Chapitre troisième

Johnson était étendue sur son lit et attendait patiemment que V revienne avec le matériel nécessaire pour lui extraire la balle de l'épaule. Celui-ci revint quelques instants plus tard avec une pince longue et fine et de l'alcool à friction. Il prit place à ses cotés et lui demanda gentiment d'enlever son t-shirt.

- Je tiens à préciser qu'il ne s'agit certainement pas d'une maladroite astuce de voyeur que de vous demander d'enlever votre gilet mais plutôt pour me faciliter la tâche, précisa V en enfilant d'autres gants.

- Je m'en fiche, V…

- Je sais… simple précision… répondit-il, un peu gêné.

- Allons… finissons-en…

Johnson enleva son t-shirt et sentit l'horrible douleur dans son épaule. Celle-ci poussa un long soupir pour tenter de détendre ses muscles crispés sur la balle. Elle jeta le t-shirt plus loin et s'étendit sur le lit, un grand sourire au lèvres en voyant la posture tendue de V. Après un bref instant, V se pencha sur elle et prit soin de nettoyer la plaie avant de la désinfecter. Johnson serra les dents lorsque l'alcool pénétra dans le trou laissé par la balle. C'était horrible et elle ne voulait même pas s'imaginer ce que serait l'extraction du projectile.

- Détendez-vous… chuchota V en voyant les muscles de la jeune femme se tendre soudainement.

- Facile à dire, V…

L'homme ignora le commentaire et continua ce qu'il faisait. Il se saisit des pinces et commença lentement à les insérer dans la plaie. Johnson frémit sous la douleur et elle prit une grande inspiration. C'était ignoble, V faisait tourner la pince dans la blessure, enfonçait, allait plus à droite, plus à gauche pour finalement tomber sur un objet dur.

- Enfin, la voilà… se dit-il.

La pince s'ouvrit brutalement provoquant un frisson de douleur intense. V se mit à fouiller dans la plaie pour avoir une bonne prise sur la balle et d'un coup sec la retira. Johnson poussa un cri effroyable juste avant de fondre en larmes. Quant à V, celui-ci tenta de la garder étendue pour pouvoir bander son épaule et tenter de stopper le sang.

- V! s'écria-t-elle en larmes.

- Je vous en prie, calmez-vous! J'essaie seulement de vous aider…

- À l'aide V… J'ai besoin d'air… souffla-t-elle.

- Vous ne pouvez pas sortir… laissez-vous aller, les bras de Morphée sont grands ouverts… murmura-t-il à l'oreille de la jeune femme.

Johnson cessa alors de lutter pour rester éveillée et laissa le monde sombrer autour d'elle…

« Oh, I do believe in all the things you said… »

Une douce mélodie résonnait aux oreilles de la jeune femme. Cette chanson qu'elle entendait si souvent jouer lorsqu'elle était avec lui…

Johnson ouvrit lentement les yeux et porta ensuite son regard vers l'horloge qui se trouvait au dessus du cadre de la porte. Elle indiquait dix heures trente-deux de l'avant-midi.

La jeune femme sortit tranquillement du lit et eut de la difficulté à se tenir debout. C'était comme si un poids énorme venait de se poser sur son épaule droite. C'est alors qu'elle se rappela tout ce qu'il s'était passé la nuit dernière. Larkhill, les documents, Finch, V et la fameuse balle qu'elle avait reçu en plein dans l'épaule. Elle se rappelait avoir perdu connaissance après l'extraction de cette dernière.

Johnson prit alors la direction de la cuisine dans l'espoir d'y retrouver V mais lorsqu'elle y arriva, la pièce était vide, y compris les autres salles qu'elle avait traversé pour se rendre là. La jeune femme fit le tour du musée mais rien… Pas de trace de V dans les environs.

- Valérie… murmura-t-elle soudainement.

La jeune femme sut immédiatement ce que V était en train de faire. La seule personne à qui il devait sa persévérance était cette femme… Ce petit oasis qui lui avait apparu en pleine descente entre la démence et le désespoir. C'était bien la seule chose dont il lui avait parlé en ce qui concernait Larkhill; le reste, il le gardait enfoui dans un recoin torturé de son âme.

Johnson se dirigea donc vers le monument érigé pour cette femme et lorsque celle-ci y arriva, V était debout devant le portrait de Valérie.

- V? dit Johnson en se plantant derrière lui.

- « Notre intégrité est facile à ignorer, mais elle nous est vitale. C'est cette force invisible qui coule dans nos veines… » prononça V sur un ton noble.

- « Et qui nous permet d'être libre… » murmura-t-elle.

V se retourna lentement et plongea le regard sombre du masque dans celui de la jeune femme. Il s'en approcha lentement et s'arrêta à une courte distance d'elle. Jamais Johnson n'avait échangé un tel regard avec cet homme. Il semblait si fatigué, si découragé et surtout, tellement perdu. Sans quitter l'homme masqué du regard, Johnson lui prit la main et continua à le fixer en dégageant une radiance hors du commun. Elle était un rayon de soleil dans la noirceur du musée, elle était la lumière volée au soleil en ces jours de noirceur et surtout la chaleur qui empêchait V de mourir de froid et de solitude. Il lui en était si reconnaissant…

- Vous avez lu le document? demanda la jeune femme d'une voix douce.

- Oui…

- Et alors?

- Je m'appelle Sebastian Hollowgreal, j'ai quarante-six ans, j'ai été marié pendant deux ans mais ma femme a été tuée dans une manifestation… Je travaillais dans une librairie sur la principale et mon dossier judiciaire mentionne que j'étais présent à chaque manifestation et que j'ai été arrêté au moins une bonne dizaine de fois avant d'avoir découvert un certain complot non mentionné dans ce document et à partir de là je me suis retrouvé à Larkhill… répondit-il avec beaucoup de tristesse dans la voix.

- C'est tout? demanda Johnson, un peu triste elle aussi.

- Ce sont les grandes lignes…

Un lourd silence tomba entre eux et ils n'osèrent même pas détourner le regard. Johnson se glissa dans les bras de V, sentant pertinemment qu'il s'abstenait de fondre en larmes. Après avoir lu ce document, tout était revenu dans sa tête; la mort de Juliana, sa femme, sa famille, son enfance, son adolescence… Ce fut un horrible choc pour lui de se rappeler de chaque instant de sa vie passée, comme lorsque le moment de notre mort arrive… Il était né en plein cœur de Londres dans une maison en bordure d'un grand parc. Enfant unique d'une modeste famille. Mais que c'était-il passé pour qu'il oublie tout? Était-ce à cause de Larkhill? V, ou Sebastian, c'est comme vous voulez, ne savait plus quoi penser. Qui était-il? Les réponses étaient dans le document retrouvé à Larkhill, mais avait-il vraiment envie de les croire maintenant qu'elles étaient devant lui? Il avait basé sa nouvelle vie sur le personnage masqué de V et sur absolument rien d'autre. Pas de femme, ni de Sebastian, ni de jolie maison avec une belle famille au cœur de Londres. Il était le monstre forgé par la haine et le désespoir. Un monstre…

- V… je ne sais pas quoi dire… dit Johnson au bout d'un moment.

- Il n'y a rien à dire… Mais je tiens à ce que vous sachiez que ce Sebastian n'est pas l'homme qui se tient devant vous… Après Larkhill, laissez-moi vous assurer que ce qui se tient devant vous n'est pas un homme, mais une idée, une vendetta et une haine incontrôlable contre les hommes et leur esprits tordus… murmura V en se desserrant de Johnson.

- Vous serez toujours le justicier masqué à mes yeux… Sachez que vous êtes loin d'être un monstre… Vous êtes loin d'être une vulgaire vendetta, vous êtes la vérité en personne et le plus grand partisan de la justice… Vous ne pouvez être une simple idée… V… On ne peut pas embrasser une idée, on ne peut pas y toucher, on ne peut pas la prendre dans nos bras… Une idée, ça ne ressent aucune douleur, une idée de pleure pas… Une idée ne peut pas aimer… susurra Johnson d'une voix à peine audible.

V la regarda longuement avant de s'agenouiller devant elle, toujours en serrant ses mains dans les siennes.

- Jezebelle Johnson, vous êtes la 8eme merveille du monde, le plus beau poème et la mélodie la plus enivrante de la terre… dit-il soudainement, prit d'un élan d'allégresse et d'espoir.