Il était arrivé au bout du monde. Il l'avait fait. Raftel, ou plutôt Laugh Tale comme il l'avait découvert plus tard, n'était, au final pas ce à quoi il s'attendait. Il avait découvert que le vrai trésor était l'aventure, ses amis (sa famille). Les rires, les larmes, les bons et les mauvais souvenirs, tout ça était un trésor que personne ne pouvait lui prendre. Le vrai trésor n'était pas le One Piece mais le voyage pour l'atteindre. Et par-dessus tout, au-delà de l'aventure et de ses souvenirs, il avait gagné sa liberté.
Sa liberté…
Son plus grand rêve, il l'avait vraiment gagné. Mais avec son équipage, il avait également découvert la plus grande honte de ce monde : les secrets des Dragons célestes, les secrets de ce monde et la corruption qui en découlait. Robin avait enfin compris pourquoi son rêve avait été tant entravé. Les secrets révélés par le RioPonéglyohe, les secrets du siècle oubliés. Sa première réaction avait été de rire, comprenant enfin ce que Gol D. Roger avait voulu faire en lançant la grande ère de la piraterie. Puis, il avait voulu se rebeller, non pas parce que c'était écrit dans une prophétie mais parce que son plus grand trésor était sa liberté, et que nombre de ses amis ne serait jamais libres.
Mais il n'avait pas pu. Il était fort, il était libre, il était le Roi des Pirates mais au final il n'était pas assez. Il ne pouvait plus rien faire, ses jambes refusaient de bouger. Il avait rampé pour atteindre ses ennemis, mais il n'avait pas pu, ses bras étaient immobiles. Même ses yeux commençaient à lui faire défaut. Il n'avait plus de force, plus de fluide, plus rien…
Sa vision se troubla encore… de gris elle passa à noir. Un puits sans fond. L'obscurité était forte, elle l'appelait, l'attirait. Pourtant, il voulait encore se battre ! être encore plus libre, amener cette liberté à tous ses amis. Ceux qui n'avaient pas pu l'accompagner dans son voyage. Il devait … il devait … se battre. Sa main tressauta, la douleur de ce simple geste se réverbéra dans tout son corps.
« Je veux vivre sans regret. » il l'avait dit. Il l'avait répété. C'était une promesse. Une promesse qu'il s'était fait mais qu'il avait faite à son frère alors qu'il mourrait. Et voilà que pour la première fois de sa vie, il avait un regret. Il ne pouvait plus se battre pour atteindre son nouveau rêve : libérer le monde ou plutôt les personnes vivants dans ce monde. Ce n'était pas tant le fait d'échouer qu'il regrettait, mourir pour accomplir son rêve était une chose à laquelle il s'était préparé. Une chose qu'il avait acceptée comme possible lorsque Shanks lui avait placé son trésor sur la tête. Non, ce qu'il regrettait c'était de ne pas pouvoir faire plus. Comme Roger avant lui, lorsqu'il avait compris qu'il ne pourrait rien faire de plus. Comme Barbe Blanche au moment de sa mort. Il ne pouvait pas dire au monde ce qu'il savait, ce qu'il avait appris. Il allait mourir, sans inspirer d'autres personnes à découvrir cette horrible vérité. Il avait entrainer ses amis dans cette dernière aventure qui serait vaine.
« Si je pouvais me battre encore, je réussirais. Je libérerais mes amis de ces chaînes et ce monde de cette corruption qui leur a tout prit. » Il devait se battre pour qu'au moins un de ses amis puisse passer sa volonté à la génération suivante. Mais ses amis étaient tombés, il l'avait senti allongé sur ce sol dur, froid, mort. Il avait senti les flammes de leurs vies s'éteindre, à chaque fois comme un coup de poignard… Il devait se battre, mais l'obscurité ne voulait pas le laisser faire. Elle l'engloutit.
« Accordé »
Sur une île, un petit garçon se réveilla en sursaut couvert de sueur, dans un cri muet. Il tendit sa main, l'observa. Ce rêve était tellement réel. Il en tremblait encore. Mais il était impossible que toutes ses choses soient arrivées – qu'elles soient sur le point d'arriver (?), impossible que son grand père laisse ses choses se passer. Il ne connaissait pas grand-chose au monde, mais il était sûr que son grand père ne laissera pas ça se passer.
Il prit une inspiration tremblante, et fut surprit lorsqu'il remarqua des larmes sur ses joues. Il pleurait. Ce rêve était trop réel, trop … trop … juste trop. Inspiration, expiration, lentement, doucement, concentre-toi sur les battements de ton cœur. Tu es vivant, tu peux bouger, ce n'était qu'un rêve. Un rêve réel, qui l'avait laissé à vif, mais qui ne pouvait être la réalité. Tout simplement parce qu'il était un enfant… Toutes ses réflexions l'embrouillaient, il réfléchissait trop (ce n'était pas normal, ce n'était pas lui). Sa tête lui faisait mal, son visage rougissait et chauffait…
Il sortit de son lit, regarda le soleil, les nuages, les arbres, la vie tout simplement. Il hocha la tête, sourit… un rêve, juste un rêve. Il avait l'impression d'avoir vécu une vie complète en une nuit. Mais comme tout c'était passé en une nuit ce n'était qu'un rêve. Il secoua la tête pour éliminer les dernières traces de ce maudit cauchemar. Son sourire s'élargit alors qu'il s'approchait de la porte.
Il sentait déjà l'odeur du petit déjeuner. Il dévala les marches qui menaient à la salle. Personne… étrange. Le petit déjeuné était pourtant prêt, mais pas servi. Il était encore sur la table de la cuisine, oublié. Il allait se servir une assiette lorsqu'il entendit les villageois. Ils étaient tous dehors, pourquoi ?
Un mauvais pressentiment le saisit. Le rêve avait commencé comme ça. Non, impossible ! Il secoua la tête, comme pour en sortir l'idée même que ce cauchemar puisse être vrai – qu'il ait pu voir le futur – son futur. Respirant encore calmement, il saisit un morceau de viande encore chaud et ouvrit la porte.
Il s'approcha de la foule s'un pas résolu. Sa tête se tournant pour tenter d'apercevoir ce qui fascinait tout le monde. Il regardait l'horizon. Pire, un bateau arrivait et il allait bientôt atteindre le port. Et le drapeau de ce navire, il le reconnu, il l'avait vu dans son rêve. Impossible, il devait respirer, se calmer. Même s'il reconnaissait le drapeau, ça ne voulait pas dire que le reste de son rêve allait se réaliser. Sans s'en apercevoir, il se dirigeait vers ce navire, vers ses pirates. Alors qu'il allait les atteindre, un homme descendit.
Encore une fois, un sentiment de familiarité le saisit. Son esprit lui fournit le nom du pirate alors même qu'il le voyait : Shanks, il le savait, il le connaissait – le connaitrait ?... Ils deviendraient amis, Shanks serait son modèle, son objectif. Il … ne le connaissait pas encore… Ce maudit rêve était en train de gâcher sa joie de voir enfin des pirates. Le maire l'avait mis en garde de nombreuses fois contre les pirates. Les décrivant comme des monstres assoiffés de sang, mais comme dans le rêve, ce pirate ne semblait pas méchant.
Il n'était pas vieux comme grand-père, mais en ayant grandi dans le bar de Makino, il avait appris à juger les gens. Son instinct ne l'avait jamais induit en erreur. Et son instinct lui disait que cet équipage pirate était en quête d'aventure, pas de conquête. Ils semblaient vouloir que l'alcool coule à flots plutôt que le sang.
Dans son rêve, il avait posé une question, si ridicule qu'il avait en fait risqué sa vie en la posant. Bien qu'il ne s'en soit pas rendu compte au moment de la poser (alors pourquoi s'en rendait-il compte maintenant ?). Il devait savoir, répéter l'histoire du rêve, connaître la vraie réponse du pirate (Shanks, ce nom résonnait en lui) lui donnerait. Alors, il se planta devant le navire, devant le capitaine et lança de sa voix la plus assurée.
« Dis, est-ce que c'est vrai que les pirates sont tous méchants et qu'ils volent et tuent tout le monde ? » La réaction serait différente et il saurait enfin que ce rêve n'était que ça, un rêve.
Malheureusement, un rire sonore retentit dans le port étouffant les halètements de la foule et le cri de panique de Makino. Celle-ci était déjà en train de se précipiter vers lui, espérant sans doute obtenir le pardon du pirate pour l'offense qu'il avait causé. Lorsque le pirate arrêta de rire, il rétorqua.
« Est-ce que c'est vrai que tous les petits garçons veulent devenir des marines ? »
Il trembla… la même réponse, la même personne, il connaissait cet homme. Le rêve était-il donc réel ? un souvenir, une vie entière dans un rêve. Des rêves atteints, d'autres brisés. Des rires, des pleurs, des joies, des peines, des promesses …. Il était trop tôt pour en être sûr, un seul évènement similaire n'était pas une preuve. Il rit pour essayer de faire partir ce poids qui était en train de se loger au creux de son estomac et dit :
« Moi, j'aime pas les marines ! » et il entendit les personnes derrière lui haleter de nouveau. Ça ne devrait pourtant pas être si étonnant, son grand père était le seul marine qu'il connaissait. Et il montrait son affection avec ses poings ! Alors, comme prouver sa détermination au monde (enfin à son village, le monde viendrait plus tard) il se campa sur petites jambes, plaça ses mains fermées en poings sur ses hanches et hurla :
« Je suis Monkey D. Luffy, et je serais le Roi des Pirates ! »
Et Shanks rit.
