Titre : Ad
extremum tempus diei, chapitre 10 (partie B)
Base : Gundam Wing
puis l'univers d'AETD
Auteurs : Shakes Kinder Pinguy et
Meanne77
Couple : où ça ? Y'a des couples
dans AETD ? Depuis quand ?
Genre :
Deathfic. Humour. OOC. Kawaii. Angst. Shônen ai. Fic finie.
Disclaimer
:
Quatre : Tout est à Moi. Tout M'appartient. Je
suis le Maître de cet univers.
Skpm77 : Et le pire,
c'est que c'est même pas de la mégalomanie.
Note : L'heure est venue de régler nos comptes...
Ad extremum tempus diei
Jusqu'à la dernière
lueur du jour
Chapitre 10 – B
Wu Fei posa une pile de livres sur la table de chevet de Yuy.
– Tiens, ça t'occupera mieux que de jouer au Démineur sur ton ordinateur.
Yuy leva les yeux de son écran et le remercia d'un signe de tête. Il était consigné au lit pour encore quarante-huit heures au moins et privé de pilotage, quelles que soient les circonstances, pendant un mois au minimum. Wu Fei ne comprenait déjà même pas comment Yuy pouvait bouger tout court ! Lui s'était déjà fait plus d'une entorse au cours de son apprentissage des arts martiaux et il avait dû passer par des séances de rééducation. Mais à peine réveillé Yuy avait été capable de se traîner de l'infirmerie à leur cabine sans avoir besoin de s'appuyer sur Barton plus que ça.
– Celui-ci est vraiment bien, c'est Duo qui me l'a conseillé, indiqua-t-il en mettant le livre en haut de la pile.
Il avait prononcé le nom de Duo presque par défi. Il n'était pas le seul à avoir remarqué qu'il y avait comme un froid entre eux, l'absence du châtain aux côtés du blessé était plus qu'incompréhensible. Mais Yuy n'eut pas de réaction particulière ou s'il en eut une, elle ne fut pas visible, Yuy possédant un réel talent pour ne rien laisser filtrer de ses émotions. Quoiqu'il en fut, Wu Fei était heureux d'avoir le brun de retour dans leur cabine, même si ce dernier avait la fâcheuse tendance à vouloir aller chercher lui-même ce dont il avait besoin plutôt que de le lui demander.
– Il te faudra autre chose ?
– Non merci, ça ira.
Wu Fei acquiesça et allait pour reprendre sa propre lecture lorsque le brun se ravisa.
– En fait, si, j'aimerais que tu me rendes un service s'il te plaît…
Wu Fei haussa les sourcils et attendit la suite.
– Oui ?
– Est-ce que tu veux bien me raconter ce qu'il s'est passé depuis un mois ?
– Personne ne l'a encore fait ? s'étonna Wu Fei en s'asseyant sur le rebord de son lit.
Heero secoua la tête et Wu Fei raconta.
-
Plus tard, Quatre vint frapper à leur porte. Wu Fei s'était absenté une demi-heure auparavant après s'être assuré qu'il n'aurait besoin de rien. Heero n'avait pas encore été seul avec Quatre depuis son réveil mais il s'attendait à la visite du blond ; qu'il ne vienne pas eut été étonnant.
– Bonjour, Heero. Comment est-ce que tu te sens ?
– Bien.
– Je peux entrer ?
– Si tu veux.
Quatre sourit, ferma la porte et alla s'asseoir sur le lit de Wu Fei. Heero se prépara au sermon qui ne tarderait pas à suivre.
– Je suppose que Solo t'a interdit de piloter ?
– Hn.
– Tu sais que tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même...
– Je sais.
Quatre hocha la tête.
– Je suis venu te dire ce que personne parmi nous ne te dira à voix haute. Je sais pourquoi tu l'as fait, et je comprends tes raisons.
Heero regarda Quatre avec une stupéfaction à peine déguisée.
– Fondamentalement, du moins, je comprends tes raisons. D'une certaine manière, ton geste était justifiable. Pour tout t'avouer, nous avons beau tous dire – te dire peut-être – que nous aurions trouvé un autre moyen, je ne vois toujours pas ce que nous aurions fait si tu n'avais pas pris cette initiative. Mais je veux aussi que tu saches que malgré cela, je ne te le pardonne pas.
– Je… ne comprends pas.
– Ce que je te reproche c'est de ne pas nous avoir laissé le temps de chercher une alternative. Tu crois peut-être avoir choisi pour toi mais tu as choisi pour nous tous, tu nous as à tous ôté toute autre possibilité d'action. Mais plus que cela encore, je t'en veux parce que ce n'était pas la première fois que tu agissais de la sorte et si cette fois-ci c'était peut-être justifiable, ça ne l'avait jamais été auparavant. Il n'y a rien d'honorable dans ce que tu as fait, j'aurais même tendance à dire que c'était égoïste de ta part. Que tu ne l'as pas fait pour les Colonies ou pour sauver tes compagnons mais parce que tu t'es senti acculé et que tu as choisi la solution de la facilité. C'est toujours ce que tu fais. Tu prends la fuite, Heero, c'est lâche de ta part. Ce n'est pas l'attitude de quelqu'un sur lequel on peut compter.
Quatre reprit son souffle.
– C'est ça que je ne te pardonne pas. Ce n'est pas à OZ que tu as fait le plus de mal, je ne suis même pas sûr qu'en faisant cela tu aies sauvé les Colonies, mais tu ne t'es pas arrêté pour penser à ce qui pourrait se passer après, n'est-ce pas ? Ou tu as cru qu'avec ton action tout se résoudrait comme par magie ? Tu nous as laissé tous seuls, sans davantage savoir quoi faire que toi, mais avec l'un des nôtres en moins ! Il faut que tu arrêtes de te considérer comme une simple munition !
Et alors peut-être arriverai-je à en faire autant, ajouta-t-il mentalement. Ses derniers mots s'adressaient autant à Heero qu'à lui-même. Il avait tant voulu convaincre Solo de laisser à Heero sa place de pilote qu'il n'avait pas réellement écouté ses arguments. Il n'avait pensé à Heero que pour ses performances et en avait oublié qu'il était aussi un être humain. Quelle ironie de la part de celui qui peu avant avait songé que la guerre perdait de sa gravité si l'un des camps se battait sans âme ! Il n'avait rien fait d'autre que de considérer Heero – et les autres, y compris lui-même – comme l'une de ces machines sans pilote contre lesquelles ils devaient se battre.
Le fait de ressentir l'autodestruction de Heero comme si elle avait été la sienne lui avait douloureusement rappelé leur humanité.
– Et tant que je ne serai pas sûr que tu as compris ça, je ne t'aiderai pas à convaincre Solo de te laisser de nouveau monter à bord d'un Gundam.
– Alors j'aurais dû penser à vous et pas aux Colonies ?
– Est-ce que tu as vraiment pensé aux Colonies ? Ce n'est pas en étant mort que tu pourras te battre pour elles !
– Qu'est-ce que j'aurais dû faire alors ?
– Je te l'ai dit : je ne sais pas et c'est pourquoi je trouve tes raisons justifiables. Mais aucunement justifiées.
– Je ne sais plus comment me battre, avoua Heero.
– Peut-être en cessant de considérer la mort comme un recours comme un autre ? C'est la dernière chose à laquelle tu devrais penser ; rien que pour le mal que tu fais à ceux qui tiennent à toi. La dernière chose après avoir tenté toutes les autres. Mais tout est allé beaucoup trop vite, tu n'as pas pris le temps d'envisager une autre issue de secours.
– Mais parfois tout se joue sur une fraction de seconde. Tu es pilote, Quatre, tu sais qu'on n'a pas toujours le temps de réfléchir. Ce qui prime sur tout, c'est l'instinct. Dans cette fraction de seconde où tout se décide, qu'est-ce qui doit être mis en avant ? Rester en vie pour ceux qui m'attendent ou mourir pour la survie du plus grand nombre ?
Quatre garda le silence. Ce n'était pas dans l'habitude de Heero de se dévoiler autant. De toute évidence, cela faisait un moment qu'il se posait ces questions. Il devait attendre depuis longtemps d'avoir cette conversation, même sans savoir avec qui. Et c'était important. C'était important qu'il s'interroge de la sorte et plus encore que Quatre lui apporte toute l'aide dont il était capable. Il n'y avait pas de solution toute faite, Heero devait trouver par lui-même une réponse qui lui convienne.
– Je ne sais pas, Heero, je ne pense pas qu'il y ait une seule réponse, c'est différent pour chacun d'entre nous, et même pour chaque situation. Tout peut être remis en question à chaque seconde. Tout ce que je sais c'est qu'on ne s'engage pas dans une guerre sans être prêt à mourir pour la cause que l'on défend mais qu'on ne doit pas pour autant oublier que nous sommes humains. Nous sommes humains, nous aimons, et c'est pour cela que nous nous battons.
– Mais Wu Fei m'a raconté ce qu'il s'était passé pendant mon coma. Les Colonies nous ont rejetés alors pour qui nous battons-nous ?
– Pour le moment, on ne se bat pas.
– C'est tout ? C'est aussi simple que ça ?
– Pour le moment… OZ semble vouloir promouvoir la paix.
– Et tu y crois ?
– Que j'y crois ou pas n'est pas la question. Nous sommes pieds et poings liés, tout ce que nous pouvons faire c'est de rester informés et de se tenir prêts. Peut-être devrais-tu mettre ce temps à profit pour réfléchir à tes raisons de te battre et à des raisons de vivre... Et si c'était vrai ? Et si nous avions vraiment la paix à portée de main ? Qu'est-ce que tu veux faire demain ?
« Quand tout ça s'ra fini j'crois qu'j'aimerai bien faire des études. Mais chais pas encore de quoi… Et toi ?
– Je n'ai jamais pensé à après.
– Tu d'vrais, ça finira bien par arriver un jour ou l'autre ! »
Et si c'était arrivé ? Et si, comme Quatre l'avait dit, ce qu'il avait fait n'avait rien changé pour les Colonies, que ce n'était pas ce qui avait empêché OZ de mettre sa menace à exécution ? S'il n'avait pas survécu, serait-il mort pour rien ? A la veille de la paix ?
Je n'ai pas envie de mourir… Mais qu'est-ce que je vais faire maintenant ?
Il ne croyait pas au revirement d'OZ mais pour le moment Quatre avait raison ; il n'y avait rien qu'il pouvait faire…
¤¤¤
Duo lança le ballon vers le panier sans grand enthousiasme. Jouer tout seul n'était pas amusant et on progressait mieux lorsque l'on avait un adversaire en face de soi… Il dribbla mollement pendant encore quelques instants avant de décider qu'il en avait assez. Cela faisait maintenant deux jours que Heero était sorti de l'infirmerie et que Duo remettait à plus tard sa visite de réconciliation. Le châtain décréta que cela suffisait.
La balle sous le bras, il s'apprêtait à redescendre au niveau des cabines lorsqu'il entendit des pas sur les marches de la passerelle. L'instant d'après, la tête ébouriffée de Heero apparut. Tous deux marquèrent une pause puis Duo réagit le premier. Oubliant sa balle, il se porta auprès de son ami au cas où celui-ci ferait un malaise dans les escaliers.
– Qu'est-ce qu'tu fais là ? T'as l'droit de sortir ? J'croyais qu't'étais consigné dans ta chambre ! Viens, reste pas sur les marches, c'est dangereux !
Heero, déconcerté, rejoignit le châtain sur le pont. Il s'était attendu à trouver un Duo hostile, toujours en colère après lui – il devait l'être pour ne pas lui avoir rendu une seule visite en deux jours –, mais ce dernier semblait au contraire… inquiet ?
– Qu'est-ce que tu fais là ? Me dis pas qu'tu venais faire quelques paniers parce que j'vais t'le dire franchement : j'pense que c'est encore un peu trop tôt pour ça ! Et d'ailleurs tu d'vrais même pas…
– Je te cherchais.
– … être… Tu me cherchais ?
Avec hésitation, Heero acquiesça. Duo remarqua alors que le brun était essoufflé et qu'il transpirait un peu.
– Bon ben tu m'as trouvé ! Viens, on va s'asseoir, t'es tout pâle ! T'aurais pas dû sortir, j'allais pour venir te voir !
Les deux adolescents s'installèrent un peu plus loin sur le pont, Duo se tenant prêt à rattraper Heero au besoin.
– Ecoute… fit-il en jouant avec ses doigts tandis que le brun reprenait son souffle. J'suis désolé. J't'ai dit des choses que… ok, que je pensais mais que j'aurais pas… si, que je devais te dire mais… enfin… c'que j'veux dire, c'est que j'aurais pas dû t'crier d'ssus alors que tu v'nais tout juste de t'réveiller.
Heero le fixa, sourcils froncés.
– J'veux pas qu'tu crois qu'j'étais pas content qu'tu t'sois réveillé…
Heero secoua la tête. Il avait cherché Duo, un discours d'excuses tout prêt à l'esprit ; il ne s'était pas attendu à ce que Duo le devance et s'excuse à sa place.
– Je… te cherchais… parce que je voulais te demander pardon.
– Oh… Oh, ben on est synchro alors ! fit Duo avec un petit rire gêné.
– Non, enfin je… C'est important… pour moi… que tu saches que je ne… je ne voulais pas te faire de peine. Je suis désolé.
Duo eut une grimace et fixa ses pieds.
– … Oui eh ben… j'vois pas comment j'aurais pu n'pas avoir de peine ! C'est même pas comme si t'étais mort au combat ! Ça, je… ça f'rait mal aussi, avoua-t-il à voix basse, mais j'connais les risques que vous encourrez. Mais c'que t'as fait c'est du suicide pur et simple ! Et tu savais que j'voulais pas qu'tu utilises ce truc, tu sais pertinemment que j'passe mon temps à te l'retirer et tu t'es pas demandé pourquoi ?
– Ce que j'ai fait, c'était ma façon de me battre. Je sais aujourd'hui que ce n'est peut-être plus la bonne. Parce que j'ai compris que ce qui m'arrive a de l'importance pour… vous. Ce n'était jamais arrivé avant.
– Je croyais que ça j'avais déjà réussi à te le faire comprendre. C'est pour ça que ça fait mal ! Parce que… tout le temps qu'on a passé ensemble, tu croyais que c'était quoi ? Que c'était parce que j'avais rien d'mieux à faire ? C'est pas comme si j't'avais pas déjà dit qu'tu me manquais quand t'étais pas là ! Tu t'souviens d'cette conversation ou tu l'as déjà oubliée ?
– Je m'en souviens, murmura Heero.
– Eh ben apparemment elle t'a pas fait beaucoup d'effet ! J'croyais… j'sais pas, qu'y avait une certaine complicité entre nous, qu'on était… amis, quoi !
– Nous sommes amis.
– Et t'as besoin d'te tuer pour t'en rendre compte ?
Heero ne répondit pas, les yeux baissés, et Duo réalisa que dans son énervement il avait été trop loin. Il reprochait à Heero de lui avoir fait de la peine mais il venait de faire exactement la même chose. Enfin… les proportions étaient tout de même très différentes, la presque mort de Heero était quelque chose de définitif ; lui, ce n'était que des mots, dits sous le coup de la colère, ça n'avait rien de mortel. Heero, lui, avait failli ne pas revenir et le laisser seul avec en suspend tout ce qu'il avait eu tant de mal à construire entre eux et tout ce qui restait encore à faire. Quatre avait beau dire qu'il était celui qui avait le plus d'influence sur Heero, il ne voyait pas en quoi. Heero ne semblait voir aucun des efforts que Duo fournissait. Cela le laissait complètement indifférent, au point que Duo se demandait si cela changerait quoique ce soit pour lui s'il laissait tout simplement tomber. Ils n'arriveraient jamais à rien si Duo était le seul à se démener !
Quelque chose le dérangea dans cette dernière pensée, comme un sentiment de déjà ressenti. Ce n'était pas la première fois qu'il avait l'impression que Heero le laissait seul là où ils auraient dû être deux. Comme… comme lorsque l'équipage passait son temps à les chambrer sur leur soi-disant relation et que Heero n'intervenait jamais. Duo avait compris plus tard, quand ils avaient passé la nuit tous les deux dans cette école, qu'en réalité c'était parce que Heero ne comprenait pas ce qui se disait, ce dont on les « accusait ». Et là Duo commençait à réaliser que les circonstances étaient similaires : il reprochait à Heero de ne pas avoir pris en compte ses sentiments, mais peut-être que le brun n'en avait simplement pas conscience. Il s'était d'ailleurs fait la réflexion que Heero était encore moins prêt que lui à avoir une relation plus qu'amicale, c'était entre autres pour ça qu'il avait voulu revenir à ce début d'amitié qu'il avait cru percevoir entre eux, de prendre le temps de la construire doucement.
Il avait pris conscience cette nuit-là aussi que Heero n'avait probablement pas eu beaucoup d'amis, qu'il ne savait pas comment se comporter avec eux. Malgré cela, Duo s'était fait par deux fois la réflexion que Heero s'y connaissait mieux en amitié que lui-même ne le pensait. Heero n'avait jamais mis un nom sur la relation qu'ils entretenaient, n'avait jamais considéré son attitude comme une conséquence des « règles » de l'amitié. Il agissait ainsi spontanément, et aussi désagréable que ce soit pour Duo de s'en rendre compte, Heero avait fait de même lorsqu'il avait appuyé sur le bouton. Il le lui avait dit : il n'avait pas réfléchi. Heero ne se comportait pas différemment quand il était avec lui que quand il se battait.
Duo, lui, oubliait qu'ils étaient en guerre lorsqu'il était avec Heero, à tel point qu'il ne le considérait plus comme un soldat. Ni Heero ni les autres, d'ailleurs. Il avait reporté tout le côté guerre sur les Gundams et tout le côté humain sur les pilotes. Quatre lui avait dit aussi qu'il mélangeait relations personnelles et relations professionnelles. La vérité c'était qu'il n'avait plus de relation professionnelle avec les pilotes. C'était la raison pour laquelle ça avait fait si mal quand il avait eu l'impression que Solo l'écartait du groupe. Solo s'était mis à faire cette distinction là où Duo n'en avait rapidement plus vue.
Finalement, d'eux deux, c'était Heero qui avait été le plus sincère. Il était resté lui-même en toutes circonstances, il n'avait jamais eu d'arrière-pensées. Duo, lui, construisait une amitié dont il ne voulait somme toute pas, qui n'était pour lui qu'une étape, et de plus avec un Heero plus ou moins « imaginaire », tronqué de la majorité de ce qu'il était. Heero était un soldat avant toute chose. Heero avait la guerre à prendre en compte, elle ne s'arrêtait pas au moment où les Gundams étaient de retour de mission. Duo et lui n'avaient pas la même relation avec elle ; pour Duo, cela faisait partie de son travail alors que pour Heero elle définissait toute sa vie. Duo vivait avec alors que Heero vivait dedans.
« Je n'ai jamais pensé à après. »
Heero vivait au jour le jour, comme Solo et lui à l'époque de L2…
Impulsivement, Duo passa les bras autour du cou de Heero et le serra contre lui. Heero se tendit comme un arc puis Duo murmura : « Pimousse… » et Heero, avec hésitation, posa la tête contre celle du châtain.
– Je suis désolé, Pimousse, désolé, j'ai été très injuste, et pour des tas de choses, je suis désolé… murmura encore Duo, la gorge serrée.
– Je…
– C'est con, tu sais, mais j'crois que j'avais un peu oublié qu'tu te battais, qu'on se battait, de c'que ça voulait vraiment dire et… en fait j't'en veux parce que tu t'bats, et m'en veux pas mais y'a une part de moi qu'aimerait qu'Solo te laisse plus jamais monter dans Wing mais en même temps je sais qu'c'est pas toi, enfin, qu'tu supporterais pas d'rien faire et j't'ai tellement encouragé qu'je me trouve hypocrite, c'est dingue !
– Je comprends pas bien ce que tu me dis, Duo.
– C'est pas grave, souffla ce dernier. J'suis heureux que tu sois en vie, si tu savais c'que j'suis heureux qu'tu sois en vie…
¤¤¤
Lorsque Crevette prit Heero dans ses bras, Solo eut un sourire railleur. Apparemment, sa crevette avait repris le contrôle de la situation : la dernière fois qu'il les avait surpris dans ce genre de position, c'était Heero qui tenait Crevette plaqué contre le mur. Ça faisait plaisir de les voir comme ça. Il ignorait ce qu'il s'était passé exactement entre eux suite au réveil de Heero – bien que connaissant sa crevette, il en avait une petite idée – mais de toute évidence, les deux gamins s'étaient réconciliés. Enfin, gamins… Il n'avait pas l'habitude de voir une expression si adulte sur le visage de Crevette. Il ne s'en était pas rendu compte jusqu'ici mais Crevette avait bien grandi.
Solo se sentit brusquement mal à l'aise à cette pensée. Cette expression… il n'en avait peut-être pas l'habitude, mais il l'avait déjà vue une fois. Sur le même visage mais pas chez la même personne. Pas vraiment. Solo avait toujours su que sa crevette et… l'autre étaient une seule et même personne, mais soudain l'image qu'il avait sous les yeux se superposait au souvenir. L'autre Crevette avait dû avoir à peu près cet âge-là lorsque Solo l'avait tué. Crevette portait un t-shirt noir aujourd'hui… il ne lui manquait plus que la natte.
Le malaise de Solo s'accentua. Il n'y avait plus pensé sérieusement depuis longtemps. Avoir sa crevette bien en vie à ses côtés faisait paraître le souvenir de son alter ego d'autant plus lointain, si bien que Solo en venait à oublier pourquoi ils avaient fui L2. Mais Crevette avait grandi, au point de rejoindre l'autre, et Solo n'avait aucun moyen de savoir s'il avait bel et bien changé l'histoire. Après un dernier regard à ses deux mômes, Solo fit demi-tour et se dirigea vers sa cabine.
Les tous premiers temps, Solo avait beaucoup réfléchi à comment Crevette avait pu à la fois se retrouver raton dans sa bande et adolescent déguisé en prêtre. Ils n'avaient pas été loin lorsque l'armure mobile s'était écrasée sur la colonie. Ils n'avaient pas voulu laisser passer une telle aubaine. Le temps qu'ils arrivent sur place, le pilote avait réussi à s'extirper de la machine, laissant une combinaison en piètre état derrière lui. Ils avaient à peine commencé à dépecer l'armure mobile – Solo se souvenait encore de l'excitation qu'il avait ressentie à la perspective de peut-être mettre la main sur une arme à feu – lorsque quelques autres de ses ratons les avaient rejoints pour lui signaler ce qui leur semblait la proie idéale. Ce ne fût que bien plus tard, à bord du vaisseau des Sweepers, que Solo eut le temps de reconnecter les événements entre eux. Ce Crevette qu'il venait de tuer et qu'il avait tout d'abord pris pour un prêtre n'avait pu qu'être le pilote. Blessé mais trop bien portant pour venir d'ici, et surtout sachant se battre un peu trop bien, la coïncidence aurait été trop grosse s'il s'était agi de deux personnes différentes. Solo avait toujours été bon, même à l'époque, mais de part l'entraînement qu'il avait reçu par la suite, il était obligé d'avouer que si ce Crevette n'avait pas été blessé il n'aurait jamais eu le dessus. Cette tenue de prêtre qui l'avait trompé au premier abord et qui, après réflexion, n'en était pas tout à fait une, n'avait dû être qu'un déguisement. Avec les années, Solo s'était mis à soupçonner que ce Crevette avait participé à la guerre et le don qu'avait son Crevette à lui pour piloter n'avait fait que confirmer un peu plus cette idée. C'était pour cela, entre autres choses, que Solo refusait catégoriquement que Crevette aille au combat, qu'il le gardait en sécurité, caché parmi les Sweepers.
Quant à la présence même du second Crevette à une époque qui ne pouvait pas être la sienne, la seule explication que Solo avait trouvée était qu'il avait remonté le temps. Mais il n'avait pas été capable d'imaginer comment cela avait pu être possible, et avec l'annonce de la peste ravageant L2 il ne s'était pas plus appesanti sur la question.
Question à laquelle il était obligé de revenir aujourd'hui.
¤¤¤
Solo se prit la tête entre les mains et poussa un grognement rageur. Ses recherches ne le menaient nulle part. Il ne comprenait pas la moitié des théories concernant les voyages temporels qu'il avait pu trouver sur le Réseau. Toutes ces histoires de trous de vers, de trous noirs et de distorsions temporelles n'avaient aucun sens. De toute façon ça ne pouvait pas être ça. D'après ce qu'il avait lu, un phénomène pareil aurait embarqué toutes les colonies du cluster et serait sérieusement en train de menacer leur galaxie. Solo se massa les tempes. Restait l'hypothèse d'une machine permettant de voyager dans le temps, ou quelque chose comme ça, mais cela n'était pas beaucoup plus clair.
Solo avait divisé sa problématique en deux colonnes : la première partait du principe que l'autre Crevette avait remonté le temps de manière accidentelle et la seconde, de manière volontaire. A partir de là, Solo s'était concentré sur les façons dont cela aurait pu se produire mais plus ça allait et plus il avait l'impression de tourner en rond. Il y avait tellement d'inconnues que Solo avait dû prendre des notes par écrit mais cela restait si complexe que même ainsi il finissait par s'embrouiller.
De violents coups donnés à la porte le firent sursauter. Solo se tendit lorsque la voix de Crevette s'éleva :
– Solo ! Dis-moi qu't'es là ! Ouvre-moi ! Solo !
Solo sauta sur ses pieds et se précipita à la porte, qu'il ouvrit en grand.
– Crevette ?
– Pousse-toi, pousse-toi, c'est lourd ! J'vais tout lâcher ! s'exclama la pile de livres se tenant face à lui.
Crevette força le passage et pénétra en titubant dans la cabine. Il laissa tomber sa charge sur sa couchette avant de la rejoindre avec un soupir épuisé.
– Vivement que Wu Fei et Quatre puissent aller faire leurs courses eux-mêmes ! J'ai pas envie d'me coltiner leur part pendant cent sept ans !
– Encore des bouquins ? fit Solo, un peu plus détendu. T'as déjà pas d'place pour ceux qu't'as.
– Pasque normalement j'les r'vends mais là on tourne à trois, c'est trop lourd pour moi tout seul alors ça s'entasse ! Surtout que comme vous sortez plus, y z'ont rien d'autre à faire et ils dévorent ! Ils les lisent avant moi !
Solo secoua la tête et détourna les yeux. Ces derniers temps il avait un peu de mal à soutenir le regard de Crevette.
– Ques'tu fais ? enchaîna ce dernier.
Solo rassembla rapidement ses notes et ferma les applications ouvertes sur l'ordinateur.
– Rien. J'm'occupe.
– Encore du porno ?
– …
– Oh, inutile de répondre !
Solo se tourna vers lui.
– Rien qui pourrait t'intéresser.
– Ça veut dire quoi, ça ?
Solo eut un sourire en coin.
– J'ai pas la chance d'avoir ce qu'y faut dans la cabine d'à côté, moi.
– Ça f'sait longtemps, tiens ! Sache que ça n'm'atteint plus, j'ai décidé d'être au-dessus d'tout ça !
– Au-d'ssus de Heero, tu veux dire ? J'suis ravi que d'vous deux c'est pas toi qui ramasse la savonnette ! J't'ai élevé mieux que ça !
Solo rattrapa sans peine le livre que Crevette lui envoya à la figure.
– Quoi ? C'était un compliment !
– P't-être pour moi mais pas pour Heero !
Le sourire de Solo s'accentua.
– Enfin des aveux ? Des détails, des détails !
L'expression de Crevette valait le détour.
– Merde ! marmonna-t-il.
Solo l'avait bien eu sur ce coup-là ! Avec le coma de Heero, les commentaires sur leur pseudo relation avaient cessé et Duo avait fini par baisser sa garde. Il poussa un soupir intérieur. Tant que Heero n'était pas embêté avec ça, ça devrait pouvoir aller…
Son visage se fit alors plus sérieux. Puisqu'ils parlaient de Heero et que Solo avait enfin sorti le nez plus de cinq minutes de ce qu'il faisait ces deux derniers jours, il était peut-être temps d'aborder le sujet de leur projet de voyage, à Heero et lui. A la suite de leur réconciliation, ils avaient eu une longue discussion au cours de laquelle Heero lui avait avoué son besoin de s'excuser personnellement auprès des Noventa. Il devait commencer par là, lui avait-il dit, avant de pouvoir envisager autre chose.
Ce ne serait pas encore pour tout de suite, les blessures de Heero ne le lui permettant pas, mais il allait mieux de jour en jour et il était préférable d'en parler tôt à Solo, pour avoir le temps de le convaincre…
– Au fait…
– Tu t'intéresses aux voyages dans le temps ? le devança Solo en s'emparant de l'un de ses livres.
Duo jeta un coup d'œil à la tranche : La machine à explorer le temps de H.G. Wells.
– Bah, pas particulièrement, pourquoi ?
– Y'a longtemps que tu l'as celui-là ? Tu l'as lu ?
– Ouais, y'a un bout de temps… Pourquoi, m'dis pas qu'tu veux m'l'emprunter ?
– Si, j'vais t'le prendre.
– Hein ? Attends…
Duo s'assit.
– Hein ? répéta-t-il. Tu veux lire un livre ? Tu dois encore plus t'ennuyer que c'que j'croyais ! J'y crois pas ! J'y-crois-pas ! Le travail de toute une vie qui porte enfin ses fruits !
Solo l'ignora, regardant sa bibliothèque avec attention.
– Hola ! Doucement ! Un à la fois ! J'voudrais pas qu'tu tombes malade !
Mais Solo ne l'écoutait pas et Duo secoua la tête.
– J'te trouve bizarre ces derniers temps… T'es sûr qu'ça va ou c'est vraiment le manque d'action ?
Solo lui adressa un coup d'œil étrange.
– T'en as d'autres de ce style-là ?
– Euh… tu veux dire de SF ou d'cet auteur en particulier ? J'sais pas trop, comme j'te l'ai dit, avec Quatre et Wu Fei on recycle pas mal alors j'sais plus trop c'qu'on a mais j'pourrai r'garder s'tu veux…
– Nan, c'est bon, laisse tomber…
Solo s'écroula sur son lit et entama sa lecture.
¤¤¤
– Howard, les docs se sont déjà intéressés aux voyages dans le temps ?
Le vieil homme interrompit son repas et se tourna vers Solo, interloqué.
– Euh… pas que je sache, non…
– Ils ont jamais pensé à empêcher la mort de Heero Yuy plutôt qu'à la venger ?
Le silence s'empara de la table.
– … Euh non, fit Howard, la première surprise passée. Pourquoi, toi oui ?
Solo ne répondit pas et ce fut Quatre qui commenta d'un air songeur :
– C'est… intéressant, comme idée. Je n'y avais jamais pensé…
– Ce s'rait possible, ça ? fit un Sweeper à côté de Howard.
– Ça m'arrangerait bien, moi ! s'exclama un autre. J'gagnerais enfin mes paris ! A moi l'flouze et les miches !
– Heureusement qu'on compte pas sur toi pour sauver l'humanité !
– Y'a les gosses, pour ça ! rétorqua le Sweeper en désignant les pilotes d'un large geste de la main.
– En tout cas, ça vaudrait pas l'coup d'remonter l'temps pour te sauver toi !
Quatre eut un sourire.
– Même si c'était possible, après réflexion je ne pense pas que ce serait une très bonne idée, tempéra-t-il. Le mieux est l'ennemi du bien. Nous n'aurions aucun moyen de contrôler les évènements qui pourraient en découler. Le moindre petit détail pourrait avoir des conséquences que nous ne sommes pas à même d'imaginer. Nous pourrions très bien empirer les choses en voulant les améliorer.
Wu Fei hocha la tête et renchérit :
– Sans compter les conséquences sur notre propre personne au retour… si retour il y a. Nous ne saurions pas ce qu'il adviendrait de nous. Serions-nous altérés par la nouvelle Histoire ou bien resterions-nous les mêmes avec des souvenirs d'évènements n'ayant jamais existé ? Existerions-nous seulement ?
Les deux Sweepers échangèrent un regard entendu.
– Voilà pourquoi c'est eux qui sauvent l'humanité !
– Vous imaginez, si Heero Yuy n'avait pas été assassiné ? intervint Trowa.
Il serait probablement encore avec ses parents et n'aurait jamais connu ni les mercenaires, ni Catherine…
Comme lui, la tablée sembla réfléchir à la question. Duo ne voyait pas vraiment en quoi les choses auraient changé pour lui en dehors du manque de Gundams à bichonner, mais du coup il n'aurait pas connu les autres… il n'aurait pas connu Heero. Quatre eut un court instant de réflexion. Sa vie à lui n'aurait pas été techniquement changée mais il grimaça intérieurement à l'idée que, n'ayant jamais rencontré les Maganacs, il serait resté ce sale gamin capricieux qu'il était encore il n'y avait pas si longtemps. Il jeta un coup d'œil à Wu Fei dont le visage s'était assombri. Il devinait sans peine ce à quoi il pensait. Sa femme serait encore de ce monde et sa vie drastiquement différente.
– Il me faudrait un autre nom de code.
Tous les regards convergèrent vers Heero.
– Moi j'en ai un de tout prêt pour toi, déclara Duo avec un sourire jusqu'aux oreilles.
– Bon, alors ils y ont vraiment pas pensé ? reprit Solo.
– En tout cas ils m'en ont jamais parlé. Maintenant, va savoir avec eux, ils ont des bases un peu partout… mais s'ils ont jamais essayé, ils ont pas réussi vu le monde dans lequel on vit et au vu de vos Gundams…
– J'suis content qu'tu t'intéresses à tes lectures, Solo, claironna Duo avant d'expliquer à la ronde : Solo est en train de lire ! Y m'a emprunté La machine à explorer le temps l'aut' jour, j'ai cru qu'j'allais hyperventiler !
Il se tourna vers Wu Fei et Quatre.
– Vous réalisez que nous vivons un moment historique ! On va peut-être avoir une discussion littéraire à plus de trois personnes ! Heero, Trowa, vous participez, hein ?
– Yuy a beaucoup lu ces derniers temps, commenta Wu Fei.
– Génial ! s'enthousiasma Duo. On va pouvoir ouvrir un club de lecture ! On lit un bouquin par semaine et après on se réunit pour en discuter !
– Non, déclara catégoriquement Trowa. Je resterai le dernier bastion de l'inculture. Comment as-tu pu trahir notre cause, Solo ?
Le blond lui jeta un regard étrange puis se leva, son assiette encore à moitié pleine, et sortit du mess à grands pas.
Les autres s'entreregardèrent, confus.
– Qu'est-ce qu'il a ?
Quatre se tourna vers Duo. Lui-même était incapable de définir clairement les émotions de Solo, ses changements d'humeur étaient encore plus imprévisibles que ceux dont il avait fini par prendre l'habitude. Mais plus inquiétant peut-être, jusqu'à présent les émotions de Solo s'étaient toujours reflétées sur son visage ; maintenant il ne semblait plus adopter qu'une seule expression, à mi-chemin entre la fébrilité et la frustration. Solo lui était toujours apparu comme une bombe à retardement et cette fois l'explosion paraissait tout proche.
Ils étaient tous tendus à cause de la situation externe, de l'incertitude dans laquelle ils se trouvaient et Quatre imaginait sans peine que Solo, n'ayant plus aucun moyen de canaliser sa violence, le supportait encore plus mal qu'eux.
– Il s'est passé quelque chose ? demanda-t-il.
Duo secoua négativement la tête, l'air soucieux.
– J'sais pas, il est bizarre depuis quelques jours…
¤¤¤
Solo avait rassemblé toutes ses notes et effacé toute trace de ses recherches sur son ordinateur. Après avoir passé des jours à essayer d'émettre une théorie qui tienne la route, il avait abandonné. Si des gens qui passaient leur vie à étudier ce genre de phénomènes continuaient à n'être sûrs de rien, ce n'était pas lui en quelques jours qui pourrait y comprendre quelque chose, et lui, son temps était compté.
Dès qu'il pensait avoir trouvé un élément de réponse – ces fameux trous de vers par exemple – un autre théoricien venait démontrer en quoi la première hypothèse ne pouvait être valide. Solo avait fini par décider de repartir à zéro. Ce qu'il savait, lui, c'était que Crevette s'était écrasé à bord d'une armure mobile sur L2 environ dix ans plus tôt. Peut-être qu'en retournant sur place Solo pourrait en apprendre plus sur ce qu'il s'était passé, et donc s'assurer que ça ne se reproduirait pas. Qu'un Crevette adolescent neuf ans plus tôt soit un point de départ ou d'arrivée importait peu, il s'agissait de la seule réalité tangible que Solo possédait.
Il était désormais prêt à partir. Il n'emportait rien mis à part quelques affaires de rechange et le résultat de ses recherches, au cas où cela lui serait utile sur place mais également afin que personne ne puisse remonter la piste jusqu'à lui. Le comble serait que ce qui était arrivé à l'autre Crevette se répète parce que Crevette aurait voulu le suivre.
Solo lui jeta un dernier coup d'œil. Crevette dormait paisiblement. Solo saisit son sac, ouvrit la porte avant de se raviser. Ouvrant sa boîte d'effets personnels, laissée sur le bureau, il en extirpa une petite croix dorée. Il la regarda quelques secondes puis l'enfila et sortit en silence de la cabine. Il devait se dépêcher, il avait une navette à voler avant le lever du soleil…
¤¤¤
Solo venait de pénétrer dans le cluster L2 lorsque les instruments de bord s'affolèrent sans raison apparente. Jurant, il tenta de reprendre le contrôle, poussant les moteurs à fond, mais il ne fit qu'intensifier les vibrations qui agitaient l'appareil.
– Bienvenue dans L2, marmonna-t-il, où tout est pourri, même l'espace de vol !
Les secousses se faisaient de plus en plus violentes, et malgré le fait que ça lui coupait presque le souffle, il remerciait Howard de l'avoir autant fait suer avec le port de ce fichu harnais de sécurité.
Les masques à oxygène tombèrent d'eux-mêmes et Solo s'en mit un sans attendre. Le mieux à faire à présent était de couper les moteurs. Si ceux-ci le lâchaient, il n'aurait aucun espoir de s'en sortir et la perspective de dériver dans l'espace ne l'enchantait pas du tout.
– C'est ça d'avoir été habitué à la qualité, grogna-t-il encore. C'est vraiment de la merde si ça sort pas d'un hangar de Crevette…
Une fois les moteurs coupés, il attendit que les saccades se calment mais la navette continuait à être secouée comme un panier à salade. Solo paniqua. La navette continuait à dériver à une vitesse qui aurait dû être impossible et la carlingue s'était mise à produire des bruits inquiétants. Solo commençait à envisager de lancer un appel à l'aide par radio lorsque la navette fit une violente embardée. Le choc l'assomma.
-
Solo se réveilla avec un mal de crâne digne des lendemains de ses meilleures soirées à terre. Désorienté, il tenta de se redresser avant de constater qu'il était attaché à un harnais de sécurité. Les évènements commencèrent à lui revenir en mémoire et une fois son tournis passé, il défit le harnais pour s'extirper de la cabine. Il semblait s'être écrasé quelque part et même s'il ne sentait pas de fumée, il valait mieux qu'il sorte rapidement de la navette, on ne savait jamais. Il prit quand même le temps de vérifier l'ordinateur de bord mais après s'être acharné dessus, il constata qu'il n'en tirerait rien. Il se leva, rassembla ses affaires, les rations de survie et la trousse de premiers secours, puis sortit.
A la première bouffée d'air frais, il sut qu'il était sur une colonie, et surtout qu'il était sur sa colonie. Ça faisait neuf ans qu'il n'y avait pas mis les pieds mais il y avait des trucs qui vous collaient à la peau.
Il fallait qu'il bouge de là. Son atterrissage en catastrophe n'était certainement pas passé inaperçu et les forces coloniales qui, avec l'aide d'OZ, oeuvraient pour la « paix » risquaient de venir voir ce qui était arrivé. Il ôta sa combinaison de vol et remettait son arme dans la ceinture de son pantalon lorsqu'il se sentit observé. Il s'immobilisa, tendu, et scruta les alentours. Ça ne pouvait pas être OZ, ces derniers étaient loin d'être aussi discrets et ne se seraient pas déployés de la sorte tout autour de lui. Il aurait déjà été interpellé et surtout, ils ne resteraient pas cachés ainsi. D'instinct, ses yeux se portèrent sur les zones les plus sombres, sur les meilleures planques. A l'époque, c'était là qu'il…
Ce fut à cet instant qu'il comprit. L'accident, la combinaison qu'il s'apprêtait à abandonner dans sa navette endommagée… Il les connaissait bien, ces regards, et pour cause. Il posa ses affaires à terre. Il devait rester libre de ses mouvements, ne pas être entravé par quoique ce soit. Calmement, il avança de quelques pas pour se mettre bien au centre. Son regard se posa automatiquement là où il savait se trouver.
Il ne s'était pas attendu à ça en quittant le navire des Sweepers. Mais au lieu de la panique que ce genre de situation devrait provoquer, Solo se sentait étrangement serein. Il n'aurait toujours pas su expliquer ce qu'il s'était passé mais il avait changé l'histoire, il avait pris la place de Crevette.
Mais ce n'était pas fini, réalisait-il. Parce que s'il était là, caché dans l'ombre, alors il y avait un autre Crevette, encore un, qui pourrait dans quelques années prendre à son tour la place de Solo comme Solo avait pris la sienne, et se faire tuer de nouveau. Alors il devait s'assurer que cette fois, l'histoire, son histoire, se répéterait.
-
– Solo ! Sors, j'sais qu't'es là ! lança-t-il d'une voix forte et assurée, malgré l'étrangeté ressentie à s'appeler soi-même.
Il ne se passa rien, ce qui ne l'étonna pas. Il avait toujours été du genre prudent, surtout face à un ennemi qui connaissait sa position, qui semblait le connaître tout court.
Solo croisa les bras, prit une attitude plus décontractée.
– J'vous laisse la navette ! Vous feriez bien d'vous dépêcher, tu sais qu'vous êtes pas les seuls dans l'coin ! Y'a un peu d'bouffe, aussi…
Et s'il avait su, s'il s'était douté suivre le même chemin que Crevette neuf ans plus tôt, il aurait emporté de quoi faire un véritable festin, de quoi tenir au moins jusqu'à…
– J'ai pas toute la journée, Solo, et j'dois t'parler ! Sors de ton trou ! Cinq minutes en tête à tête contre une navette, tu peux pas laisser passer ça !
Encore quelques secondes de silence puis une voix qu'il ne reconnut pas s'éleva :
– T'es qui ? Qu'est-ce tu veux ?
Un malaise saisit Solo. Impossible qu'il se soit trompé, il avait reconnu la scène, même s'il la voyait, la vivait sous un autre angle.
– J'te l'ai dit : t'parler !
De toute façon, il n'y avait que comme ça qu'il pourrait s'assurer qu'il avait bien affaire à lui-même.
– J'te savais prudent, Solo, mais pas aussi trouillard !
Et là il ne pouvait pas ne pas sortir. Comme il l'avait prévu, une silhouette surgit du coin sombre qu'il fixait depuis le début. Solo plissa les yeux, son malaise s'accentuant. Comment avait-il pu être aussi petit ? Aussi maigre et sale ? Comment est-ce qu'il avait pu intimider qui que ce soit ?
Derrière lui, d'autres silhouettes s'étaient redressées, les plus âgés ; Solo leur accorda un rapide coup d'œil, reconnut avec un coup au cœur la tignasse de Jimmy sur la droite, avant de reporter toute son attention sur le blond qui s'approchait.
Puis il put distinguer le visage et c'était vraiment étrange de se reconnaître malgré tout. Solo eut presque un mouvement de surprise. Les yeux qui le regardaient étaient remplis de méfiance, mais surtout de haine, et c'était ce regard-là qui faisait qu'on le prenait au sérieux. Parce que ce môme, aussi malingre était-il, ne vous laisserait pas la moindre chance. Il n'en avait pas laissée à Crevette, avait frappé et tué dès que l'occasion s'était présentée.
– J'sais à quoi tu penses.
– Ah ouais ?
– Au couteau qu'est planqué dans ta ceinture et qu'tu veux m'foutre dans l'bide à la première occase.
Le gosse serra les lèvres mais refusa de se laisser déstabiliser. Avec un air bravache et un sourire mauvais, il sortit son arme.
– Pisque tu sais qu'il est là, viens donc l'reluquer d'plus près !
Solo dégaina alors son pistolet, trop rapidement pour que l'autre en face n'ait le temps de réagir, mais son regard se fixa tout de suite sur l'arme, une lueur de convoitise dans les yeux.
– Je sais que c'est c'que t'espères trouver là-dedans, mais tu vois c'est moi qui l'ai. Et d'façon laisse-moi t'dire qu'avec ce calibre la tête du Barbillon giclerait pas autant qu'tu l'rêves.
Cette fois, son alter ego ne put dissimuler sa surprise.
– J'te l'ai dit, reprit Solo en rangeant le pistolet. J'sais à quoi tu penses. J'ai été à ta place.
Le gosse se figea, jeta un rapide coup d'œil aux autres avant de se tourner de nouveau vers lui, la prise sur son couteau un peu plus ferme.
– J'suis pas là pour faire un trafic ou t'prendre ton territoire, j'en ai rien à foutre, j'veux juste te parler.
Solo sentait la frustration le gagner. On pourrait croire qu'être littéralement dans la tête de l'autre aiderait à trouver les arguments pour convaincre mais c'était loin d'être aussi évident. Pas lorsque justement on savait à quel point l'autre était méfiant, sans compter que les conditions étaient loin d'être idéales pour avoir une petite discussion entre amis. Il fallait quelque chose de percutant, quelque chose qui obligerait l'autre à le croire. Solo n'était pas sûr que citer les noms des ratons serait suffisant.
Un mouvement dans le fond lui fit lever les yeux. Il reconnut immédiatement la petite chose qui se mit à courir vers eux malgré la protestation de Jimmy.
Crevette n'avait jamais été très obéissant mais il venait de lui fournir l'argument qu'il cherchait.
– Solo ! Qu'est-ce tu fous ?
Solo grimaça presque, il avait oublié à quel point la voix de Crevette avait pu être aiguë.
– Retourne là-bas ! aboya l'autre.
Solo referma la bouche. Il avait été sur le point de donner le même ordre.
– Mais Solo ! protesta Crevette. Y'a la navette, là !
– Elle ira nulle part ta navette, Crevette.
Ignorant le regard de stupeur de Crevette et celui plus suspicieux que jamais de son double, il ajouta :
– Mais il a pas tort. Pendant qu'on discute, tu d'vrais envoyer les autres la dépecer.
– La quoi ? répéta son alter ego.
Solo se passa une main sur le visage, faisant sursauter les deux ratons.
– Chourez tout c'qu'y a d'dans !
Le jeune lui-même le jaugea encore avant de crier ses ordres à sa bande. Il se méfiait encore de lui et Solo se demanda s'il avait changé à ce point pour qu'il ne devine pas qui il était. Crevette, après un coup d'œil plein de défi dans sa direction qui le fit sourire, alla rejoindre les autres.
Solo revint à lui-même.
– Alors tu m'reconnais vraiment pas, hein ? fit-il.
Et comme il n'y avait toujours aucune autre réaction que la méfiance, Solo tendit lentement sa main droite, les doigts bien écartés.
– Et ça, tu l'r'connais ?
Cette fois le choc qui se peignit sur le visage du garçon fut bien visible.
– Putain !
– J'vois qu't'as pas oublié les dents d'Crevette. C'est vrai qu'pour toi c'est pas si vieux… Faut que j'te cause, Solo, parce que justement la vie d'Crevette est en jeu. Je sais qu'ça fait gros à gober, mais j'suis toi.
– C'est quoi ces conneries ?
– J'suis toi. Où tu crois qu'j'ai choppé cette morsure ?
– J'en sais rien ! Crevette mord tout c'qui bouge ! Et c'est qu'des trous d'dents, ça pourrait v'nir de n'importe quoi !
– 'tain mais c'est pas possible d'être méfiant à c'point ! s'énerva Solo. Mais regarde-moi, bordel ! Regarde-moi ! Tu t'es déjà vu dans une glace, non ? Y'en a une dans la navette, faut qu'on s'mette côte à côte ?
Il y eut un instant de silence puis l'autre admit à contrecoeur :
– Ta tronche m'dit quecque chose, mais ça veut rien dire ! Tu pourrais m'raconter des bobards !
– Et pourquoi ? Pourquoi j'ferais ça ? J'vous laisse piller ma navette, y'a Tim-Suif qu'est en train d'faire pareil avec mon sac. Pense deux s'condes à tout c'que j't'ai dit. Qu'est-ce que ça m'apporterait d'faire ça ?
– J'sais pas, dis-moi, toi, pisque tu viens du futur ! Qu'est-ce tu fous là ?
Mieux valait ne pas lui dire que c'était par pur accident…
– J'suis venu sauver Crevette.
– Et qu'est-ce t'en as à foutre de Crevette ?
– T'oses demander ça ? ragea Solo. Tu donnerais pas tout, toi, pour sauver Crevette si tu savais qu'il allait clamser ?
– Bien sûr que si ! s'offusqua l'autre.
– Alors écoute-moi, bordel, parce que si tu m'écoutes pas Crevette crèvera !
– … Vas-y, crache c'que t'as à dire.
Solo prit une courte inspiration et se lança.
– Y'a neuf ans, j'étais à ta place. Vraiment. Et à la mienne, y'avait un grand Crevette, avec neuf ans d'plus qu'le mien. Qu'le tien.
– Comment c'est possible ? Qu'est-ce qu'y foutait là ?
– C'est possible puisque j'suis d'vant toi. Je sais qu'ça peut paraître difficile à croire, moi j'ai eu tout le temps d'le cogiter. On a remonté l'temps, c'est tout. Lui, j'crois qu'c'était un accident. Il était dans une armure mobile.
– Crevette ? Dans une armure mobile ? répéta son double avec incrédulité.
– Ouais. Il est arrivé blessé, y d'vait fuir quecque chose. C'qui a c'est qu'j'ai réagi comme toi. J'l'ai pas r'connu. Une proie blessée et bien nourrie… On s'est battu et j'ai gagné.
– T'as r'froidi Crevette ? Tu t'fous d'moi ? Tu viens d'dire qu'tu voulais l'sauver ! Tu toucheras pas à Crevette !
Solo se força à rester calme.
– Dans mon présent, Crevette va bien et j'ai pris sa place. C'est pour éviter qu'ton p'tit Crevette se r'trouve à la mienne dans neuf ans qu'j'suis là.
– Hein ?
Solo se crispa mais il fallait qu'il se mette à la place du môme, il allait beaucoup trop vite. Lui connaissait l'histoire et parce que lui se comprenait lorsqu'il parlait de Crevette ou de lui-même, il avait l'impression que l'autre aurait dû le suivre aussi mais c'était loin d'être le cas. Il voulait aller trop vite mais il avait l'impression que le temps lui était compté.
– Attends, j'reprends. Y'a neuf ans, j'étais toi. Et comme toi aujourd'hui, un truc s'est écrasé, à c't endroit-là, dit-il en indiquant la navette. Sauf qu'c'était une armure mobile, et qu'au lieu d'un grand blond, c'est un grand châtain qu'en est sorti. La différence aussi avec aujourd'hui, c'est qu'contrairement à moi, le grand châtain savait pas qu'il avait remonté l'temps. C'est pour ça que j'pense que c'était un accident. J'ai pas b'soin de t'faire un dessin. A c't'époque, et pour toi aujourd'hui, on crève la dalle. J'te l'ai dit, il avait l'air bien nourri, il avait probablement du fric sur lui. Une proie pareille, on la laisse pas filer. C'est ce que t'as pensé en m'voyant, non ?
Le jeune Solo acquiesça avec hésitation. Bien, il l'écoutait enfin, et il avait l'air de le croire.
– Bref, on s'est battu. J'crois qu'y nous a reconnus parce que son attitude a changé. Mais pour nous, c'était une ouverture. On en a profité.
– Et on l'a buté.
Solo opina gravement.
– C'est là que j'l'ai reconnu, quand y m'a appelé. Mais c'était trop tard. A ce moment-là j'avais pas encore compris comment c'était possible mais ce que j'savais c'est qu'j'avais un grand Crevette mort et un p'tit encore en vie, mais qui pourrait mourir d'ma propre main à son tour une fois plus grand.
Le gosse se tendit, poings serrés, et jeta un coup d'œil à son Crevette qui courait presque, les bras chargés de matériel électronique et s'efforçant de ne pas trébucher sur les fils qui dépassaient.
– J'pouvais pas laisser faire ça, reprit Solo.
– Alors tu t'es tiré avec lui, acheva à sa place son double.
– C'est ça. J'ai laissé les ratons à Jimmy et j'ai embarqué Crevette au spatioport. Et comme je t'l'ai dit d't'à l'heure, mon Crevette a grandi et y va bien. Aujourd'hui, il a à peu près l'âge qu'il avait quand il a eu cet accident qui l'a conduit ici. C'est pour ça que j'suis là.
– T'as pris sa place. Mais si c'Crevette a eu un accident, comment t'as fait, toi ?
– J'crois qu'j'ai eu le même accident. J'voulais revenir ici, dans mon présent, pour essayer d'savoir c'qui s'était passé. Et c'est là qu'le truc qu'est arrivé à Crevette m'est arrivé. Moi j'étais un peu plus préparé qu'lui. Mais ça c'est pas important.
Il fallait que le gosse arrête de poser des questions, maintenant. Le temps filait et Solo avait peur que Howard ne parte sans eux. Sans compter que lui-même commençait à réaliser des choses et il ne voulait pas que le petit Solo pousse le raisonnement jusque-là, et notamment jusqu'au fait que lui était coincé ici, qu'il ne pourrait pas rentrer à son époque.
– Donc pour qu'il arrive pas la même chose à Crevette qu'il m'est arrivé à moi et à l'autre Crevette, faut qu'tu partes maintenant au spatioport et qu't'ailles trouver…
Il s'interrompit de justesse. Non, il ne devait pas lui dire où aller. C'était parce qu'ils avaient fait tous les vaisseaux et que Crevette en avait eu marre qu'il avait fait la remarque, que Howard avait rigolé et qu'ils avaient été pris.
Il ne pouvait pas en dire plus au jeune Solo, ça pouvait changer trop de choses et l'essentiel avait déjà été modifié, il ne pouvait pas prendre de risques inutiles. Son double devait faire exactement les mêmes choix que lui, aux mêmes moments. Et pour ça il fallait le laisser les faire par lui-même. Il devait se faire confiance. Finalement, il n'y avait que deux choses encore que l'autre devait savoir. Le reste il le conclurait de lui-même en temps utile.
– … un vaisseau poubelle pour partir d'ici.
– Et j'me débrouille pour que Crevette remette plus jamais les pieds dans l'coin, c'est ça ?
– C'est ça.
Le môme jeta un coup d'œil à ses ratons.
– T'inquiète pas pour eux. Jimmy et moi on veillera sur eux.
Il secoua la tête.
– J'les confie à Jimmy mais toi t'es un étranger, y t'feront pas confiance.
– Alors fais ce que j'ai fait et laisse-les à Jimmy, j'les surveillerai d'loin.
Pour ce que ça changerait de toute façon… Solo doutait que la Peste en épargne beaucoup. Il ne pouvait rien faire pour eux. C'était étrange mais il n'arrivait pas à se sentir aussi impliqué qu'il aurait dû l'être. L'autre avait raison : il était un étranger, il se sentait comme un étranger. Ce n'était pas ses ratons, les siens étaient déjà morts depuis longtemps.
– Deux choses encore : Crevette est doué pour le pilotage mais tu l'laisseras jamais monter dans une armure mobile, quelle qu'elle soit. J'ai pas besoin d't'expliquer pourquoi.
Son double hocha la tête.
– Mens-lui s'il le faut. Ah, mais par contre tant qu'il pilote pas, ça va. Il est doué pour beaucoup d'aut' choses, not' Crevette.
Il ne fallait pas que l'autre Solo étende l'interdiction à la mécanique. Ils avaient trop besoin de Crevette pour gagner la guerre.
Il fronça les sourcils.
– Méfie-toi aussi de la r'ligion. J'sais pas trop c'que ça veut dire mais Crevette portait un truc qui r'ssemblait à un costume de prêtre et il avait une croix autour du cou. Mon petit Crevette a jamais croisé de prêtre mais j'te l'dis au cas où, on sait jamais.
L'autre fronça à son tour les sourcils mais hocha la tête.
– Ok.
Solo sentit qu'il était temps de conclure.
– Le deuxième truc qu'tu dois pas oublier, c'est qu'dans neuf ans, va falloir que tu t'retrouves à ma place, à t'raconter tout ce que j'viens d'te dire. Et va falloir que tu t'montres convaincant parce que tu verras, on est chiants à convaincre !
Le gosse prit l'air dédaigneux.
– Rigole pas. Si tu l'fais pas, si t'es pas assez convaincant, alors il arrivera ce qui est arrivé au premier Crevette. Et il est hors de question que l'un d'entre nous l'tue une seconde fois. Jamais.
– …Et comment j'sais quand faut qu'j'fasse ça ?
– Attends une minute…
Solo décrocha la croix qu'il avait autour du cou, prit son couteau et commença à graver des chiffres.
– Là j'te mets la date et l'heure, et là les coordonnées spatiales, dit-il en lisant le tout à voix haute. Si tu dois retenir une seule chose, c'est ça.
– Mais ça veut dire quoi tous ces trucs ?
– T'en fais pas, tu les comprendras plus tard. Faut qu'tu gardes ça pour toi. Faudra pas que Crevette sache où tu vas, sinon y voudra t'suivre.
– Pour qui tu m'prends ? rétorqua l'autre en se mettant la croix autour du cou pour la cacher sous ses vêtements.
Solo eut un sourire.
– Dépêche-toi maintenant. Les vaisseaux vont pas vous attendre.
Son double lui jeta un dernier coup d'œil et s'éloigna sans rien ajouter.
¤¤¤
Sa discussion avec son futur lui terminée, Solo réunit sa bande et imposa le silence. A son annonce, ses ratons protestèrent mais il s'efforça de les rassurer. Même si lui-même trouvait cette histoire complètement folle, il ne pouvait pas risquer la vie de Crevette alors qu'on lui offrait le moyen de le sauver. Alors que l'autre lui racontait ce qui était arrivé, Solo n'avait eu aucun mal à imaginer la scène, et plus il le regardait, plus il l'écoutait, et plus il avait l'impression de se reconnaître.
Il n'expliqua pas tous les détails à sa bande, il se contenta de dire que la vie de Crevette était en jeu, ce qui fit taire toute objection. Jimmy lui demanda cependant ce qu'ils devaient faire de son autre lui et Solo leur répondit de ne pas s'en occuper, qu'il disparaîtrait de lui-même. Il ne représentait pas un danger. Ils posèrent peu d'autres questions, ils discutaient rarement ses décisions, et s'il devait partir avec Crevette, c'était ce qui devait être fait, un point c'est tout.
Ils ne firent pas de réels adieux, trop habitués aux pertes rapides pour s'y attarder. Ils vivaient au jour le jour, sans se retourner.
¤¤¤
Solo marchait dans les rues sales. Les ratons s'étaient dispersés sur l'ordre de Jimmy après le départ de son double et de Crevette et Solo s'était éloigné de la carcasse de la navette. Il savait que deux des ratons le filaient pour s'assurer qu'il ne les suivrait pas jusqu'à leur planque mais il ne s'occupa pas d'eux.
Il avait toujours cette impression de marcher dans un rêve, il avait connu ces rues par cœur mais elles ne voulaient plus rien dire pour lui.
Ses pas le menèrent jusqu'à l'endroit où il avait tué Crevette et il s'arrêta, ne sachant pas où aller. Il était coincé ici. C'était bizarre, d'être à cet endroit, le même jour que celui de son départ, sachant qu'il était effectivement en train de partir alors qu'il était toujours là… Ou quelque chose comme ça. Il avait été tenté de suivre le petit Solo et Crevette pour s'assurer que Howard les prendrait bien mais avec ce qu'il s'était dit, il n'y avait pas de raison que ce ne soit pas le cas, d'autant qu'ils avaient passé à discuter le temps qu'il avait mis à traîner Crevette jusqu'au parvis de l'église. Howard serait au rendez-vous, l'histoire allait se répéter. Il participerait à la guerre, il rencontrerait Heero, puis Quatre, puis Trowa et Wu Fei. Mais cette fois il n'avait plus l'impression que c'était en quelque sorte à lui que ça allait arriver. Son Crevette, son Heero et les autres gosses, lui ne les reverrait jamais.
Il regrettait de ne pas avoir pris le temps de dire au revoir à Crevette au moins, mais il savait que ce dernier aurait demandé des explications que Solo aurait été dans l'impossibilité de lui fournir. Crevette ne l'aurait jamais laissé partir s'il avait su.
Heero… Il eut un geste pour se courir après, s'avertir au sujet de Heero avant de se raviser. C'était trop tard maintenant, il risquait de tout gâcher s'il y allait. Son Heero s'en était sorti et ça aussi ça se répéterait. Plus rien ne devait changer maintenant.
A cet instant, il se rendit compte à quel point c'était vrai. Quatre avait dit que le moindre détail pouvait avoir des conséquences graves et Solo réalisa que ce détail, c'était lui. Il ne pouvait pas rentrer chez lui, mais il en savait trop pour rester. La moindre de ses actions risquait de changer à nouveau tout ce qu'il avait fait et il n'avait aucun moyen de le prévoir. Même s'il essayait de faire quelque chose pour les ratons, s'il essayait de les sauver de la Peste, il prenait le risque de tout gâcher. Et puis, encore une fois, ce n'était pas ses ratons mais ceux de quelqu'un d'autre.
Non, il ne devait plus rien faire. Il était revenu au point de départ d'une histoire dont il ne faisait plus partie, dans laquelle il ne devait même pas exister. Et il n'y avait qu'un seul moyen de s'assurer qu'il ne modifierait plus l'histoire qu'il venait de conclure en prenant la place de Crevette et en se laissant des instructions pour que l'histoire se répète telle qu'il l'avait écrite.
Solo sortit son arme et la colla froidement contre sa tempe.
La boucle était bouclée.
(à épiloguer)
L'épilogue est écrit et sera posté dans une semaine.
