son père en mordillant sa lèvre inférieure. Il lui fit un clin d'œil.

« Tu dois l'avoir fini d'ici une heure, l'informa-t-il. »

Elle hocha la tête et prit la tasse qu'elle but lentement. Balsa déposa une assiette devant elle composée de petites portions riz avec de la viande mijotée, mais Alika repoussa la nourriture.

« Ma chérie, tu n'as quasiment pas mangé depuis ton retour ici, mange un peu, insista Balsa en poussant à nouveau l'assiette vers elle.

- Je n'en veux pas..., répliqua-t-elle en repoussant encore l'assiette.

- Une bouchée, continua d'insister sa mère en poussant pour la troisième fois l'assiette.

- Ça ne va pas entrer... je vais vomir.

- Une bouchée, répéta Balsa en prenant une cuillérée qui ressemblait plus à une grosse pelletée de nourriture. Juste une. »

Alika soupira, prit la cuillère et ouvrit difficilement la bouche. Elle mâchouilla presque machinalement et essaya d'avaler. Sa gorge se serra. Elle mit sa main sur sa bouche comme si elle allait vomir, mais ne recracha pas sa bouchée. Elle tenta une seconde fois, faillit vomir à nouveau, puis prit du thé en même temps d'avaler. Chose qui fut une réussite. Aussitôt, Balsa l'applaudit et laissa l'assiette devant elle rien qu'au cas. Sa fille ainée restait dans sa bulle, dans son coin, sans adresser un mot à personne, à chipoter dans son assiette en volant parfois de minuscule bouchée.

Torogai secoua la tête et alla la voir pour au moins lui parler de son deuil, même si elle prévoyait que ça serait chose impossible.

« Hey, petite fleur, salua-t-elle.

- Allô..., répondit Alika en détournant la tête.

- Je suis au courant de ce qui s'est passé. Je sais que tu as perdu la femme que tu aimais.

- ... N'en parlons pas...

- On doit ! »

Alika sursauta en la regardant.

« Ce n'est pas en l'oubliant que tu vas faire taire cette douleur, continua la chamane. C'est un processus de deuil, Alika. Ta réaction est parfaitement normale suite à ça. »

Torogai baissa le volume de sa voix pour ne pas se faire entendre et s'approcha de son oreille.

« Je sais aussi que tu as été engrossée... »

Ce mot la gifla intérieurement.

« Ça ne vous regarde pas, marmonna-t-elle en se repliant sur elle-même, comme si elle voulait cacher son ventre. Je suis sûre que vous allez me dire que je ne devrais pas parce que vous êtes Yakue dans le sang...

- Ce n'est pas mon corps, c'est le tiens. Et je n'ai pas dit que tu étais enceinte, mais bien engrossée. Tu choisis comment tu veux vivre ta vie, ce n'est pas à moi de choisir pour toi. Je veux juste que tu saches que tu as mon soutien. Je ne suis pas là pour te juger. Tu es ma petite-fille, après tout. »

La vieille femme caressa ses cheveux courts, se leva et retourna vaquer à ses occupations. Plus tard dans la journée, Balsa s'isola et parla à Tanda.

« Tanda...

- Oui ? »

Il vit ses yeux devenir rouge, briller et elle éclata en sanglots, se ruant dans ses bras non préparés avant d'y enfouir sa tête dans son cou. Tanda ne s'attendait pas à ça de sa part, pour le moins du monde. Il caressa ses cheveux : combien de fois l'avait-il vu aussi dévastée ? Il ne pouvait même pas compter le nombre fois tellement ce fut rare.

« Ma chérie... ?

- Tanda... Alika est brisée à jamais... j'ai peur qu'avec tout ce qu'elle a vécu, elle revienne comme avant... tu as vu comment elle a réagis en voyant Chagum ? Quand Motoko l'a serrée dans ses bras ? pleura-t-elle.

- Oui, j'ai vu, tenta-t-il de la rassurer en caressant ses cheveux. Mais ne perdons pas espoir. Nous allons la ramener. Nous retrouverons notre Alika, joyeuse, enjouée de la vie et fonceuse...

- Nous avons besoin d'être forts... elle a besoin de soutient.

- Oui, je sais. Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l'aider. Je te le promets. »

Elle resta blottie dans ses bras, à se retourner en tête toutes les situations et les solutions possibles pour aider sa fille à se redresser. Mais elle se sentait impuissante par le fait même. Elle ne pouvait pas changer le passé...