Update 2022

Kazoku no Moribito

Gardien de la famille

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Partie III


Chapitre 22

Le soutien de Chagum

Balsa tira Tanda par la manche. Il avait compris son message et le pourquoi elle l'avait isolé dans la pièce du milieu : sa femme tentait de paraître forte et refusait que ses enfants la voient dans un tel état quand elle fondait en larmes. Il l'assit doucement sur un banc et la laissa vider son trop plein sur son épaule.

« Je ne sais pas pourquoi je pleure autant..., renifla-t-elle. Bon sang ! Je suis une guerrière et me voilà en train de me vider de toutes mes larmes.

- Parce que tu es humaine, Balsa. Tu as beau être une guerrière hors-pair, tu restes humaine avec des émotions. Tu es fatiguée, tu es stressée et tu as eu très, très peur pour notre fille. J'ai horreur de le dire... mais tu es au bout du rouleau.

- Je ne sais plus quoi faire, avoua-t-elle en essuyant ses larmes avec sa manche de kimono. Je ne sais pas comment tenir plus longtemps... je n'en peux plus. Je n'en peux plus de voir notre fille dépérir comme ça et on aurait dit qu'aucun moyen ne fonctionne.

- Nous trouverons une solution, Balsa, je te le promets. Nous en trouverons une.

- Si il y a une solution.

- Il y en a une, même si on met du temps à la trouver.

- Et si jamais... elle voulait s'enlever la vie ? paniqua-t-elle en essuyant ses larmes, encore.

- Nous allons l'empêcher.

- Comment ?

- ... En essayant de la soutenir et de la garder à l'œil. »

Il replaça une de ses mèches pour dégager sa vision et essuya une larme de sa joue de son pouce.

« Tu es forte, Balsa. Aucune femme qui est mère à ce jour n'est plus forte que toi. Je sais que tu seras en mesure d'être son pilier durant cette dure période. Ne doute pas. En ce moment, même si je suis son père, je suis sûr que tu es la personne en qui elle a le plus confiance pour se confier. Je le sais, et je n'en suis pas jaloux. Alika a toujours eu plus confiance en toi qu'en moi. Tu peux faire ça pour nous ?

- Oui...

- Si tu en as trop, comme en ce moment, tu sais que mes bras sont toujours ouverts pour toi quand ton corps ne sera plus capable de contenir tes larmes. Et puis, mon habit va les absorber avec grand plaisir. »

Elle sourit à la remarque.

« Oui, je vais le faire. Je vais avoir besoin de reprendre mes forces. »

Il sourit à son tour et l'embrassa sur les lèvres, continuant de la serrer contre lui.

« Je ne sais plus où tourner la tête avec les enfants... Je l'ai remarquée. Je les ai plus délaissés depuis le retour de leur grande sœur. Je suis beaucoup plus portée à prendre soin d'Alika en ce moment. Motoko ressent que je suis moins présente... même Nao... Je me sens si coupable...

- Je peux te rassurer que les enfants ne t'en veulent pas. Motoko voit que sa grande sœur ne va pas bien, et elle a Tomoe pour s'occuper un peu d'elle. Ne culpabilise pas parce que tu t'occupes de notre fille.

- D'accord...

- Et puis, tu m'as dit hier que Chagum désirait prendre soin d'Alika. Alors tu auras une petite pause pour te relaxer un peu. C'est un bon grand frère, n'est-ce pas ?

- Oui... un très bon.

- Il est temps de manger, maintenant.

- Comme ça, je vais pouvoir manger mes émotions, plaisanta-t-elle malgré sa tristesse.

- Oh Balsa, s'il te plait.

- Je plaisantais.

- C'était quand même drôle, je l'avoue. »

Tanda lui vola un baiser.

« Je t'aime, n'amour

- Je t'aime aussi... je ne désire pas te perdre.

- Moi non plus. »

Ils allèrent manger avec les autres une fois que Balsa eut sécher ses larmes et que ses yeux ne furent plus aussi rouges, afin de ne pas éveiller de soupçon.

Quand Alika se présenta pour manger, tous l'accueillirent avec affection. Ses portions étaient certes petites, mais ce n'était pas mieux s'ils la gavaient comme une dinde. Elle mangeait tellement peu depuis son retour.

« Voilà ton assiette, Alika-Imouto, lui annonça Chagum en lui donnant son assiette.

- Merci...

- Ça fait plaisir. »

Elle le regarda manger avec appétit. Toutes les personnes mangeaient avec entrain. Pourtant, pour elle, chaque bouchée lui créait une douleur dans le bras alors qu'elle replongeait dans ses souvenirs. Elle mangea lentement en sirotant son thé alors que les enfants étaient déjà partis jouer. Elle ne mangea que le tiers, puis repoussa du bout du bras son assiette.

« Je n'ai plus faim...

- Pas de souci, comprit Balsa. »

Ses yeux s'embuèrent de larmes et elle se mit à pleurer, cachant son visage dans ses bras. Balsa avait le cœur déchiré. Elle alla récupérer sa fille en pleurs dans ses bras. Cette dernière tremblait comme une feuille.

« Viens... mon cœur, lui susurra-t-elle. »

Alika se blottit contre elle en hoquetant, incapable de prononcer le moindre mot. Balsa la serra davantage contre elle et la berça un instant tout en caressant ses cheveux. Puis, elle se redressa, soulevant de terre par la même occasion sa fille aînée, avant de se diriger vers sa chambre. Elle la coucha dans son lit avant de s'allonger avec elle. Balsa pouvait clairement sentir les ongles de sa fille mordiller sa chair dans son dos et ses larmes mouiller sa peau. Alika avait laissé plus de marques de griffes dans son dos que Tanda pendant l'amour. La mère de famille qu'elle se contenta uniquement de calmer et d'apaiser son enfant brisée en lui chantant une berceuse Kanbalese.


Lorsqu'Alika ouvrit les yeux au milieu de la nuit, elle décida d'aller aux latrines. Elle n'avait pas fait de cauchemar à son plus grand soulagement. Elle avait senti quelque chose entre ses jambes et avait été cherché les serviettes en coton pour quand elles avaient leurs règles. Il y avait toujours une bougie d'allumée qui permettait de voir où ils mettaient les pieds. Elle regarda attentivement avec le peu de luminosité que ses yeux pouvaient capter : le sang avait oxydée, mais Alika savait que bientôt il y aurait un fleuve rouge. Mais comme elle avortait, elle s'attendait à ce que ce soit beaucoup plus abondant que la normale.

Habituellement, elle ronchonnait, mais cette vue lui redonna espoir et elle était contente. Elle alla se recoucher, partageant ce qui venait de se passer avec Jiguro, qui lisait un parchemin à la lueur d'une chandelle.

Le saignement s'intensifia au courant de la nuit et au petit matin, Alika remarqua qu'elle était presque pliée en deux avec la douleur. Elle avait de la difficulté à sortir du lit.

« Prends une grande respiration, lui conseilla Jiguro, qui la soutenait. Ça ira bien, je suis là. »

Elle parvint à se mettre debout sur ses jambes, mais resta plier en deux pour se diriger aux latrines. Elle refit le chemin inverse avant de se rouler en petite boule sur son lit. Lorsque Tomoe jeta un œil à sa chambre, elle l'entendit gémir et pleurer.

« Alika-Chan, tout va bien ?

- Tomoe..., grimaça-t-elle.

- Que se passe-t-il ?

- ... J'ai mal... ça a commencé...

- Ah ! tu veux que j'aille chercher ton père ?

- Oui...

- Ne bouge pas, je reviens.

- Où veux-tu que j'aille ? se moqua Alika. Je voudrais mourir sur mon lit plutôt que de bouger. »

Tomoe retrouva Tanda qui préparait le petit déjeuner et l'excursion à l'extérieur pour refaire des provisions, afin de nourrir toutes les bouches présentes à la grotte.

« Bon matin, Tanda, le salua-t-elle.

- Bon matin, Tomoe, bien dormi ?

- Oui. Où est Balsa ?

- Elle s'entraîne à l'extérieur avec Chagum et Motoko. C'est sa routine quotidienne.

- Je vois...

- Il y a quelque chose qui ne va pas, Tomoe ?

- Alika a besoin de toi. Ça vient de commencer, annonça-t-elle.

- Ah ! je vois. Peux-tu préparer la bouillote d'eau chaude dans ce cas ? Je vais lui donner du thé encore une fois.

- Bien sûr. »

Lorsque Balsa termina de s'entraîner, elle rentra à l'extérieur, heureuse et se sentant bien dans sa peau. Elle ne vit pas Tanda ni Tomoe nulle part. Chagum l'aidait à chercher quand Motoko demanda toute son attention.

« Attend encore un peu, Motoko, je viendrai jouer avec toi et Aozora après avoir trouvé Alika-Imouto.

- D'accord, mais tu viens nous voir après !

- Bien sûr. »

L'enfant le laissa et Chagum fila vers la chambre de sa petite sœur de cœur. Ils retrouvèrent Tanda et Tomoe aux côtés d'Alika, dans son lit. Balsa s'agenouilla et lui caressa le dos.

« Tu m'avais dit que ça ne ferait pas aussi mal que ça ! geignit-elle à son père, paralysée par la douleur.

- Alika, c'est la seule méthode saine et sécuritaire que j'ai pu trouver pour toi. Et chaque femme réagis différemment, lui expliqua Tanda.

- Mes règles ne font pas aussi mal que ça normalement, plaignit-elle. Pourquoi ça fait si mal ?

- Parce qu'il y a plus que de simples règles en ce moment, répondit Balsa. »

Elle coucha sa fille sur le côté et lui massa vigoureusement le ventre. Étrangement, Alika trouva une sorte de soulagement dans son geste.

« N'arrête pas, Maman, ça fait du bien... »

Encouragée par un soulagement temporaire, Balsa massa longuement le ventre de sa fille. Chagum s'attendrit devant la scène et décida de les laisser en famille. Lorsqu'Alika tenta de se redresser pour changer les linges en coton, elle avait de la difficulté à se tenir sur ses jambes et devais prendre appuie sur sa mère ou le mur pour ne pas tomber. Elle arrêta en plein chemin et se retrouva agenouillée.

« Tout va bien, ma cocotte ?

- Non..., haleta Alika. J'ai trop mal... ça me coupe le souffle, je suis étourdie et j'ai chaud. »

Balsa comprit que sa fille perdait trop de sang et faisait peut-être une hémorragie. Tomoe nota également qu'elle semblait plus pâle que d'ordinaire. Elle alla requérir des médicaments qui aideraient à soulager sa douleur à Tanda.

Lorsqu'elles arrivèrent enfin aux latrines, Balsa fit asseoir Alika sur un banc qui possédait un trou en plein centre. Elle l'aida à baisser son sous-vêtement. La jeune femme couina en voyant le rouge vif remplir majoritairement les morceaux de coton.

« Oh Maman..., frissonna Alika.

- Tout va bien. Je suis là. Ce n'est pas grave si tu tâches, ça se nettoie.

- Je ne me sens pas bien...

- Accote ton dos sur le mur, je m'occupe de tout.

- Ça ne te répugne pas ?

- Pourquoi en serai-je dégoûtée ? Que ce soit ce sang-là, ou du sang de mes ennemis, j'ai baignée dans cette substance de vie depuis ma plus tendre enfance. Et c'est pareil pour mes accouchements... on perd beaucoup plus de sang en donnant naissance. »

Balsa changea les serviettes et nettoya le sang qui avait tâché l'intérieur des cuisses de sa fille pour qu'elle puisse se sentir propre et à l'aise. Une fois changée, elle raccompagna Alika jusqu'à son lit avant d'aller vers le salon. Chagum l'attendait avec deux bols de soupe dans lesquelles de la viande avait été mijoté. Elle avait souvent vu sa mère en manger après qu'elle eut donné naissance afin de reprendre des forces.

« Tu es si pâle, s'inquiéta-t-il.

- C'est temporaire, répondit Alika bravement.

- Balsa a dit que quand tu n'allais pas bien, la soupe était le seul repas que tu étais capable de manger malgré la douleur, la tristesse et la colère.

- Elle a raison. »

Alika prit le bol et prit une gorgée.

« La meilleure soupe de Papa.

- Je peux manger avec toi ? C'est pour ça que j'ai emmené mon bol ici.

- Bien sûr. Fais.

- Je vois que tu es entre bonne main, s'attendrit Balsa à Alika en revenant. Je vais vous laisser entres vous. Mais avant, prends ces pilules. »

Elle déposa deux petites pilules couleur beige.

« C'est quoi ? questionna sa fille.

- Des coagulants. Si tu fais une hémorragie, alors tu dois en prendre pour arrêter le saignement. Ou du moins le diminuer. »

Alika prit la médication et remercia sa mère pour son attention. Alors qu'ils mangeaient, Chagum chercha des sujets pour discuter avec elle et passer du temps en sa compagnie. Il repensa à son passé avec elle, quand elle avait six ans. Si à cet instant précis, ils avaient pu retourner au passé, dans la même position, à la même place, Alika aurait été la petite fille la plus bavarde du monde en parlant de sa famille, de la naissance de ses petits frères et sa sœur et surtout de son « idolation » pour sa Maman. Mais aujourd'hui, elle se retrouvait au bord de l'exténuation et n'avait plus d'énergie pour faire quoi que ce soit.

« J'aimerai te raconter une histoire.

- Si tu veux… c'est quoi ?

- L'arrivée de ma petite sœur Aozora dans ma vie. J'avais ton âge quand elle est née. »

Alika riva toute son attention sur lui, curieuse. C'est alors qu'il se mit à lui raconter son histoire...


Cinq ans plus tôt, au palais impérial, Chagum attendait dans l'ancien bureau qui avait appartenu à son grand frère défunt, Sagum, qui à l'époque était le Prince Héritier. Il faisait les cents pas.

Chagum osa même lire son journal intime. Il n'était plus le jeune garçon naïf qu'il avait été auparavant. Il apprit que Sagum aimait une princesse du Royaume de Kanbal et qu'il prévoyait l'épouser dans un futur lointain… et au fur et à mesure que sa lecture avançait, les pages devenaient de plus en plus sombres – littéralement parlant. Sa santé se détériorait et il commençait à parler de son futur avec un « si un jour, je m'y rends… ». La dernière page avait été rédigée une journée avant sa mort.

« Je sens que la vie s'apprête à me quitter… bientôt, je volerai aux côtés des derniers Nahji vivants en ce monde et je guiderai mon royaume avec la lumière, aux côtés de notre père à tous : Ten no Kami. Je pense à mon petit frère Chagum, qui est décédé dans l'incendie. Je vais le rejoindre bientôt et à jamais, nous serons ensembles... moi et mon petit frère adoré… »

Chagum fut tiré de ses pensées quand il entendit les pas de son tuteur dans les escaliers.

« Bonjour Votre Altesse.

- Ah ! Shuga. Vous avez des nouvelles de ma mère ?

- Nokomi, la Seconde Impératrice a enfin donné naissance sans aucune complication.

- Vraiment ?!

- Oui. Le bébé va bien et est en santé, confirma-t-il en s'approchant. Nous l'avons entendu crier, il a de très forts poumons.

- J'en suis soulagé.

- Aimeriez-vous connaître le sexe ?

- Pourquoi pas. Dites-moi ?

- C'est une fille.

- Une princesse ? s'exclama-t-il, fou de joie. Une petite sœur ?

- Oui, une princesse, répéta Shuga en souriant.

- Puis-je la voir ?

- Ce serait préférable demain, avec tout le respect que je vous dois. Pour l'instant, le bébé et votre mère se reposent.

- Oh, je vois. Demain alors ! »

Il était si impatient de rencontrer sa petite sœur. Bien sûr qu'Alika lui manquait et jamais, au grand jamais, elle ne sera remplacée par la nouveau-née. Il comprit dès lors qu'un grand frère pouvait avoir de la place pour plus d'une sœur ou d'un frère dans son cœur.

La journée passa trop lentement à son goût et il était impatient de se coucher pour pouvoir enfin la rencontrer. En regardant le plafond, il se mit à penser à Balsa. Avait-elle eu d'autres enfants après son deuxième bébé ? Comment allait Tanda et Maître Torogai ?

Shuga vint le réveiller le lendemain. Chagum s'en voulait d'avoir veillé aussi tard la veille. Il n'avait pas pu trouver le sommeil avant un long moment. Après le petit-déjeuner, le prince et son tuteur allèrent à la rencontre du nouveau petit bébé.

« Nokomi, Seconde Impératrice, le Prince Héritier Chagum désire avoir un entretien avec vous. »

Des pas se firent entendre derrière la porte et une servante vint leur ouvrir en s'inclinant respectueusement comme l'exigeait le protocole. Sa mère était assise sur une chaise berçante et tenait un tas de couverture dans ses bras.

« Bonjour, Mère. Félicitation pour la petite princesse, salua Chagum en s'avançant.

- Merci Chagum, viens approche. Viens rencontrer ta petite-sœur. »

Il s'approcha doucement et se pencha vers la nouveau-née endormie.

« Comme elle est petite, se surprit-il. Mais si belle, déjà. »

Il caressa sa petite joue rose toute joufflue du bout de son index.

« Veux-tu la prendre ? proposa Nokomi.

- Oh ? Je peux ?

- Oui.

- Mais je n'ai jamais tenu un bébé…

- Ne t'en fais pas, je te montrerai. »

Il s'assit confortablement et tendit les bras, incertain. Sa mère s'approcha.

« Tu dois bien tenir son cou, elle n'est pas encore capable de le tenir elle-même. Place son cou de ton pli de bras, et tu peux le baisser, car tu vas vite te fatiguer. Soutiens ses fesses avec ton autre main.

- Comme ça ? murmura-t-il, comme s'il avait peur de la réveiller.

- Oui, comme ça. T'es plutôt doué pour une première fois. Et à cet âge-là, un bébé dort beaucoup et très dur. Tu peux parler plus fort, Chagum.

- Oh ! elle ne va pas se réveiller si je parle ou ris ?

- Non, ne t'inquiète pas.

- D'accord… »

Il baissa ses yeux bleus vers sa petite sœur.

« Ma petite sœur adorée, je suis ton grand frère Chagum. Je te protégerai toujours, quoiqu'il advienne ! »

Il baisa son front comme pour sceller cette promesse et continua de tenir la petiote encore un petit moment jusqu'à ce que son bras commence à devenir lourd. Il promit à sa mère de revenir les voir le plus souvent possible.

Quand sa petite sœur eut une semaine et demie de vie, il demanda à lui donner à boire. Les nourrices furent réticentes quant à lui laisser le biberon en argent, dont la tétine était faite en résine non toxique. Il continua d'insister et elles finirent par accepter grâce à la confiance que Nokomi avait en son fils aîné. Elles mirent une serviette par-dessus ses cuisses au cas où la petite régurgiterait accidentellement son lait, et un sur son épaule.

« Tenez la petite d'un seul bras, dans un bon angle, en prenant soin à ce qu'elle ne glisse pas, indiqua une des servantes.

- Comme ça ?

- Presque... »

La nourrice replaça un peu son bras. Le bébé se tenait en position semi-assise sur les cuisses de Chagum pour qu'elle puisse boire à satiété sans avoir un trop gros débit de lait dans la bouche.

« Voilà. Comme ça. Et tenez le biberon en angle... vous pouvez même le faire jouer un peu sur ses lèvres pour qu'elle ait le réflexe de le prendre. »

Un peu nerveux, Chagum essaya le truc de la nourrice et le bébé prit la tétine avant de commencer à faire de drôle de bruits en même temps. Il fut surprit.

« C'est normal…? demanda-t-il.

- Qu'elle fasse du bruit en buvant ? Oui, très normal, rit sa mère. Toi aussi tu en faisais à son âge.

- Il n'y a aucun risque qu'elle s'étouffe en buvant trop ? continua-t-il en voyant une coulée de lait dépassé de sa bouche.

- Aucun risque. Tu la tiens parfaitement bien comme ça.

- D'accord !

- Tu fais bien ça, Chagum.

- Vraiment ?

- Oui. »

Il continua de donner le biberon au bébé jusqu'à ce qu'une nourrice lui dise d'arrêter un moment, vérifiant où le lait arrivait dans le réservoir et essayer de lui faire faire son rot.

« Eh, d'accord et comment fait-on, mère ?

- Tiens-la au niveau du cou, de sorte que ta main couvre le début de son haut du corps. N'aies pas peur, tu peux même lui tenir un peu les joues. Et de ton autre main, tu lui frottes le dos et tu peux même lui donner de petites tapettes dans le dos.

- D'accord… »

Alors il s'essaya, mais ce n'était pas aussi simple qu'il le pensait. Il n'osait pas taper trop fort ou trop frotter.

« Je... je pense que je n'y arrive pas.

- Passe-là-moi, rit Nokomi. »

Il redonna sa petite sœur à sa mère qui lui montra, sans avoir de couverture sur elle par contre.

« Pas besoin de la couverture, mère ?

- Non, ne t'en fais pas. Disons que j'ai du linge de rechange, et toi non. Je suis également habituée… »

Elle reporta son attention sur sa fille.

« Aller ma belle, montre à ton Oniisama tes gros rots. »

Chagum regarda attentivement sa mère faire et entendit sa sœur faire des bruits avec sa bouche.

« En voilà un premier. »

Elle reprit le biberon et lui donna à nouveau. Les bébés avaient toujours fascinés Chagum, et en particulier sa petite sœur dont il était fier.

Au fils des jours et des semaines, il apprit à changer les langes, donner le bain à sa petite sœur, lui donner à boire, la bercer, jouer avec elle et la calmer quand elle pleurait les nuits. Il avait créé des liens indestructibles avec sa petite sœur qu'ils décidèrent d'appeler Aozora, lors de son centième jour de vie.

Ils avaient également fêté ses trois ans avec le festival shichi-go-san, littéralement « sept-cinq-trois ». Cette célébration était réservée aux familles nobles de la cour et aux samurais. C'était un rite de passage traditionnel sur le continent nord célébrant les enfants de trois ans, les garçons de cinq ans et les filles de sept ans dans l'enfance moyenne.

Pour Chagum, sa petite sœur était devenue la personne la plus précieuse à ses yeux et il s'était donné le devoir de la protéger de la cruauté de ce monde. Et quand il fut capturé par l'espion Talsh, durant la même année où sa petite sœur avait eu trois ans, la séparation avec Aozora lui avait fait mal comme pas possible.


Il termina son histoire et tourna la tête vers Alika, qui était attendrie.

« Voilà comment j'ai élevé et aidé ma petite sœur Aozora à grandir.

- … Tu es un bon Oniisama, Niisan, dit-elle. Ça me rappelle les fois quand mes frères et ma sœur sont nés. J'étais pareille. Merci de m'avoir partagé cette tranche de vie. Je te crois quand tu dis que ça n'a pas été facile quand tu es parti du Nouvel Empire de Yogo...

- Comment as-tu réagi à ma mort ?

- ... Pour être franche, je n'ai pas contacté les esprits pour en savoir plus. J'ai... j'ai toujours eu le sentiment qu'il y avait quelque chose d'étrange, mais je ne pouvais pas mettre de mots dessus.

- Alors tu savais inconsciemment que je n'étais pas mort ?

- Oui, on peut dire. »

Elle déposa son bol vide, massa son ventre fortement en soufflant.

« Niisan ?

- Oui, Alika-Imouto ?

- Je peux te confier quelque chose ?

- Tout ce que tu veux. Tu sais que je suis ouvert à tout ce que tu me dis. Tu n'as pas à avoir peur de te confier à moi.

- ... Amaya me manque terriblement...

- Ta bien-aimée ? »

Elle hocha la tête.

« Je ne veux pas la remplacer... de plus, je ne sais pas si je devrais en parler ou simplement essayer de l'oublier pour faire taire cette douleur dans mon cœur...

- Je suis désolé de le dire, Alika-Imouto, mais je ne pense pas que tu vas pouvoir totalement l'oublier, sortit Chagum. Parce que d'après ce que j'ai entendu, elle était ton vrai premier grand amour, pas vrai ?

- ... Oui... Et je l'ai laissée mourir... »

Il entoura son bras autour de ses épaules et la serra contre lui.

« Niisan, tout est de ma faute ! éclata-t-elle brusquement, les larmes cascadant sur ses joues. Ses parents vont me haïr et m'accuser de n'avoir rien fait pour la défendre pendant qu'elle travaillait avec moi ! »

Chagum avait envie de la secouer pour qu'elle arrête de dire des âneries, mais il se retint. Au lieu, il la bouscula de l'épaule, fraternellement. Elle en perdit l'équilibre et tomba, sur le dos, contre le matelas.

« Aouch ! Mon ventre...

- Désolé, s'excusa rapidement le prince en l'aidant à s'asseoir tranquillement. Je voulais simplement te dire d'arrêter de croire ça. Quand vous vous êtes faites agressées, tu ne t'es pas enfuie. Ces Talsh étaient en train d'utiliser vos corps comme de vulgaires objets !

- Mais j'ai peur de la réaction de ma belle-famille Niisan ! Je suis terrorisée de les revoir et de devoir leur dire !

- Oui, je comprends parfaitement. Balsa aussi avait peur de ma réaction quand j'ai appris que mon frère aîné était décédé de sa maladie !... Mais ta mère sera avec toi pour te défendre lorsque tu vas aller l'annoncer à ses parents, après la guerre.

- Pas tout de suite... pas maintenant...

- Je sais, pas maintenant. Mais un jour ou l'autre, il faudra le faire et crois-moi, Balsa ne te laissera pas tomber. Elle va être avec toi, et si c'est possible, si le destin me le permet, je serai présent moi aussi. En tant que Prince en plus ! »

Il attira Alika dans ses bras qui pleurait à chaudes larmes.

« Je te laisserai pas tomber, Alika... Nous ne te laisserons pas tomber ni affronter ces épreuves seule. »

Il caressa son dos vigoureusement alors qu'elle allégeait sa peine. Il voulait tellement avoir les mots justes pour la calmer, mais il savait que c'était préférable que la douleur accumulée sorte. Alors il la laissa pleurer dans le creux de son cou, tant et aussi longtemps qu'elle en avait besoin. Elle continua de se vider le cœur.

« Parfois je me demande à quoi ressemblerait la vie sans moi… si je venais à mourir.

- La vie serait triste, Alika, répondit-il en toute sincérité. Tu apportes une certaine joie, une certaine énergie quand tu te tiens dans un lieu. »

Alika ne répondit pas

« Tes parents sont inquiets à ton sujet. Balsa est inquiète parce qu'elle a eu peur de te perdre dans cette guerre. Tanda est inquiet, car il voit bien que tu n'es plus la même depuis ton retour ici. Tout le monde ne serait pas son état normal s'ils avaient enfilé tes souliers et vécu ce que tu as subi comme épreuve. Je sais que tu n'as pas envie de m'écouter en ce moment, et que tu dois sans doute penser que je te reproche des choses, mais c'est faux. Je vais t'aider à remonter la pente. Tu as le droit d'être perdue et épuisée… mais je veux que tu saches que dorénavant, c'est moi qui vais t'épauler. Et je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour te soutenir du mieux que je le peux. »

Elle hocha la tête, soudain épuisée.

« Merci, Niisan... maintenant, je me sens fatiguée. Tu me permets de me reposer un peu ?

- Mais bien sûr, vas-y.

- Merci… »

Elle se coucha sur le côté et ferma les yeux. Chagum replaça la couverture sur elle et lui souhaita une bonne sieste. Il reprit le plateau et alla retrouver sa petite sœur qui bricolait avec Tomoe et Shuga.