Royaume-Uni, 1986
Après manger, Rose n'eut pas le droit d'aller jouer dehors tout de suite. Elle ne comprit pas pourquoi, mais comme son père avait l'air très sérieux en lui disant non, elle se contenta d'obéir sagement.
Comme il allait dans son bureau, elle le suivit en trottinant, puis se laissa tomber sur un tapis moelleux. Rose suivit les dessins aux couleurs vives du bout du doigt, en chantonnant vaguement un air qu'elle connaissait. Son père la regarda faire sans rien dire, un sourire amusé en coin. Elle lui rappelait tant Lauren… Il secoua la tête et se concentra sur le dossier face à lui. Stanley ne devrait plus tarder à arriver.
- Rose ?
- Oui ?
- Bientôt, mon collègue Stanley va venir. Il sera accompagné de son fils. Je crois qu'il a ton âge. Alors, tu t'occuperas de lui d'accord ?
La petite fixait son père de ses grands yeux, heureuse qu'il lui confie une telle mission.
- D'accord. Z'aurai le droit de zouer dehors avec lui ?
- Si Olivia vous donne la permission.
Rose opina puis retourna à son tapis. Quelques instants plus tard, un homme plus âgé vint annoncer deux visiteurs.
- Bien Benson, faites-les entrer. Merci.
Le père de Rose se leva, s'arrêta à la hauteur de sa fille et lui tendit la main, pour l'inciter à se relever aussi. Elle l'imita et sortit du bureau, curieuse de rencontrer l'autre enfant.
Elle regarda son père serrer chaleureusement la main d'un grand homme, puis sourire à un garçon qui se tenait un peu en retrait. Enfin, il se tourna vers sa fille :
- Rose, je te présente mon collègue de travail, Stanley Dent.
- Bonzour Monsieur.
- Bonjour jeune fille !
Le nouvel arrivant était blond, aux yeux d'un bleu presque transparent.
- Voici mon fils aîné, Derek.
Il poussa son enfant vers Rose, qui lui fit un sourire édenté.
- Salut ! T'as vu, z'ai perdu une dent hier. Tu viens zouer avec moi ?
Le petit garçon la fixait de ses yeux profondément noirs. Leur couleur contrastait avec sa chevelure blonde. Il sembla la jauger quelques instants, puis décider qu'elle avait l'air gentille.
Alors Derek avança vers Rose, lui sourit enfin en disant :
- Elle est grande ta maison. Moi j'ai trois sœurs, et ma maman elle attend encore des bébés. Et toi ?
- Chez moi, y'a Papa et Nanny. Et Zeorze et Benson et Ted aussi.
- C'est tes frères ?
- Non, c'est les dosemtiques.
- Domestiques, Rose, corrigea Olivia.
- C'est pareil, ze les aime bien quand même.
- Pourquoi tu dis « ze » et pas « je » ? demanda le petit blond.
- Bah parce que z'ai perdu ma dent ! Tu veux faire de la balançoire ?
- D'accord.
Les deux hommes regardèrent Olivia emmener leur progéniture à l'extérieur, souriant de l'étrange conversation.
- Stan, on va dans mon bureau ? Il faut qu'on voie pour cette histoire d'investisseurs chinois.
Ils se dirigèrent vers le luxueux bureau, et se penchèrent sur des piles de parchemins à l'écriture serrée.
Pendant ce temps, les deux enfants jouaient à se courir après, sous l'œil bienveillant de la gouvernante.
Rose trébucha et s'étala dans l'herbe grasse. Elle resta là, immobile, jusqu'à ce que Derek la rejoigne et se penche vers elle.
- T'as mal ?
- Nan.
Elle roula sur le dos, mit les bras en croix et regarda le blond.
- Tu sais, moi, z'ai pas d'amis. À l'école les autres ils disaient que z'étais bizarre. Et ze vais plus à l'école maintenant.
Il s'allongea à côté d'elle, dans la même position.
- Moi aussi ils disent ça. Que je fais des trucs pas normaux. Je crois que c'est parce qu'on est des sorciers et pas eux.
- Les Moldus y sont pas zentils alors ?
- Ma maman est moldue, annonça gravement Derek. Et elle est très gentille. Ma maman elle dit que les autres de l'école ils savent pas ce qu'on est, alors ça doit leur faire peur.
Rose médita un instant.
- Tu sais quoi ? Ze crois que ta maman, elle a raison.
Le petit blond la regarda avec un grand sourire.
- Alors tu vas plus à l'école ? Comment tu fais pour apprendre ?
- Maintenant il y a une professeure qui vient à la maison, rien que pour moi.
Ils regardèrent le ciel encore un instant.
- Alors, on va faire de la balançoire ?
- D'accord !
Olivia ne les quitta pas des yeux tout le temps qu'ils jouèrent. Vers seize heures, elle les appela pour les faire rentrer et qu'ils goûtent. La pluie menaçait de tomber, obéissant aux caprices du climat automnal anglais.
Elle les installa dans la salle à manger, à la table qui faisait face à une immense baie vitrée.
- Nanny, on va avoir du socolat saud tu crois ?
- Je vais voir avec George.
Rose expliqua à Derek :
- Zeorze, c'est le cuisinier. Ses gâteaux sont très bons.
- Et Benson ?
- Lui, il est mazordome. Z'ai pas tout compris ce que c'était, mais il s'occupe de la maison avec Nanny.
- Et Ted ?
- Il conduit les voitures. Il emmène tout le temps mon papa au travail !
- Il y en a d'autres ? demanda Derek avec curiosité.
- Il y a aussi Nelson et Eulaly. C'est les elfes de maison. Ils aident Nanny, Zeorze et Benson. Ils sont zentils. Et puis voilà.
Le jeune Derek semblait impressionné par la quantité de personnes présentes dans cette maison.
- Et t'as pas de frère et sœur ?
- Non, y'a que moi.
Il regarda l'enfant unique avec perplexité. Il lui semblait impossible de ne pas avoir de frère et sœur, lui qui était l'ainé d'une fratrie de quatre – bientôt six.
Olivia revint avec un plateau contenant leur goûter : deux tasses de chocolat fumantes et une assiette pleine de petites brioches. Les deux enfants mangèrent avec gourmandise.
- Oh, t'as des moustasses de sat, rit Rose.
- Toi aussi, répliqua-t-il en souriant.
Ils s'essuyèrent approximativement, puis Derek s'aperçut que la pluie tombait à grosses gouttes. Rose se leva puis vint coller son nez contre la baie vitrée. Derek l'imita après une légère hésitation. Ils plaquèrent de concert leurs mains pleines de sucre sur la vitre propre, sans que la gouvernante n'intervienne.
Le visage de la petite se fit grave, puis elle demanda d'une voix solennelle :
- Derek, tu veux être mon ami ?
- Oui, répondit-il aussitôt.
Sans se regarder, les deux nouveaux amis sourirent largement.
- Derek ? On va y aller.
Le petit se décolla de la vitre pour regarder son père. Il hocha la tête puis se tourna vers Rose. Ils se prirent spontanément les mains.
- À bientôt alors ?
- À bientôt, confirma Rose.
Les enfants se séparèrent, ravis de leur après-midi, prémices d'une longue amitié.
Samedi 28 janvier 1995, Salle Commune des Serdaigle
La porte du dortoir s'ouvrit, laissant passer Mandy et Anthony, qui revenaient les bras chargés d'un sac plein. Leurs amis étaient installés à la table habituelle, et bavardaient en les attendant.
Mandy se laissa tomber sur une chaise et lâcha :
- Incroyable. On est restés bouche bée.
Lisa se mit à rire.
- Nous aussi. Je ne pensais pas que l'école était pleine d'elfes de maison !
- Je n'en avais jamais vu avant, ajouta Terry.
Anthony avait son air le plus sage plaqué au visage.
- C'est logique si on y réfléchit.
- J'en suis venue à la même conclusion, fit Rose. Tout Poudlard ne peut pas se ranger ni se nettoyer tout seul. Il fallait bien que quelqu'un s'en occupe.
- En tout cas, ils adorent Rose, intervint de nouveau Terry.
Derek lui lança un regard moqueur.
- C'est l'effet Sang-Pur, ça.
- Mais non, protesta-t-elle. Terry, les elfes agissent comme ça avec tout le monde. Ce n'est pas parce que j'étais là. Demande aux autres ! Ils ont eu la même expérience que nous, je pense.
- Alors ils font vraiment des courbettes à tout monde ?
- Mais oui. Ils sont soumis à leur maître jusqu'à la mort ou le renvoi, je te l'ai dit. Je suppose qu'en quelque sorte, tous les habitants de Poudlard sont leurs patrons.
Le petit brun ouvrit la bouche d'un air étonné.
- Tu crois qu'un… contrat, ou quelque chose comme ça, les lie à l'école ? demanda Anthony.
- C'est probable…
- À mon avis, Dumbledore est leur maître principal, ou en tout cas le directeur en place. Et en lui obéissant, ils doivent nous montrer le même respect qu'à lui, avança Lisa.
Derek hocha la tête d'un air approbateur.
- Vous en aviez déjà vu, vous ? questionna enfin Terry.
Derek et Rose furent les seuls à répondre par l'affirmative. Michael eut l'air surpris.
- Derek ? Je n'imaginais pas que les Sangs-Mêlés pouvaient en avoir… on n'en a pas, nous…
- Pas chez moi, chez Rose, bien sûr, révéla le blond en un sourire.
- Tout s'éclaire, commenta Anthony.
- Ma mère serait incapable d'avoir un elfe de maison. Elle repasserait systématiquement derrière lui pour tout vérifier !
Les Serdaigles se mirent à rire.
- Et mes petites sœurs l'enrôleraient probablement pour jouer avec. Et il finirait déguisé en fée des bois.
- Pauvre elfe, plaignit Lisa entre deux rires.
- Lisa, je me suis toujours demandé comment toi et tes parents aviez réagi quand vous avez appris que tu étais sorcière, lança Rose.
- Ça remonte ! Mais je me souviens qu'au départ, on a cru que c'était une plaisanterie, répondit son amie. Puis on a réfléchi, et mes parents ont trouvé une explication à toutes les choses étranges que je faisais depuis ma naissance.
- Comment tu as fait pour le Chemin de Traverse ? interrogea Terry.
- On a reçu une explication pour le trouver. Mes parents étaient vraiment sceptiques quand le barman a tapoté le mur avec sa baguette !
Ses amis rirent en chœur. Michael enchaina pour raconter l'histoire de ses parents.
- Quand mon père a appris que ma mère était une sorcière, il a fait tomber ce qu'il tenait dans les bras.
- Et c'était ?
- Mon grand frère, déclara-t-il en ne pouvant s'empêcher de rire.
Mandy lui lança un regard horrifié. Il s'empressa de rajouter :
- Ne t'en fais pas, il est tombé sur le canapé.
Il marqua une pause.
- Je suis sûr que c'est pour ça qu'il est moldu !
Rose éclata de rire. Derek prit la parole.
- Moi c'est mon père le sorcier. Il parait que ma mère n'a jamais montré qu'elle était choquée quand il le lui a avoué.
- Sa mère est super flegmatique, ajouta Rose. Rien ne l'étonne.
- Ah bon ? s'étonna Terry.
- Je t'assure. Ça doit être à cause de ses six frères et sœurs ! Ils lui en ont fait voir de toutes les couleurs. Et nous aussi, précisa Derek.
- Et tes sœurs, elles sont sorcières ? demanda Padma.
- Les plus grandes, non. La cadette, oui. Et les jumelles, je ne sais pas. Ma mère surveille, mais peut-être qu'elles sont trop jeunes.
- Et toi Terry ?
- J'ai un grand frère et une sœur, tous les deux sorciers.
- Rose, c'est vrai que les enfants Sang-Pur ne vont pas à l'école jusqu'à leur arrivée à Poudlard ? fit Michael en se tournant vers son amie.
Lisa eut un air étonné et attendit la réponse.
- La plupart, oui. Il n'existe pas d'école primaire pour sorciers, alors les parents font venir un professeur particulier, un sorcier, à domicile.
Elle fit une pause.
- Malefoy, par exemple. Il n'a jamais côtoyé de Moldus. Pas le genre de sa famille…
- Et toi ?
- Je suis allée à l'école maternelle des Moldus. Ma gouvernante pensait qu'il n'y avait que ça pour éviter que je devienne comme les Malefoy !
- Et l'école primaire ?
Elle grimaça.
- Je n'y suis pas restée, seulement quelques mois. Mes pouvoirs commençaient à être trop évidents et j'avais du mal à prétendre ne pas les avoir.
- Tu connais quand même le monde moldu, alors, conclut Michael.
- Oui et non. Je n'en connais que ce que j'ai vu, il y a très longtemps, à l'école maternelle.
- C'est mieux que rien. Ça doit t'éviter certains gros malentendus, dit Anthony doctement.
- Il reste encore beaucoup de familles de Sang-Pur ? demanda Lisa.
- Plus tellement, au Royaume-Uni en tout cas. Voyons, ceux dont je me souviens…
Elle réfléchit en comptant sur ses doigts.
- Les Malefoy, les Black…
- Comme Sirius Black ? Le fou de l'an dernier ? coupa Mandy.
Derek se mit à rire.
- Oui, cette famille-là. Il y a aussi les Lestrange – très fidèles partisans de Vous-Savez-Qui –, les Croupton, les Macmillan – Ernie est à Poufsouffle, les Ollivander – le fabriquant de baguettes, les Weasley, les Londubat…
- Londubat ? le gars maladroit de Gryffondor ? s'étonna Michael.
- Lui-même. Et ma famille, évidemment. Ce sont toutes les familles dont je me souviens, mais il me semble qu'il y en a un peu plus.
- Et… c'est vrai que vous êtes tous liés ? Génétiquement parlant ? osa demander Anthony.
- D'une façon ou d'une autre, oui. Sinon ça ferait longtemps que la notion de Sang-Pur n'existerait plus.
Rose fit un vague geste de la main.
- Mais peu importe. Vous ne deviez pas ramener des gâteaux vous ? accusa-t-elle en se tournant vers Mandy et Anthony.
- Euh, si, si bafouilla son amie.
Les Serdaigles, suspendus aux lèvres de leurs amie, furent désarçonnés par son brutal changement de sujet. Rose farfouillait dans le sac et en sortit un assortiment de biscuits à thé. Elle soupira en éventrant un sachet, ravie.
Derek coula un regard à Terry, un sourire moqueur aux lèvres.
- Elle n'aime pas parler de ça, lui glissa-t-il.
- Ah.
Terry continuait de regarder son amie avec scepticisme. Comme il la fixait, Rose lui tendit un gâteau.
- Tu veux un biscuit ? proposa-t-elle.
- Merci.
Son attention fut détournée par Michael qui faisait le pitre pour amuser les filles. Derek se glissa près de Rose.
- Alors, avec qui ta famille est liée, Rosinette ?
- Chut, tais-toi, marmonna-t-elle.
Elle le regarda avec insistance.
- Tu sais, j'ai fait un drôle de rêve cette nuit.
La mine de son ami redevint sérieuse.
- En fait, ce n'était pas un rêve. C'était plutôt un souvenir.
- Un souvenir en rêve ? c'était quoi ?
- La nuit… la nuit où j'ai eu cette cicatrice.
- À l'hôpital ?
- Oui. C'était… très détaillé. Comme si je l'avais encore vécu.
- Alors, tu as compris comment ça s'est passé ? Qu'est-ce qui est tombé sur toi ?
- En fait… rien. Ça ne s'est pas passé comme ça. Ce n'était pas un accident.
Il se contenta de hausser un sourcil étonné, attendant la suite.
- C'est moi, Derek. C'est moi qui me suis fait ça. Toute seule.
Il cligna des yeux, encore plus perplexe.
- J'ai pris un morceau de verre et je me suis coupé le visage en deux, clarifia-t-elle enfin.
- Impossible !
- Si. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, mais je sais que c'est vrai. Cette nuit, j'ai revécu cette scène.
- Mais…
- Honnêtement, comment un bris de verre aurait pu faire ça ?
Elle désignait sa cicatrice et se rapprocha de lui.
- Je sais que ça parait dingue. Même moi je ne comprends pas.
Le blond secoua la tête, essayant de clarifier ses pensées. Il enroula son bras autour des épaules des Rose.
- J'vais te surveiller moi ! Mais c'est quoi cette idée de se mutiler ?!
Elle lui sourit doucement.
- Je ferai attention la prochaine fois, promit-elle, amusée.
- Rose ? interpella Terry. Une partie d'échecs ?
- Pourquoi pas ?
Les deux amis s'installèrent dans leur coin habituel, et démarrèrent une partie avec le jeu neuf de Terry. Pendant qu'ils se prenaient mutuellement des pièces, le brun lança d'un air désinvolte :
- Qu'est-ce que tu penses vraiment des Moldus ?
L'intéressée haussa un sourcil étonné. Il ajouta :
- En tant que Sang-Pur.
Elle hésita un instant, choisit ses mots.
- Les Moldus sont des gens normaux, mais sans pouvoirs magiques. Un fossé nous sépare, c'est sûr, mais c'est tout.
Pas dupe, Terry lui jeta un regard perçant.
- Je veux savoir ce que toi tu en penses, pas ce que ta gouvernante t'a appris à dire.
Rose eut un sourire amusé et répondit finalement :
- Je pense qu'ils ratent beaucoup de choses. Qu'ils ne seront jamais en mesure de nous comprendre, à quelque niveau que ce soit. Même avec tous les efforts du monde. Même ceux qui sont mariés à des sorciers.
Elle fit tomber une tour blanche.
- Ils sont différents. Je ne peux pas nier que nous sommes plus puissants qu'eux, et de loin. Les Moldus ne sont pas à la hauteur. Ils ne le seront jamais, malgré tous les progrès technologiques qu'ils peuvent faire. Ils sont différents, répéta-t-elle. Moins… bons.
- Comment tu peux dire des trucs pareils ?! La moitié de ma famille est moldue !
- Tu m'as demandé mon opinion Terry, et je te la donne, répliqua-t-elle avec calme. Ne te fâche pas. Je ne suis pas comme eux.
Il inclina la tête sur le côté.
- C'est ce que tu voulais savoir non ? Si j'étais comme Malefoy et compagnie, si je les méprisais au point de vouloir leur mort. Ce n'est pas le cas, et je ne vais pas penser moins de ceux qui pensent autrement – comme les Weasley par exemple. Ils font ce qu'ils veulent.
Terry la dévisageait comme s'il ne l'avait jamais vue. Elle lui fit un sourire léger, et poursuivit :
- J'approuve encore moins Tu-Sais-Qui et ses idées débiles. Je suis heureuse que ce type soit mort. Son opinion ne concernait que lui, il n'avait pas à… embrigader tous ces imbéciles. Ni à tuer qui que ce soit.
Elle fit une pause.
- Tuer au nom de la pureté du sang, en voilà une gigantesque connerie. C'est étrange d'ailleurs, tu ne trouves pas ?
- Quoi ?
- Ceux que Tu-Sais-Qui détestait le plus… ce n'était pas tellement les Moldus. Mais les ascendants Moldus et les Sangs-Mêlés, comme toi, Lisa, Derek et les autres… je n'ai jamais compris pourquoi. Ce sont des sorciers à part entière, alors où est le problème ? Sans les mélanges avec les Moldus, les sorciers disparaitraient. C'est normal que les familles de Sang-Pur se fassent de plus en plus rares. D'ailleurs le terme Sang-Pur en lui-même n'a plus vraiment de sens…
Terry prit un de ses cavaliers noirs.
- Rose… je peux te poser une question, franchement ?
- Vas-y.
- Quel est ton arbre généalogique ?
Elle se raidit imperceptiblement et regarda sa tour noire détruire une pièce blanche.
- On s'en fout Terry. Le principal c'est que je sois à Serdaigle. Ça veut tout dire.
- Que tu ne seras jamais comme eux ?
- Exactement. Je ne partage pas leurs idées.
- Et tes parents ?
- Je ne sais pas. Je n'ai jamais posé la question.
- Tu ne sais pas quel rôle ils ont joué dans la guerre ?
Il avait l'air surpris.
- Peut-être que ça ne m'a jamais intéressée. Ou peut-être qu'au fond, je préfère ne rien savoir.
Rose s'arracha à la contemplation du jeu pour regarder Terry. Il semblait moins mal à l'aise qu'au début.
- J'ai été élevée comme une Sang-Pur, mais ma gouvernante est une Cracmole. Que dis-tu de ça ? Comment pourrais-je alors haïr ceux qui n'ont aucun pouvoir magique…
- Un Cracmol n'est pas un Moldu, coupa Terry.
- C'est vrai. Mais Olivia est quelqu'un de très respectueux, et c'est ce qu'elle m'a enseigné.
Elle haussa les épaules. Son roi était en train de se faire détruire par les pions blancs, déchaînés.
- Tu as encore gagné…
La jeune fille releva le nez vers son ami.
- J'ai des idées bien arrêtées. Mais je ne suis certainement pas obsédée par la pureté du sang, voire, je m'en contrefiche. Comme beaucoup de Sangs-Purs maintenant, heureusement.
Elle esquissa un sourire ironique.
- Et franchement, si je voulais perpétuer les Sangs-Purs, j'aurais des perspectives avec : Londubat, Malefoy, Weasley, Macmillan.
Elle soupira d'un air dramatique.
- Merci, mais non merci. Je préfère encore tomber amoureuse d'un homosexuel et être malheureuse toute ma vie.
Le visage de Terry s'éclaira doucement.
- Ah, enfin, tu souris.
Il rangea son jeu d'échecs lentement. En se levant, il lui posa une dernière question :
- Il y a une chance pour que tu me dises un jour qui sont tes ancêtres ?
Le sourire qu'elle lui lança était amusé et énigmatique.
- On verra. Peut-être dans un cas de force majeure, genre pour empêcher la destruction du monde.
Il siffla d'un air désapprobateur pour monta ranger son jeu, un sourire aux lèvres. Rose le suivit du regard, l'œil sombre. Derek s'assit près d'elle.
- J'ai tout écoutééé ! fanfaronna-t-il.
- Ça ne m'étonne pas de toi, se moqua-t-elle. Je n'ai rien dit de plus que tu ne savais déjà.
- Mais tu n'as toujours rien dit.
- Il n'a pas besoin de savoir. Je l'ai suffisamment traumatisé pour aujourd'hui ! C'est bête hein, ajouta-t-elle malicieusement, il va falloir que quelqu'un le console !
Elle se leva tranquillement, ébouriffa les cheveux de son ami.
- Je vais me coucher. Bonne nuit Derek.
24 février 1995, 9h25, aux abords du lac
- Hé ! Tu pourrais dire pardon ! s'exclama Mandy.
- Désolée, marmonna le septième qui l'avait bousculée.
- Ils sont là-dessous ? demanda Lisa en pointant les tentes blanches du doigt.
- Sûrement. Quand est-ce que ça commence ? s'impatienta Michael.
- Regardez ! les juges s'installent !
- Enfin. Ils vont aller sous l'eau ? On va rien voir.
- Oh ! fit Rose. Voilà Fleur Delacour. Ferme la bouche Michael, tu baves.
- Les autres arrivent.
- C'est dingue ce silence. Au moins les matches de Quidditch sont commentés, maugréa Derek.
Soudain la voix de Ludo Verpey retentit, amplifiée magiquement.
- Quand même, ronchonna Michael.
Les Serdaigles ne furent pas vraiment satisfaits des explications du sorcier, pas assez détaillées à leur goût. Mais déjà le sifflet se faisait entendre, les Champions s'élancèrent.
- Sortilège de Têtenbulle, murmura Anthony en fixant Diggory. J'aurais fait la même chose.
- Delacour aussi a fait ça, ajouta Padma.
- Que fabrique Krum ?
La foule d'élèves le fixait. Apparemment, il tentait une métamorphose.
- Pas très réussi, commenta Terry. Mais au moins il pourra respirer sous l'eau.
- Mais qu'est-ce qu'il fait ? râla Rose.
- Qui ?
- Potter !
Harry Potter était le dernier Champion encore en vue. Il n'avait pas l'air de savoir quoi faire. Les autres élèves, principalement des Serpentards, commençaient à se moquer de lui. Enfin, il fit une drôle de tête, que Terry commenta d'un « Mais il s'étouffe ?! ». Puis le Gryffondor plongea sous l'eau.
- Il a perdu beaucoup de temps. Il va être désavantagé.
- Et maintenant il se passe quoi ? demanda Lisa.
- Je suppose qu'il faut attendre, répondit Padma.
- Pendant une heure ?
- Pff, soupira Rose. Quelle plaie.
- Tant pis. Soit on compte les vagues, soit on ragote, proposa Mandy.
- Je vote pour les ragots ! déclara Terry.
Les autres approuvèrent silencieusement. Anthony parcourait la foule du regard.
- Où est Cho Chang ?
- Avec ses amies ? suggéra Michael.
- Absente ?
- Malade ?
- Morte ?
- Rose !
- Bah quoi. C'est possible. À force d'être niaise, on meurt.
Lisa leva les yeux au ciel.
- Regardez ! Voilà Fleur Delacour !
Les cris des autres élèves les coupèrent dans leurs suppositions.
La directrice française et Madame Pomfresh se ruaient vers elle. Elle avait l'air de pleurer. Ses cheveux argentés dégoulinaient d'eau. L'infirmière l'enveloppa dans une couverture. Puis les trois femmes disparurent sous une des tentes.
- Tu crois qu'elle a eu un souci ? s'inquiéta Mandy.
- C'est fort possible. Elle est revenue tôt, estima Anthony.
Il n'y avait plus rien à voir, alors le brouhaha des étudiants reprit.
- C'est vrai que c'est étonnant que Chang soit absente. Elle sort bien avec Diggory ? finit par dire Lisa.
- Tout à fait, lui confirma Mandy. D'ailleurs, il parait que la semaine dernière, elle a découché…
Anthony haussa un sourcil.
- Pour aller où ?
- Mais qu'il est bête ! lâcha Padma.
- Non, il est innocent, le défendit Lisa, le prenant affectueusement la main.
- Mais bien sûr, ironisa Derek. Pour aller dans le dortoir de Diggory voyons !
- Il parait que Hannah Abbott est raide dingue d'un cinquième de chez nous, continua Mandy, bien lancée.
- Lequel ? demanda Lisa avec curiosité.
- Marc Dunne.
Rose eut un sourire ironique.
- Elle n'a aucune chance.
- Pourquoi ?
- M'est avis que ce garçon préfère les Terry, révéla-t-elle.
Terry la regarda en ouvrant grand les yeux.
- Ah bon ? Mais c'est qui ce type ?
- Pourquoi, t'es intéressé ? grogna Derek avec humeur.
Le brun leva les yeux au ciel.
- Idiot.
- On devrait clairement annoncer son orientation sexuelle, dès la première année, paf, martela Mandy. Ça nous éviterait des faux espoirs. Je le trouvais mignon, moi.
Terry se mit à rire.
- Je m'excuse au nom de tous et toutes les homos de cette école.
Elle lui renvoya un sourire amusé.
- Tiens, Granger et Weasley ne sont pas là non plus, remarqua Derek.
- Ils font une partie de Bavboules avec Chang, répliqua Rose.
Michael sourit et examina la foule.
- Vous ne trouvez pas que les Serpentards sont… tout seuls ?
- C'est vrai. Isolés dans leur coin.
- Comme souvent, nota Terry.
- En tout cas, il n'y a plus qu'eux pour porter les fameux badges, dit Anthony.
- Quels badges ? s'étonna Rose.
Padma fronça les sourcils un instant, avant de comprendre.
- Oh ! mais c'est vrai que tu n'étais pas là. Quand Potter a été élu par la Coupe de Feu, les Serpentards ont pété un plomb : ils ont créé des badges « à bas Potter » qui clignotaient.
- Et comme les Poufsouffles n'étaient pas contents non plus, continua Mandy, ils se sont mis à en porter aussi.
- Certains Serdaigles aussi, glissa Terry.
- Mais après la première tâche, ils ont rangé leurs stupides badges, ajouta Lisa. Parce que Potter est autant notre Champion que Diggory.
- Sauf les Serpentards, qui n'ont pas encore compris, termina Michael.
- Ça, c'est encore un coup de Malefoy, devina Rose. Il a une imagination débordante ce petit.
Elle se tourna vers les Serpentards et riva ses yeux sur les badges scintillants au soleil.
- Et oui, même lui, chuchota Derek en aparté.
Rose eut une grimace agacée. Elle soupira puis déclara :
- Je suis bien contente que Potter soit notre Champion aussi. Diggory, il ne me plait pas trop.
- Tiens, quand on parle du loup ! le voilà !
- Mais ?! C'est Chang avec lui !
Ils se regardèrent, ébahis.
- C'est elle qu'il devait aller récupérer ! lâcha Anthony.
- Incroyable ! Comment ils ont fait ?
- Bonne question… Oh ! comprit Rose. Il manque aussi Weasley et Granger non ?
- Mais oui ! poursuivit Terry. Alors, en toute logique, Potter doit récupérer Weasley… et Krum, Granger.
- Pas mal. Et Delacour alors ?
Ils haussèrent les épaules.
- Krum qui sauve Granger ? s'étonna finalement Michael.
- Ils sont allés au bal ensemble, lui rappela Mandy. Ils sont sûrement amis.
- Ou plus, insinua Lisa.
- Ou plus, oui, répondit-elle en riant.
- Krum remonte !
- Ah ! On avait raison.
Comme avec les autres Champions, l'infirmière s'occupait des deux élèves, puis ils rejoignaient les autres, assis à l'extérieur. Rose fixa la surface immobile du lac.
- Il s'est perdu ou quoi ? s'agaça-t-elle.
Après des minutes qui parurent interminables, la surface de l'eau se troubla. Une tête apparut, puis deux, et trois…
- Trois ?!
- C'est qui ? firent Mandy et Lisa en chœur.
- La personne que Delacour devait récupérer, expliqua Anthony avec son habituelle logique.
- Elles ont la même couleur de cheveux, vit Derek.
- Sûrement une personne de sa famille alors.
Ils virent Fleur Delacour se précipiter sur l'enfant pour la serrer contre elle. L'infirmière s'activaient près d'eux, tandis que l'eau se fendait encore. Une tête aux cheveux verts et hirsutes apparut. Dumbledore s'en approcha et les deux se mirent à moduler toutes sortes de cris.
- C'est une… sirène ? hésita Lisa.
- Et Dumbledore… lui parle ?
- On dirait. Il connait le langage des sirènes, nota Anthony avec admiration. Il m'étonnera toujours.
Enfin, les juges délibérèrent et Ludo Verpey annonça les scores.
- Potter s'en sort bien, conclut Michael en se levant.
- Les deux Champions de Poudlard sont en tête. C'est bien non ?
Leurs amis approuvèrent et ils se levèrent à leur tour. Les gradins se vidèrent en quelques minutes, tous les élèves discutant avec animation de ce qu'ils avaient vu.
Les semaines qui suivirent ne virent rien d'exceptionnel ni de très intéressant à Poudlard. Les crises de Rose semblaient désormais bien loin et rien ne vint perturber la petite routine installée chez les Serdaigles. Ils passaient la plupart de leurs après-midi libres ensemble, à faire leurs devoirs, jouer, discuter et colporter des ragots – spécialité de Mandy, qui semblait toujours être au courant de tout.
Les seuls événements qui vinrent les divertir un peu furent les articles publiés par Rita Skeeter dans le magazine Sorcière Hebdo, que Mandy recevait chaque semaine. Rose avait été outrée de ce que la journaliste avait pu raconter sur Potter et Granger. Il semblait que les Gryffondors étaient de nouveau la cible des moqueries des Serpentards. Cependant, comme le fit justement remarquer Lisa, au moins pendant ce temps, Malefoy ne se préoccupait plus de Terry et Derek.
En ce 16 mars, Derek et Terry s'étaient retrouvés seuls dans la Salle Commune. Les autres s'étaient dispersés : à la bibliothèque, en promenade près du lac pour profiter du soleil, en rendez-vous amoureux… le jeune couple avait décidé de ne se laisser distraire ni par le printemps qui arrivait ni par le beau temps du jour. Ils terminaient donc sagement leurs devoirs dans la Salle Commune. Terry relut sa dissertation d'Histoire de la Magie, dont il était plutôt fier, puis corrigea quelques erreurs et releva la tête. Derek était assis en face de lui et il était absorbé par son devoir de Métamorphoses. Le brun l'observa travailler sans rien dire. Ses yeux s'arrêtèrent sur les cheveux blonds, épais et rebelles. Terry suivit les contours du visage, affirmés mais pas durs. Il fixa les lèvres charnues, attirantes. Derek releva le nez et regarda Terry d'un air étonné.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Non, rien, bafouilla-t-il.
Pourtant son regard s'accrochait à la bouche. Derek eut un sourire en coin.
- Je suis beau hein ?
- Mais, je…
Le blond rit en voyant les joues de Terry se colorer. Il posa sa plume et se leva, contourna la table et se plaça derrière le brun. Il se pencha, jusqu'à pouvoir lui murmurer à l'oreille :
- Je te perturbe peut-être ?
Il vit Terry déglutir, et posa ses mains sur les épaules fines. Enfin il posa ses lèvres dans le cou du brun, qui ferma les yeux. Derek s'éloigna un peu et reprit :
- Toi aussi tu me déconcentres.
Il pressa ses lèvres sur le menton imberbe. Terry se laissa faire puis posa sa main sur celle de Derek :
- Arrête ça, chuchota-t-il.
Le blond jeta un rapide regard dans la Salle.
- On est seuls.
- Ce n'est pas ça… si tu continues, je vais perdre mon contrôle.
Étonné d'un tel aveu, Derek s'interrompit. Il soupira légèrement, puis sembla s'écarter. Terry était un peu déçu : il ne pensait pas que son petit ami abandonnerait aussi vite. C'était comme un jeu entre eux : le brun repoussait ses avances jusqu'à ce que le blond s'éloigne… pour mieux revenir. Au soulagement de Terry, son petit ami se rapprocha de nouveau. Il tira impérieusement sur son bras pour qu'il se lève.
Une fois face à face, ils se regardèrent brièvement.
Derek, qui dépassait Terry d'une tête, prit le visage du brun dans sa main et enfin, scella leurs lèvres. Terry avait les yeux fermés, concentré sur le contact de leurs bouches. Le blond mordilla sa lèvre pour demander l'accès à sa langue. Il desserra les mâchoires et laissa la langue de Derek rejoindre la sienne. Enhardi par le doux contact, Terry enlaça Derek et colla leurs corps. Surpris, Derek ouvrit les yeux une fraction de seconde, avant de se focaliser sur le baiser. Terry jouait avec sa langue, la retenait, la laissait partir pour mieux venir la chercher de nouveau.
La main gauche de Derek se glissa derrière la nuque de Terry, la droite s'enroula autour de sa hanche. Son pouce pressa l'aine, presque inconsciemment, ce qui arracha un gémissement d'aise à Terry. Il planta ses ongles courts dans le bas du dos de Derek.
Ce dernier joua alors des muscles, fit reculer Terry jusqu'à ce qu'il heurte en douceur la table de travail. Ses épaules arrondies, il plaqua ses mains de chaque côté du brun, sur le bois verni. Dominant le brun de sa hauteur, il quitta la bouche rougie pour descendre sur le cou offert à ses baisers. Derek avait une furieuse envie de mordre la peau fine, mais il se retint et se contenta d'embrasser Terry, plutôt sensible à cet endroit. Le blond craqua et ne put s'empêcher de le mordiller, tout doucement. Terry poussa un nouveau soupir et griffa le dos de Derek, les doigts glissés sous l'ourlet de sa chemise. Ils plaquèrent leurs bassins, Derek poussa un léger grondement d'aise.
- Ils sont bien partis là hein ? lança une voix amusée.
- Je crois, oui, répondit une autre. Tu penses qu'on devrait les arrêter ?
- Avant qu'ils ne se déshabillent en public tu veux dire ?
Il y eut un silence. Derek et Terry s'étaient immobilisés, ne sachant pas encore comment réagir.
- Je trouve ça marrant pourtant. Mais, si Anthony était là, lui dirait innocemment : « mais que font-ils ?! »
Derek sourit contre le cou de son petit ami. Il avala sa salive avant de se décoller du corps chaud et de se retourner tranquillement. Il passa sa main dans ses cheveux et fit un petit sourire charmeur à Rose et Lisa. Terry leur esquissa un sourire timide et lissa machinalement sa chemise.
Rose haussa un sourcil, amusée, puis se dirigea vers l'escalier des chambres. Elle posa son sac sur le lit, revint et annonça :
- On venait vous dire que Michael était en train de se battre contre des Poufsouffles.
Derek ouvrit grand les yeux, râla « mais tu pouvais pas le dire plus tôt », lança un regard à Terry, puis partit comme une flèche hors de la Salle Commune.
- Il ne sait même pas où il va… marmonna Rose. Pas loin de la cabane de Hagrid, ajouta-t-elle.
Terry hocha la tête et partit à la suite de son petit ami.
- Bon. On ferait mieux d'y aller. Plus on est de fous…
Lisa approuva et elles se dirigèrent vers le parc, pas pressées.
- Tu sais comment c'est parti ?
- C'est en rapport avec le Tournoi. Je crois que Michael a soutenu Potter devant des Poufsouffles qui n'ont pas apprécié.
- Beaucoup de Poufsouffles ?
Elle eut aussitôt une réponse de visu, mais il était difficile de compter : Michael n'était pas seul, clairement aidés par d'autres élèves.
- Il est dingue, ronchonna Rose. Ils n'ont même pas sorti leurs baguettes… à mains nues, franchement…
Derek avait rejoint la mêlée, et Terry se tenait sur le côté, retenant une Mandy furieuse qui voulait en découdre.
- Lâche-moi !
- Non ! Tu n'y vas pas, tu as vu la taille de ces types ?!
- Ils ont insulté les Serdaigles ! s'écria-t-elle.
- Anthony ?! fit Lisa qui fixait le groupe d'un air incrédule. Mais ! Mais !
- Par le short à pois de Merlin.
Leurs trois amis étaient de front avec d'autres Serdaigles, contre des Poufsouffles qui avaient perdu leur légendaire calme.
- Bon, ça suffit, annonça Rose. Les profs ne vont pas tarder à débarquer, avec tout ce raffut.
Elle chercha un Poufsouffle égaré des yeux.
- Mais ils sont à deux sur Derek là ! vociféra Mandy. Bande de lâches !
Terry la tenait fermement. Rose sortit sa baguette.
- Expulso !
Un Poufsouffle fut projeté en arrière, en faisant tomber un second au passage. Derek fut libéré, mais s'arrêta en même temps que tous les autres, surpris par le sort qui avait fusé.
Terry, Mandy et Lisa avaient aussi sorti leurs baguettes et se tenaient prêts, aux côtés de Rose. Cette dernière regarda tour à tour les Poufsouffles.
Ils ne savaient pas trop comment réagir. Des rumeurs circulaient sur cette fille. Il paraissait même qu'elle avait tué sa propre mère. Ce n'était qu'un bruit de couloir… mais quand même.
- Vous savez comment j'ai eu cette cicatrice ? demanda-t-elle subitement à la cantonade.
Elle plissa les paupières et eut un sourire féroce.
- Vous connaissez les Duels de Sorciers clandestins ?
Même ses amis hochèrent la tête, entrant dans son bluff.
- C'est un de mes adversaires qui a lancé un sortilège de Découpe, continua-t-elle.
Les autres avaient un air sceptique.
- Vous ne me croyez pas ? allez donc lui demander directement… il est facile à trouver, il est toujours à Sainte Mangouste ! acheva-t-elle d'un ton théâtral.
Les Poufsouffles semblèrent hésiter. Rose releva le menton d'un air de défi et raffermit sa prise autour de sa baguette. Puis l'un des septièmes qui tenait toujours Michael fermement coincé le relâcha.
- C'est bon, on se casse.
- C'est ça. Tirez-vous, confirma Mandy.
Ils firent demi-tour et disparurent dans le château. Rose se dirigea vers Michael et le regarda d'un air furieux.
- Abruti.
- Désolé, minauda-t-il. Sympa ton histoire.
- Presque crédible, confirma Mandy.
Terry était près de Derek, qui fulminait encore.
- Ça va ? se risqua à demander le brun.
- Tu n'as rien ? fit-il brutalement en guise de réponse.
- Non, non. Fais voir ta lèvre.
L'œil sombre, Derek le laissa observer sa lèvre fendue. Terry sortit un mouchoir de sa poche et essuya les gouttes de sang avec douceur. Lisa, les mains autour du poignet apparemment foulé d'Anthony, déclara qu'il fallait rentrer, avant qu'un professeur ne les voie tous attroupés.
Ils rentrèrent rapidement se cloîtrer dans leur tour. Rien de cassé chez les braves combattants, mais pas mal de griffures et d'hématomes en tout genre étaient les témoins de leur rude bataille. Ils se laissèrent tous dorloter par Lisa, Rose, Mandy et Terry. En plus de leurs amis, il y avait trois Serdaigles de cinquième année. Celui dont Rose s'occupait – œil au beurre noir – finit par demander à voix haute ce que ses camarades se demandaient tout bas.
- Rose, c'est ça ?
La jeune fille lui fit son habituel regard déstabilisant. Ce qui, pour une fois, ne fonctionna pas. Il ne se laissa pas démonter et continuait de la regarder calmement. Agacée, elle lui fit signe de poursuivre en hochant la tête.
- C'est vrai ce que tu as raconté aux Poufsouffles ?
Elle eut un rictus.
- T'aimerais bien le savoir hein ?
Il lui fit un sourire doux. Elle était amusée mais ne laissa rien paraitre.
- Laisse tomber le sourire aguicheur, ça ne marche pas avec moi. Crois ce que tu veux, c'est mieux, conclut-elle.
Rose le regarda intensément. Il finit par dévier son regard.
- Allez tourne-toi, je crois que tu as une autre coupure dans la nuque.
Il obtempéra tranquillement sans rien ajouter. Elle le désinfecta puis mit un petit pansement sur la nuque.
Une fois les soldats rétablis, comme avait dit Mandy, Rose consulta Anthony du regard. Elle hocha finalement la tête.
- Je ne doute pas que cette histoire va faire le tour de l'école, mais faites en sorte de la minimiser quand vous le pourrez. Je sais, ajouta-t-elle, vous vous sentez héroïques, mais vous ne penserez plus ça lorsque vous serez en retenue jusqu'à la fin de l'année.
Elle leur sourit gentiment.
- Alors soyez discrets. N'étalez pas vos exploits. De toute façon, vous n'avez même pas gagné, alors je suppose que vous allez faire profil bas.
Lisa et Mandy baissèrent la tête pour sourire discrètement.
- C'est une chance que personne d'autre que vous ne soit venu, intervint le « blessé » de Rose. En tout cas, merci.
Il se releva et inclina brièvement la tête devant Rose avant de déclarer en riant qu'ils allaient se retirer pour se consacrer à des activités moins physiques. Les quatrièmes les saluèrent et les deux groupes se séparèrent.
Derek se laissa tomber sur un canapé en entraînant Terry avec lui.
- Tu as raison, dit-il enfin. Demain, tout le monde sera au courant, et de la bagarre, et de ton histoire rocambolesque.
L'intéressée haussa les épaules.
- C'était ça ou un prof qui débarquait. Tant pis, ça valait le coup de voir leurs têtes quand j'ai dit ça !
Lisa et Mandy approuvèrent vigoureusement.
- Michael, par pitié, supplia Lisa, ne refais plus jamais ça. Sers-toi directement de la magie la prochaine fois !
- Ça t'évitera de te faire sauver par des filles… rappela Rose avec malice.
Il grommela un vague « rho ça va hein » avant de ravaler sa fierté et de s'asseoir avec eux devant le feu. Le groupe discuta, entre autres choses, de la bêtise des garçons des Poufsouffle, jusque tard dans la soirée. Ils ne voulurent pas se montrer tout de suite en public – mieux valait laisser l'affaire se tasser, ou empirer, pour la nuit. Aussi Derek et Anthony allèrent chercher des victuailles aux cuisines pendant que tout le monde dinait. Le groupe s'installa dans le dortoir des garçons pour être vraiment tranquilles.
Mandy raconta que la catastrophe culinaire qu'elle était lui venait de sa mère : apparemment, c'était héréditaire chez les Brocklehurst ! Ils discutèrent de leurs familles, mais cette fois, plus personne ne parla des ancêtres de Rose. À minuit passée, les filles allèrent se coucher.
Quelques jours plus tard, Rose prenait son petit déjeuner dans la Grande Salle avec ses amis. De toute évidence, l'histoire qu'elle avait racontée aux Poufsouffles pour calmer la bagarre avait fait le tour de l'école. À son passage, les conversations se tassaient et la plupart des filles n'osaient plus la regarder dans les yeux. C'était un peu agaçant mais supportable. Au moins les Serpentards ne déversaient plus leur haine sur le groupe « aux homos », bien qu'il fallût avouer qu'ils s'étaient calmés ces temps derniers.
Le rituel du courrier commença et les rapaces envahirent le réfectoire. À l'étonnement du groupe, un Scouthibou se posa devant Rose. Elle le fixa dans bouger, pensant que la lettre qu'il tenait était pour l'un de ses amis. Pourtant l'animal ne la quittait pas des yeux et sautilla même un peu plus vers elle pour qu'elle récupère sa missive. Après une grimace d'incompréhension, elle libéra le hibou de son fardeau et il reprit son envol.
- Tu n'ouvres pas ?
Mandy la regardait d'un air interrogateur. Ses amis la considéraient avec curiosité.
- Ça vient de l'école, fit remarquer Anthony.
Rose retourna l'enveloppe pour la décacheter distraitement. Elle regardait l'écriture de l'adresse, tentant de la reconnaître.
- Oh.
Ce fut son seul commentaire en comprenant. Elle réfléchit à toute vitesse.
- Non, ça ne vient pas de l'école. C'est mon père. Je vais aller la lire et la laisser au dortoir.
Elle leur sourit puis se leva. La lettre dans une main et le sac dans l'autre, elle quitta la Grande Salle sans voir les regards mi-effrayés mi-sceptiques qui la suivaient.
Elle ne put attendre et dès qu'elle fut dans le couloir, elle termina de décacheter le parchemin pour le déplier. Ce n'était pas son père, bien sûr. L'écriture était la même que celle sur le mot reçu il y a quelques semaines à six heures du matin. Tout en continuant son errance dans les couloirs, elle lut la lettre.
« Rose,
J'espère que tu n'auras pas ouvert cette lettre dans la Grande Salle. J'imagine que ça ne ferait pas bon genre de montrer qu'un Serpentard t'écrit – et moi, j'ai une réputation à tenir !
Je voulais te parler, enfin t'écrire, au sujet de la fameuse bagarre contre les Poufsouffles. Si tu ne le savais pas, je t'apprends que ça a fait le tour de l'école. Ton histoire de duel clandestin était parfaite (du moins ce que j'en ai entendu) et m'a beaucoup fait rire. Le fait qu'autant de personnes y croient, c'est la cerise sur le gâteau. Alors que tout le monde sait que les duels même clandestins sont interdits aux mineurs et strictement encadrés… ce qui est assez ironique, je trouve. En tout cas, ça a intrigué Drago, et je voulais te prévenir de rester sur tes gardes. Au cas où un jour il ait envie de vérifier tes dires et de te provoquer. »
- J'aimerais bien voir ça, grommela-t-elle entre ses dents.
« J'imagine que ça ne doit pas t'effrayer ; mais fais quand même attention.
Sache que des Serpentards, et pas des premières années, ont peur de toi. Je me suis dit que ça t'amuserait de le savoir.
Bref ! Parle-moi de toi : comment se porte ta santé ? – tu comprends ce à quoi je fais allusion.
Donne-moi de tes nouvelles.
Amitiés,
Le sauveur de jeune fille en détresse »
Rose sourit de nouveau. Elle ne s'attendait pas à cette lettre mais elle aimait bien l'idée de correspondre par courrier avec lui. Elle replia le parchemin et le rangea dans son sac de cours, oubliant l'idée d'aller le ranger dans son dortoir. Elle comptait lui répondre rapidement.
Dans la journée, Rose rédigea quelques brouillons de réponse, sans jamais être vraiment satisfaite. Le soir venu, rien ne lui vint. Elle remit donc sa réponse au lendemain, se disant que la nuit portait conseil.
Et en effet, le lendemain matin, elle se réveilla de bonne heure, sans comprendre pourquoi. Alors elle reprit la lettre de la veille, et s'assit sur son lit pour rédiger une réponse. Elle se relut :
« Mon cher sauveur-de-jeune-fille-en-détresse,
Merci pour ta lettre, ça me plait bien de correspondre par écrit avec toi.
J'ai moi aussi été très surprise que les Poufsouffles croient aussi facilement les bêtises que je racontais. Mais j'ai bien fait, puisque ça a calmé leurs ardeurs.
C'est un peu étrange de me balader dans le château avec tous ces regards, mais je vis avec. Ça leur passera bientôt j'en suis sure !
Tu as eu raison : Malefoy ne m'effraie absolument pas. Cependant je garde ton avertissement à l'esprit et je vais faire attention.
Quant à ma santé, je dois avouer que c'est le calme plat. Je ne m'en plains pas ! ça me laisse un peu de répit et c'est très agréable.
Continue de m'écrire ; et parle-moi un peu de toi.
Amitiés,
Rose »
La jeune fille s'habilla à la hâte et fila en direction de la volière. Il aurait sa réponse rapidement. Elle attacha la lettre à un Scouthibou, en précisant bien « à l'heure du petit-déjeuner ». Elle espérait qu'il n'allait pas partir sur le champ et réveiller tout le dortoir des Serpentards. Le volatile referma les yeux et l'ignora complètement. Haussant les épaules, Rose fit demi-tour et se glissa de nouveau dans son dortoir. Elle termina sa toilette pendant que ses amies se réveillaient.
Au petit déjeuner, elle vérifia du coin de l'œil que le rapace allait bien vers le bon destinataire. Ce dernier releva vivement les yeux vers elle. Elle n'osa pas lui sourire, de peur que les autres ne la voient, alors elle se contenta d'un regard intense. Lui par contre ne s'en priva pas et lui décocha un sourire charmeur.
Son cœur rata un battement alors elle baissa le nez vers sa tasse de thé et se concentra sur les discussions autour d'elle.
- J'ai pas envie, pas envie, pas enviiie d'aller en Histoire de la Magiiie, chantonnait Mandy.
Lisa éclata de rire en lui rappelant que si, elle devait y aller.
- Mais on s'ennuie là-bas, souligna la blonde.
- Qu'importe. C'est pour ton bien.
- Pff.
- Ne te plains pas, c'est à moi et Anthony de prendre les notes aujourd'hui, rappela Rose. Tu pourras faire autre chose.
- Comme ?
- T'avancer dans tes devoirs, proposa Derek.
Elle gémit.
- Ou faire ton courrier, dit Terry en voyant son air dépité.
- Mais j'ai rien à écrire moi !
Rose secoua la tête devant la mine désespérée de son amie.
- C'est pas juste, maugréa-t-elle finalement.
Michael se mit à rire et tenta de la rassurer en disant que ce ne serait pas si long que ça, après tout. La blonde soupira de nouveau et suivit ses amis en trainant des pieds.
Finalement, Mandy ne vit pas passer le cours du professeur Binns : elle s'endormit au bout de cinq minutes. Anthony la regarda avec envie, mais un petit coup de coude de Lisa lui rappela son devoir du jour.
Rose aurait aimé pouvoir faire autre chose que suivre le cours, mais elle aurait été incapable de se rendormir. À ses côtés, Derek somnolait vaguement ; c'est quand il murmura « Terry… » dans son sommeil que son amie comprit ce qui se passait vraiment dans sa tête. Elle gloussa presque malgré elle et ne peut s'empêcher de se retourner discrètement pour voir ce que fabriquait Terry. Le jeune homme avait la tête dans les nuages, un sourire assez idiot plaqué aux lèvres.
Bon, lui aussi… ils étaient obsédés en ce moment !
Rose ne put retenir un nouveau sourire et gratta machinalement le cours ennuyeux.
Le 30 mars, le Serpentard n'avait toujours pas répondu à Rose. Bien sûr, elle ne faisait certainement pas partie de ses priorités. Tout de même. Elle aurait vraiment aimé avoir de ses nouvelles. La première lettre lui avait plu, et elle était curieuse d'avoir la suite. Rose en était là de ses réflexions quand Lisa l'interpella :
- Il faut qu'on y aille !
La seule réponse qui lui parvint fut un grommellement. L'Astronomie à minuit, quelle plaie ! Rose s'était endormie – erreur de débutante – et n'avait plus aucune envie de se lever. Mais ses colocataires la tirèrent du lit et elle dut les suivre, bon gré mal gré. Trainant des pieds jusqu'à la tour, elle pensa subitement :
- Mais on est avec les Serpentards !
Ni déçue, ni ravie, elle marcha toutefois d'un pas plus décidé.
Le cours commença comme à son habitude, la professeure Sinistra donna ses indications et les laissa travailler, tout en circulant entre les élèves. Depuis l'incident avec Malefoy, les Serdaigles avaient gardé l'habitude d'éloigner Derek et Terry de leur portée. Rose se trouvait à l'extrémité droite du groupe et avait les serpents pour voisins.
Elle observait distraitement les étoiles – ce n'était pas vraiment une activité qui la passionnait. La professeure passa à côté d'elle et continua son chemin.
Et enfin, elle eut ce qu'elle espérait sans se l'avouer.
- Bonsoir, chuchota la voix grave et familière près d'elle.
- Bonsoir, répondit-elle avec un léger sourire sans le regarder.
Il était proche, mais pas trop, pour ne pas attirer l'attention des autres.
- Je suis désolé, commença-t-il.
Surprise, Rose se tourna et planta ses yeux dans les siens.
- De ne pas t'avoir répondu, expliqua-t-il.
- Oh. Ce n'est pas grave, rassura-t-elle avec un sourire.
- Disons que Drago s'est montré bien curieux alors j'ai préféré faire profil bas. Tu me pardonnes ? demanda-t-il d'une voix enjôleuse.
- Je te pardonnerai quand j'aurai ma deuxième lettre, répliqua Rose avec malice.
Le Serpentard lui sourit. Elle fronça les sourcils.
- Tu préfères qu'on euh… qu'on arrête de s'écrire ? questionna-t-elle subitement.
- Pourquoi ? à cause de Drago ? Non. Il s'y fera.
Le sourire de Rose, qui était rassurée, s'élargit et fit briller ses yeux. Il la détailla avec lenteur, et malgré le manque de lumière, elle eut l'impression d'être passée aux rayons X.
Sa cicatrice lui vint à l'esprit. Il la regardait, voilà ce qu'il faisait. Il fixait sa cicatrice parce qu'elle était horrible. Il fallait qu'il arrête.
L'expression de Rose changea brutalement et elle eut un mouvement de recul.
- Où tu vas comme ça ? Je te fais peur ? demanda-t-il doucement.
Elle secoua la tête de gauche à droite, déglutit, incapable de parler, obsédée par la balafre qui lui coupait le visage.
Il fallait qu'il arrête de la regarder, pitié.
Remarquant son malaise soudain, et surtout le fait qu'elle n'allait pas tarder à se détourner, le Serpentard fouilla dans ses poches et en sortit un papier.
- Tiens. Tu auras de la lecture avant de dormir.
Elle allait demander ce que c'était quand elle comprit : la réponse tant attendue.
Son petit sourire resta timide, son regard était fuyant, alors le jeune homme murmura :
- Je te laisse tranquille, ne t'en fais pas.
Il la considéra une dernière fois puis retourna à son télescope.
Rose respira un peu mieux. Elle passa machinalement son doigt sur la cicatrice, les yeux fermés, la lettre fermement serrée dans la main gauche. Elle la glissa dans sa poche et retourna aux étoiles, sans toutefois pouvoir se concentrer une seconde.
Elle crut que le cours, encore une fois, n'en finirait jamais.
Enfin, elle fut dans son lit, à l'abri derrière ses rideaux fermés. Allumant sa baguette, elle déplia le parchemin avec impatience.
« Rose,
Tout d'abord, désolé de ne pas avoir répondu avant, mais Drago a vu ta lettre arriver l'autre jour, et il s'est monté plutôt curieux. J'ai préféré attendre qu'il cesse de me harceler de questions.
Je suis rassuré que tu ailles mieux que la dernière fois ; j'espère que ta mystérieuse maladie va te laisser en paix maintenant.
Les rumeurs à ton sujet commencent à se calmer, mais je pense que tu vas rester celle qui participes à des duels clandestins ! j'espère que ça n'arrivera pas aux oreilles de ta famille… J'imagine que ça ne ferait pas plaisir à tes parents ! Surtout un tel scandale chez les Sangs-Purs, non ?
Quant à moi -puisque tu m'as demandé de parler de moi, je ne suis pas un Sang-Pur, mais tu dois le savoir. Je suis fils unique, et ma mère vit dans une immense villa. Elle a eu pas mal de maris, tous plus riches les uns que les autres, et mon père était l'un d'eux. Je ne l'ai pas vraiment connu, mais je sais qu'il travaillait pour l'étranger, et qu'il était sorcier.
Je n'ai pas vraiment grand-chose d'autre à te dire sur ma famille… ma seconde maison est Serpentard mais je crois que tu en sais déjà pas mal à notre sujet !
J'aime beaucoup les cours de Métamorphoses, même si je suis sûr que McGo favorise les Gryffondors. J'aime bien les Sortilèges, mais je ne suis pas le meilleur. Ma meilleure matière reste les Potions, même si je n'aime pas beaucoup Rogue.
Mon sport préféré est le Quidditch – quelle surprise ! j'espère être pris l'an prochain comme Batteur, ça me plairait bien. Mais je pense que j'accepterais Poursuiveur ou Gardien si on me le proposait.
Je ne sais pas quoi te dire d'autre… alors à ton tour !
Amitiés,
Celui qui aimait aussi bien le cours d'Astronomie »
Rose ne put s'empêcher de sourire, plus ou moins niaisement, tout au long de sa lecture. Ça lui faisait réellement plaisir que son nouvel ami lui raconte autant de choses sur lui, en toute confiance. Elle s'étira en se disant qu'elle rédigerait une réponse dans le week-end. La Serdaigle se pelotonna dans son lit et ferma les yeux pour s'endormir aussitôt.
Le vendredi, les Serdaigles n'étaient pas très frais pour le premier cours de la matinée, Astronomie jusqu'à deux heures du matin oblige. Ils somnolaient tous, plus ou moins profondément. Sauf une, Rose, qui écrivait une réponse pour le Serpentard. Elle gribouilla plusieurs brouillons avant de s'arrêter sur une version qui lui plaisait.
« Cher fan de Métamorphoses,
Merci de tes confidences aussi spontanées !
Je suis surprise que tu n'aimes pas Rogue, je pensais que tous les Serpentards l'adoraient.
Je t'avoue que t'imaginer devant un chaudron, avec un tablier à pois rose, en train de remuer une potion, est une idée assez irrésistible !
À mon tour, comme tu disais…
Je suis aussi fille unique, comme quasiment tous les Sangs-Purs de notre génération. Peut-être qu'un seul de chaque famille suffit à la planète – surtout Londubat, véritable catastrophe ambulante.
Tu t'inquiétais de la rumeur qui risquait d'arriver jusqu'à mes parents, rassure-toi, aucun risque. Mon père travaille trop pour avoir du temps à consacrer à ce genre de choses, et ma mère, je ne la connais pas. Il y a bien ma gouvernante mais elle ne croirait pas un mot de cette histoire ! Nous vivons dans un grand manoir, qu'en toute logique tu connais au moins de nom, ayant une mère sorcière – sinon je serai vexée. Le Manoir Wayne ne me manque pas en lui-même, toutefois je suis très attachée à ma gouvernante, Olivia.
Mes matières préférées sont les Sortilèges, pour lesquels je me débrouille plutôt bien (sans me vanter : je suis excellente dans cette matière), la DCFM et l'Étude des Moldus. Je hais la Botanique de haine pure. Je crois que les plantes font exprès de faner dès qu'elles me voient. Je me débrouillais bien en cours de Vol en première année, mais je préfère rester dans les gradins soutenir mes amis qui sont dans l'équipe. Et Potter aussi (et oui désolée !) qui a un style de vol impressionnant.
Je sais ce que tu pourrais me dire d'autre : parle-moi de tes goûts, comme ton plat préféré, les moments de la journée que tu aimes, ce genre de choses…
Amitiés,
Rose
PS : comme promis, tu es pardonné ! »
Satisfaite, elle la plia. Après le cours, elle se dirigea vers la volière et confia la missive à un hibou. Le Serpentard aurait la lettre le lendemain.
Rose repartit vers sa Salle Commune rejoindre ses amis, avant la pause déjeuner et l'après-midi « Options ». Ils s'affalèrent plus ou moins dignement sur les canapés bleus, tout en discutant de tout, sauf des cours.
Lovée dans son fauteuil, Rose adressa un sourire léger à des Serdaigles qui rentraient : les cinquièmes qui avaient aidé Michael à se battre contre les Poufsouffles. Ils étaient quatre, cette fois. Leur meneur – du moins c'est ce qu'il semblait à Rose – lui fit un large sourire en se dirigeant vers eux. Il serra amicalement la main de Michael et leur demanda de leurs nouvelles. Anthony s'empressa de leur répondre qu'ils allaient tous bien.
- Et vous ? enchaina Rose.
- On s'est remis. Vous nous avez bien soignés !
Les filles et Terry sourirent en chœur.
- Vous savez qu'on ne connait même pas vos prénoms ? lança subitement Anthony.
- On a oublié de vous présenter officiellement ! s'exclama Michael.
- Dans la confusion, oui… désolé, s'excusa Derek en s'adressant aux nouveaux venus.
- Nous jouons au Quidditch ensemble, clarifia Michael aux autres.
- Moi c'est William, se présenta leur meneur en s'asseyant avec eux.
Les trois autres s'installèrent à leur tour. Deux d'entre eux se ressemblaient fortement, mais n'étaient que cousins. Ils s'appelaient Idriss et Nassim. Le dernier, plus discret et plutôt mignon, se présenta comme Marc. Marc Dunne.
Terry faillit s'étouffer en avalant sa salive de travers et Derek jeta un regard meurtrier au cinquième année. Mandy, Lisa, Padma et Rose se regardaient avec espièglerie, sans rien dire. Elles savaient déjà. Ce changement refroidit quelque peu l'ambiance, mais Padma enchaina à l'adresse de William :
- Tu as quelle position dans l'équipe ?
- Batteur.
- Je me disais bien que je connaissais ton visage, confirma soudainement Rose. Je t'avais déjà vu aux entraînements avec Derek.
- Ah, c'est toi la nana qui s'agite dans tous les sens quand on s'entraine ? se moqua-t-il gentiment.
Elle lui fit un sourire amusé.
- On dirait bien.
- C'est toi l'Aiglon ? s'exclama Idriss.
- L'Aiglon ? répéta Lisa sans comprendre.
Les autres aussi semblaient perdus.
- Oui, c'est elle, confirma Derek.
Rose le regardait d'un air ébahi. Son ami lui expliqua sans aucune honte :
- C'est le surnom qu'ils t'ont donné, parce que tu assistes à beaucoup d'entraînements de l'équipe et que vu des gradins, tu es toute petite.
- Et comme tu te déplaces tout le temps et que tu es chez Serdaigle…
- L'Aiglon ! répéta William, satisfait de l'explication.
Rose les considéra l'un après l'autre, interloquée.
- Tu n'es pas fâchée ? demanda William.
Elle sortit de sa torpeur.
- Non, non… mais c'est étrange !
Elle vrilla Derek du regard, se promettant mentalement de le faire souffrir.
- Idriss, tu es dans l'équipe aussi c'est ça ?
- Oui ! je suis le Gardien.
- Et toi Nassim ?
- Non, je ne joue pas. Je suis une vraie catastrophe sur un balai, c'est mieux comme ça ! fit-il, déclenchant les rires des autres.
Terry était silencieux depuis un long moment. Rose le regarda, puis glissa ses yeux sur Marc ; le plus vieux ne cessait d'observer le brun à la dérobée, tout en discutant avec les autres. Heureusement pour lui, se dit Terry, Derek ne l'avait pas encore vu. Tout charmeur qu'il était, il restait assez possessif. Ce n'était pas pour lui déplaire, mais s'ils pouvaient éviter un mélodrame…
Rose eut le même cheminement de pensée et se dit qu'il fallait réagir avant qu'une catastrophe ne leur tombe dessus. Elle énonça la première idée qui lui vint à l'esprit :
- Et si on allait manger ?
Tous les garçons l'approuvèrent en même temps. Le grand groupe se dirigea vers la Grande Salle, et Rose tira Terry un peu à l'écart.
- Ne fais pas la bêtise d'en parler à Derek. Il le pulvériserait.
- Je sais bien, répondit-il, agacé.
Étonnée de sa réaction, Rose l'observa.
- Si ça te gêne, tu le dis à Dunne.
- Oui mais…
Il se tortilla un peu.
- Tu veux que je le fasse ? proposa Rose avec douceur.
- Non, non, ça va aller, déclina-t-il avec un sourire.
- Qu'est-ce que vous mijotez tous les deux ? demanda Derek d'un air soupçonneux en les rejoignant.
- Je cherchais comment te faire souffrir pour me venger ! Je pensais te piquer Terry mais il n'est pas d'accord.
- Moi non plus, répliqua tranquillement le blond. Ça t'a pas plu « l'Aiglon » hein ?
Il se moquait ouvertement d'elle. Les pommettes de Rose viraient au rouge.
- Non mais vraiment, quelle idée ! s'indigna-t-elle.
Elle redressa le menton pendant que Derek et Terry riaient aux éclats. Ce faisant, ils prirent tous place à la table des Serdaigles. Leur groupe, composé de douze personnes, ne passait pas inaperçu et était plutôt bruyant.
Durant le repas, William s'assit à côté de Rose et la taquina à propos du surnom que les joueurs de Quidditch – ou plutôt Derek, elle n'était pas dupe – lui avaient donné. Même si elle s'évertuait à renier ce sobriquet, elle ne put s'empêcher de sourire au cinquième qui s'en amusait beaucoup.
Elle apprit qu'il était plutôt doué en Sortilèges, tout comme elle.
- C'est difficile ce qu'on vous demande en cinquième année ? interrogea-t-elle alors.
William fit la moue.
- Ce n'est pas facile à estimer… il te reste encore une année, alors ça peut paraître compliqué… mais en fait, je trouve que c'est assez abordable. Il paraît que c'est le programme de sixième qui est plus complexe.
La jeune fille était suspendue à ses lèvres.
- C'est cette année que vous voyez les sortilèges informulés ? demanda-t-elle encore.
- Non, c'est en sixième. J'ai déjà lu pas mal de théorie à ce sujet, ça m'intéresse beaucoup. Tu veux que je te dise ce que j'ai lu ?
Elle opina vigoureusement.
- En fait, c'est tellement difficile qu'on les voit en Sortilèges, mais aussi en Métamorphoses et en Défense contre les Forces du Mal.
- Tant que ça ? s'étonna-t-elle, dépitée.
- Ils disent que tout est question de concentration et de force mentale. C'est pour ça que c'est si compliqué, dit-il en esquissant un sourire.
Rose ouvrit la bouche en un « o » parfait. William rit en la voyant si stupéfaite.
- J'ai hâte de les commencer. Enfin, pour le moment on doit se concentrer sur les sortilèges utiles pour les BUSE.
- Comme quoi ?
- Il y a beaucoup de révisions des quatre premières années, tu verras… mais mon préféré, c'est le sort de Désillusion.
- Ça consiste en quoi ?
- Tu enchantes un objet, ou une personne, et elle devient invisible. Comme un Demiguise si tu veux.
- Tu y arrives ?
Il fit une petite grimace dépitée.
- Je n'y suis arrivé qu'une fois sur un être vivant, avoua-t-il.
Cela ne découragea pas la Serdaigle qui enchaîna :
- Qu'est-ce que tu as fait disparaitre ?
- Un chat.
- Vraiment ?
Rose était impressionnée. Et elle ne pouvait pas s'empêcher de lui poser des questions.
- Oui. Il n'a pas du tout aimé ça et j'ai mis un quart d'heure avant de remettre la main dessus…
Elle rit.
- Et vous aussi en Défense Contre les Forces du Mal, vous avez dû résister à l'Impero ?
- Oui, on y est tous passés.
- Tu as réussi à résister toi ?
- Oui… une fois.
- Vraiment ? comment tu as fait ?
- Mais ma parole, c'est un vrai interrogatoire !
Rose sourit en coin.
- Désolée. Je suis trop curieuse, s'excusa-t-elle avec un sourire en coin.
- Ça doit être ça, répliqua-t-il, imitant son sourire. Pour répondre à ta question, avec de la pratique ! Et toi ?
Elle fit une petite moue.
- J'y étais presque la dernière fois… mais j'ai deux mois de retard sur les autres. Et le prof me perturbe tellement avec son œil ! ça coupe toujours ma concentration.
- Bah, il ne faut pas y faire attention, la rassura-t-il. Il est un peu rude et parano mais pas méchant avec les élèves ! Deux mois de retard ?
- J'ai raté les deux premiers mois de cours, expliqua-t-elle brièvement. Tu crois que le sort sera demandé à vos BUSE ?
- Je ne pense pas… ça me paraît complètement hors programme. Ne t'en fais pas, je suis sûr que l'an prochain ça n'y sera pas !
Rose lui lança un sourire rayonnant et s'occupa un peu de son assiette, calmant le feu de ses questions. William la considéra sans rien dire, lui jetant de simples coups d'œil en biais.
Aucun des deux n'avaient fait attention aux autres tables. Sinon, ils auraient vu qu'à la table des Serpentards, ce n'était pas la joie : un élève était particulièrement de mauvaise humeur et avait envoyé paître tous ceux qui lui avaient adressé la parole. Cet élève scrutait régulièrement la table de « l'Aiglon » et de ses amis, l'air maussade et irrité.
Rose l'avait complètement oublié le temps du repas, absorbée par William et leur discussion sur les cours.
Les quatrièmes quittèrent les cinquièmes pour se rendre à leurs cours d'options. Rose fila en Runes avec Lisa, Anthony et Derek Mandy et Padma étaient parties en Divination tandis que Terry et Michael profitaient d'une pause dans leur emploi du temps. En chemin, Lisa lui parla de leurs nouveaux amis alors qu'Anthony et Derek trainaient à l'arrière.
- Ils sont sympas tu ne trouves pas ?
- Si ! C'est cool de connaître des élèves plus vieux. On peut apprendre plein de choses ! s'exclama Rose, satisfaite.
La rousse s'installa à sa place. Elle coula un regard à Rose.
- Il est sympa William hein ? fit-elle.
- Oui, très agréable ! Il a répondu à toutes mes questions sur le programme de cinquième, c'était sympa de sa part.
Lisa marmonna quelque chose que Rose ne comprit pas. Elle articula un très distingué :
- Hein ?
- Je disais, sois tu es très innocente, sois très cruche. Ou encore aveugle. Ou les trois.
- Pourquoi ? rétorqua Rose, stupéfaite.
- Mais tu lui plais ! lança Lisa, excédée.
- N'importe quoi. Je suis trop jeune pour lui.
- Oui et bien ça n'a pas l'air de le perturber.
- Je ne te crois pas.
- Oh, je t'en prie ! Il t'a dévorée des yeux tout le repas !
Les pommettes de Rose prirent une couleur rouge soutenue.
- En plus, il ne doit pas être si âgé que ça. Tu es née début 1980, tu as déjà quinze ans… au pire, il a seize ans, un an, c'est rien.
Elle sortit ses affaires et reprit.
- Mais qu'importe, tu pourras nier tant que tu veux, tu lui plais.
- Tss.
Rose réfléchit quelques instants pendant que le cours débutait. Finalement elle se tourna vers Lisa et lui chuchota :
- De toute façon ce n'est pas possible.
La rousse attendit la suite.
- Tu sais… le Serpentard…
- Oui.
- On a commencé à disons… s'envoyer des lettres.
Rose lui narra alors son étrange début de relation avec le jeune homme. Lisa eut une expression étonnée mais ne fit pas de commentaire, au grand bonheur de son amie.
- Il faudra que tu me racontes tous les détails maintenant ! s'exclama la rousse d'un air joyeux.
Sa voisine lui fit un immense sourire, soulagée qu'elle le prenne comme ça. Ne pas parler de ses émois envers le Serpentard à son amie, c'était presque contre nature.
- Promis.
Lisa et Rose passèrent leur après-midi à se chamailler pour dresser les qualités et les défauts de William et du Serpentard, inventant toute sorte de détails improbables. Leur bonne humeur fut communicative et s'étendit à tout leur groupe. Le soir, ils étaient tellement en forme qu'ils ne se couchèrent que vers une heure du matin, en faisant un boucan du diable. D'ailleurs le Préfet-en-Chef était venu les réprimander vers minuit. Ils avaient alors émigré vers le dortoir des garçons, afin d'être tranquilles. Lorsque les filles réintégrèrent leur propre dortoir, Rose pouffa et chuchota :
- On a perdu Lisa en route.
Mandy et Padma gloussèrent elles aussi, et les trois Serdaigles se glissèrent furtivement jusqu'à leurs lits, pour tomber comme des masses, épuisées malgré leurs airs bravaches.
Dans la semaine qui suivit, Rose apprit que le plat préféré du Serpentard étaient les lasagnes, qu'il aimait l'après-midi et détestait se coucher. Il disait également qu'il n'avait pas d'affection particulière pour le vert, « sauf un en particulier ». Rose se promit de lui demander auquel il faisait allusion.
Bien qu'elle lui fasse plaisir, elle trouva la lettre plutôt courte et précipitée. Enfin, peut-être qu'il n'avait simplement pas eu le temps de l'écrire tranquillement.
Sa réponse disait qu'elle adorait le chocolat chaud préparé par son cuisinier quand elle était petite, mais qu'il refusait d'en faire maintenant qu'elle avait passé l'âge, excepté lorsqu'elle était malade. Sa préférence allait aux desserts et à tout ce qui était sucré en général. Elle aimait les matins calmes, lorsqu'elle était la seule réveillée, et n'aimait pas non plus se coucher. Le vert faisait partie de ses couleurs préférées, « ce qui n'est pas plus mal vu la couleur de mes yeux », ajoutait-elle. Le bleu et le rouge lui plaisaient, et elle vouait une haine féroce au marron et à l'orange.
Elle envoya sa lettre en souriant.
Le groupe de Serdaigles se décida à la dernière minute de profiter d'une sortie à Pré-au-Lard début avril. Une fois dans le village, Anthony alla droit à la librairie où il avait toujours quelque chose à acheter. Derek entraina Michael chez Zonko, Padma rejoignit sa sœur. Terry se retrouva avec les trois filles restantes.
- On se promène ? proposa Lisa. À moins que vous n'ayez envie de faire les boutiques…
- Promenade ! choisit Mandy avec enthousiasme.
Ils se mirent en chemin tout en bavardant.
- Terry, ça s'est arrangé avec Marc ? demanda Rose.
Il opina.
- Je lui ai dit que j'étais en couple avec Derek. Et que j'étais très heureux avec lui.
Il grimaça.
- J'espère qu'il ne l'a pas trop mal pris.
- Bah, il s'en remettra, rassura Lisa.
- Oui. Il est gentil ce garçon. Pauvre Hannah, conclut Mandy en souriant.
Terry laissa échapper un rire amusé. Soudain Mandy lança :
- Bon, je crois que c'est plus qu'officiel entre Michael et Ginny.
Sa mine n'était pas aussi dépitée que ce que ses amis auraient cru.
- Comment tu te sens ? demanda toutefois Lisa.
- Je ne sais pas encore… ça fait mal, c'est sûr, mais je reste philosophe. Et puis, j'ai dit que je l'aimais, pas que je le voulais !
L'enthousiasme de Mandy fit sourire Rose avec douceur.
- Si jamais tu as besoin, continua Terry, tu sais que nous sommes là.
- Merci.
Ils marchèrent encore un peu, arrivant jusqu'à l'échoppe de Madame Pieddodu. Arrivés au bout de la route qu'ils connaissaient, ils firent volte-face.
- On passe devant Derviche et Bang ? proposa Terry. J'aime bien regarder leur vitrine.
Les filles opinèrent et leur ami se planta devant la vitre pour admirer tous les objets en exposition. Il en montra quelques-uns aux filles en faisant des commentaires.
Rose entendit du bruit qui venait de la gauche du magasin, aussi s'éloigna-t-elle un peu, curieuse de savoir ce qui se passait. La surprise lui coupa la parole.
- Rose.
Elle s'avança vers lui, croisa ses mains derrière son dos et resta plantée devant lui.
- Tu fais quoi ici ? demanda-t-elle.
- Je me promène.
- Tout seul ? fit-elle, soupçonneuse.
- Oui, tout seul, répliqua-t-il en souriant.
- Et pourquoi ?
- Tu es d'humeur taquine, on dirait, lança-t-il de sa voix grave.
Elle lui répondit par un sourire mutin.
- Tu n'as pas répondu.
- C'était pour être tranquille, mais apparemment c'est raté.
Rose perdit un peu de sa belle assurance.
- Oh… oh, je suis désolée, je ne voulais pas…
Il la fit taire en posant doucement son doigt sur la bouche de la Serdaigle.
- Tu ne me déranges pas, Rose.
Le contact de leurs peaux fut comme un électrochoc. Elle fit un pas en arrière, le visage blême.
Cicatrice.
Elle voulut lui esquisser un sourire mais ne parvint qu'à faire un rictus crispé. Elle voulut tourner les talons pour fuir, loin. Elle en fut empêchée par une main ferme.
- Attends.
Pétrifiée, elle ne fit plus un mouvement. Il la tira par le bras pour qu'elle lui fasse face. Elle baissa la tête, pour qu'il ne la voie plus.
- Pourquoi tu veux t'enfuir ? murmura-t-il, sur le même ton qu'en cours d'Astronomie.
Comme elle ne répondait pas, il se rapprocha d'elle et lui souleva le menton de sa main libre.
- Je ne comprends pas… explique-moi.
C'était définitif : sa voix s'était perdue en route.
- Je ne comprends pas pourquoi tu me fuis quand on se voit. Alors que nos lettres sont plutôt personnelles, non ? Je pensais que ça nous rapprocherait, ajouta-t-il, visiblement déçu.
Rose fuyait son regard pénétrant. Elle ne voulait pas qu'il voie sa peur. Sa peur qu'il ne se rende compte que son visage était défiguré, et qu'il arrête tout avec elle. Non. Pas ça.
Complètement paniquée, Rose ne se contrôla plus et ses yeux se remplirent de larmes.
Désarçonné, le Serpentard faillit la lâcher mais se reprit à temps. Il cherchait à comprendre ce qu'il n'allait pas quand ils se retrouvaient. Mais son amie n'était pas très coopérative. Il fronça les sourcils et allait parler lorsque…
- Rose ! T'es où ?
Ses amis la cherchaient. Il se résolut à la laisser filer, mais demanda une dernière chose.
- Regarde-moi. Je t'en prie.
Rose croisa brièvement son regard profond, sa vue brouillée par les larmes. Elle se sentait honteuse, apeurée et stupide. Il soupira puis lâcha le bras frêle.
La Serdaigle s'enfuit sans un autre regard. Il le regarda s'éloigner et vit le geste qu'elle faisait. Elle touchait son visage, d'une main un peu tremblante. Il comprit soudainement, et se fit la promesse de lui en parler – par lettre – dès que possible. Puis il se retourna et reprit sa balade.
Pendant ce temps, Rose avait séché ses quelques larmes et rejoignait ses amis.
- Mais tu étais où ? demanda Mandy d'un air angoissé.
- Désolée. J'ai cru entendre un chien là-bas, alors je voulais le voir.
- Et ?
- Et rien du tout, maugréa-t-elle. J'ai marché pour rien.
Terry se moqua gentiment.
- Tu sais si tu entends des bruits ou des voix, il ne faut surtout pas hésiter à en parler !
- Très drôle, répliqua-t-elle en souriant.
- Il est déjà seize heures, annonça Lisa en regardant l'horloge du village.
- On devrait rejoindre les autres au pub non ?
Mandy approuva. En chemin, ils retrouvèrent Anthony. Michael et Derek les attendaient déjà, assis à une table un peu isolée. Ils commandèrent tous des Bièraubeurres et discutèrent de leurs après-midi. Anthony leur apprit qu'il avait croisé Nassim et Idriss, qui eux cherchaient William. La fin de la journée s'étira au rythme de leurs conversations, jusqu'à ce qu'ils se décident à rentrer.
Le lundi, au petit-déjeuner, Rose reçut une lettre, qu'elle déplia pour la lire à table.
« Rose,
Tout d'abord, lorsque je parlais du vert que j'aime le plus, sache que je pensais à tes yeux.
Ensuite, et voici pourquoi je t'écris : que se passe-t-il ?
Plus précisément, que s'est-il passé samedi ?
Ton changement de comportement me déstabilise énormément. S'il y a un quelconque souci, je t'assure que tu peux m'en parler. Jamais je ne me moquerais de toi, ou quoi que ce soit dans ce goût. En fait, je suis plutôt inquiet.
J'ai peur d'avoir fait ou dit quelque chose qu'il ne fallait pas – si c'est le cas, je te prie de me pardonner –, tout en ayant l'impression que le malaise vient de toi.
Je ne veux vraiment pas te mettre encore plus mal à l'aise, mais j'ai eu l'impression que samedi, tu as passé la main sur ton visage quand tu es partie. Plus précisément, sur ta cicatrice.
Est-ce que c'est ça ? qui te paralyse quand on se voit ?
Réponds-moi vite si tu peux. Je m'inquiète.
Un Serpentard pas (trop) lâche. »
Rose resta un instant sans bouger, étonnée. Il avait bien deviné. En voyant les mots inscrits sur le parchemin, elle se disait que sa réaction avec sa cicatrice était parfaitement ridicule. Mais c'était plus fort qu'elle, sur le coup, elle paniquait et perdait tous ses moyens. Même si une partie d'elle se disait que la cicatrice ne paraissait pas le déranger, une autre, terrifiée, prenait le dessus dès qu'il s'approchait trop d'elle.
La Serdaigle se mordilla les lèvres. Il fallait qu'elle réfléchisse à sa réponse. Elle voulait être honnête sans paraitre mélodramatique.
Elle replia le parchemin et revint à la réalité, dans la Grande Salle. Pour l'instant, elle voulait penser à autre chose.
Derek lui lança un regard interrogateur auquel elle répondit par un petit sourire. Elle se resservait du thé lorsque William fit son apparition à côté d'elle.
- Salut Rose, lança-t-il avec son habituelle bonne humeur avant de saluer les autres.
- Bonjour ! ça va ce matin ?
- Bof. Comme un lundi matin quoi !
Elle se mit à rire.
- Tu es allée à Pré-au-Lard samedi ?
- Oui, on y est allés en groupe. On a profité du beau temps pour se promener, résuma-t-elle. Anthony nous a dit qu'il avait croisé Idriss et Nassim. Et ils te cherchaient, d'ailleurs.
Elle s'interrompit pour prendre un toast.
- Donc ils t'ont retrouvé ?
- Oui. Mais j'étais bien caché.
- Je suis sûre que tu étais chez Madame Pieddodu avec une de tes fans du Quidditch, le taquina-t-elle.
- Mince ! je suis découvert !
Rose éclata de rire et secoua la tête pour se concentrer sur son repas.
- Tu as quoi ce matin ? demanda-t-elle.
- Histoire de la Magie, maugréa-t-il.
- Je vois que tu adores ça ! Réjouis-toi, tu vas pouvoir faire une petite sieste !
- Tu parles, c'est mon tour de prendre des notes aujourd'hui.
Rose s'arrêta dans son élan et Lisa le regarda d'un air amusé.
- Ça alors ! On fait la même chose nous aussi !
William rit.
- Ça ne m'étonne pas ! Il faut bien trouver des parades à ce cours ennuyeux à mourir !
Mandy eut un léger rire.
- Bon, j'y vais, lança-t-il en regardant l'heure. Bonne journée !
- Toi aussi ! lancèrent-ils en chœur.
Lisa sifflota quelques secondes d'un air innocent. Lorsque Rose lui demande ce qu'elle avait, elle se contenta de faire :
- Hé hé hé.
- Quoi hé hé hé, marmonna son amie. Ça veut rien dire hé hé hé.
Lisa rit de la mine renfrognée de Rose et retourna à ses tartines. Derek, qui était particulièrement animal le matin, comprit que quelque chose ne tournait pas rond mais renonça à comprendre quoi que ce soit et retourna à son assiette, constamment pleine.
Rose repensa à la lettre avec un pincement au cœur.
Cela ne la quitta pas de la journée, et lorsque les cours furent terminés, elle s'isola dans le dortoir « pour faire une sieste rapide » avait-elle expliqué.
En réalité, elle voulait se concentrer sur la réponse à envoyer pour expliquer son attitude. Comme à son habitude, elle rédigea plusieurs brouillons. Elle ne voyait pas trop quoi dire et aucune de ses tentatives ne lui convenait. Rose ferma les yeux et se concentra. Inspirée, elle laissa sa plume courir sur le papier.
« Cher Serpentard courageux,
Je ne sais pas comment débuter ma lettre, à part en te remerciant de t'inquiéter pour moi, et en m'excusant.
Tu as vu juste : c'est bien ma cicatrice que je touchais. »
Rien d'écrire le mot, Rose en était fébrile. Elle secoua la tête, s'intimant l'ordre d'arrêter d'être ridicule.
« Malgré tous mes efforts, j'avoue que je ne suis pas complètement habituée à sa présence. Je me demande si ce sera un jour le cas. Surtout depuis que je sais pourquoi elle est là (cette histoire sera pour une autre fois…).
Je m'excuse de tout cœur de paniquer autant, et je t'assure que c'est complètement indépendant de ma volonté. J'aimerais ne pas me paralyser dès que tu es trop proche. Mais c'est plus fort que moi.
J'aimerais que tu ne puisses même pas poser les yeux dessus, même par accident. Je sais bien que c'est impossible.
C'est peut-être pour ça que je suis plus à l'aise à l'écrit : tu ne me vois pas.
Je voulais aussi te rassurer : bien sûr que nous nous sommes rapprochés !
J'aimerais qu'on puisse un jour discuter, côte à côte. Mais j'en suis incapable pour l'instant, pas sans avoir une sorte d'instinct de survie qui me dit de fuir.
J'espère que tu comprendras. Et que je n'ai pas été trop mélodramatique, j'essaie vraiment de ne pas en faire tout un plat, mais tu as raison, il fallait que je t'explique.
Si jamais tu préfères qu'on en reste là, je ne t'en voudrai pas. Je comprendrai.
Rose »
Elle soupira pour à peu près la millionième fois en quinze minutes. Elle partit accrocher sa lettre à la patte d'un hibou.
En revenant, elle se laissa tomber sur un canapé, carrément nerveuse. Lorsque Lisa lui demanda ce qui n'allait pas, elle répondit être toujours fatiguée.
Après le repas, Derek lui demanda de monter dans le dortoir avec lui ; il cherchait elle ne savait trop quoi et voulait un coup de main.
Elle le suivit docilement, s'attendant à voir les bagages ouverts. Mais non. Toute la chambre était rangée.
Le blond s'assit sur le lit et tapota le matelas. Comprenant, Rose se blottit contre lui. Il attendit qu'elle s'exprime.
Quelques instants passèrent. Puis elle lui déballa tout, les yeux dans les yeux. Lui, la panique, la cicatrice, ses fuites constantes, leurs lettres, son inquiétude à lui, son inquiétude à elle… à peu près tout en vrac. Les digues lâchèrent et les yeux de Rose débordèrent de larmes. Lovée contre Derek qui ne la lâchait pas, elle réussit à lui expliquer la peur panique paralysante lorsqu'il se trouvait trop près d'elle. La peur qu'il ne réalise qu'elle était marquée à vie et qu'il laisse tout tomber. Même si leur histoire n'était pas grand-chose.
Son ami la laissa s'épancher puis dit d'une voix douce :
- S'il avait pris peur Rose, il aurait tout arrêté depuis longtemps. Il ne t'aurait pas écrit de lettres.
- Tu crois ? renifla-t-elle finalement.
Il sourit.
- Oui, je crois. Il sait qu'il part dans une histoire compliquée, ne serait-ce qu'à cause de vos Maisons. Il ne devait pas s'attendre à cette difficulté-là, et pourtant il veut comprendre, il dit qu'il est inquiet.
Il caressait machinalement les boucles auburn de Rose.
- Il veut être avec toi, Rose. C'est comme ça. Je ne pense pas qu'il lâche l'affaire subitement.
- Oui mais… si jamais il dit qu'il ne veut pas comprendre ? fit-elle d'une petite voix.
- Ça m'étonnerait… mais dans le cas où ça se produirait, c'est qu'il a raté quelque chose. Et dans ce cas, on ira lui casser la gueule. D'accord ?
Rose esquissa un faible sourire et opina. Il caressa son visage avec douceur.
- Ça va un peu mieux ?
Elle réitéra son sourire et se redressa un peu. Elle frotta ses yeux pour sécher les dernières larmes.
- Merci.
- Mais c'est normal, répliqua Derek en souriant toujours.
Elle ouvrit les bras pour enlacer son meilleur ami. Ils restèrent quelques instants blottis comme ça, sans rien dire.
- Je peux te poser une question ?
- Vas-y.
- Tu as déjà dit « je t'aime » à Terry ?
Il parut surpris.
- Euh, non.
- Pourtant tu l'aimes, non ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.
Derek, prit de court, mis quelques secondes à répondre.
- Je crois… je crois que oui.
Rose sourit largement.
- Dis-le-moi. J'ai envie de te l'entendre dire.
Il secoua la tête face à la lubie de sa meilleure amie puis articula lentement.
- J'aime Terry.
Le sourire ravi de Rose lui fit chaud au cœur.
- Tu ne voudrais pas le lui dire maintenant ? à lui ?
Le visage de Derek prit soudainement des couleurs.
- Mais, euh, c'est trop tôt, et je…
- Teuteu. Si tu dis que tu l'aimes, ce n'est jamais trop tôt.
Vaincu, le blond sourit.
- Je vais y réfléchir.
Radieuse, Rose se détacha de lui. Ils échangèrent encore quelques mots avant de redescendre avec les autres.
- Vous avez trouvé ? demanda Lisa, qui n'était pas dupe.
- Oui, répondit Rose en souriant.
Lisa eut l'air soulagé. Rose lui raconterait tout plus tard, dans la chambre.
Derek lança des regards en biais à Terry toute la soirée, si bien que ce dernier finit par se demander ce qui n'allait pas. Mandy et Lisa remarquèrent leur petit manège, mais ne firent aucun commentaire.
Le mardi matin, Rose n'osa même pas regarder à la table des Serpentards pour voir l'effet qu'aurait sa lettre. De toute façon, elle n'aurait rien vu : son ami ne s'était pas risqué à l'ouvrir à table.
La Serdaigle passa un mardi un peu étrange ; elle semblait détachée de tout, comme si rien n'avait d'importance. En même temps, elle ne cessait de penser à sa lettre et à la réponse qu'elle devrait recevoir.
La journée passa vite et lentement à la fois. Rose prit soin d'éviter les couloirs fréquentés par les Serpentards, et resta concentrée sur son assiette aux repas. Elle rit aux plaisanteries de William, qui voyait bien qu'elle était ailleurs mais avait trop de tact pour le lui faire remarquer.
Mercredi matin, Rose ne fit pas attention à ce qu'elle mangeait. Elle attendait le courrier, même si elle ne voulait pas se l'avouer, comme toujours.
Et elle reçut une lettre. Elle la regarda fixement sans la toucher. Derek l'encouragea du regard. Enfin, Rose prit le mot, le tourna sans l'ouvrir.
Elle ne put s'empêcher de lever les yeux vers la table des Serpentard. Il ne la vit pas, parce qu'il était en grande conversation avec ses amis. Étrangement, c'est à ce moment-là que Rose se rendit compte que depuis le début de l'année, les quatrièmes de Serpentard étaient assis de telle manière à ce que lui soit toujours en face d'elle. Au bout de quelques mois, on prend vite des habitudes, et les Serdaigles étaient quasiment toujours aux mêmes places.
Elle ne put s'empêcher de sourire de sa découverte. Puis, enfin, elle ouvrit lentement le parchemin. Le mot était bref.
« Rose,
Ce soir, vers 21h. Seras-tu libre pour qu'on se rencontre ? Disons, dans l'ancienne salle de Sortilèges, au troisième.
Fais-moi juste un signe à ma table.
S'il te plait. »
Indécise, elle fit lire le mot à Derek, assis à sa gauche. Il lui pressa l'épaule pour l'encourager.
- Vas-y.
- Il va la voir. Et moi je vais paniquer.
- À 21 heures ? Il fera nuit, Rose. Alors vas-y.
Prenant son courage à deux mains, elle le chercha du regard à sa table. Il semblait l'attendre. Ses yeux profonds étaient déjà posés sur elle.
Lentement, Rose opina de la tête. Et au sourire du Serpentard, elle ne le regretta pas.
La journée s'écoula au compte-gouttes, mais pas pour les mêmes raisons que la veille. Rose fit absolument n'importe quoi en cours. Surtout en Botanique, un autre cours en commun avec les Serpentards. Comme elle ne voulait absolument pas croiser son regard, elle garda le nez baissé vers des plantes atroces qu'elle détestait. Elle éternua plusieurs fois, s'attirant les foudres de Madame Chourave qui ne voulait pas qu'on abime ses précieuses plantes.
- Comme si un simple éternuement pouvait faire crever des horreurs pareilles, maugréa-t-elle une fois la professeure éloignée.
Il lui sembla entendre un rire venir de la rangée d'en face, un rire qu'elle connaissait. Étonnée, elle releva tout de même la tête et vit vaguement une silhouette qu'elle connaissait aussi. Rose replongea directement la tête dans sa plante.
Enfin, la torture fut terminée.
Au diner, elle mangea à peine.
- Ouhlàlà, Rosinette a un rendez-vous ! plaisanta Terry.
- Mange, lui conseilla Lisa.
Elle grignota à peine sous la pression de son amie, puis fila au dortoir.
Est-ce qu'elle était censée garder son uniforme ? De toute façon, il ferait noir.
- Même s'il fait noir, décréta Mandy, sois bien habillée. Alors vire-moi cet uniforme.
Rose obtempéra et opta pour un jean simple et un joli pull noir à pois verts. Lisa lui fit une demi-queue de cheval pour qu'elle ait le visage dégagé. Enfin elle se brossa les dents.
- Tu te souviens où est la salle ? demanda Derek pour la douzième fois.
- Oui, répondit-elle pour la douzième fois.
Elle se mit en route, se faisant aussi discrète que possible au cas où un professeur ait la mauvaise idée de l'arrêter en si bon chemin.
Quand enfin elle trouva l'ancienne salle de classe, elle prit une grande inspiration, rajusta son pull et entra doucement.
La pièce était plongée dans le noir. Elle devait être la première.
- Tu es là ? demanda-t-elle quand même timidement, se sentant stupide de parler seule.
- Juste là, répondit-il à sa surprise. Ne bouge pas, j'arrive.
Il n'était pas loin, Rose put distinguer sa silhouette grâce à la lumière du couloir. Il poussa la porte et le noir fut de nouveau complet.
Désorientée, la Serdaigle n'osa plus bouger.
Et puis il était là, près d'elle. Il enroula sa main autour du bras fin, comme à Pré-au-Lard. Cette fois il n'exerçait aucune pression pour qu'elle reste avec lui.
- Tu m'expliques ? fit-elle enfin.
Sans rien dire, le grand Serpentard se pencha vers elle, très, très près. Leurs fronts se touchaient presque.
- Est-ce que tu as peur ? demanda-t-il gravement.
Ça ne lui avait même pas traversé l'esprit.
- Non, admit-elle. Pas du tout.
- On a trouvé une solution, murmura-t-il d'un ton soulagé.
Il se redressa légèrement. Rose, déconcertée et rassurée à la fois, ne savait plus comment réagir, ni quoi faire. Heureusement, il décida pour elle.
- Viens. Il y a un canapé, là-bas.
Cela arracha un sourire à la jeune fille.
- C'est ici que tu emmènes toutes tes conquêtes ? demanda-t-elle d'un ton amusé.
Il la fit asseoir sans répondre. Le divan s'affaissa un peu sous le poids du Serpentard qui s'installait à son tour.
- Non. Seulement les filles à qui je fais peur.
Elle eut un rire léger. Puis reprit plus sérieusement.
- Ce n'est pas toi qui me fais peur, tu sais. C'est l'idée que… que…
- Que je puisse te mépriser et fuir parce que tu n'es pas parfaite ?
- Voilà, murmura-t-elle, gênée.
- Tu sais Rose, si j'avais tout de suite été ennuyé par ta cicatrice, je n'aurais pas tenté de t'approcher.
Elle ne répondit rien, entortilla seulement ses doigts. Enfin, comme il ne disait rien, elle osa lancer :
- J'ai tellement peur… que tu sois dégoûté par ça… que tu te rendes compte soudainement que c'est moche.
Elle le sentit se tourner vers elle.
- Tu sais ce que je vois en premier quand je te regarde, Rose ?
- Elle ?
- Non. Justement, c'est là que tu te trompes. La première chose que je vois, ce sont tes yeux. Tes yeux verts qui brillent.
Il bougea un peu.
- Plus tard, je vois la cicatrice. Elle est là, et voilà. C'est tout. Je n'ai aucun dégoût, aucune haine envers elle. Elle fait partie de toi. Alors soit je prends tout de Rose, soit je ne prends rien.
Présentement, en plus de boire ses paroles et d'y voir une lueur d'espoir, Rose avait une furieuse envie de se coller à lui. Mais elle ne voulait pas le couper dans son élan. Et elle n'oserait jamais.
- J'ai décidé de tout prendre, Rose. Les yeux, les cheveux, la cicatrice et l'égo surdimensionné. Tout.
Elle sourit malgré elle.
- Dis-moi que tu souris.
Instinctivement, elle lui attrapa la main à tâtons pour la porter à ses lèvres. Il se laissa faire, puis comprit : elle lui faisait sentir son sourire. Il passa ses doigts sur la peau, de droite à gauche. Lorsqu'il s'approcha trop de la cicatrice, Rose interrompit son mouvement.
Elle avait des frissons sur tout le corps et aucune envie qu'ils disparaissent pour laisser place à la peur.
Le Serpentard laissa son index posé sur les lèvres douces, puis finalement passa son pouce dessus. Il se rapprocha d'elle, lentement. Le canapé émit un grincement sonore, et une porte claqua au loin. Rose sursauta malgré elle et son ami s'éloigna d'elle. Il se racla la gorge.
- On… devrait y aller, suggéra-t-il de sa belle voix, encore plus rauque que d'habitude.
- Oui… d'accord, accepta Rose, sur une autre planète jusque-là.
Il se leva et l'entraina avec lui, pour la mener vers la porte.
- Je vais sortir d'abord, pour m'assurer qu'il n'y ait personne. Tu pourras sortir d'ici une minute. Ça te va ?
- Très bien. À demain ?
- On se voit en Astronomie.
- D'accord, fit-elle, un peu déçue malgré tout.
Il sembla hésiter avant de sortir, mais finalement se pencha vers elle et lui fit un baiser, très doux, juste sur la joue. Le Serpentard s'éclipsa rapidement.
Abasourdie par tant d'émotions, Rose resta bien plus qu'une minute dans la pièce noire avant de se décider à sortir pour rejoindre sa Salle Commune.
Une fois rentrée, tout ce qu'elle put dire à ses amis qui l'attendaient avec impatience se résuma à peu près à « Krrssshprftr ». Mais elle leur fit un sourire ravi et rassurant, puis monta dans son dortoir. Elle enfila son pyjama et se laissa tomber sur son lit, les bras en croix. Heureuse.
Le lendemain, en cours d'Astronomie, Derek ne manqua pas de remarquer que Rose avait inhabituellement pris soin de sa tenue et que ses cheveux étaient parfaitement ordonnés, bien qu'il soit minuit passé. Il lui fit un sourire un peu moqueur, auquel elle répondit en tirant la langue.
Encore une fois, les étoiles l'ennuyèrent au plus haut point.
Enfin.
- Bonsoir, commença-t-il.
Elle le salua à son tour, sans se détourner de son télescope.
- Jolie coiffure, commenta le Serpentard en l'examinant.
- Merci.
Ses pommettes la chauffaient déjà. Elle repensait à la veille au soir et ne savait pas trop quoi dire. À part peut-être « donne-moi un autre baiser », mais elle n'était pas sûre que ce fût très subtil.
- Je peux te poser une question ? continua la voix grave.
- Oui.
- Le type avec qui tu parles souvent…
Elle fronça les sourcils en le regardant en biais, redescendue sur terre.
- Le brun baraqué, précisa-t-il.
- William, répondit-elle du tac au tac.
- Tu le connais depuis longtemps ? demanda-t-il nonchalamment.
- Non. En fait, il a aidé mes amis à se battre contre les Poufsouffles, l'autre fois.
- Et vous êtes tous devenus amis ?
- Ben oui. Quand on est revenus dans la Salle Commune, on a joué les infirmiers pour les aider.
- Avec eux ? interrogea le jeune homme.
- On n'allait pas les laisser tout seuls dans leur coin quand même, se justifia Rose.
Il eut un rictus étrange. Puis Rose secoua la tête.
- Pourquoi tu me demandes tout ça ?
- Pour savoir… j'avais cru remarquer que vous vous parliez.
- William est sympa. Il m'a appris plein de choses à propos du programme de cinquième.
Son ami contracta les mâchoires sans faire de commentaire. Elle suivit des yeux sa pomme d'Adam qui descendit et remonta, avant qu'il ne dise :
- Ça te dit qu'on refasse comme hier soir, un de ces quatre ?
Elle le considéra un instant puis sourit.
- D'accord.
La professeure Sinistra passant près d'eux, ils se remirent chacun à leurs observations nocturnes.
Le mercredi suivant, à la fin des cours, William et ses amis rejoignirent les quatrièmes années. Ils discutèrent devant la salle de classe, riant et s'exclamant. Adossée contre le mur, Rose écoutait les aventures de l'après-midi des cinquièmes, racontées avec brio par William. Il lui imita les expressions qu'avait adoptées tour à tour le professeur Flitwick à cause des Serdaigles, déchainés cet après-midi. Il lui avoua qu'il était l'instigateur de ces débordements, et qu'au final, la salle de cours ressemblait à un champ de bataille. Puis revers de la médaille, William était collé pour les trois samedis soir à venir.
- Mais je t'assure que ça valait le coup ! ajouta-t-il.
Le jeune homme appuya son épaule contre les briques, tout près de Rose. Il continuait de papoter, faisant rire son amie.
Il toucha machinalement une tache d'entre sur le bras de Rose, lui demandant comment elle était arrivée là.
Soudain, William fut poussé et plaqué avec violence contre le mur. Deux grandes mains l'y tenaient fortement, et pris par surprise, William n'eut pas le temps de réagir quand un poing droit se leva pour venir le frapper. Heureusement, les yeux du Serpentard croisèrent ceux de Rose. Elle lui lançait un regard d'incompréhension totale.
Le temps sembla se suspendre, et ils eurent une conversation muette :
- Mais qu'est-ce que tu fais ?!
- Il t'a touchée !
- Arrête ! Comment tu vas expliquer ça ? Tu vas tout gâcher !
Rose secoua la tête, désespérée. Il s'arrêta brutalement et réfléchit à toute vitesse, et tout en baissant son poing, ouvrit la bouche.
- Ne t'avise plus jamais de toucher à une Sang-Pur avec tes sales mains, espèce de Sang-de-Bourbe !
Il lâcha ces insultes avec un air de profond dégoût, de haine vertigineuse. William se laissa glisser à terre, à bout de souffle, écœuré.
Aucun des trois n'avait entendu McGonagall arriver.
- J'enlève cinquante points à Serpentard ! hurla la professeure, hors d'elle. Et vous, suivez-moi dans le bureau du professeur Rogue, Zabini !
