Update 2022

Kazoku no Moribito

Gardien de la famille

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Partie III


Chapitre 19

Impuissance

Lorsqu'Alika passa devant Nao, elle s'arrêta en fronçant les sourcils.

« Depuis quand y a-t-il autant d'esprits qui te suivent ? dit-elle tout haut.

- Chut ! lui intima vivement Nao. »

Sa grande sœur ne lâcha pas le morceau pour autant.

« Tu sais très bien que je les vois tous, lui rappela-t-elle, prenant soin de ne pas l'informer qu'elle avait bloqué son don de deux tiers depuis la mort d'Amaya. Tu n'as pas répondu à ma question.

- Parce que c'est ma horde, annonça Nao.

- Une horde ? répéta Alika, incrédule, sur un ton presque moqueur. Tu avais déjà trois gardiens comme ça, et ça ne te suffit pas ?

- Je fais ce que je veux avec le monde spirituel ! Seule Maho pourrait me comprendre et Grand-Mère également.

- Je comprends, mais fais attention, toi aussi. Ton énergie a changé depuis la dernière fois et elle est irritante pour ton entourage. »

Nao grogna.

« T'es juste jalouse ! lâcha-t-il.

- Non, je suis réaliste. »

Alika vit l'esprit en question qui accompagnait son petit frère depuis quelques mois. La fameuse Leesiah. Elle avait un teint pâle, des yeux verts avec des cheveux blonds ondulés qui lui arrivaient au milieu de la poitrine. À son énergie, elle était déjà en garde et fixait Alika avec dédain.

« Tu devrais dire à cette esprit, Leesiah, qui t'accompagne, de se tenir le dos droit, l'avertit sa grande sœur.

- Elle fait partie de mes réguliers ! la protégea Nao.

- Ce n'est pas ça que je lui reprochais... j'ignore ce que je lui ai fait antérieurement ou spirituellement, mais elle ne m'aime pas. Ça se ressent clairement dans son énergie et dans ses yeux. Ça tombe bien : moi non plus. Fais juste attention à ton corps quand tu canalises des esprits. Ça pourrait être dangereux, surtout pour toi. »

Sur ce, Alika partit se reposer dans une pièce. Ce qui suivit fut un véritable casse-tête et la jeune femme médium avoua se sentir un peu dépassée. Elle avait encore croisé Nao dans le vestibule et ce dernier venait à sa rencontre.

« Au fait, c'est Leesiah qui parle, dit l'esprit en s'approchant d'elle. »

N'ayant pas utilisé le larynx artificiel qui permettait de transmettre sa voix sur celle de Nao, l'esprit parlait avec la voix du petit frère d'Alika. Sur ses gardes, Alika entama la conversation tout en sachant que Jiguro se tenait proche d'elle.

« Qu'est-ce que tu me veux ? fit la jeune femme, sèchement. Si tu n'as pas demandé la permission avant de prendre le corps de mon frère, je te prierai toute de suite de partir, c'est irrespectueux envers son corps.

- Nao est au courant et il m'a permis de le faire. Il est d'accord, même si je ne peux pas rester trop longtemps dans son corps. Fais attention à Nao. Il a le potentiel de devenir TRÈS puissant, s'il le veut. Peut-être même plus que toi. Mais ça, il l'ignore et en est craintif. Nao pourrait contrôler les humains par le bout du nez et lire dans leurs pensées. Il est doué en télékinésie. Il va devenir très fort et je le soupçonne d'être une créature spirituelle très rare.»

Alika roula les yeux et observa Jiguro.

« Tu devrais faire attention à ce que tu me dis, car ça pourrait se retourner contre toi, l'avertit-elle. Maintenant, sors du corps de mon frère ! »

Elle fit un pas en sa direction. Elle n'eut pas le temps d'en faire un deuxième, que Jiguro le fit pour elle. Il passa sa main au travers la poitrine du garçon et tira Leesiah loin de lui. Alika regarda son gardien spirituel emmener l'esprit dans une autre pièce. Il ne l'aimait déjà pas.

« Juste ainsi, tu es au courant que Leesiah a pris possession de ton corps ? souleva sa grande sœur.

- Oui, affirma Nao.

- Tu étais conscient de ce qu'elle a dit ?

- Plus ou moins... »

La fille aînée de Balsa poussa un grand soupir.

« Ne la laisse pas médire sur les gens. Qui sait ce que cette pute pourrait dire comme conneries qui ne sont pas vraies !

- Leesiah n'est pas une pute, s'emporta Nao.

- Si elle ne l'est pas, alors pourquoi tu ne te souviens pas de la moitié des choses qu'elle m'a dites, hein ?

- Je... je ne sais pas... j'ai dû tomber dans la lune un moment... qu'est-ce qu'elle a dit ?

- Elle t'a presque vénérée comme un messie.

- Comment ?

- En me disant que tu étais surpuissant, avait des pouvoirs hors du commun tels que la télékinésie et lire dans les pensées des gens.

- ... Je n'arrive pas à le faire. Pas encore, mais elle a dit que je pourrais développer ces capacités si je m'y mettais de façon active.

- ... Je n'aime pas comment ça augure. Fais vraiment attention. »

Sur ce, Alika le quitta, soudain épuisée.


Après s'être allégée le cœur, Balsa alla jouer un peu avec les enfants, en compagnie de Saya qui dessinait avec Nanda et Fuyuka. La petite princesse Aozora avait des yeux sarcelle pétillants. Elle ne semblait pas être incommodée par la vie roturière et perdait lentement l'usage de son langage formel. Balsa se mit à plier des origamis avec elles.

« Maman, j'arrive pas à faire l'étape que tu nous montres..., se découragea Motoko en lançant son morceau de papier sur la table.

- Motoko, on ne jette pas le papier. Calme-toi, regarde bien attentivement. »

Balsa plia le papier, laissant sa fille l'imiter, puis continua jusqu'à créer une forme simple mais complexe.

« Comme ça ?! s'exclama Motoko en montrant sa petite grue.

- Oui, comme ça. Bravo !

- J'aime l'origami, sortit Aozora qui pliait un petit colibri.

- C'est bien vrai. Dis-moi, Aozora, est-ce que tu veux retrouver ta vie au palais ?

- Non !

- Pourquoi ? dit-elle avec un sourire, curieuse.

- Parce que j'ai des amis ici et que je peux faire ce que je veux. »

Cela la fit rire. Dès qu'elle put se libérer, Balsa alla voir Chagum. Elle avait mis un peu de ses nouvelles à jour avec lui quand elle et Jin l'avait protégé de l'assassin Talsh, sur la route entre Rota et le Nouvel Empire de Yogo, mais il avait été affaibli et n'avait pas beaucoup parlé. Désormais qu'ils étaient en sécurité, ils avaient le temps de courir après le passé.

« Hey, Chagum.

- Balsa !

- Comment tu vas ?

- Beaucoup de choses ont changé depuis la dernière fois, remarqua-t-il. Mais en ce moment, je suis vraiment inquiet au sujet d'Alika... elle semble si... différente.

- Je sais... j'ai peur qu'elle ne soit plus comme avant. Elle m'accompagnait avec sa copine pour escorter les marchands Rotan et Kanbalese à passer de façon sécuritaire les frontières...

- Elle avait une copine ?

- Oui, notre bru. Amaya. Elles se connaissaient depuis l'enfance. Quand j'ai été Kanbal, l'année qui a suivi notre séparation, à toi et moi, Alika l'a rencontrée là-bas... Amaya a déménagé ici un an après notre départ de Kanbal. Puis, elles ont fini par se retrouver et sortir ensemble. Alika n'a jamais été aussi heureuse de toute sa vie... je ne l'avais jamais vu autant sourire et être rayonnante... mais Amaya est décédée d'une pneumonie après... après une attaque de l'empire Talsh. Ma fille est anéantie par sa mort. N'importe qui le serait.

- Même si elle voit les esprits ?

- ... Même si elle voit les esprits, c'est l'absence physique qui fait le plus mal. Seul le temps nous permet de guérir et d'accepter ce qui est... mais à chacun son rythme, comme on dit. »

Il y eut une courte pause.

« Raconte-moi ton voyage à Kanbal, insista Chagum. Peut-être que je pourrais en apprendre plus sur le roi Randalle et les bergers qui habitent les profondeurs des montagnes. Mon alliance n'a pas fonctionnée...

- Je ne sais pas si ça pourra t'aider, mais je veux bien. Et encore-là, serait-ce trop tard pour former une alliance ? Le printemps approche.

- Mieux vaut avoir plus d'informations que pas assez.

- Bon, très bien. »

Balsa lui raconta son aventure et lui parla de la perte de son bébé, Kasem, insistant sur le fait que Nao était leur troisième enfant par ordre de naissance. Chagum se sentit mal un moment, mais elle lui sourit.

« Tu n'as pas à te sentir mal. Tu ne pouvais pas le savoir. Si nous en parlons ouvertement, c'est que nous voulons nous rappeler de son passage, bien que court, dans notre vie. Et je tiens à croire que notre fils veille sur nous désormais. Sur notre famille. Je crois même que tu l'as vu quand Alika est revenue.

- Oui, une forme lumineuse d'enfant portant un kimono blanc avec des ailes...

- Exactement.

- D'où ton "Kasem-Sama, merci" quand Alika est revenue, c'est bien ça ?

- Oui. Parle-moi de toi, maintenant. »

Chagum leva les yeux au ciel, comme s'il cherchait ce qu'il désirait lui dire.

« Je désirais vraiment empêcher mon royaume de se faire raser et envahir par l'armée Talsh. J'ai été capturé par un espion Talsh et emmené de force sur le continent sud pour rencontrer le Second Prince Raul. L'Empire Talsh est immense et riche, je peux le confirmer. C'est beaucoup plus grand et plus riche que n'importe quelle nation du continent nord. Mais leur richesse est acquise par la guerre : en conquérant leurs voisins et en enrôlant le peuple dans leurs énormes armées. Ils taxent cruellement les nations subordonnées qu'ils conquièrent pour payer leurs campagnes de guerre. »

Il frissonna, mais Balsa continua de l'écouter d'une oreille attentive.

« Mon pays tombera le premier aux mains des Talsh, c'est inévitable. Tu peux imaginer, Balsa, ce que je ressens, en sachant que mon peuple est en train de mourir et que ses maisons et ses villages sont incendiés en ce moment même ?

- Oui, je peux l'imaginer.

- Le prince Raul a menacé de couper les oreilles de ma mère et de massacrer mes jeunes frères et sœurs devant mes yeux si je refusais son alliance. Si j'avais accepté, mon peuple aurait rejoint l'armée Talsh. Ils auraient été utilisés pour attaquer Rota et Kanbal, leurs voisins... C'est ce qui est arrivé à Sangal, lorsque leur marine a été utilisée contre le Nouvel Empire de Yogo. Il y a des victimes de guerre dans les anciennes nations conquises par Talsh, sur le continent du sud... et encore-là, les Talsh ont réussi à faire plusieurs victimes parmi mon peuple qui n'a même pas encore capitulé ! Des victimes innocentes qui n'ont rien demandé, comme Alika… »

Les yeux de Chagum se remplirent de larmes lorsqu'il prononça son nom. Il ne savait pas qu'elle avait été agressée, mais il avait de gros doute, car c'était ce que les femmes étaient le plus victimes en temps de guerre. Cependant, par respect pour Balsa et son secret familial, entre mère et fille, il ne dit rien.

« Ce n'est pas ta faute, Chagum, le consola Balsa. Rien de tout ça. Je comprends que tu te sentes responsable, puisque tu es le Prince Héritier du Nouvel Empire de Yogo. Mais tu n'as pas causé cette situation. Et tu as déjà fait tout ce qui était en ton pouvoir pour aider. Les frontières ont été fermées sur les ordres du Mikado, pour empêcher les gens de Sangal et des pays du sud d'entrer et d'espionner pour l'empire Talsh. »

Il regarda ses pieds.

« Tu veux en faire trop, lui reprocha-t-elle. Tu vois ton rêve, mais tu as mis la barre trop haute. Tu n'as blessé personne, Chagum. Tu essaies de sauver tout le monde. Ce fardeau est trop lourd pour une seule personne à supporter. Tu ne peux pas décider de l'issue de cette situation.

- Mais je veux en décider ainsi, pleura-t-il sans retenue. Je veux m'assurer que tout le monde va bien... »

Motoko remarqua que Chagum pleurait et elle s'empressa de se lever pour aller le réconforter. Il ne refusa pas cette étreinte.

« Merci Motoko, sourit-il, tu es un amour.

- C'est la petite affectueuse de la famille, s'attendrit Tanda avec des tasses de thé.

- Je dirai que sauver certaines personnes en vaut la peine, conclut Balsa en touchant la joue cicatrisée de Chagum d'une main. Je n'aurais jamais pensé que je verrais grandir le petit garçon que j'ai sauvé de la rivière en dehors de ma fille, il y a treize ans de cela. »

La main de Balsa était chaude et réconfortante. Pas aussi douce ni délicate que celle de sa mère, mais Chagum avoua se sentir bien avec son contact et en sécurité.

« Quand la vie perd de ses couleurs et que tes pensées chantent en mineur, annonça Tanda poétiquement, si tu perds ton chemin, souviens-toi que moi et Balsa te considérons comme notre fils, le grand frère d'Alika et de nos autres enfants.

- J'ai toujours continué à penser à vous..., confessa Chagum. Et j'ai eu peur que vous m'oubliez. Mais j'ai eu tort : vous avez toujours continué à penser à moi.

- Chagum, s'esclaffa Balsa. Tu es une personne que nous ne pouvons pas oublier. Parce que je te considérais, depuis bien longtemps déjà, comme mon propre fils.

- Et moi, comme une mère. Non, plutôt comme une maman. Mère pour moi, c'est trop associé à la royauté. Maman ça fait plus décontracté, plus roturier. »

Ils rirent ensembles face à cette remarque et Balsa enlaça maternellement Chagum.

« À chaque fois que j'avais un enfant ou que je regardais Alika, je me disais toujours que : "Chagum aurait été content." Et puis, Tanda et moi avons fini par se marier. Nous allons sur notre dixième année de mariage.

- Oh chouette, s'exclama Chagum, plus qu'il ne l'avait cru. Félicitation pour votre anniversaire de mariage.

- Merci ! J'aurai tellement aimé que tu sois là quand c'est arrivé. Toi, qui voulais tellement que nous soyons ensembles et faisons des petits frères et sœurs à Alika.

- C'est vrai. J'ai toujours continué à m'entrainer au et aux arts martiaux. Ainsi, je pouvais me défendre et protéger ma famille et ceux qui me sont chers.

- Et tu es devenu un bel homme. Si j'avais été plus jeune, peut-être que je t'aurai kidnappé pour t'épouser, rigola-t-elle alors que le prince rougissait.

- Attention Balsa, Tanda est là !

- Hahaha, je ne pense pas qu'il en soit offusqué. »

Tanda éclata de rire. Il fut appelé par Nao et alla les rejoindre plus loin dans le salon avec Motoko qui le suivit.

« Au fait... Balsa..., murmura Chagum.

- Oui ? dit-elle en souriant toujours.

- Hier soir..., hésita-t-il alors que ses joues prenaient une touche plus rougeâtre. Je vous ai entendu, toi et Tanda... »

Il détourna les yeux, gêné.

« Mais, continua-t-il courageusement, Tomoe m'a dit que les derniers temps n'avaient pas été facile pour toi et Tanda. Et que votre couple commençait à s'effondrer... je l'ai remarqué. Je me suis donc dis que ça vous a peut-être permis de vous rapprocher un peu plus.

- ... tu n'as pas tort, s'amusa Balsa. Nous en avions vraiment besoin...

- Quand il faut, il faut.

- Hé oui. Et Shuga, comment il va ? Il ne parle beaucoup.

- Il est très apprécié des enfants, et chose que je ne pensais jamais douter de lui : il adore les enfants. Il est toujours avec les jumeaux et les plus jeunes. Madame Torogai et lui semblent bien s'entendre. »

Balsa arqua un sourcil. Enfin ! Shuga ne pouvait pas avoir une attirance pour... elle secoua vivement la tête, chassant cette pensée de son esprit.

« Est-ce que Shuga a une femme ? questionna-t-elle finalement. Peut-être que Shuga détient cette soudaine envie d'avoir des enfants.

- Non, pas encore. Mais je sais qu'il s'occupe beaucoup d'Aozora.

- Hum... Ce désir peut arriver plus lentement, mais sûrement, chez certaine personne.

- Quand Alika était plus jeune... est-ce que tu as ressentis le besoin d'avoir un autre enfant ? s'enquit Chagum.

- Laisse-moi réfléchir... Je pense que quand elle a atteint ses quatre ans, j'ai eu de la nostalgie de tenir à nouveau un bébé encore naissant dans mes bras. Elle était devenue tellement grande. Tanda lui, a toujours, mais toujours voulu avoir des enfants. Cette envie était présente en lui dès le premier jour où nous nous sommes rencontrés. Je devais avoir huit ans, lui six ans.

- Ah oui ?

- Oui. Il me demandait si je voulais des enfants plus tard, quel genre de mari, etc... mais je ne m'en préoccupais pas vraiment à l'époque... Les enfants ne m'avaient jamais intéressé pour commencer. À quoi ma vie aurait-elle ressemblé si je n'avais pas eu ma première fille ? Si je n'avais pas eu d'enfants, tout simplement ? Je ne me pose même plus la question aujourd'hui, car j'aime la vie que j'ai présentement. Peut-être aurais-je été plus froide, moins portée à m'exprimer. Avoir des enfants n'a pas effacé mon passé ni le sang que ma lance a goûté ni les cauchemars qui reviennent parfois me hanter lors de ma vie passée en présence de Jiguro... mais ils comblent mon cœur d'une façon que je ne peux décrire. Et pour eux, je suis prête à tout pour les protéger de cette vie qui peut se montrer cruel. Alika a eu une belle enfance, une bonne adolescence, loin des bandits, du sang et de la souffrance... elle n'a jamais dormi au froid, dans la boue, dehors sous la pluie. Et elle est assez sensible à la douleur physique alors que je m'y suis habituée, d'une manière.

- Est-ce que tu es jalouse de ce qu'Alika a eu ?

- Je l'envie, parfois, mais je ne suis pas jalouse. Je ne voulais pas que mes enfants suivent le chemin que j'ai eu à vivre. »

Ils continuèrent à parler un long moment ensembles.


Alika se réveilla en criant dans son lit. C'était le milieu de la nuit et elle dormait seule. Elle se revoyait dans la taverne Yogoese avec les soldats Talsh. Elle ressentait tout comme si elle avait de nouveau été présente : les sensations, la brûlure, leurs voix, leurs touchers. Par réflexe, elle se mit rapidement à toucher ses vêtements par-dessus son corps comme pour se le réapproprier et mit une main entre ses jambes, là, où la douleur était encore perceptible et bien réelle, bien qu'elle ne rêvait plus. Le souffle court, les larmes envahirent ses yeux et elle se recroquevilla sur elle-même, en position fœtale, se mettant à pleurer, se déconnectant de sa propre réalité.

Jiguro arriva à ses côtés et la prit dans ses bras. Il la garderait ainsi un long moment jusqu'à ce qu'elle se soit apaisée avec sa propre énergie. Lorsqu'elle termina et sortit de sa torpeur, il s'adressa à elle.

« Va voir Maman..., proposa-t-il. Tu en as besoin, petite fleur. »

Alika hocha la tête et se leva de son futon. Elle peinait à marcher tellement la douleur entre ses jambes lui faisait mal. De plus, il y avait toujours cette chose en elle. La jeune femme ne voulait pas y penser. Ça lui donnait mal au cœur. Elle retrouva la chambre de ses parents et tapota l'épaule de sa mère. Balsa ouvrit les yeux subitement et se redressa doucement.

« Maman..., sanglota Alika alors que Tanda ouvrait aussi les yeux, se retournant pour lui faire face.

- Oui, mon cœur, je suis là, répondit Balsa en se levant, posant sa main sur sa joue. C'est fini, je suis là.

- J'ai mal...

- À ton ventre ?

- Non... entre mes jambes...

- Oh, je vois. Viens, on va s'occuper de ça.

- Avez-vous besoin d'aide ? proposa Tanda.

- Merci, mais je peux m'en occuper moi-même.

- D'accord. »

Balsa emmena sa fille dans la pièce du milieu. Elle fit asseoir sa fille en pleurs sur un banc avant d'ouvrir une grande marmite qui était constamment remplie d'eau et toujours chauffée afin d'avoir une eau bouillante à proximité, à toutes heures du jour comme de la nuit. Elle prépara un bac d'eau tiède et des serviettes.

« Retire ton sous-vêtement, et dépose cette serviette entre tes jambes. Ça va aider.

- Je ne peux pas le faire..., gémit-elle. Je ne suis plus capable de me toucher en dehors de mes besoins primaires. J'ai peur d'avoir trop mal... tu peux m'aider ?

- Bien sûr. »

La lancière aida sa fille. Elle fut bouleversée de voir que les cuisses d'Alika tremblaient alors qu'elle écartait ses jambes.

« Respire, lui conseilla-t-elle, tu as arrêté de respirer pendant un moment. Tout ira bien. Détend-toi, ma belle. »

De peine et de misère, Alika inspira profondément et laissa sa mère prendre soin d'elle. Ses cuisses arrêtèrent de trembler progressivement. Une agréable chaleur se fit sentir quand elle sentit la serviette tiède à cet endroit. Elle la maintint en place.

« Je vais aller chercher le thé spécial..., informa Balsa. »

Elle revint avec les herbes et une tasse. Après avoir fait infuser la préparation, elle s'empressa de passer la tasse encore fumante à sa fille aînée. Balsa lui baisa le front avant de s'agenouiller face à elle.

« Je dors mal..., murmura Alika. À cause de cette douleur et de ces cauchemars...

- Je comprends. C'est épuisant.

- Je veux dormir... mais j'ai peur de fermer les yeux. Je ne sais pas quoi faire à part regarder les murs ou les planchers... et à cause de ça, je suis épuisée pendant la journée et je somnole.

- Quand je faisais des cauchemars en étant plus jeune, je n'étais pas capable de me rendormir. Seulement me lever et prendre l'air m'aidait. Boire de l'eau, me relaxer et prendre de grandes respirations profondes aussi. Sans oublier de me pratiquer à la lance. »

Alika fut surprise des révélations de sa mère. Balsa ne parlait que très rarement de son passé. Si elle le faisait, elle parlait toujours d'événements heureux et comiques.

« Qu'est-ce qui t'apaiserait dans ces moment-là, mon cœur ?

- ... Quand je me réveille comme ça, Jiguro vient toujours me serrer dans ses bras jusqu'à ce que je me calme. Puis, quand je le suis, il commence à me parler doucement et me change les idées... une fois, avant de revenir à la grotte, il m'a invitée à regarder les étoiles et m'a montrée quelques constellations et... ça m'a aidé, avoua Alika. Parfois, d'autres esprits se joignent à nous. Parler du spirituel avec eux m'aident beaucoup.

- Tu vois ? Tu as déjà trouvé de merveilleux trucs. Cependant, il n'y a pas de délai. Vas-y à ton rythme. Personne n'a dit qu'il fallait que tu guérisses demain. En dehors de ces douleurs musculaires soudaines à ton entrejambe, as-tu encore mal à cet endroit ? »

Sa fille se montra un brin réservé et détourna le regard.

« ... parfois, ça brûle lors de la miction... et ensuite, je ne me souviens pas quand j'ai développé ça, c'est comme si j'avais des boules de chair qui refusaient de se replacer... parfois, ça saigne... enfin, tu sais...

- Ah, oui, je comprends. C'est douloureux ?

- Oui, mais ça part et revient... si je suis assise trop longtemps. J'ai aussi des cicatrices à ce niveau depuis ce soir-là... je pense que j'ai des lacérations, des éraflures, mais pas de déchirures... ça a guéri, mais ça fait mal de temps en temps. »

Elle grimaça. Alika n'avait pas l'habitude de se confier à ce niveau et elle se sentait gênée d'en parler. Balsa fouilla dans la trousse à pharmacie de son mari et trouva une pommade dans un petit pot qui était en fait une mini citrouille séché servant de contenant.

« Cette pommade apaisera si tu as de nouveaux symptômes à ce niveau. Tu n'as pas à te sentir gêner. Si je te pose toutes ces questions, c'est simplement parce que j'ai vécu ces mêmes petits désagréments. Je n'ai pas envie que tu restes silencieuse avec ta douleur et je veux que tu aies assez confiance en moi pour que je puisse t'aider à soulager ton mal. C'est le rôle d'une maman, après tout. »

Sa fille hocha la tête.

« Est-ce que... tu veux venir dormir avec moi ? demanda timidement Alika. Je sais que tu aimes Papa, mais... je voudrais vraiment t'avoir à mes côtés. Une présence dite de "physique", si tu vois ce que je veux dire.

- Bien sûr. Quand tu auras terminé ta tasse. Veux-tu encore une compresse d'eau chaude ?

- ... Je pense que ça ira... »

Elle termina sa tasse et se remit sur ses pieds, apaisée. Balsa la conduisit dans sa chambre et se coucha sur le futon, serrant tendrement sa fille contre elle.