La climatisation s'est arrêtée. La chaleur devient insupportable. Mahana n'en peut plus d'attendre que les gens passent. La file d'attente s'étend en longueur. Ses jambes sont douloureuses. La fillette ronchonne. Pourquoi tout le monde est aussi lent ?
Celui qui voyage en avion doit se plier à un règlement strict. Tout d'abord, les valises sont méticuleusement fouillées. Chaque objet est photographié. Ensuite, on troque ses vêtements pour un uniforme aux couleurs de la compagnie. Enfin, la sécurité réalise une fouille au corps numérique à l'aide d'une cabine où des caméras scannent les passagers de la tête aux pieds.
Une fois à destination, quelqu'un dépose les bagages dans un casier numéroté. Sur ce point, la qualité du service dépend plus que jamais du billet. Il est commun qu'un client de la classe économique reçoive ses affaires par voie postale, quelques jours après son arrivée.
« Attention, veuillez ôter tous vos accessoires pour l'inspection ! Les passagers ayant l'autorisation de conserver leur équipement électronique à bord doivent la présenter à un agent de sécurité. »
Une jeune femme fend la foule en répétant la même chose, dans une langue différente à chaque fois.
« Suivant ! »
La famille avance vers le préposé. Mahana lui décoche un regard hostile. Elle le tient responsable de son calvaire.
« Vous êtes ensemble ? »
« Oui, ma femme et mes deux enfants. »
« Très bien, allez-y. »
Ils s'engagent dans le couloir qui mène vers un grand vestiaire. Les rideaux donnent une illusion d'intimité. Ce n'est qu'un artifice, la caméra de surveillance filme la pièce entière. Un agent de sécurité leur tend une poignée de sacs en plastique.
« Glissez le coupon sur votre billet à l'intérieur de la sacoche avec vos vêtements, puis déposez tout ça dans le panier en sortant. Surtout, conservez vos passeports ! »
Le père approche et tend un papier. L'homme lui arrache presque de ses mains :
« Cette autorisation n'est valable que pour votre téléphone. Montrez-le-moi ! »
Il le sort de son sac. Son interlocuteur examine l'objet avec attention, avant de prendre un rouleau d'autocollants. Il colle un code-barre :
« Avancez ! »
« Je m'occupe de Mahana et d'Ashton. » Murmure la mère en s'isolant derrière un rideau.
Ils ressortent après un court instant. Leurs vêtements sont désormais dans des sacoches en plastique. Le coupon du billet est bien visible à l'intérieur. La famille abandonne le tout dans un bac prévu à cet effet. L'employé pointe la seule sortie du doigt. Ils suivent donc le chemin jusqu'au scanner.
Un autre agent approche. Son visage est plus aimable que celui de ses collègues :
« Vos enfants peuvent passer ensemble ! »
La petite fille trouve son uniforme répugnant. Il sent mauvais et la gratte. Sa robe lui manque déjà. Elle n'a pas fait autant d'histoire qu'à l'allez, mais ça ne l'énerve pas moins. Ils entrent dans la cabine transparente. Un laser indique l'endroit où poser les pieds. Une image apparaît sur le verre pour signaler où mettre les mains. L'opérateur doit avoir la cinquantaine. Son regard est froid. Les portes se ferment, les caméras bougent en sifflant. Le cabinet s'ouvre de l'autre côté. Les deux enfants sont accueillis par une jeune femme souriante, qui prend la peine d'attendre que leur mère arrive :
« Votre avion est au bout du Terminal, porte 62. »
Le père sort à son tour du scanner. Ils continuent leur route en longeant des boutiques. Les voyageurs portent tous un uniforme, dont la couleur change selon la compagnie aérienne. Quelques-uns ont un QR-Code tamponné sur la main. Ce sont des passagers de première classe.
« Ne vous éloignez pas, les enfants ! »
Ils s'arrêtent près d'un stand et prennent des rafraîchissements. Mahana ne détache pas son regard du balayeur. Il est assis sur une machine de nettoyage. L'intéressé la remarque et lui fait un immense sourire qui terrifie la petite. Elle recrache sa boisson.
« Mahana ! Tu ne sais plus boire normalement ? » Gronde la mère.
« Nous avons encore du temps avant l'embarquement. » Remarque le mari. Il prend la main d'Ashton pour l'obliger à rester debout.
« Vivement que nous soyons dans l'avion. J'en ai assez de tout ça ! » Un personnage s'approche de la famille. Il est habillé d'un somptueux costume. C'est probablement un membre du personnel :
« Docteur Georges Miriana ? »
« Oui. C'est moi. »
« Je suis le directeur de l'aéroport. Sosuke Yamashiro m'a fait un portait si élogieux de vous ! Laissez-moi vous serrer la main avant votre départ ! »
Il porte un badge en or sur la poitrine et n'a pas l'air très rassurant. Les deux hommes se serrent la main. Le directeur s'éloigne et fait signe à quelques-uns de ses subordonnés d'avancer. Ils se courbent et prononcent d'une même voix :
« Nous vous souhaitons un bon voyage ! Nous attendons votre retour ! »
Leur français est approximatif. Il rend maladroitement la politesse en japonais. Cette démonstration le fait rougir. Sa femme lui chuchote sur un ton sarcastique :
« Surtout n'oublie pas que tu n'es qu'un Homme, chéri ! »
« Je n'y manquerai pas. »
Ils atteignent enfin leur porte d'embarquement et s'installent sur un banc. Une centaine de personnes attendent. Il fait nuit noire. La lumière des pistes éclaire les avions en parking. Mahana se sent mourir d'ennui. Pourquoi le temps passe si lentement ? C'est à croire qu'il le fait exprès ! Ses parents discutent. Ashton tape du pied.
La fillette remarque un jeune garçon assis. Ses cheveux sont d'un blond brillant. Son visage est superbe. On dirait de la porcelaine. Elle ressent un coup dans sa poitrine. La petite a l'impression de le connaître depuis toujours, comme un vieil ami qui referait soudain surface. Comment est-ce possible de ressentir ça pour quelqu'un qu'on n'a jamais vu avant ? La pauvre n'arrive plus à détacher son regard. Ce serait ça, l'amour ? Plus elle le dévisage, plus les questions stupides s'accumulent. Est-ce qu'il s'agit d'un prince charmant ou d'un chevalier servant ? Finalement, elle décide que ce sera un « charmant prince-chevalier servant ». Tout le monde est content, comme ça.
Le garçon la remarque. Mahana tourne la tête. Le panneau « exit » devient sa nouvelle passion. Elle ne le lâche plus des yeux. La petite espère qu'il n'insistera pas trop longtemps. La curiosité l'emporte, ses yeux reviennent vers lui. Il l'observe toujours. Elle se sent mal à l'aise. Un grand avion approche à l'extérieur. Sa carlingue n'est pas en bon état. L'appareil s'immobilise devant la baie vitrée. La mère se baisse et lui chuchote à l'oreille :
« C'est le roi des avions, mais ton papa ne l'aime pas. »
« Papa n'aime pas le roi de Vion ? » Répond-elle, innocemment. Son père est pris d'un fou rire incontrôlable :
« Mon Dieu ! Ça va me rester pendant des mois ! » Prévient-il en riant. La petite rougie d'embarras. Qu'est-ce qu'elle a dit de drôle ? Ashton aussi éclate de rire. Il ne sait pas pourquoi, mais imite son papa. Une immense file d'attente se forme devant les portes.
« Attention, le vol AF680 à destination de Paris vient d'être dérouté. Il fera désormais halte à Montréal. »
On entend quelques chuchotements mécontents, mais rien de plus. Ce n'est pas rare qu'un appareil soit ainsi dévié, souvent parce que la compagnie craint de survoler une zone. Les passagers franchissent le portillon vers le personnel de bord. Ils valident leurs billets et s'engouffrent dans un couloir. Mahana passe. Une jeune asiatique au visage affectueux lui sourit et prend son ticket. Elle le scanne dans une machine. Sa mère attend de l'autre côté, lui prend la main et l'emmène le long du corridor jusqu'au nez de l'avion. Les affiches au mur vantent les mérites d'une grande banque. Une hôtesse patiente à l'entrée de l'appareil :
« Bonjour, vous êtes en famille ? »
« Oui, mon mari et mon fils sont derrière nous. »
« Laissez-moi voir votre billet. Classe économique. Suivez le couloir dans cette direction ! »
La jeune femme pointe son doigt vers la foule. Les gens se bousculent. Leur périple dans l'appareil est aussi long que pénible. Pourtant, la fillette a la surprise de voir son frère et son père. Ils sont arrivés avant ! Elle se retourne immédiatement, stupéfaite. Comment ont-ils fait ? Les passagers forment pourtant une masse compacte !
« Ashton, tu es côté hublot. »
« Super ! » Apprécie-t-il, comblé de joie.
« Mais... mais... pourquoi lui ? » Proteste Mahana.
« C'est comme ça, c'est marqué sur le billet. »
« Mais... ce n'est pas juste ! » Insiste-t-elle sur un ton nasillard.
« Ton frère l'a demandé il y a une semaine. Je t'ai aussi posé la question mais comme notre princesse n'a pas daigné répondre, sa Majesté va donc côté couloir. »
Elle voudrait bien dire quelque chose pour marquer son mécontentement, mais le visage de sa mère lui fait peur. Il vaut mieux ne rien dire. C'est plus adulte. Elle se contente donc d'une mine boudeuse et snobe son frère en s'asseyant. La fillette se sent déjà devenir plus mature. Il y a de quoi être fière !
Une vingtaine de minutes s'écoulent. Les passagers continuent d'affluer. Mahana voudrait bien s'assoupir, mais tout ce bruit l'empêche de fermer l'œil. Son cœur se met à battre la chamade. Le garçon du terminal vient de s'asseoir juste devant ! Ses joues rougissent. Pourquoi est-il venu s'installer ici ? Qu'est-ce qu'il veut ? La fillette ne sait plus où se mettre. Elle s'ensevelit sous une couverture.
L'avion se met enfin en mouvement. Il entame une lente progression sur la piste, mais marque des haltes régulières. Mahana n'ose plus bouger. Son cœur bat si fort qu'elle en tremble. Sa maman lui attache sa ceinture avant de serrer la sienne.
« C'est le moment que je déteste le plus ! » Avoue le mari. Ses mains empoignent fermement les accoudoirs. Il a le visage livide.
Les moteurs grondent. On peut sentir une accélération. L'appareil s'arrache du sol. La fillette frissonne puis s'endort, bercée par le bourdonnement des réacteurs.
