CHAPITRE 4

Journal de bord de Lauren Wayne

Vendredi 16 juin 1978

Mon collègue Armand Dieterich m'a parlé d'une patiente qui a été admise l'an dernier dans son hôpital de Berlin. Il a pu me transmettre son dossier médical, que je joins à ce journal. Il estime que ça a un lien avec mon nouveau projet de recherche.

Il m'a aussi invitée à venir voir la malade quand je le souhaitais.

Vendredi 28 juillet 1978

Je reviens de Berlin, où la patiente vient de décéder.

J'y ai passé plus d'un mois à examiner son état, l'évolution de sa maladie. Toutes mes notes consignées sont jointes à ce journal.

Mais plus important, je suis parvenue à isoler des souches du virus, que j'ai rapportés sous haute surveillance avec moi. Sans l'appui du Professeur Wilbius, je n'y serais pas arrivée.

Dès demain, mon équipe et moi commencerons des examens dans mon laboratoire personnel, afin de pouvoir étudier le germe.

Jeudi 5 octobre 1978

Début des expériences prévu pour 9h. Notre premier sujet s'appelle Black. Nous allons lui injecter le virus et voir comme il réagit.

Jeudi 20 octobre 1978.

Black va bien. Afin de compléter nos recherches, nous avons également infecté Blue, Red et Green. Eux aussi ont bien réagi à la présence du virus.

Nous sommes pour l'instant loin de l'horreur de la patiente de Berlin.

Mercredi 22 novembre 1978

Le virus a enfin agi. Black est devenu fou, l'espace d'un quart d'heure. Il s'est ensuite évanoui, à bout de forces. Nous commençons à élaborer des traitements susceptibles d'éliminer le virus.

Nous n'allons rien donner de plus à Black, pas d'essais de traitements. Il faut que nous voyions de nous-même l'évolution complète du virus.

Mardi 5 décembre 1978

Les traitements que nous administrons à Blue, Red et Green sont sans effet.

Black a toujours de spectaculaires crises, à la fin desquelles il s'évanouit. Son comportement a l'air de changer un peu. Il devient plus agressif.

Jeudi 4 janvier 1979

Black est mort. Il a fait cinq crises puis a succombé à sa sixième. Il n'a pourtant pas eu le temps d'atteindre le stade 3 de la maladie, basé d'après l'état de la patiente de Berlin à sa mort.

Les autres cobayes se portent mieux, et leurs crises ont commencé.

Nous multiplions les efforts concernant les traitements.

Mercredi 7 février 1979

Les nouvelles expériences n'ont rien donné.

Depuis plusieurs semaines, nous avons mis en place un traitement régulier, administré jour après jour.

Jeudi 22 février 1979

Échec de la méthode 2. Le cobaye appelé Blue est mort précisément 3 heures 37 après une nouvelle tentative de traitement.

Demain : essai de l'alternative proposée par le Pr Wilbius.

Samedi 24 février 1979

Le sujet 3, Red, agonise depuis plusieurs heures.

Le traitement proposé par le Pr Wilbius semble inefficace.

Mardi 27 février 1979

Après la mort de Red, Green est notre nouveau sujet. Son organisme semble réagir positivement au traitement numéro 4.

Cela fait 4 heures qu'il est réveillé, sans développer d'apparents effets secondaires.

À voir sur le long terme.

Lundi 5 mars 1979

Green est mort ce matin à 9h56. Il aura tenu 5 jours, 21 heures et 56 minutes. Il a souffert plus longtemps que ces prédécesseurs. J'en déduis que le fait de tenter de soigner la maladie ne fait qu'empirer la gravité du virus.

Mercredi 7 mars 1979

Différents tests, relatés dans le journal de mon assistant, ont échoué. Entre hier et aujourd'hui, six cobayes ont péri.

Ce virus est de loin le plus agressif que nous n'ayons jamais. Il n'est pas contagieux. À ce jour, il n'existe aucun traitement capable de le guérir.

Samedi 24 mars 1979

Voici le premier article publié à propos du virus, dans la revue scientifique Atomes Crochus :

« Un virus mystérieux donne du fil à retordre à nos scientifiques

Depuis plus années déjà, la professeure Lauren Wayne et son équipe se penchent sur les nouveaux virus et maladies qui se développent dans notre monde magique. Ils ont toujours été en mesure de développer des antidotes, ou des traitements efficaces afin de rendre la vie des malades plus facile, voire de les soigner complètement.

Cependant, cela fait quelques mois que ces scientifiques se heurtent à un cas exceptionnel : un nouveau virus mystérieux, réticent à livrer tous ses secrets.

« Il est pour l'instant impossible d'en déterminer l'origine », explique la Pre Wayne, « mais nous savons qu'il n'est pas contagieux. Il n'y a aucun risque d'épidémie. » D'après les conclusions que les experts ont bien voulu nous révéler, nous pouvons dire que ce virus est très rare mais très nocif : il a détruit en quelques mois les organismes des cobayes utilisés pour les expériences (des rats non magiques). Cela correspondrait, toujours d'après les scientifiques, à plusieurs années pour un sorcier. Le processus serait donc plus long, mais le résultat resterait le même : la mort. »

Ce qu'ils disent est la pure vérité, bien sûr. J'ai donné mon aval pour ce papier.

Lundi 14 mai 1979

Le professeur Wilbius m'a demandé d'arrêter mes recherches pour le moment. Je suis enceinte. Mais je n'abandonne pas. Je trouverai. »

13 mai 1980

La jeune femme entra doucement dans la pièce. Elle s'avança vers le bureau en bois, puis posa un lourd dossier face à la femme assise dans son fauteuil. Très droite, presque raide, elle annonça :

- J'ai presque trouvé. Tu dois déjà le savoir, je suppose.

Son interlocutrice se contenta d'acquiescer.

- Je vais partir. Voici toutes mes notes. Je te les laisse. J'estime que tu en feras un meilleur usage que ces abrutis de la Ligue Scientifique. Ne serait-ce que pour les archiver et les conserver. Je n'en ai plus besoin. Je les connais par cœur.

- Je vois qu'il est inutile d'essayer de te dissuader, Lauren.

- En effet. Ma décision est prise.

- Et Rose ?

- Je refuse de la laisser mourir sans rien faire.

L'infirmière l'observa attentivement.

- Cela peut prendre des années. Peut-être même que lorsque j'aurai trouvé un traitement, si je trouve, il sera trop tard. Mais rester ici me handicape. Tu le sais, Poppy, nous en avons déjà discuté.

Elle eut un sourire triste.

- Je n'ai pas envie de la laisser. Ni de laisser mon mari. Erwan sera détruit…

Son visage se raffermit.

- Mais j'ai une chance de la sauver de ça, alors il est inutile d'hésiter.

- Et si elle n'en était jamais affectée ?

- Quatre-vingts pourcents de risques, Poppy ! C'est bien trop pour que j'arrête mes recherches. Et si ma fille grandit comme tous les enfants, tant mieux.

Elle prit une brève inspiration.

- Je ne le regretterai pas.

Sa vieille amie et mentor hocha lentement la tête.

- Je vais garder précieusement tes notes, Lauren. Pour le jour où tu viendras les récupérer.

La jeune mère hocha la tête, puis se dirigea vers la porte. Elle s'arrêta avant de sortir et murmura :

- Prends soin d'elle. Quand elle sera là.

Puis elle disparut, laissant Poppy Pomfresh seule avec un dossier lourd, trop lourd à porter pour une jeune mère.

Mercredi 19 avril 1995, couloir de Poudlard

Rose était plaquée au mur, figée.

William se remettait péniblement debout.

Malefoy suivait la scène, un sourire aux lèvres.

Blaise Zabini suivait la professeure McGonagall, la tête haute.

Les Serdaigles hésitaient sur la marche à suivre.

La tension était à son comble. L'élève et l'enseignante s'éloignaient du lieu de l'altercation, quand un cri retentit. Strident, long, plaintif, il brisa le silence comme on casse un vase en le lançant à terre.

Les genoux de Rose cédèrent, elle s'effondra sur le sol. Les convulsions commencèrent aussitôt, violentes.

Sans réfléchir, Blaise avait fait volte-face et s'était précipité vers la Serdaigle, au-dessus de laquelle Derek se penchait déjà.

D'instinct, le blond prit les commandes.

- Attrape-lui les mains ! Je tiens sa tête.

À califourchon sur elle, le Serpentard plaquait ses bras au sol, tout en maintenant ses jambes. Derek, à genoux, glissa ses mains derrière la tête de Rose, tentait de la tourner doucement.

- Il ne faut pas qu'elle avale sa langue.

Il parlait plus pour lui-même qu'autre chose.

Rose, elle, n'était plus consciente de ce qui se passait. Une voix hurlait en elle, une voix de nouveau-né, une voix terrifiante.

Elle ne ressentait pas la douleur, ne voyait pas ses membres s'agiter, ne sentait pas le sang qui coulait déjà de sa bouche. Rose n'entendait que la voix. Maintenant c'était un rire, suraigu, cruel. Puis des sanglots, terribles, sa poitrine se souleva, ses yeux roulèrent dans leurs orbites.

Rose voyait des images, des couleurs, tout se brouillait. Elle gémit.

Un monstre sanguinaire, couvert de sang.

Une femme encapuchonnée, meurtrière, hilare.

Un lit de dentelle noire, où gisait un corps blafard, un corps sans vie.

Des taches de couleurs l'envahirent, du rouge, du noir, du blanc. Puis le feu.

Ça brulait. Ses organes se consumaient, l'un après l'autre, après ce seraient ses os, sa peau, et elle allait mourir.

Un autre cri plus puissant s'échappa de la gorge de Rose. Un cri d'enfant, terrorisé et terrorisant, aigu, glacé, mortel. La voix d'outre-tombe se muait en un rire hystérique, enchainait avec de nouveaux sanglots, et le hurlement reprenait, sorti de nulle part.

Le corps de Rose s'agitait sans qu'elle ne puisse rien contrôler. Ses muscles se contractaient et se détendaient à l'infini, avec une force surhumaine.

Un borborygme sembla sortir de la gorge de la jeune fille. Le cri parut s'atténuer, la respiration restait haletante.

Derek vit les yeux écarquillés se remplir d'une fumée noire, opaque.

Trois couleurs.

Blanc comme son visage.

Noir comme ses yeux.

Rouge comme le sang qui coulait de sa bouche, étrangement épais.

Elle se figea soudainement.

- Tuer…

La voix, cette horrible voix, qui revenait, qui s'exprimait.

Ça reprenait.

- Tuer…

Une voix éraillée, comme tue depuis trop longtemps. Les cordes vocales de Rose n'avaient pas bougé.

Le liquide rouge surgissait toujours, se noyant dans le cou d'albâtre.

Un long râle déchira l'air, quelque chose de si sombre, de si froid. On aurait dit que Rose avalait des morceaux de verre. Le petit rire aigu se pointa de nouveau, puis disparut, enseveli sous une nouvelle plainte, démoniaque, horrible, où douleur et jouissance semblaient se mêler.

Derek et Blaise étaient terrorisés, par le noir des yeux, par la puissance des muscles contractés, par le sang qui ruisselait, et par ce hurlement sans fin.

Puis Rose parut suffoquer. Du sang débordait de sa bouche et l'empêchait de respirer. Vivement, les garçons la tournèrent sur le flanc. Le liquide sirupeux se répandit sur le sol, tache brillante sur le dallage de pierre. La Serdaigle, prise de crampes, fit crisser ses ongles sur la pierre. Sa cicatrice était rose vif à présent, son teint cireux et ses yeux, redevenus verts, s'injectaient de sang.

Derek prit les mains aux doigts éraflés, murmura quelques paroles d'apaisement. Le blond tremblait, épuisé, inquiet et terrifié.

La respiration de Rose se calma, et elle souffla, la voix éraillée :

- Derek… Blaise…

Puis elle s'évanouit.

Déconcertés, les deux garçons ne bougèrent pas pendant un instant. Ces quelques secondes suffirent à Madame Pomfresh pour intervenir.

- Messieurs, écartez-vous.

La voix était calme. Elle se pencha vers l'élève inconsciente. Puis elle l'emmena à l'infirmerie en la faisant léviter dans un brancard, après avoir intimé à Derek de la suivre.

Visiblement soulagé, le grand blond la suivit, ne lâchant pas Rose du regard.

Sans un mot, ils entrèrent dans l'infirmerie et Rose fut installée sur un lit. Madame Pomfresh commença son examen et se tourna brièvement vers Derek.

- Encore une crise n'est-ce pas ?

- Oui.

- Je ne pensais pas que c'en était déjà là, soupira-t-elle pour elle-même.

- Pardon ?

Derek semblait interloqué mais elle ne répondit pas. Elle ferma les rideaux et disparut quelques minutes.

- Cette crise était très violente. Mais elle survivra, déclara-t-elle en sortant.

Elle s'écarta, sa baguette toujours en main, l'air préoccupé. Derek se précipita sur son amie.

Elle était recouverte d'un drap, jusqu'au menton. Tout le sang avait disparu. Si sa poitrine ne s'était pas soulevée régulièrement, on aurait pu la croire morte tant elle était pâle.

Le professeur Flitwick était arrivé et se tenait au pied du lit, regardant Derek passer ses doigts sur le visage de Rose avec une infinie douceur. Il prit la parole.

- J'ai renvoyé tous vos camarades dans votre Salle Commune. Le jeune Serpentard qui était avec vous…

- Zabini.

- Est dans le bureau de son Directeur de Maison pour répondre de ses inacceptables insultes. Poppy, voici Monsieur Van Alten qui vient pour son poignet, dit-il enfin en se tournant vers l'infirmière.

Madame Pomfresh hocha la tête et se dirigea vers William, qui s'arrêta au niveau du lit de Rose, lui jetant un regard mêlant peur et inquiétude.

- Comment va-t-elle ? demanda-t-il.

- Plutôt mal, lança Derek. Mais ça ira.

L'ainé hocha la tête et suivit l'infirmière.

- Monsieur Dent, commença son professeur.

- Je reste ici, coupa-t-il.

Le Serdaigle approcha une chaise, s'installa en croisant les bras et lança à Flitwick un regard profond.

- Collez-moi si vous voulez, mais je ne bougerai pas.

- On ne peut pas faire plus clair, concéda-t-il avec un demi sourire, tournant les talons pour se diriger de nouveau vers Madame Pomfresh.

Derek veilla Rose tout l'après-midi. À la fin de leurs cours, leurs amis passèrent la voir. Ils restèrent une bonne demi-heure.

- Qu'est-ce qui lui arrive au juste ? chuchota Lisa, inquiète.

Anthony l'enlaça.

- Ça ira, rassura-t-il. Ça ira.

- Si seulement on savait ce qui la met dans cet état, ajouta Michael.

Terry changea de sujet, pour détourner leur attention.

- Qu'est-ce qui s'est passé avec Zabini ?

Mandy eut un regard terrible.

- Ce Véracrasse puant ! fulmina-t-elle.

Elle serra les poings.

- Qu'il reste chez lui ! J'espère qu'il sera renvoyé.

Lisa l'approuva vigoureusement.

- Pourquoi il a dit ça ? C'est même pas un Sang-Pur, reprit la blonde.

- Va savoir. Personne ne sait qui est son père à ce type-là, lança Derek méchamment.

Lisa regardait Rose.

- Je suppose qu'elle, elle aura une explication… elle doit savoir pourquoi Zabini a fait ça.

- C'est pourtant évident, murmura Terry pour lui-même.

- Allez, tout le monde dehors ! Laissez-la respirer un peu !

Madame Pomfresh avait surgi de nulle part, faisant sursauter tous les Serdaigles.

- L'heure des visites est terminée. Je ne veux plus vous voir aujourd'hui.

Son était inflexible, et après un dernier regard à leur amie, les sept élèves regagnèrent leur Salle Commune. Une fois l'infirmerie vide, une silhouette se glissa hors du bureau et rejoignit Madame Pomfresh au pied du lit de Rose. L'homme posa ses mains sur le cadre du lit et serra les doigts sur le métal froid.

- Merci de me laisser la voir, dit-il, sa voix à peine plus haute qu'un murmure. En dehors des heures de visite, ajouta-t-il avec la trace d'un sourire.

- C'est normal. C'est votre fille.

L'infirmière n'avait pas l'intention de partir mais elle restait en retrait, les observant tous les deux. Erwan Wayne ne lâchait pas sa fille du regard, une expression peinée et terrifiée sur le visage. Elle avait l'air si petite, si fragile au milieu des draps blancs. Sa fougueuse fille, terrassée par une maladie si horrible qu'elle avait fait fuir sa mère. Erwan déglutit et s'essuya les paupières. Il ne disait rien, car il savait qu'il n'y avait rien à dire : pas d'explications médicales, pas de remède, rien. Juste l'attente.

Rose remua un peu, ses paupières frémirent. Son père se tendit vers elle, penché, les yeux écarquillés. Madame Pomfresh vint se poster aux côtés de la malade, prête à agir, attrapant son poignet pour tâter le pouls.

Rose prit une longue inspiration, entrouvrit à peine un œil, et vit la grande silhouette au pied du lit.

Elle murmura « Père… » avant de sombrer à nouveau.

Désespéré, son père se tourna vers l'infirmière, à la recherche de réponses.

- C'est bien, assura-t-elle. C'est bon signe. Maintenant il faut qu'elle se remette. Comme cet été.

Il opina et reposa les yeux sur son enfant.

- Filius m'a raconté la crise, rapportée par un autre étudiant. Si ce qu'il a dit est vrai, c'est la pire qu'elle ait jamais eu.

- C'est ce que j'ai compris aussi, répondit-elle d'une voix douce.

Il secoua la tête, toujours cramponné au cadre du lit.

Madame Pomfresh lissa machinalement les draps de Rose, se redressa et laissa le père et la fille seuls, après avoir assuré Erwan qu'il pouvait rester autant qu'il le souhaitait.

Lorsqu'elle revint faire une ronde dans la nuit, Erwan avait disparu.

Rose resta inconsciente deux jours complets. Deux jours qui suffirent à l'intégralité des Serdaigles pour organiser un boycott total des Serpentards. Les tensions étaient à leur maximum, et la trêve établie pour le Tournoi des Trois Sorciers semblait sur le point de voler en éclats.

Bien sûr, les Serdaigles n'étaient pas violents, et surtout suffisamment intelligents et maîtres d'eux-mêmes pour ne pas déclencher une bagarre dans les couloirs.

Heureusement pour lui, Blaise Zabini ne croisa le chemin de personne durant cette période. D'ailleurs, ses camarades de maison ne le virent que très peu.

Sans avoir été renvoyé, il avait été suspendu de cours pour cinq jours et en retenue tous les mardis soir jusqu'à la fin de l'année. Son entrevue avec le Professeur Rogue et la Professeure McGonagall avait été longue. Le jeune homme n'était pas loquace et ne voulait pas expliquer les véritables raisons de son geste, et surtout celles des insultes lancées à William – qui se révélèrent fausses car les deux parents de William étaient sorciers.

Pour l'heure, le Serpentard avait attendu que tout Poudlard soit en cours, et il s'était échappé de son dortoir. Direction : l'infirmerie.

Il avançait vite, évitant la Bibliothèque et la plupart des salles de cours, ne voulant rencontrer personne. Enfin arrivé, il se faufila dans la grande salle. Il repéra immédiatement où était Rose : son lit était entouré de rideaux fermés.

Blaise s'approcha sans bruit, lançant de furtifs regards autour de lui. Écartant l'étoffe blanche du bout des doigts, il se glissa dans l'espace isolé où Rose reposait.

Elle était là, couchée sur le côté, endormie. Comme depuis sa crise.

Des cheveux emmêlés lui cachaient le visage, sa respiration semblait régulière. Il s'avança encore un peu, se pencha vers elle. Il tendit la main pour repousser les boucles. Sa cicatrice était redevenue blanche, mais son teint restait blafard.

Avisant une chaise, Blaise s'installa en face de la malade. Il avait tant de choses à lui dire, mais rien qu'à l'idée de parler tout seul, il se sentait idiot.

Alors il se contenta d'observer son corps recroquevillé, la main blanche serrée autour du drap, la chevelure étalée, les paupières closes et frémissantes…

Frémissantes ?!

Blaise se pencha un peu plus, pour voir de plus près. Son visage était à quelques centimètres de celui de la jeune fille.

Lorsque Rose parvint à ouvrir les yeux, d'abord, tout ce qu'elle vit fut une grande tache floue. Ensuite, elle distingua un visage. Qu'elle connaissait. Elle voulut parler mais rien ne sortit de sa gorge.

- Bonjour, Rose.

Au son de la voix familière, ses yeux s'embuèrent. Elle avait survécu.

Elle put esquisser un faible sourire. Ses doigts bougèrent un peu, et Blaise lui prit la main, sans vraiment y penser.

Après quelques secondes supplémentaires, Rose détendit son corps et s'étira doucement, muscle après muscle, comme pour vérifier si tout fonctionnait correctement.

- Tu es entière, la rassura-t-il en souriant.

Elle se racla la gorge, puis murmura d'une voix rauque :

- Quel jour…

- On est vendredi. Ça fait deux jours que tu dors.

Il la vit froncer les sourcils.

- Tu veux quelque chose ?

- L'eau ?

- Je vais t'en chercher.

Il lâcha sa main et se leva, disparaissant de la vue de Rose. En l'attendant, elle se tourna sur le dos, prudemment, et s'étira de nouveau, puis porta ses doigts sur son visage. Elle l'inspecta, toucha sa cicatrice, tout en remettant ses pensées dans l'ordre. Ses membres étaient tout engourdis.

William… l'arrivée de Blaise… la crise… le trou noir. Elle se souvenait pourtant de chaque détail de l'horrible moment. La douleur, le sang, les cris, et cette voix qui n'était pas la sienne…

Combien de personnes y avaient assisté ? Beaucoup trop, pensa-t-elle.

Elle déglutit, puis entreprit de se redresser un peu sur les oreillers. Elle considéra la pièce, tout du moins ce qu'elle en voyait : les rideaux, le plafond, son lit, la chaise d'un côté, la petite table de l'autre.

Le tissu frémit, puis Blaise apparut, un gobelet d'eau à la main. Il se réinstalla sur la chaise, tendit le verre à Rose qui le remercia du regard.

Le contact du liquide froid sur ses lèvres desséchées lui fit du bien.

Le Serpentard l'observa faire sans rien dire. Il attendit qu'elle ait reposé le récipient vide sur la tablette pour parler.

- Comment tu te sens ?

Elle se racla la gorge, enfonça sa tête dans l'oreiller.

- Pâteuse. Comme toujours.

- Est-ce que tu te… souviens ? demanda-t-il, un peu gêné.

- Oui. De tout.

Elle soupira.

- Enfin, de tout ce que j'ai vu pendant ma crise. Ce que personne n'a pu voir. Et qu'est-ce qui s'est passé, pour vous ?

- Tu as hurlé. Alors j'ai fait demi-tour, et ton ami…

- Lequel ?

- Le grand blond qui me déteste.

- Derek.

- C'est ça, lui… on te tenait tous les deux. Moi les jambes et les bras, lui ta tête. Tu criais, avec une voix bizarre. On t'a retournée, tu crachais du sang… puis tu as fini par t'évanouir. Ah, et ça a commencé avec des convulsions. Et tu étais brûlante.

- Et après ?

- Madame Pomfresh est arrivée. Elle t'a amenée ici.

Elle voulut hocher la tête, mais tout se mit à tourner. Elle reprit ses esprits, puis le fixa avec douceur.

- Merci.

Rose laissa son regard dériver, et esquissa un nouveau sourire.

- Et toi ? qu'est-ce qui t'est passé par la tête pour sortir un truc pareil à William ?

Il eut un air dépité.

- C'est la première chose qui m'est venu à l'esprit. J'ai pas trop réfléchi.

- Décidément, c'est une habitude chez toi, se moqua-t-elle.

- Ravi de voir que tu te remets si vite, bougonna-t-il.

Elle lâcha un rire bref et rauque.

- Et après ? Tu n'as pas été renvoyé.

- Je suis exclu pendant cinq jours, reclus dans le dortoir. Et collé tous les mardis soirs.

- C'est pas cher payé.

Blaise lui lança un regard outré qui la fit rire de nouveau. Elle lui tendit la main, il serra ses doigts avec douceur.

- Ne refais plus jamais ça, chuchota-t-elle.

Il grimaça.

- Je ne te promets rien.

Perdue, elle haussa un sourcil, mais il ajouta vivement :

- Tu crois que les deux sont liés ?

- Émotions et crise ? Certaine. Trop d'un coup et paf !

- C'est ma faute alors, conclut-il gravement.

- Ce n'est pas ta faute si je suis malade.

Elle lui sourit.

- Si je dis que c'est ta faute, tu feras tout ce que je voudrai pour te faire pardonner ?

Il rit à son tour.

- N'abuse pas de ma gentillesse, fourbe.

- J'aurai essayé, soupira-t-elle. J'imagine que tout ça n'a pas été sans conséquence dans l'école… Raconte.

Il se redressa sur sa chaise.

- Les Serdaigles détestent tous les Serpentards. Il n'y a eu aucune bagarre à ce que je sache, mais il ne faudrait pas grand-chose pour que ça éclate.

Rose réfléchit un instant.

- Excuse-toi.

- Pardon ?

- Oui, comme ça, mais pas auprès de moi, dit-elle en souriant. Auprès de William. Excuse-toi.

- Bien sûr. Tu veux que je me livre en pâture aux Serdaigles ? Vous n'êtes pas violents mais je vais éviter d'agiter le chiffon rouge sous le nez de l'Éruptif.

- Mais non.

- De toute façon, poursuivit-il, ils ne pardonneraient jamais ce que j'ai dit. Et je n'ai pas envie de me faire casser la figure.

- Comment, toi, tu aurais peur de deux-trois intellos ? railla-t-elle. Les Serdaigles sont intelligents tu sais. Du moins ceux que je connais. Ils ne souhaitent que leur réussite scolaire et la paix dans l'école. Fournis-leur une bonne explication et le calme reviendra.

Blaise ne paraissait pas vraiment convaincu.

- Je sais ! Fais ça ici. Dans une infirmerie, avec une pauvre malade sans défense à vos côtés, vous ne vous battriez pas, n'est-ce pas ?

Il la considéra longuement.

- Ça peut se faire. Et je raconte quoi ?

- Que tes paroles ont dépassé tes pensées, que tu n'as pas réfléchi – tu es à Serpentard, cette explication passerait comme un colis par la poudre de Cheminette…

Il lui lança un regard vexé.

- Je ne sais pas moi… que tu as cru qu'il m'agressait ? proposa-t-elle en désespoir de cause.

Il soupira.

- Je n'ai qu'à dire que c'est la faute de Malefoy ?

- Tu passeras pour un gros bras sans cervelle.

Il haussa les épaules, fataliste. Elle hésita une fraction de seconde.

- Ou alors tu dis la vérité ? proposa-t-elle enfin, curieuse de comprendre ce qui s'était passé.

Mais le rideau s'ouvrit brutalement et Blaise ne répondit pas.

- Mais… mais qu'est-ce que vous faites là vous ?

La voix Madame Pomfresh était empreinte de stupéfaction. Elle jeta un coup d'œil à Rose.

- Et vous, vous êtes réveillée en plus ?

L'infirmière se pinça l'arête du nez.

- Dehors. Disparaissez, je ne vous ai jamais vu. Allez.

Blaise hésita, puis finalement se leva quand Rose l'en incita d'une pression des doigts. Ils se lancèrent un long regard, puis le jeune homme fila, contournant l'infirmière.

Cette dernière se pencha vers Rose en marmonnant des paroles incompréhensibles.

- Combien de temps ? demanda-t-elle brutalement.

- Une petite demi-heure.

- Vous avez mangé ou bu quelque chose ?

- Un verre d'eau.

- Vous vous êtes étirée ?

- Oui.

- Des souvenirs ?

- Tous là, répondit Rose en désignant sa tête.

L'infirmière soupira.

- Je ne vous cache pas que vous avez failli y rester, Miss Wayne. Ils m'ont raconté ce qui s'est passé. Lors de vos premières heures, vous avez eu beaucoup de fièvre. Vous savez que c'est au-delà de mes compétences.

- Pas Sainte Mangouste.

- Votre père s'y est également opposé.

- Père ? il était là ?

- Bien sûr. Il est venu le soir même. Il a refusé que vous repartiez à Sainte Mangouste, mais qu'il accepterait votre choix si vous souhaitiez y retourner. Donc…

- Si vous, vous ne pouvez pas me soigner, eux, ce n'est même pas la peine.

- Vous êtes aussi têtue que votre mère.

Rose ouvrit grand les yeux, toute lassitude envolée.

- Vous… vous la connaissez ?

Madame Pomfresh hésita un instant, choisit ses mots avec soin.

- Bien sûr, répondit-elle d'une voix douce.

Devant l'air avide de sa patiente, elle continua :

- Je l'ai rencontrée lorsque je travaillais à Sainte Mangouste, justement. Avant de venir ici. Elle faisait des stages de Guérisseuse pendant sa septième année.

Tout en prenant la température de Rose et en relevant diverses informations, elle poursuivit :

- Elle est devenue une scientifique de renom. Elle et son équipe de chercheurs ont beaucoup fait pour la médecine magique, à l'époque.

Émue, la voix de Rose trembla un peu.

- Merci.

Son aînée lui lança un sourire chaleureux.

- Je vais vous garder tout le week-end. Vous devriez être sur pieds d'ici lundi.

Rose reçut de la visite : tous ses amis vinrent la voir. Ils étaient tous soulagés de la voir réveillée et en forme, et apparemment très remontés contre Blaise. Elle s'abstint de tout commentaire.

Avant qu'ils ne partent, elle leur demanda si William voudrait bien venir la voir seul le lendemain.

- Pour qu'on discute, précisa-t-elle.

Derek promit de transmettre et s'éclipsa en dernier, après l'avoir serrée encore une fois contre lui.

Samedi après-midi, William s'avança vers Rose, un sourire aux lèvres.

- Salut Rose !

Il s'installa près d'elle.

- Comment tu te sens ?

- Mieux. Encore un peu fatiguée, mais ça ira.

Elle lui sourit.

- Et toi ? On m'a raconté que tu t'étais fait mal au poignet.

- C'est cet abruti de Zabini qui m'a fait mal, fulmina-t-il, visiblement toujours en colère.

C'était mal parti.

- Écoute… je ne veux pas qu'à cause de ça, il y ait une… guerre ouverte entre les deux Maisons. Ce que Blaise a dit est très grave, ajouta-t-elle, c'est certain, mais je t'assure qu'il ne le pensait pas…

William la regarda d'un air méfiant.

- D'où, primo, tu l'appelles par son prénom ? et deuzio, tu prends sa défense ? Ne me dis pas que vous vous connaissez.

Elle grimaça. Le visage du brun s'illumina :

- Oh mais j'oubliais ! C'est Derek et lui qui te tenaient quand euh…

Les mots se perdirent.

- J'ai fait une crise.

- Comme ça se fait ? reprit-il.

- Nous sommes amis.

Il plissa les yeux d'un air soupçonneux.

- Qu'est-ce que tu mijotes ?

Rose eut un sourire qui se voulait calme, puis elle appela doucement :

- Blaise…

Le Serpentard sortit de sa cachette et rejoignit les deux Serdaigles. William se leva d'un bond et serra les poings.

- J'y crois pas !

- S'il te plait, William. Deux minutes.

Furieux, il lança un regard assassin à Rose puis fixa Blaise.

Les deux garçons, postés chacun d'un côté du lit, se toisèrent avec hostilité pendant des secondes qui parurent interminables à Rose.

S'ils se jettent l'un sur l'autre, je suis au milieu, songea-t-elle. Et je mourrai. Sans être mélodramatique.

Enfin, Blaise clama de sa voix grave :

- Je te prie d'accepter mes excuses.

Cela déconcerta William qui ne s'y attendaient visiblement pas.

- Je n'aurais pas dû dire un truc pareil. Mes paroles ont dépassé ma pensée, ajouta-t-il.

Rose faillit éclater de rire. Ses yeux passaient de l'un à l'autre, impatiente de voir la suite.

- Pourquoi ? demanda finalement William.

Blaise sembla réfléchir. Il coula un regard intense à Rose, puis revint au Serdaigle.

- On sait tous les deux pourquoi.

Cette fois, c'est William qui regarda la malade un bref instant, avant de répondre :

- Très bien.

- Je veux éviter une guerre entre nos deux Maisons. Mais pas la nôtre.

- Ça me va, concéda le brun.

Blaise hocha la tête et les deux garçons se serrèrent brièvement la main par-dessus le lit.

William salua Rose avec son éternel sourire, puis fit mine de partir. Blaise le suivit sans broncher, après un signe d'adieu à leur amie. Une fois seule, Rose marmonna :

- J'ai rien compris.

La vie reprit peu à peu son cours normal. La crise de Rose ne datait que de quelques jours, et sans que personne n'ait oublié l'affreux moment, il fallait qu'ils passent à autre chose. Par précaution, les quatrièmes ménageaient tout de même la jeune fille, voulant éviter que la maladie ne se manifeste à nouveau. Rose rattrapa les deux journées de cours manquées et emprunta les notes de ses amis. Blaise était toujours exclu et travaillait aussi, dans sa propre Salle Commune.

Ce mardi, Rose prenait son petit déjeuner dans la Grande Salle. Mandy s'assit en face d'elle, suivie de Lisa. Elles paraissaient passablement essoufflées. La blonde attaqua directement :

- Il y a de nouvelles rumeurs à ton sujet, Rose.

- Lesquelles ?

- Comme quoi la crise que tu as faite, c'est à cause de Zabini.

Elle fronça les sourcils.

- Que c'est lui qui t'a, genre, ensorcelée, explicita Mandy.

- Que tu es sa marionnette.

Mandy hocha la tête.

- Et que c'est grâce à ça qu'il a échappé à l'exclusion de Poudlard, parce qu'il a utilisé la magie noire sur toi et les profs.

Rose considéra ses amies, incrédule.

- N'importe quoi. Ils ne savent plus quoi inventer.

Lisa confirma et ajouta :

- On voulait te prévenir, histoire que tu ne l'apprennes pas de la bouche de n'importe qui.

- Merci.

- On a entendu ça en route, c'est pour ça qu'on est en retard.

- De qui ? demanda Rose nonchalamment.

- Il me semble que c'étaient des Poufsouffles, mais on n'est pas sûres.

Leur amie opina et replongea dans son petit déjeuner.

- Allez les filles, on se dépêche si on ne veut pas rater le début des cours ! clama la voix d'Anthony.

- Oui, chef, fit Mandy en engloutissant un petit pain.

- Tu l'as mâché au moins ? s'enquit Terry tandis que Lisa pouffait de rire.

- Pas le temps, répliqua la blonde en se levant.

Derek leva les yeux au ciel, et le groupe partit s'installer – enfin, s'affaler – en Histoire de la Magie. Démangée par la curiosité, Rose rédigea une lettre pour Blaise.

« Blaise,

Je viens aux nouvelles !

Comment tu vas ? Tu t'en sors avec les cours à rattraper ?

Je t'écris surtout pour te faire part de la nouveauté du jour : tu m'as ensorcelée ! Non, ne souris pas, c'est la dernière rumeur qui court.

C'est donc entièrement ta faute si j'ai fait une crise, puisque c'est toi qui m'as jeté un sort. C'est particulièrement vil de ta part, même pour un Serpentard – tout ça pour échapper à l'exclusion ! Vraiment, je pensais que tu avais plus d'affection que ça pour moi !

Plus sérieusement, maintenant, tu es au courant de cette dernière bêtise. Attends-toi à de drôles de réactions lorsque tu sortiras de nouveau…

Je ne te l'ai pas encore dit, mais merci pour tout. Pour ton aide vendredi, d'être venu me voir à l'infirmerie, d'avoir fait un pas vers William. Merci. Je n'oublierai pas.

J'espère que tu ne t'ennuies pas trop.

J'ai hâte de te revoir !

Amitiés,

Rose »

Elle plia la missive et la glissa dans un livre.

Plus tard, en s'enfonçant dans les profondeurs du château pour aller dans les cachots, Rose ne put s'empêcher des scruter les murs – comme si l'entrée de la Salle Commune des Serpentards allait être marquée par un grand panneau lumineux.

En cours de Potions, les Serdaigles partageaient la salle avec les Poufsouffles. Installée à son chaudron avec Lisa, contre le mur de droite, Rose regarda Rogue écrire le nom de la potion du jour sur le tableau. Depuis quelques mois Mandy restait avec Derek, ce qui était le meilleur moyen d'éviter une catastrophe. Terry et Michael étaient installés ensemble, et Anthony et Padma faisaient équipe.

Ce fut Padma qui donna l'alerte la première. Elle tira la manche d'Anthony tout en regardant droit devant elle. Le Serdaigle donna alors un léger coup dans la table de Derek. Ce dernier se racla la gorge, Terry se retourna. Le brun fronça les sourcils en observant sur sa gauche. Il donna un coup de coude à Michael, qui prétendit se tourner pour emprunter le livre de Lisa. Il regarda la rousse avec insistance. Elle détourna les yeux et vit Mandy qui fixait le groupe de Poufsouffles sans bouger. Finalement, Lisa pinça doucement Rose, qui haussa un sourcil.

Son amie lui désigna d'un léger mouvement de tête l'avant de la classe, où étaient assis les Poufsouffles.

Rose posa enfin son regard sur eux. À ce moment-là, huit dos se tournèrent vers elle. Surprise, elle fronça les sourcils sans rien dire. Hannah Abbott secoua ses longues tresses et en profita pour regarder vers l'arrière. Elle croisa les prunelles vertes de Rose qui ne la quittait pas des yeux.

Ils étaient en train de nous épier ? Pourquoi ?

Perplexe, elle replongea dans sa préparation. Le petit manège des deux groupes se poursuivit jusqu'à la fin du cours, sans que Rogue ne semble rien remarquer, pour une fois.

Les Serdaigles sortirent les premiers, puis Rose s'appuya contre un mur, attendant la sortie de leurs camarades.

- Salut, lança-t-elle à l'adresse de Hannah.

- Euh… salut.

Nonchalamment, Derek et Michael venaient de leur barrer la route. N'y tenant plus, Mandy cracha :

- On peut savoir ce que vous fabriquiez en cours ?

Devant l'air impassible d'Ernie Macmillan, Anthony fronça les sourcils.

- On vous a vus nous épier, accusa le brun avec calme. Est-ce qu'il y a un quelconque souci ?

Ils semblèrent hésiter. Lisa les regardait tour à tour, puis demanda enfin :

- C'est la rumeur à propos de Rose, c'est ça ?

Comme Susan Bones lançait un regard en biais à ses amis, Rose souffla puis lâcha :

- Je ne sais pas si vous êtes à l'origine de cette bêtise, mais sachez au moins que c'est faux.

Hannah Abbott releva vivement le regard. Ernie Macmillan plissa les paupières, dubitatif.

- J'aimerais savoir quelle mouche a piqué ceux qui ont dit ça d'ailleurs, continua Rose. Ensorceler une personne est extrêmement difficile à faire. C'est vraiment un art subtil. Et je pense que nous serons tous d'accord pour dire que les Serpentards sont loin d'être vraiment subtils.

Sa réflexion attira quelques hochements de tête.

- Vous direz à ces idiots, si vous savez qui c'est, que cette rumeur est tellement improbable qu'elle ne va pas durer longtemps.

Elle esquissa un petit sourire malicieux.

- Et je sais que vous savez de qui il s'agit.

Le rougissement des joues de Susan lui confirma son idée. Rose fit un signe à ses amis et ils s'éloignaient tranquillement, quand une voix les interrompit.

- C'est vrai que tu as couché avec Zabini dans l'infirmerie ? clama une voix.

Rose se figea, se retourna lentement et fixa Hannah d'un air incrédule. Les autres Serdaigles faisaient à peu près la même tête. La jeune fille se reprit et son visage se ferma.

- De mieux en mieux. Si j'avais l'occasion de me taper Zabini, je ne ferais pas ça dans l'infirmerie, cracha Rose d'une voix glaciale.

Elle finit par leur tourner le dos, une migraine l'envahissant brusquement.

Abrutis.

- Abrutis, formula Derek à voix haute.

- Je n'aurais pas mieux dit.

- La rumeur court, court et évolue plus vite que la lumière !

Mandy souffla d'un air désapprobateur. Michael fronçait les sourcils.

- Rose ? Tu as dit que tu savais qu'ils savaient.

- Que nous savions ce que vous ne savez pas, compléta Mandy pour l'embrouiller. Et je le sais.

Lisa et Padma sourirent en même temps. Rose leur lança un regard amusé, puis répondit :

- Je suis prête à parier que ce sont les Poufsouffles contre qui tu t'es battu qui ont lancé cette rumeur.

Michael ouvrit la bouche, la referma, sembla réfléchir. Terry fut plus rapide :

- C'est plausible après tout. Ils se vengent. Bizarrement, mais ils se vengent.

Derek conclut leurs hypothèses par un hochement de tête, et ils étaient arrivés dans la Grande Salle. Ils mangèrent en bavardant sagement, rejoints par William et ses amis.

Rose ne savait pas vraiment si ce n'était qu'une impression, mais le brun avait l'air de l'éviter un peu depuis qu'elle était sortie de l'infirmerie. Elle lui sourit franchement, il répondit par un petit sourire coincé. Intriguée, elle se promit de lui demander en privé ce qui n'allait pas. Peut-être qu'il lui en voulait de l'avoir forcé à parler avec Blaise, après tout ?

Comme elle pensait à lui, elle tourna machinalement la tête vers la table des Serpentards. Son regard croisa celui de Drago Malefoy. Le blond lui envoya un sourire ironique et froid, puis leva son verre à son attention, accompagné d'un petit signe de tête.

Ébahie, Rose ne sut comment réagir. Le jeune homme avait déjà détourné les yeux.

Après le repas, elle fit un détour par la volière. Avant d'envoyer le Scouthibou avec son fardeau, elle ajouta un P.S. :

« Voilà qu'il parait que nous avons couché ensemble dans l'infirmerie ! et ça, c'est signé les Poufsouffles. Va comprendre. »

Elle regarda le hibou s'éloigner dans le ciel bleu. La course serait rapide, Blaise pourrait bientôt lire la lettre. Et y répondre.

Rose avait encore l'esprit un peu confus depuis vendredi, et la sensation désagréable qu'on a avant de tomber malade ne la quittait pas.

C'est pourquoi elle fut particulièrement distraite en cours de Métamorphoses.

Elle n'avait pas la moindre idée de ce dont le cours traitait aujourd'hui ; son esprit divaguait dans tous les sens.

Enfin, surtout dans le sens de la dernière crise.

À qui appartenait la voix qui a hurlé en moi ? se demanda-t-elle pour la millième fois.

Car ce n'était pas la sienne, c'était un fait.

Serais-je possédée d'un esprit malin ?

Elle secoua la tête, chassant bien vite cette idée. Les Guérisseurs de Sainte Mangouste avaient déjà écarté cette hypothèse.

D'une autre forme de magie noire ?

Toujours pareil : les experts médicaux avaient rayé cette possibilité. Rien n'indiquait que c'était le cas.

Une vilaine maladie pas belle qui a juré ma perte ?

C'était déjà plus plausible. L'hypothèse de la maladie inconnue, qui n'arrivait qu'à elle. C'est ce que les Guérisseurs affirmaient depuis le début.

Mais pourquoi moi ?

Voilà qu'elle était repartie à ses vieilles interrogations. Inutiles questions, auxquelles elle ne trouverait probablement jamais réponse.

Que fait Blaise en ce moment ?

Ça, ça n'avait strictement rien à voir avec ses problèmes actuels.

Et William ?

Mais ça non plus, par Merlin !

Rose sourit vaguement. Incapable de se concentrer plus longuement sur l'insondable mystère qui l'enveloppait, elle préféra penser aux deux jeunes hommes.

Blaise devait être dans sa salle commune, de toute évidence. En train de travailler ?

Mouais.

De lire ?

Peut-être.

De glander ?

Plus probable.

Son sourire – du genre niais – lui attira un regard songeur de la part d'Anthony. Rose lui lança un coup d'œil amusé, puis se replongea dans ses réflexions.

Bon, et William ?

De toute évidence, en cours. Ou en train de faire du sport.

Penser à eux la ramena à une question existentielle : que signifiait l'étrange échange qu'ils avaient eu à l'infirmerie ? De quelle guerre parlaient-ils ? à les entendre parler ainsi, elle s'était sentie particulièrement exclue, mais n'avait pas osé leur demander ce que voulaient dire de tels mots.

Ses pensées furent interrompues par la sonnerie. McGonagall les fit sortir, et ils se retrouvèrent dans le couloir, leur journée terminée.

- Rose ? interpella Anthony. À quoi tu pensais en cours ?

- Tss, siffla Mandy.

- Voyons, fit Terry.

- C'est évident, compléta Lisa.

Le grand brun les regardait, l'air parfaitement perplexe. Rose avait suivi l'échange sans rien dire, un sourire aux lèvres. Comme il ne semblait toujours pas comprendre, Mandy le prit par le bras et le dirigea dans les couloirs, tout en le rassurant :

- T'en fais pas, on t'expliquera quand tu seras grand.

Il grommela quelque chose d'incompréhensible et se laissa entrainer par son amie.

- Tu as reparlé à Zabini depuis samedi ? demanda Lisa en se glissant entre Terry et Rose.

- Pas de vive voix. Mais je viens de lui envoyer une lettre.

Terry approuva le geste d'un signe de tête. Depuis que Blaise avait réglé son différend avec William, les Serdaigles préféraient seulement penser qu'il était une des personnes qui avaient aidé Rose pendant sa crise. Ils ne semblaient plus lui tenir rigueur de ce qu'il avait dit – Terry le premier.

- Il est toujours exclu de cours ?

- Oui. Il va pouvoir revenir jeudi matin.

Ils s'étaient automatiquement mis en route vers leur Salle Commune.

Ils croisèrent alors la dernière personne de l'école qu'ils avaient envie de voir, accompagnés de tous ses fidèles, sauf un.

Drago Malefoy.

Leur premier réflexe fut de protéger Terry et Derek. Le second, de planquer leur Née-Moldue, Lisa.

Rose se plaça nonchalamment en tête du groupe, Mandy sur la droite, Michael à gauche, et Anthony et Padma fermaient la marche. Les autres étaient au centre. Avec un peu de chance, vu qu'il y avait du monde, ils les laisseraient tranquilles.

Autant croire qu'un Scroutt à Pétards était sexy.

- Alors, Wayne… lança la voix trainante.

C'est pour moi aujourd'hui.

- Il parait que tu voudrais bien te faire Blaise ?

Le rire hystérique de Pansy Parkinson l'irrita au plus haut point. Rose redressa le menton et ne le regarda même pas. Elle continua son chemin sans répliquer.

- Dommage que tu préfères Zabini ! C'est même pas un Sang-Pur, c'est papa qui va être déçu ! clama le blond dans une ultime provocation.

Les dents serrées, la Serdaigle marchait de plus en plus vite.

Crétin.

Ils étaient loin de lui maintenant.

Imbécile.

Ils entrèrent dans la Salle Commune.

Crève, Sang-Pur de mes deux.

Furieuse, Rose faisait les cent pas dans la vaste pièce. Lisa la suivait des yeux, s'inquiétant d'une nouvelle crise. Finalement Derek entoura les fines épaules de ses bras, la forçant à s'arrêter.

- Calme-toi…

- C'est un abruti.

- Oui. Mais toi tu n'as plus le droit de t'énerver.

Elle soupira.

- Et puis, ajouta-t-il à voix basse, tu ne vas pas nier ce qu'il a dit quand même ?

- Vas-y, moque-toi de moi en plus.

- Allons. On le sait que tu aimerais bien faire des choses tendancieuses à Zabini.

Elle pouffa.

- Tais-toi donc.

- Tu le reverras bientôt va. Mais évite de lui sauter dessus en public, ça ferait désordre.

Rose rit plus franchement.

- Je me contrôlerai, promit-elle.

- Et puis William n'apprécierait pas du tout, du tout.

Cette remarque la plongea dans un abîme de réflexion.

- Rose ?

Silencieuse, elle l'entraina sur le canapé, où étaient déjà installés Lisa et Terry.

- Vous savez, quand j'ai demandé samedi à William de venir me voir, il y avait Blaise avec moi en fait.

- On sait, oui. Et ?

- À la fin, ils ont décidé de faire la paix pour éviter un bain de sang entre nos deux maisons.

- On avait remarqué.

Rose leur raconta lors ce que les deux garçons s'étaient dit avant de partir, à propos de leur guerre personnelle ou elle ne savait plus trop quoi. Les trois autres l'écoutaient attentivement, et c'est Terry qui réagit le premier :

- C'est évident.

- Alors ? demanda Rose avec impatience.

Il secoua la tête.

- Je préfèrerais que tu comprennes de toi-même.

- Mais comment je fais ?!

- Il te suffirait d'ouvrir les yeux, conclut Terry avant de se lever.

Le brun se dirigea vers son dortoir, un sourire suffisant aux lèvres. Confus, Derek le suivit du regard, puis se décida à le rejoindre. Tout aussi confuse, Rose regarda Lisa, qui souriait en coin.

- J'ai pas tout compris…

- Comme Anthony : on t'expliquera quand tu seras grande !

Rose se mit à rire.

Un hibou entra par une fenêtre ouverte, fondit sur Rose et se posa sur le dossier du canapé en tendant sa patte d'un geste impérieux. Lisa le regarda avec amusement pendant que Rose prenait le papier. L'oiseau reprit son envol et disparut. Lisa regardait la lettre avec une curiosité non feinte.

- Oh, oh, commenta-t-elle seulement.

Rose eut un sourire débile en regardant l'écriture. Elle ouvrit le parchemin couvert d'encre noire.

« Rose,

Merci de prendre de mes nouvelles !

Je vais plutôt bien, je passe le temps comme je peux, tout seul dans mon coin…

J'étais déjà au courant de la rumeur comme quoi je t'ai ensorcelée. Toutes mes excuses ! ça ne se reproduira plus.

Je ne savais pas que nous avions fait autre chose que discuter à l'infirmerie ! Madame Pomfresh a sûrement profité du spectacle.

Mais ce midi, Drago m'en a appris une bien meilleure… il l'a su via Pansy, qui l'a su via des amies plus jeunes, qui l'ont su… bref, tu as compris.

Je ne savais pas que ton rêve était de coucher avec moi.

Si je n'avais pas peur que tu me mordes, je te dirais que s'il n'y avait que ça pour te rendre heureuse… je pourrais faire cet effort. »

Rose prit une teinte rouge brique, tandis que Lisa ne pouvait s'empêcher de se pencher pour lire à son tour.

« Bon, il ne s'agit que d'une rumeur bien sûr. Troublant que la rumeur dise aussi que c'est toi qui as dit ça, non ?

Ne te vexe pas, je suis sûr que tu as une bonne explication. À part mon charme irrésistible, évidemment.

Je m'ennuie de toi.

À bientôt,

Ton fantasme. »

Rose n'était plus rouge, elle était bordeaux. Lisa était écroulée de rire et n'arrivait pas à parler. Elle finit par hoqueter :

- J'avoue qu'il a beaucoup d'humour. Et toi, on pourrait faire cuire un œuf sur tes joues !

Son rire repartit de plus belle et Rose ne pouvait pas détacher ses yeux de la lettre. Elle balbutia des mots incompréhensibles, puis se leva et se glissa dans le dortoir. Elle jeta un nouveau coup d'œil à la lettre, puis la rangea avec les autres.

Je devrais… non. Ou peut-être que si. Je sais pas. Derek !

Mais Derek n'était pas là, il était dans sa chambre avec Terry. Rose ne voulait même pas savoir. Les épaules basses, elle rejoignit finalement Lisa dans le sofa bleu. Elle s'appuya contre l'épaule de son amie et soupira. La rousse eut un nouveau petit rire.

- C'est bon, tu te sens mieux ?

- Tss.

- Tu vas lui répondre ?

C'était justement la question qu'elle se posait.

- Je sais pas… j'ai envie de…

Elle hésita. Lisa l'encouragea du regard.

- De l'inviter dans la salle de classe, comme il avait fait tu sais.

Elle avait dit ça sans respirer. Lisa se mordit les joues pour ne pas rire.

- Je pense que ça pourrait être une bonne idée. De toute façon, si vous voulez discuter tranquillement, vous n'avez pas vraiment d'autre alternative pour le moment.

Rassérénée, Rose la remercia et rédigea une courte réponse.

« Blaise,

Je sais que tu es consignée jusqu'à jeudi, mais que dirais-tu que nous nous voyions mercredi soir, comme la dernière fois ? Si tu ne veux pas prendre le risque, qu'importe, cela attendra.

Rose »

Elle tremblait un peu, les nerfs sans doute, en accrochant la lettre à un hibou.

Puis soudain elle se rendit compte qu'elle était en apnée depuis qu'elle était à la volière. Prenant une grande inspiration, elle redescendit les marches. Ça allait être long d'attendre sa réponse.

- Tu es là ? murmura la voix.

- Blaise.

Soulagée, Rose se faufila dans la pièce sombre et referma la porte.

- Bonsoir Rose.

Il était si près. Elle ne sut pas quoi dire, mais en entendant la voix grave et rassurante, elle appuya spontanément son front contre le torse de son ami.

Surpris du contact, il la laissa néanmoins faire sans bouger. Il finit par poser sa main sur l'épaule de la jeune fille et l'écarta doucement de lui.

- On va s'asseoir ?

Il l'entraina instinctivement jusqu'au vieux canapé et ils s'installèrent. Brusquement intimidée, Rose ne savait pas trop quoi dire.

- Tu as perdu ta langue ? taquina Blaise.

- Non, non. Merci d'être venu. Tu n'as croisé personne ?

- Un jeu d'enfant. Je suis content que ce soit toi qui m'aies demandé de venir, cette fois.

Elle esquissa un sourire qu'il ne put voir.

- Je commençais à me sentir un peu seul, en bas.

- Qu'est-ce que tu as fait de tes journées ?

- J'ai pas mal tourné en rond, avoua-t-il.

- Et tes devoirs ?!

- Du calme, la Serdaigle. J'ai tout fait, promis. J'ai lu tous les livres qui me tombaient sous la main, fait neuf parties d'échecs en solitaire et quinze châteaux de cartes.

Rose eut un rire léger.

- Tu vois, tu sais t'occuper tout seul.

- C'était long, soupira-t-il. Mais j'ai appris plein de choses intéressantes ces derniers jours !

La jeune fille sentit ses joues brûler. Elle bafouilla une phrase incompréhensible, ce qui fit rire Blaise.

- Alors, quelle est votre version des faits, Miss Wayne ?

Elle se tortilla, mal à l'aise.

- Tu parles de la dernière rumeur hein ?

- Absolument.

- En fait, on était en cours de Potions avec les Poufsouffles. Ils ont passé deux heures à nous regarder de travers, alors à la fin on les a coincés et on a demandé quel était le problème.

Sa voix reprenait de l'assurance tandis qu'elle expliquait.

- On ne dirait pas comme ça, mais les Serdaigles sont dangereux, se moqua gentiment son ami.

- On allait repartir, quand une des filles m'a demandé si c'était vrai que toi et moi, dans l'infirmerie, on avait… enfin qu'on… bref.

- J'ai compris, rassura-t-il en se retenant de rire.

- Ça m'a tellement agacée que j'ai répliqué sans réfléchir.

- Pour une fois que ce n'est pas moi. Et donc tu as dit… ?

- Que si jamais j'avais l'occasion de coucher avec toi, je ne ferais pas ça dans l'infirmerie, répondit-elle en un souffle.

Il éclata de rire.

- Et voilà, marmonna-t-elle. Je suis désolée.

- Pourquoi ? Je trouve ça drôle.

Il laissa passer un ange, puis se pencha vers elle et murmura :

- Et tu ferais ça où, alors ?

La voix grave, le souffle chaud contre son cou, la proximité du corps si attirant, tout était réuni pour faire frissonner Rose. Elle ne résista pas et sentit son épiderme se hérisser.

Ravi de son effet, Blaise s'éloigna pour reprendre sa position initiale, tandis qu'elle respirait de nouveau. Elle ouvrit la bouche et la referma, ne sachant pas comment enchainer.

- Drago a vraiment l'air de croire qu'on ne se connait pas plus que ça, toi et moi, lança-t-il. Apparemment il n'a pas fait le lien entre nous quand je t'ai maintenue au sol vendredi.

- Étrange. Lui qui a toujours la fâcheuse manie de remarquer ce qu'il ne faut pas.

- Je trouve d'ailleurs étonnant que personne n'ait vraiment fait de rapprochement. À part cette sombre histoire d'infirmerie, mais une rumeur n'a pas le même impact que lorsqu'on a vraiment vu quelque chose.

Rose réfléchit un instant.

- Peut-être… peut-être que personne n'a véritablement fait attention à qui me tenait, mais qu'ils étaient concentrés sur ce que je pouvais faire.

Il approuva.

- Ou alors… ou alors ils ont cru que si tu me tenais, c'était pour mieux m'ensorceler !

Son ami se mit à rire.

- C'est probable. Peut-être aussi que personne ne veut savoir, dans le fond. Ils préfèrent croire à cette théorie rocambolesque. Mais je jure que je n'ai rien fait ! affirma-t-il une nouvelle fois.

- Je sais bien, soupira Rose. Ce n'est la faute de personne. Enfin, c'est passé maintenant.

- Tu étais tellement… effrayante, tu sais. On aurait dit…

Il chercha les bons mots.

- Que tu étais plusieurs dans ton corps, conclut-il enfin.

Comme elle poussait un nouveau soupir douloureux, il chercha à attraper sa main. Il lui effleura le genou, trouva les doigts graciles et les pressa entre les siens.

- Ce n'est pas grave, tu sais.

- Ce n'est pas tout à fait ce que je me dis depuis quelques jours. Je crains que ça recommence. Et que ce soit pire.

Ne sachant pas vraiment quoi répondre, il choisit de lui murmurer :

- Je serai là. Tu ne seras pas seule.

Elle sourit, attendrie.

- Ça m'inquiète, tu sais. Ça m'a rendu malade de ne pas pouvoir te voir ces derniers jours.

- Merci, Blaise.

Comme il ne réagissait plus, elle expliqua avec un léger rire :

- Je ne sais pas quoi te dire d'autre. Merci. J'ai hâte que tu quittes ton dortoir !

- Moi aussi. Je me demandais…

- Oui ?

- On continuera à se voir comme ça après ?

- Bien sûr. Cette pièce me convient parfaitement.

- Le noir tu veux dire ?

- C'est ça. Ma crise de vendredi n'a rien changé, tu sais…

- Alors je suis condamné à ne jamais te voir ?

- Tu me vois dans la journée.

- Non, je veux dire, vraiment te voir. Te regarder.

Il la sentit gigoter, indécise.

- Comme le font Diggory et Chang, si tu veux un exemple.

Rien ne pouvait être plus clair. Leurs deux aînés étaient le couple du moment. Cela la laissa muette.

- Je… je sais pas, balbutia-t-elle enfin.

Il eut un sourire en coin qu'elle ne pouvait voir.

- Peu importe. Je me contenterai de tenir ta main dans le noir.

Elle eut une brutale envie de se blottir contre lui, de toucher son visage, de l'amener vers le sien et de…

- Rose ?

Arrachée à rêverie, elle eut un léger sursaut.

- Oui ?

- Je disais, on pourrait aller à Pré-au-Lard ensemble dans dix jours.

Son ton était plein d'espoir.

- Mais Blaise…

- Il fera jour. J'aurai essayé. Tant pis.

Il ne cacha pas la déception dans sa voix. Se reprenant, il lança plus joyeusement :

- On pourrait se revoir disons… lundi prochain ? ça t'irait ?

- Parfait.

- On devrait y aller. Je ne sais pas quelle heure il peut bien être, mais ça doit patrouiller sec dans le château.

- C'est vrai.

Ils se levèrent de concert, se dirigèrent vers la porte. Blaise tenait toujours la main de Rose dans la sienne. Il posa la main sur la poignée et se tourna vers la jeune fille :

- On fait comme l'autre fois ?

- Ça me va.

Puis, comme l'autre fois, il posa un baiser très doux sur la joue de Rose et disparut de la pièce. La Serdaigle attendit un instant, un sourire idiot aux lèvres. Elle sortit à son tour et regagna son dortoir sans encombre.

Finalement, une routine s'installa entre Blaise et Rose : tous les lundis soir, ils se retrouvaient dans « leur » salle pendant une heure ou deux. Ils discutaient beaucoup d'eux-mêmes, de leur passé, de leurs familles. Rose raconta qu'elle avait grandi sans sa mère biologique, elle expliqua sa vie au Manoir Wayne avec sa gouvernante et les domestiques, elle cita un père souvent absent. Elle passa sous silence les événements récents qui l'inquiétaient tant. Seul les Serdaigles étaient au courant pour le moment.

Blaise lui, parla de sa mère éternellement jeune mariée, toujours riche. Jamais il n'employa de termes péjoratifs pour parler de sa façon de vivre, mais Rose sentait qu'il y avait un peu de rancœur en Blaise. Lorsqu'elle lui demanda timidement, il expliqua simplement qu'il lui en voulait de ne pas vraiment avoir connu son père, de ne jamais le voir. Il y avait là une blessure profonde, qu'ils partageaient par hasard.

Ils retracèrent leurs enfances, Rose parlant longuement de son amitié avec Derek, de l'importance qu'il avait pour elle. Les deux amis se trouvaient certains points communs, leur éducation d'enfant unique en était le principal. En ce sens, ils se comprenaient. Blaise parla de ses amis, de Drago Malefoy. Le blond, bien que garçon égoïste et gâté – pourri jusqu'aux os, avait dit Rose, sous un regard sévère qu'elle ne vit pas, semblait éprouver une affection pour Blaise. Pas une amitié, c'était bien plus ténu, mais c'était là. Rose pinçait les lèvres et grimaçait, puisque le Serpentard ne pouvait pas la voir. Pourtant elle ne disait rien, se rappelant leur accord.

Ils parlèrent de la maladie aussi, puisqu'elle faisait partie de la vie de Rose, comme sa cicatrice. La jeune fille était toujours réticente à aborder le sujet de la ligne qui lui barrait le visage, mais Blaise était très délicat, en parlait sans rudesse. Il espérait amener la Serdaigle à relâcher sa vigilance et à accepter qu'ils se voient en plein lumière.

Par prudence, ils restaient discrets la journée. Les rumeurs à leur sujet semblaient se calmer, et ils entendaient bien en profiter un peu.

Et pourtant, en ce samedi 20 mai, affalée dans un fauteuil, Rose écoutait avec attention son amie lui expliquer la dernière mode à Poudlard : lancer des rumeurs sur son compte.

- Apparemment, quelqu'un t'a vue sortir d'une salle vide avec Zabini l'autre jour, et s'est empressé de répandre la nouvelle. Ça a ravivé la rumeur à ton sujet.

- Donc maintenant, je couche régulièrement avec Blaise. Bien. Bien, bien.

Lisa la regarda avec une petite grimace.

- Je vais le mettre au courant, déclara Rose en se levant.

- Je viens avec toi !

Terry resta seul avec son petit ami. Derek se pinça l'arête du nez et marmonna :

- Décidément, ça n'en finira jamais. Rose est une intarissable source de rumeurs en tous genres. Pourtant, avec le Tournoi, ils pourraient se concentrer, je sais pas, sur les quatre Champions, ou les élèves étrangers… mais non. Tout le monde est concerné !

- Les gens veulent comprendre le mystère qui l'entoure. Elle intrigue.

- Ce qu'ils ont du mal à digérer, c'est qu'une Serdaigle puisse fréquenter un Serpentard. Mais quelle idée aussi de se faire voir par n'importe qui !

Terry sourit.

- C'est vrai. Et en plus, comme rien n'est officiel entre eux…

Secouant la tête, le blond rangea sa plume et laissa sécher l'encre sur son parchemin.

- C'est ton devoir de Runes ? demanda son compagnon.

- Oui.

Il se tourna vers le brun, hésitant.

- Tu sais Terry, je…

Il se stoppa, chercha ses mots.

- Il y a quelque chose que je voulais te dire.

- Vas-y, je t'écoute.

Malgré son apparence tranquille, Terry était proprement terrifié par ce que Derek avait à lui annoncer. En quelques secondes, il fit un top cinq des phrases qu'il ne voulait absolument pas entendre – mais qui étaient possibles.

1. Je te quitte.

2. Finalement, je suis hétéro.

3. Je me moque de toi depuis le début.

4. T'es pas aussi bien que ce que je croyais, en fait.

5. C'est trop difficile entre nous, l'homophobie, Malefoy etc., j'espère que tu comprendras.

Il arrêta carrément de respirer.

Derek se passa une main dans les cheveux, puis enfin lança d'une voix qu'il espérait normale :

- Je voulais te dire que je…

Une porte claqua chez les filles, il sursauta et s'interrompit encore. Des voix leur parvenaient vaguement. Au supplice, Terry tenta de relancer :

- Tu disais…

Mais déjà Rose et Lisa revenaient, une lettre à la main. Ravi de l'échappatoire, le blond engagea la conversation.

- Alors ? Tu lui as écrit ?

- Oui. J'ai parlé de la nouvelle rumeur faisant de Blaise et moi des amants assoiffés de sexe.

La voix de la Serdaigle était sèche, trahissant son agacement de ces ragots.

- Viens, on va l'envoyer.

- Je vous accompagne. Moi aussi j'ai une lettre à poster, expliqua Derek. Pour mes sœurs.

Terry eut à peine le temps de protester que déjà ses trois amis avaient disparu. Il soupira et se leva, déterminé à aller ranger ses devoirs terminés.

Ok, arrêter de flipper, c'est peut-être pas grand-chose, se sermonna-t-il.

Il poussa la porte sans conviction.

Et si c'était grave finalement ?

Il lâcha lourdement son sac sur le matelas.

Oh et puis s'il n'a pas le courage de me parler franchement, tant pis pour lui !

Décidé, il prit finalement le chemin de la Bibliothèque avec un livre qu'il devait rendre.

À peine quelques minutes après son départ, Derek et les filles revenaient de la volière. Le blond chercha immédiatement Terry des yeux. Il fit un crochet par le dortoir, mais c'était vide.

- Où il est ? grogna-t-il finalement, se laissant tomber dans un canapé.

- Il fait sa vie, répondit Lisa.

- Pourquoi, tu ne peux pas survivre sans lui dix minutes ? se moqua Rose.

- Non. Et j'étais en train de lui dire… enfin, vous êtes arrivés.

- Oh, comprit sa meilleure amie. Je suis désolée.

Il grommela et s'allongea sur les coussins moelleux. Les filles sourirent et papotèrent, laissant Derek râler dans son coin. Rose s'assit néanmoins sur le même canapé que lui, posa les pieds du blond sur ses cuisses.

Peu après leur retour, William et ses amis firent leur apparition. Sur un signe amical de Lisa, ils se joignirent aux trois Serdaigles.

- Salut les garçons, lança Lisa d'une voix enjouée. Ça va ?

- Nous ça va… commença Idriss.

- Mais qu'est-ce qu'il a, lui ? compléta Nassim en pointant un doigt accusateur.

Rose jeta un coup d'œil à Derek. Il avait passé son bras par-dessus son visage et ses lèvres affichaient une moue boudeuse.

- Querelle d'amoureux, résuma-t-elle.

Elle ne put s'empêcher de tourner les yeux vers Marc pour voir son expression. Il était impassible, installé sur le fauteuil le plus éloigné de Derek.

William avança une chaise et s'assit à califourchon. Il posa ses avant-bras sur le dossier, le regard absent. Rose et Lisa s'entreregardèrent ; la rousse aussi trouvait le comportement du brun étrange depuis la crise de Rose. Cette dernière se racla la gorge.

- Hé William, interpella-t-elle. Tu as l'air ailleurs. Un souci ?

Elle n'était pas du genre à tourner autour du chaudron, mais elle n'osa pas être plus directe de peur de le braquer. Le cinquième lui lança un regard furtif, puis se détourna vers la cheminée éteinte.

- Ça va. Ce sont les BUSE qui commencent à m'angoisser, expliqua-t-il avec un sourire.

Ça sonne faux, pensa aussitôt Rose.

- D'accord, admit-elle.

Lisa fronçait toujours les sourcils, aussi sceptique que son amie. Idriss et Nassim les distrayaient en racontant leurs derniers exploits. William se joignit à eux, retrouvant sa bonne humeur habituelle. Derek finit même par s'asseoir, faisant plus de place aux autres, lançant un commentaire de temps à autre. Malgré le fait qu'elle soit rassurée en voyant le blond participer, Rose ne s'enlevait pas de la tête qu'il fallait qu'elle parle seule à seul avec William.

Comme elle ne trouvait pas d'idée, elle lança un regard désespéré à Lisa. Marc, clairement le plus observateur des cinq garçons présents, intercepta leur échange et haussa un sourcil. Il comprit rapidement qu'il fallait que William et Rose soient laissés en tête à tête. Le sourire qu'il afficha soudainement redonna espoir aux filles.

- Dites, les joueurs de Quidditch, vous nous aviez promis de nous montrer une figure de votre cru un de ces jours. Il fait plutôt beau aujourd'hui, non ?

Il emporta aussitôt l'enthousiasme de Nassim et Idriss, qui se chargèrent de convaincre Derek. La sortie fut plus facile à organiser que ce que Rose n'aurait cru. Finalement les sept Serdaigles se préparèrent à quitter leur tour pour aller vers le terrain de Quidditch. Rose s'arrêta à mi-chemin de la sortie.

- J'ai oublié ma veste ! William, tu m'attends ?

Il n'eut même pas le temps de répondre qu'elle avait déjà disparu dans sa chambre. Les autres sortirent rapidement, laissant William seul – ou presque – dans la Salle Commune.

Rose réapparut en haut des escaliers, sa veste sous le bras. Elle lança un large sourire à William.

- Merci de m'avoir attendue.

Il fit un sourire, puis comme il avançait vers la sortie, Rose lui coupa la route en se plaçant devant lui.

Terminé d'être subtile.

- Maintenant, tu vas m'expliquer ce qui se passe. Pourquoi tu agis bizarrement avec moi ? Tu m'en veux ?

Sa voix s'était adoucie au fur et à mesure qu'elle parlait. William poussa un soupir, puis il sembla abdiquer et se laissa tomber sur une chaise.

- Écoute, ça va te paraitre tellement bizarre…

Elle haussa les épaules, debout face à lui.

- J'aimerais juste comprendre. C'est parce que je t'ai forcé à parler avec Blaise ?

- Non, non… enfin. Je vais t'expliquer. Tu vas vraiment trouver ça étrange ! répéta-t-il.

Rose se contenta de le fixer.

- Depuis que tu as fait cette crise, je sais pas, je…

Elle pinça les lèvres. Ainsi, c'était bien ce qu'elle pensait : il était dégouté. Par ce qu'elle avait fait, par ce qu'elle était. Elle se raidit un peu plus, serrant instinctivement les poings.

- T'énerve pas, j'ai encore rien dit ! s'exclama-t-il, un début de sourire aux lèvres.

- Décide-toi à me dire ce qui ne va pas, William.

- Tu as l'air tellement fragile ! lâcha-t-il brutalement. J'ai l'impression qu'à tout moment, tu risques de t'écrouler.

Il fit une pause et inspira par les narines.

- Je… j'ai peur de te faire mal.

Le brun rit faiblement.

- Ça me parait tellement stupide dit comme ça. Tu n'es pas en sucre. Mais c'est ce que je ressens.

Ébahie, Rose le considéra un instant, muette. Elle s'assit lentement sur la chaise à côté de lui. William la regarda, puis reprit, un peu embrouillé :

- Comme tu as eu ta crise juste après que je t'ai parlé, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que ça pouvait être ma faute.

Voyant que Rose allait protester, il leva une main et continua :

- Après, il y a eu l'infirmerie, et puis Zabini… et tu étais là, dans ton lit, on t'aurait cru morte.

Il secoua la tête.

- Je suis désolé, Rose. J'aurai dû te parler de tout ça plus tôt.

Elle reprit ses esprits.

- Ce n'est pas ta faute. Ce n'est celle de personne d'ailleurs.

Elle s'éclaircit la gorge.

- Je ne savais pas que j'avais l'air si… fragile, avoua-t-elle, un peu dégoutée par ce mot. Je t'assure que tu ne peux pas me casser !

Il sourit à la plaisanterie.

- Et puis Rose, ne le prends surtout pas mal, mais… comment dire…

Elle sourit de nouveau pour l'inciter à continuer.

- Je ne te cacherai pas que j'avais peur aussi.

- De moi ?

- De t'avoir vue comme ça, hors de contrôle… tu étais terrifiante, tu sais.

Cela ne la blessa pas comme elle l'aurait pensé. En fait, elle était plutôt surprise de sa franchise et elle répondit lentement :

- Je sais. Je comprends aussi que tu aies eu peur. Mais tu n'as rien à craindre.

- Ce n'est pas toi qui es censée me rassurer, chuchota-t-il. Ça devrait être le contraire.

Il lui fit toutefois un sourire lumineux, rassuré.

- Enfin, tu n'es jamais qu'une frêle petite Serdaigle après tout, taquina-t-il.

Elle rit.

- C'est ça. Inoffensive et innocente.

- Ça, je ne parierais pas là-dessus, marmonna-t-il, faussement sceptique.

Leurs rires se joignirent.

- Merci. De m'avoir expliqué. Ce serait dommage qu'on ne soit plus amis, comme ça, enchaina Rose.

Il plongea son regard bleu dans le sien.

- J'ai réagi bêtement. Promis, ça n'arrivera plus.

Elle lui tendit la main solennellement.

- Amis à nouveau ?

- Et comment ?

Il lui serra les doigts avec douceur et se releva, l'entrainant avec lui. Il sembla hésiter, puis il se rapprocha de Rose jusqu'à la prendre dans ses bras. Doucement, il rapprocha leurs corps et, trop étonnée, son amie ne réagit pas tout de suite. Ce n'est que lorsqu'elle sentit la pression des doigts contre son omoplate qu'elle l'enlaça à son tour.

- Encore désolé, murmura-t-il tout près de son oreille.

Sa voix claire et rassurante fit fermer les yeux à Rose. Surprise que ce contact lui semble si naturel, elle ne brisa leur étreinte qu'un moment après. Elle lui adressa un sourire joyeux et apaisé en s'écartant de lui.

- On rejoint les autres ? proposa-t-elle.

- Étant donné que c'était un coup monté pour qu'on reste seuls, tu crois qu'ils sont vraiment allés dehors ? demanda-t-il, l'air malicieux.

- Je ne vois absolument pas de quoi tu veux parler, feignit Rose en l'entrainant à l'extérieur.

Leurs amis n'attendaient pas devant l'entrée comme semblait le soupçonner William. Ils se regardèrent et prirent la direction du terrain.

Ce n'est qu'en sortant du château que Rose s'aperçut que leurs mains étaient étroitement liées.

Ils retrouvèrent les cinq Serdaigles, et tandis que Rose partait vers Lisa, Marc et Nassim, William lâchait sa main pour aller chercher son balai et rejoindre Idriss et Derek qui volaient déjà, à côté du terrain de Quidditch, où poussaient des haies depuis plusieurs semaines. Rose s'assit près de Lisa par terre, et avant de répondre à la question muette de son amie, elle se pencha vers Marc.

- Merci. Ton idée était excellente.

Il inclina la tête.

- Ça s'est arrangé alors ?

Elle opina avec un sourire et se redressa. À voix basse, elle expliqua à Lisa ce que William lui avait confessé. Lorsqu'elle eut terminé, la rousse lança :

- Donc si je résume, il te fuyait parce qu'il avait peur après ta crise, et qu'il craignait de te faire mal.

Alors que Rose confirmait, Lisa continua :

- Et pourquoi il avait peur de te faire mal ? Il comptait te défier dans un de ses matches de boxe ?

Rose ouvrit la bouche, la referma, gonfla les joues.

- William craignait de dire ou faire quelque chose qui aurait pu te blesser, intervint Nassim. Il craignait qu'un mauvais mot, un mauvais geste ne te replonge dans une crise. Désolé, je n'ai pas pu m'empêcher d'écouter, s'excusa-t-il en souriant.

- Dit comme ça… c'est plus logique, admit Lisa.

Son amie hocha la tête, satisfaite aussi. Ce qui comptait, c'était que William soit à nouveau ami avec elle. Et c'était le cas, n'est-ce pas ? Elle se plongea dans la contemplation des joueurs volants.

Finalement, Terry passa le reste de l'après-midi à la Bibliothèque, essayant de se faire à l'idée suivante : Derek allait bientôt le quitter. Pourquoi, il ne savait pas, mais il en était sûr.

Il ne revint qu'avant dîner, histoire de poser les nouveaux livres empruntés. Sans qu'il ne le sache, ses amis étaient revenus depuis près d'une heure, et Derek était resté seul avec Lisa et Rose. Les cinquièmes étaient repartis à la Bibliothèque faire un devoir.

À son arrivée, Derek bondit sur ses pieds et rugit presque :

- T'étais où ?!

Désarçonné, le brun ne sut quoi répondre dans l'immédiat.

- Alors ?

Son insistance éveilla une sourde colère en Terry. Quelle importance pour lui maintenant ?

- Qu'est-ce que ça peut te faire ? répliqua-t-il sèchement.

Sans plus un regard, il monta les escaliers et disparut dans sa chambre.

Ce fut au tour de Derek de rester coi. Les bras ballants, il restait là, à regarder fixement la porte close du dortoir. Quelques Serdaigles alentours avaient suivi la scène, et tous attendaient la suite des événements. Finalement, le Poursuiveur se tourna vers les filles qui ne discutaient plus non plus. Il regarda Rose d'un air complètement perdu. Cette dernière lui murmura :

- Tu aurais pu être un peu plus délicat…

Elle désigna la porte fermée du dortoir du menton. Derek soupira, se passa la main dans les cheveux et bougea enfin. Hésitant, il considéra la poignée argentée en réfléchissant. Terry ne se mettait jamais en colère. Du moins pas pour rien. Pas même quand Derek n'était pas délicat dans sa façon de parler. Donc il avait certainement dû faire une très grosse bêtise. L'ennui, c'est qu'il ne savait pas quoi.

Il entra dans la chambre prudemment.

Son brun – oui, le sien – était assis en tailleur sur son lit et lui tournait le dos. Apparemment, il était en plein lecture. Derek se racla la gorge et appela doucement :

- Terry…

Pas de réponse. Le blond fit quelques pas pour se mettre à son niveau.

- Terry ?

Sans lever les yeux de son livre, l'intéressé répondit sèchement :

- Quoi ?

- Écoute je euh…

Il s'interrompit en voyant le regard noir que le brun lui adressait.

- Tu es fâché ? demanda Derek, l'air penaud.

Terry ferma son livre d'un coup sec.

- À ton avis ?

Il se leva et se planta devant le blond.

- Qu'est-ce que tu crois ? Que tu peux discuter avec moi, me laisser tomber comme une vieille chaussette pour t'enfuir, et ensuite me faire une crise de jalousie ?

Derek baissa la tête comme un enfant.

- Tu pignes parce que je ne t'ai pas dit où j'allais ? Mais tu crois quoi, je ne t'appartiens pas figure-toi !

Le blond se mordait les lèvres et Terry reprit, d'une voix à peine contrôlée :

- Tu es incapable de me parler franchement quand nous sommes seuls, mais en public alors ça tu sais faire ! Nous ridiculiser devant tout le monde, bravo tu es champion ! C'est quoi ton souci exactement ? Ce n'est pas la première fois que tu me fais ce coup, et là ça commence à m'énerver !

Le grand garçon semblait se ratatiner sur place.

- Très bien, puisque tu semblais tant vouloir me parler, vas-y, je t'écoute. Tu as dix secondes.

Derek ne put prononcer une seule parole, trop choqué par ce que Terry lui disait. Il ne trouvait plus les bons mots, perdait l'usage de ses cordes vocales devant les yeux furibonds.

- Je vais te dire une chose, Derek : si on doit se quitter, très bien. Ce sera fait, conclut le brun d'une voix acide.

Stupéfait, le blond tenta de s'expliquer, mais s'embrouilla :

- Non, écoute, c'est…

Les joues rouges de colère, Terry cria presque :

- Tu sais quoi Derek ? Va en parler à tout le monde puisqu'apparemment c'est plus facile de raconter des trucs devant des inconnus qu'au mec que tu embrassais à longueur de journée !

Et il claqua la porte, laissant Derek seul. Il resta immobile, sonné. Les paroles de Terry faisaient lentement leur chemin dans son esprit.

- Se… quitter ? murmura-t-il.

Il chancela.

- Terry… vient de me quitter…

Il se laissa tomber sur le premier matelas à sa portée. Il ne sut pas combien de temps il resta là, les yeux dans le vague, incapable de réfléchir. Il ne releva même pas la tête quand la porte s'ouvrit de nouveau.

- Derek ?

Une silhouette s'avança, puis s'installa à côté de lui. Le blond finit par regarder Rose, perdu. Elle le prit dans ses bras, et il s'accrocha à elle comme à une bouée de sauvetage.

- J'ai rien compris…

Sa voix se brisa et ses épaules se soulevèrent.

- Ça va aller mon cœur, ça va aller…

Rose elle-même avait du mal à y croire. Cela semblait tellement invraisemblable. Elle berça son ami, qui finit par poser sa tête sur les genoux de Rose. Elle lui caressa les cheveux en murmurant des paroles rassurantes.

- Tu verras, ça doit être un malentendu. On va le retrouver dans la Grande Salle, et vous irez discuter, d'accord ?

Il renifla.

- Ça va s'arranger.

Mais Terry ne reparut pas pendant le dîner. Derek mangea à peine et ne cessait de fixer les portes avec espoir. Le groupe de Serdaigles dut le trainer jusqu'à la Salle Commune. Ils s'installèrent tous autour d'une table, plus inquiets que ce qu'ils laissaient paraitre. Finalement, Mandy lança :

- Bien. Plusieurs possibilités.

Réfléchir ensemble. C'est comme ça qu'ils allaient s'en sortir.

- La Bibliothèque est à exclure, c'est fermé, affirma Padma.

- Le dortoir des filles, c'est impossible.

- Notre dortoir, non plus, fit Anthony. J'ai vérifié.

- Alors, commença Lisa. Soit, un dortoir de garçons d'une autre année, soit…

Elle se mordit les lèvres.

- Soit rien du tout, conclut Michael.

- Si ! lança Mandy. Les cuisines.

- Oui.

- Donc, résuma Rose, soit les cuisines, soit un dortoir de garçon.

Derek releva vivement la tête. Il n'avait rien dit, mais tout écouté. Il grogna entre ses dents :

- Le dortoir des cinquièmes…

Et il s'élança.

- Michael, Anthony, empêchez-le de faire n'importe quoi ! Mandy, Padma, allez voir aux cuisines.

- Et nous ? demanda Lisa.

- On attend là pour l'instant. Au cas où il revienne.

Leurs amis étaient déjà partis.

Soudainement, Rose eut une illumination.

- Mais c'est bien sûr !

- Quoi ?

- Reste ici Lisa ! Je vais vérifier un truc.

La Serdaigle connaissait le chemin par cœur, et elle progressait dans les couloirs sans hésiter. Enfin, elle avait atteint son objectif. Rose poussa la porte et s'engouffra dans la pièce plongée dans le noir. Instinctivement, elle se dirigea entre les chaises et les bureaux inusités.

- Qui est là ? fit une voix masculine.

Soulagée, Rose se laissa tomber près de lui et le prit dans ses bras sans qu'il ne puisse protester.

- Terry… tu nous as fait peur, tu sais.

Elle le relâcha et alluma sa baguette pour le voir.

- Tu es resté ici tout ce temps ?

Il opina silencieusement. Avec un rictus, il précisa :

- Tout ce temps à pleurer comme un bébé.

Rose soupira en se passant la main dans les cheveux, imitant inconsciemment Derek.

- Mais qu'est-ce qui s'est passé au juste ? demanda-t-elle enfin.

- On s'est séparés, voilà tout.

Le nez lui piquait, les larmes revenaient.

- Je ne peux pas y croire, grommela Rose.

Elle garda le silence, réfléchit à ce que lui avait dit Derek, mais n'en tira aucune conclusion particulière. Ce fut Terry qui l'éclaira enfin :

- J'ai compris que Derek allait me quitter, alors je lui ai facilité la tâche.

Il ne s'attendait pas à ce que Rose ouvre grand la bouche et le traite ensuite de crétin.

- Hein ? fut son intelligente répartie.

- Suis-moi. Faut que vous éclaircissiez votre situation, c'est du grand n'importe quoi là !

Elle le tira par le bras et ne lui laissa pas le choix quant à la suivre ou non. Rose se guidait à l'instinct et bientôt, ils étaient devant la Salle Commune. Avant d'entrer, elle décréta :

- Tu le chopes, vous montez dans le dortoir, et vous discutez intelligemment. J'espère seulement que les garçons l'ont empêché d'entrer dans le dortoir des cinquièmes, ajouta-t-elle pour elle-même.

Il eut un air étonné mais ne demanda pas plus de précisions. Ils entrèrent et Lisa se leva, visiblement soulagée. Elle était seule près du feu.

- Mandy et Padma ne devraient pas tarder à revenir. Les garçons ont maitrisé Derek, ils sont dans leur chambre.

Rose traina Terry sans ménagement. Elle poussa la porte, avança et planta le brun au milieu de la pièce.

- Retrouvé.

Elle fit signe à Anthony et Michael et ils la rejoignirent dans le couloir. Rose adressa un sourire encourageant à Terry avant de fermer la porte.

Dérouté mais curieux, le brun se demanda ce qui s'était passé en son absence. Il s'avança et chercha le blond du regard. Il était là, assis sur son lit, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains. Terry s'installa sur son propre lit, voisin de celui de Derek.

S'il l'avait entendu, Derek ne fit pas un mouvement, et le silence s'étira.

- J'ai pas compris Terry. J'ai pas eu le temps.

Le concerné ne sut quoi dire dans un premier temps. Il se décida :

- Je t'ai aidé. J'ai compris ce que tu voulais faire, alors je t'ai devancé un peu.

Derek releva enfin la tête.

- Mais de quoi tu parles ?

- Tu voulais rompre. C'est de ça que tu voulais me parler. C'est égoïste, mais je me suis dit qu'avec une dispute, ce serait moins douloureux pour moi.

Ahuri, le blond ouvrit grand ses yeux.

- Mais je… enfin… non ! s'exclama-t-il.

Il se passa la main sur le visage.

- Qui t'a mis cette idée en tête, bon sang ?

- Mais… toi. Quand tu as voulu me parler, et les filles sont arrivées, puis quand tu t'es enfui…

Le poursuiveur se leva d'un bond, se couvrit le front d'une main.

- Je n'arrive pas à y croire.

- Quoi ?

- Mais Terry, c'est faux ! Totalement et indubitablement faux !

Le brun se releva à son tour, perdu.

- Tu ne voulais pas… rompre ?

- Jamais de la vie ! Ce n'était pas ça !

Reparti dans ses réflexions, Derek ne remarqua pas les yeux de Terry.

- J'étais tellement inquiet et furieux – je sais, c'est débile – que tu ne sois plus là quand nous sommes revenus… marmonnait-il. Mais c'est ma faute, j'aurais dû finir ma phrase au lieu de fuir comme un Serpentard.

Il s'arrêta et se tourna vers Terry, qui le fixait, les yeux voilés d'eau.

- Terry ?

- Je suis… tellement désolé !

Il s'agrippa à la chemise blanche de Derek, enfouit son visage contre le torse. Aussitôt, Derek l'entoura de ses bras et le serra contre lui.

- C'est moi, Terry, c'est moi, murmura-t-il d'une voix rauque. Pardon.

- Quand tu as dit que tu devais me parler, j'ai tout de suite imaginé des trucs pas possibles… et puis…

- Je t'aime.

Secoué, Terry leva son visage vers lui.

- Tu… tu as dit quoi ?

- Je t'aime.

Il sourit un peu en le répétant.

- C'est ça.

Devant l'air interrogateur de Terry, il ajouta :

- C'est ça que je voulais te dire tout à l'heure. Depuis un moment, en fait.

Le brun ouvrit et ferma la bouche, puis se décida : il attira Derek par sa cravate pour qu'il se penche, et posa ses lèvres sur les siennes, glissant sa main derrière la nuque blonde. Derek l'étreignit encore plus fort, rapprochant leurs corps. Entre deux baisers, Terry murmura enfin :

- Je t'aime aussi.

Le blond s'enhardit en entendant ces mots et approfondit leur baiser, attirant Terry à lui en s'asseyant sur le lit.

Dans la Salle Commune, les autres Serdaigles bavardaient tranquillement, attendant l'heureux retour de leurs amis. Comme cet instant semblait s'éterniser, ils décidèrent d'aller se coucher. Piquées par la curiosité, les filles ne résistèrent pas à l'envie d'aller jeter un coup d'œil dans le dortoir des garçons. Six têtes avides de connaitre la conclusion de la dispute pointèrent dans la chambre. Ils y virent Derek allongé en travers de son lit, Terry blotti dans ses bras. Ils dormaient, encore en uniforme. Attendries, les filles demandèrent à Anthony de fermer les rideaux pour eux. Elles s'éclipsèrent et papotèrent gaiement jusqu'à leur chambre.

- Je suis contente que ça se soit bien terminé ! s'exclama Mandy.

- Moi aussi. Mais on ne saura pas ce qui s'est passé… regretta Lisa.

- Moi, si, fanfaronna Rose avec un sourire.

Trois paires d'yeux avides se tournèrent vers elle. La Serdaigle s'assit confortablement sur son lit, et expliqua :

- Derek voulait dire quelque chose à Terry, mais il n'y arrivait pas. Terry s'est persuadé qu'il voulait rompre, donc il a finalement déclenché une dispute pour que ça aille plus vite.

- Mais en fait, Derek n'a jamais voulu rompre ? questionna Padma pour être sûre.

- Tout à fait. Terry s'est monté la tête tout seul.

- Il voulait lui dire quoi alors ?

- Non non non. Vous lui demanderez vous-même !

Leur air déçu fit sourire Rose.

- Bon, si jamais il ne veut pas vous dire, j'avouerai tout, promit-elle.

- Ouais ! s'écria joyeusement la blonde.

Ravie, elle fila vers son propre lit. Lisa la regarda d'un air amusé puis se tourna vers Rose.

- Tu as rendez-vous avec Blaise lundi ?

- Oui, répondit-elle avec un air rêveur.

- Et euh… vous en êtes où ? demanda la rousse.

Rose fit une petite moue.

- On discute beaucoup, annonça-t-elle enfin. On apprend à se connaître.

Lisa lui lança un regard perçant.

- Et toi, tu en es où ?

Rose ouvrit la bouche, la referma, fronça les sourcils.

- Je sais pas… enfin, je veux dire, j'adore passer du temps avec lui, parler, et tout. Mais je sais pas…

Elle hésita. Son amie profita de la brèche :

- Écoute… ne te vexe pas ou quoi que ce soit, mais ce ne serait pas à cause de ta cicatrice que tu as du mal à prendre position ?

Lisa ne reçut pas en retour le regard horrifié auquel elle s'attendait. Les yeux verts se troublèrent un peu, mais ils étaient limpides lorsque Rose répondit.

- Je commence à me faire à l'idée.

Satisfaite, son amie l'encouragea à continuer.

- L'idée qu'il puisse la voir me répugne de moins en moins. Il va finir par atteindre son but en fin de compte.

- Qui est ?

- Qu'on puisse se voir en plein jour. Devant des gens, en pleine lumière.

Comme elle grimaçait, le déclic se fit dans la tête de Lisa.

- C'est ça qui te fait peur, assena-t-elle. Tu as peur de ce que les gens vont penser en vous voyant. Pourquoi ?

Désarçonnée, Rose ne répliqua pas tout de suite.

- Tu as peur qu'ils n'acceptent pas qu'un Serpentard et une Serdaigle sortent ensemble ? demanda la rousse avec douceur.

Son amie fit une petite grimace, puis elle soupira.

- Je rends les armes. Tu es plus forte que moi à ce petit jeu. Oui, bien sûr, je ne peux pas m'empêcher d'imaginer ce qu'ils vont tous penser. Du moins ceux qui nous connaissent.

- Mais ?

Rose lança un regard exaspéré à Lisa.

- Arrête de lire sur mon visage comme dans un livre, bougonna-t-elle.

Lisa eut un rire léger.

- Dis-moi. Tu ne vas pas pouvoir garder ça pour toi toute seule, murmura-t-elle. Enfin, pour toi et Derek…

Elles eurent un sourire amusé.

- C'est à cause de ma maladie.

Elle clarifia aussitôt :

- J'ai peur… de lui faire mal. Tu sais, c'était tellement horrible la dernière fois. Je crains que, quoi que ce soit, ça prenne un jour le contrôle. Ça pourrait l'attaquer. Quelque chose dans ce goût-là.

Lisa réfléchit longuement, puis enfin avança :

- Tu aurais peur pour lui… mais pas pour nous ? c'est peut-être un peu prétentieux, mais…

- Mais si, bien sûr que si, j'ai peur pour vous ! coupa Rose. J'ai peur de vous faire mal à vous aussi. Mais je me dis que, vous, vous me pardonneriez, non ?

Elle fixa Lisa intensément.

- Oui.

- Merci.

Rose eut l'air soulagé.

- Mais tu n'es pas sûre que lui te pardonne si jamais tu t'en prenais à lui ?

Elle opina sans rien dire. Lisa fit la moue.

- Tu sais quoi ? Je suis persuadée qu'il te pardonnerait, rassura la rousse.

Son amie lui lança un grand sourire apaisé. Elle se leva et rejoignit Lisa sur son lit, pour la prendre dans ses bras. Tout en la câlinant, Rose lui murmura :

- Merci.

Lisa la serra dans ses bras en retour.

Les semaines passaient vite. La troisième Tâche du Tournoi se rapprochait à grande vitesse, et les examens aussi. Surtout les examens, d'après Anthony. Le grand brun avait été particulièrement perturbé d'apprendre que Diggory et Potter, en tant que Champions de Poudlard, étaient exemptés d'examens.

Rose et Blaise continuaient leurs rendez-vous, malgré la rumeur, malgré les examens qui arrivaient.

Le lundi 19 juin, ils se retrouvèrent comme à leur habitude. Au dîner, Rose n'avait pas eu faim et elle était vite sortie de table. Blaise n'avait pas tardé à la suivre, sachant où elle se rendait.

Pourtant lorsqu'il pénétra dans leur pièce, elle n'y était pas. Fronçant les sourcils, il s'assit sur une table, l'attendant patiemment.

À peine quelques minutes plus tard, elle était là.

- Rose ? Est-ce que ça va ?

- Oui, ça va, souffla-t-elle. Pourquoi ?

- Quand tu es sortie de la Grand Salle, je pensais que tu viendrais ici directement…

- Oh… non, en fait je ne me sentais pas très bien, alors je suis allée demander une potion à Madame Pomfresh.

Il se glissa près d'elle.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? demanda-t-il, attrapant inconsciemment son poignet.

Déstabilisée par sa proximité physique, elle répondit doucement.

- J'avais un peu mal au ventre, mais je suppose que c'est à cause des examens.

- Ça va mieux alors ?

- Oui, oui, ne t'inquiète pas tant, répliqua-t-elle en souriant.

Il l'attira contre lui sans plus rien dire. De plus en plus ébahie, elle se laissa faire, et les bras masculins se resserrèrent autour d'elle. Elle posa sa joue contre son torse, et entendit ses battements de cœur réguliers. Blaise la laissa faire, et remonta sa main vers son visage. Il glissa ses doigts sous son menton, lui relevant la tête. Il ne disait toujours rien. Il se pencha, toujours plus, vers ses lèvres. Rose cherchait inutilement son regard dans le noir.

Enfin, il posa sa bouche sur la sienne. Rose crut que son cœur allait exploser et ferma les yeux. Il l'embrassa, comme ça, sans vraiment bouger, pendant une longue minute. Les doigts de Blaise lui caressaient le cou, les mains de Rose étaient refermées sur sa chemise, cramponnées.

Puis, aussi soudainement que ça avait commencé, il se détacha d'elle et l'entraina vers le canapé. Ils prirent leurs positions habituelles, chacun à un bout du sofa, pour être face à face. Mais Rose n'avait plus qu'une idée en tête : se blottir contre lui de nouveau. Sa chaleur lui manquait.

Les discussions reprirent, sans qu'il ne fasse allusion à ce brusque élan d'affection. Elle n'osa pas en parler en premier.

Alors qu'ils débattaient du dernier examen en date – Potions –, Rose eut un frisson. Malgré le mois de juin, elle était glacée. Blaise lui lança :

- Tu as froid ?

- Oui, souffla-t-elle.

- Viens.

Tout en parlant, il la fit venir à lui de nouveau. Toujours stupéfaite, elle obéit au mouvement et se serra contre lui. Rose posa sa tête contre sa clavicule, il lui entoura les épaules de son bras. Enhardie, elle finit par enrouler son bras autour du torse du Serpentard. Il avait presque allongé ses jambes sur le canapé, tandis qu'elle pliait les siennes et les posait sur les cuisses de son ami. Blaise referma leur étreinte en l'enveloppant de son deuxième bras.

- Tes mains sont gelées, signala-t-il en souriant.

- Désolée, murmura-t-elle.

Elle voulut enlever ses doigts, mais il l'en empêcha.

- Non, je ne disais pas ça pour que tu les enlèves. C'était juste une constatation.

Ils restèrent un moment silencieux. Détendue, Rose avait fermé les yeux, se concentrant sur leurs battements de cœur. Les siens lui paraissaient erratiques à côté de ceux, si calmes, de Blaise.

- Ne me dis pas que tu dors ? taquina-t-il.

- Non, chuchota-t-elle.

Elle soupira.

- Je suis bien, là.

- Moi aussi, assura-t-il avec un petit rire. Moi aussi.

Puis l'air de rien, il se mit à parler des examens, du Tournoi, de tout pour se distraire. Il la sentait coller un peu plus leurs corps, recherchant sa chaleur. Il resserra ses bras autour d'elle.

La soirée de Rose passa dans une bulle chaude et apaisante.

Ils eurent du mal à se quitter, pourtant il le fallait : les professeurs faisaient toujours leurs rondes et le ronronnement de leurs voix leur parvenait de temps à autre.

Avant de l'écarter de lui, Blaise posa un baiser sur son front, plein de retenue.

Enfin, leur moment prit fin, et ils se séparèrent.

Le reste de la semaine passa trop lentement aux yeux de Rose. Ces examens étaient trop longs. Les regards qu'elle et Blaise échangeaient furtivement lui donnaient envie de se projeter directement au lundi prochain. Et peut-être, peut-être qu'il l'embrasserait à nouveau… Elle commençait à se demander si elle n'avait pas imaginé ce baiser.

Mais toute pensée romantique était rapidement écrasée par son stress des examens, qui ne diminuait pas. Il lui semblait que c'était chaque jour pire. Le vendredi, elle retourna voir l'infirmière, qui lui détecta un peu de fièvre. Madame Pomfresh lui fit promettre de revenir le lendemain, après son dernier examen – Histoire de la Magie. Rose promit, la boule au ventre à l'idée d'avoir attrapé elle ne savait trop quoi qui allait lui gâcher la fin de l'année.

Samedi donc, elle se présenta à l'infirmerie, pâle et transpirante.

La fièvre avait augmenté, et une toux sèche avait fait son apparition. Malgré les faibles protestations de Rose, Madame Pomfresh la garda avec elle. Son état n'empira pas dans la journée, mais ne s'améliora pas non plus. Elle dormait beaucoup. Ses amis vinrent passer une ou deux heures avec elle pour la distraire.

Lorsqu'ils la quittèrent, un seul resta, afin de passer un peu de temps avec elle en toute tranquillité.

- Alors c'est ça ta dernière invention pour éviter de voir Potter se faire réduire en miettes ? railla William en s'asseyant près d'elle.

Elle grimaça en entendant son ami parler ainsi de son favori. William n'avait jamais montré une grande sympathie pour le champion Gryffondor. Rose en avait peu à peu conclu que cette attitude était due à la jalousie, mais elle se garderait bien de le lui dire.

- Très drôle, répliqua-t-elle en souriant. C'est pour éviter de voir Cho Chang pleurer quand Diggory va perdre.

Il sourit à son tour, amusé. Aucun des deux n'appréciait vraiment la cinquième année. Il s'installa un peu plus confortablement sur le siège en bois et appuya ses pieds contre le lit.

- Hé ! protesta Rose, faussement indignée. Tu envahis mon espace vital, là.

William éclata d'un rire sonore.

- Ton espace vital ! En voilà d'une nouveauté !

Il la considéra un instant, puis reprit :

- C'est pas pour la place que tu tiens en plus…

- Ça veut dire quoi ça d'abord ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.

- Que tu es tellement maigrichonne que tu ne prends pas beaucoup de place !

- Oui mais psychologiquement je suis é-nor-me alors j'ai besoin d'espace, tu comprends ?

Il rit de nouveau.

- La fièvre te fait de drôles d'effets à toi !

Elle lui tira une langue enfantine.

- Alors, vous avez des places réservées pour la Troisième Tâche ?

Comme il fronçait les sourcils, elle expliqua :

- J'ai entendu ça dans un couloir, que les élèves devaient réserver leur place… j'ai trouvé ça bizarre, mais bon.

- Non, non, c'est comme pour les autres tâches, premier arrivé, premier servi !

- Alors les BUSE, comment ça s'est passé ?

Il haussa les épaules.

- Je ne sais pas trop… j'essaie de ne pas trop y penser ! Et toi les examens ?

- C'était… long, résuma-t-elle.

- Comment c'était avec Fol Œil ?

- L'écrit, normal. L'épreuve… plus compliqué…

- C'était quoi ?

Il ouvrit de grands yeux quand elle lui répondit.

- Résister à un Impero…

Comme elle faisait une grimace, il la fixa un instant. Puis il associa l'état dans lequel elle était depuis le début de la semaine et l'épreuve de Défense Contre les Forces du Mal.

- Tu n'y es pas arrivée, c'est ça ? murmura-t-il alors.

Elle secoua la tête.

- Non, lâcha-t-elle d'un air désespéré. J'avais tellement de fièvre, que je ne savais plus trop où j'en étais… et puis le sort m'a tellement calmée que je n'ai pas pu m'empêcher d'obéir.

Son ton était amer.

- Tu sais, je ne pense pas que ça te pénalise beaucoup… Ta dissertation s'est bien passée ?

- Oui, à ce moment-là j'étais plus en forme.

- Tu vois, ça devrait aller quand même, rassura-t-il. La pratique ne comptait que pour un tiers il me semble.

Il sourit devant son air soulagé. Pensif, il ajouta :

- Il parait que Maugrey avait envisagé de nous faire subir le Doloris au début des cours.

- Tu penses ?

Elle était sceptique.

- Ce n'est qu'une rumeur… mais il est tellement bizarre que ça ne m'étonnerait pas. Je me demande ce qu'on ressent avec le Doloris…

Rose ferma les yeux. Après avoir vu l'exemple de l'araignée se tordant de douleur – Fol Œil ne s'était pas contenté de faire une seule démonstration dans l'année…, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle savait ce qu'on ressentait lors d'un sort de Doloris. Elle l'avait expérimenté plus d'une fois, sans l'aide de personne.

- Rose ? ça va ?

La voix douce et inquiète de William la ramena à la réalité.

- Oui, oui.

- Tu pensais à tes crises, non ?

- Ma parole, tu lis dans mes pensées ! sourit-elle.

- Disons que tu as une expression particulière quand tu en parles ou que tu y penses.

- Ah bon ?

Ses sourcils s'arquèrent encore plus haut que d'habitude.

- Comme si… plus personne n'existait autour de toi. Il ne reste que toi, et ta douleur.

Sa voix n'était qu'un murmure. Surprise qu'il ait remarqué tant de choses, Rose pencha la tête sur le côté. Notant son étonnement, William sourit avec maladresse. Il poursuivit malgré tout :

- Tes paupières se plissent un peu, puis tu fronces le nez, comme s'il y avait une mauvaise odeur.

Elle sourit à l'explication. Il tendit la main vers son visage.

- Les coins de tes lèvres se crispent un peu, souffla-t-il. Comme si tu t'attendais à ce que la douleur revienne subitement.

Disant cela, il frôla la bouche de Rose du bout des doigts, un toucher si ténu que Rose crut l'avoir rêvé. Elle ne s'était pas rendu compte qu'il était penché si près d'elle. Elle ancra son regard dans le sien, attendant la suite. William sourit nerveusement, puis caressa doucement sa mâchoire avant de laisser retomber sa main et de s'éloigner, comme à regret. Muette, Rose le fixait. Il se racla la gorge.

- Je vais y aller, annonça-t-il.

Il sourit et se leva, ajoutant d'une voix… tendre ? :

- Remets-toi vite.

William se pencha et posa prudemment ses lèvres sur son front, puis disparut après un dernier sourire.

Rose passa d'un état de stupéfaction totale à une réjouissance profonde. Ignorant son propre sourire extatique, elle pensa tout de même :

Mais qu'est-ce qu'ils ont à m'embrasser sur le front ?

Sa fièvre, qui s'était calmée sans qu'elle ne le remarque, refit une apparition et l'épuisa au point qu'elle s'endorme de nouveau. Elle s'agita beaucoup, transpirante, mais parvint à dormir encore quelques heures.

Lorsqu'elle rouvrit les paupières, Blaise était assis près d'elle. Il ne la regardait pas quand elle s'éveilla, et elle en profita pour l'observer en douce. Il paraissait plus mûr, plus réfléchi que certains de ses camarades. C'était en partie dû à ses yeux noirs, surmontés de sourcils épais, à ses pommettes hautes et son éternel air sérieux.

En grandissant, il allait certainement devenir plus imposant – c'est du moins ce que pensait Rose à cet instant. Un homme capable de l'aider à contrôler la maladie qui la rongeait. Et qui faisait des siennes en ce moment-même, elle en était bien consciente. Elle chassa cette pensée en secouant la tête. Comme elle bougeait légèrement, Blaise tourna les yeux vers elle.

- Salut, Rose.

Il était évident que Rose allait manquer la Troisième Tâche du Tournoi, mais deux personnes avaient décidé de rester avec elle, après négociations avec l'infirmière. Derek n'était nulle part en vue pour le moment, mais il avait promis de rester avec elle pour la soirée. Tout comme Blaise. Le reste du groupe avait été à deux doigts de s'installer dans l'infirmerie, mais Madame Pomfresh avait refusé, décrétant que cela ferait trop de monde. Rose leur avait fait jurer de regarder chaque instant du Tournoi et tout lui raconter plus tard.

Blaise lui fit la conversation, relatant ce qui s'était passé après l'examen d'Histoire de la Magie. Il lui fit aussi la lecture, contant de façon théâtrale le dernier article de Rita Skeeter. Il la laissa en paix lorsqu'un léger mal de tête l'envahit.

Derek était maintenant assis de l'autre côté du lit. Il ne disait pas grand-chose, mais ne lâchait jamais Rose bien longtemps : il lui tenait la main, le bras, caressait sa joue, repoussait ses cheveux. Sa tendresse apaisait Rose.

Il ne lui dirait jamais, mais il était mort de trouille. Il était terrifié que la maladie de Rose ne refasse des siennes ce soir-là.

Peut-être qu'il n'avait pas tort.

Le mal de tête empira. Blaise lui prit aussi la main. Les potions de Madame Pomfresh furent inefficaces. Elle n'eut pas le cœur à renvoyer les deux garçons, vue la ferveur avec laquelle Rose s'accrochait à eux. La fièvre monta. Sa peau dégoulinait de sueur froide. Ni Blaise ni Derek ne la lâchait maintenant. Le blond était tellement paniqué qu'il ne songeait plus à envoyer des œillades mauvaises à Blaise. Le Serpentard était tendu, prêt à bondir pour la clouer de nouveau au sol si nécessaire.

Soudain, le corps de Rose s'arc-bouta violemment. Elle écrasa les mains de ses amis, les doigts crispés. Elle hurla. Blaise jeta un regard désespéré vers le bureau de Madame Pomfresh, qui ne venait pas, malgré leurs appels paniqués. Ils étaient seuls face à une Rose en proie à une crise, et ils allaient devoir s'en charger.

Les cris de Rose continuaient, stridents, longs, douloureux. Ils n'avaient rien à voir avec ceux de la dernière fois. Là, c'était Rose qui s'exprimait, qui hurlait sa douleur. Elle souffrait. Non. C'était au-delà de la souffrance. Désemparés, ils se jetèrent un coup d'œil rapide et reportèrent leur attention sur leur amie.

Le corps frêle s'agita spasmodiquement. On ne voyait plus que le blanc de ses yeux, les iris verts avaient roulé dans leurs orbites. Elle glapit de nouveau, prise de convulsions plus violentes que jamais. Ses dents s'entrechoquaient, elle risquait de se couper la langue. Blaise voulu s'approcher, mais la main glaciale qui le tenait était fermement serrée, et le bras se tendit pour éloigner Blaise du corps en peine. Derek venait de tenter la même chose, sans succès non plus. Ahuris, ils s'aperçurent que tout, tout en Rose tremblait, sauf ses bras, tendus, les tenant fermement éloignés d'elle. Ils ne pouvaient pas l'approcher.

Derek n'eut pas le temps de comprendre. Il fut éjecté en arrière, quelques mètres plus loin. Il fit tomber un panneau de rideaux et heurta un mur de pierre, poussant un gémissement étouffé. Rose venait de le propulser à quelques mètres d'elle avec la seule force de son bras.

Elle hurla de nouveau. Son cri se modulait, allant du très aigu, insupportable, à un grave qui laissa présager le pire. Derek se releva, et vit que Blaise tentait toujours de s'approcher d'elle.

Elle s'immobilisa soudainement. Elle se tut. Les yeux grands ouverts, elle semblait fixer le plafond. Ses doigts s'ouvrirent et elle lâcha la main blanchie de Blaise. Il fit un pas en avant.

- Rose ?

Son ton était hésitant. Il voulut s'approcher de plus près. Sans succès. Stupéfait, il comprit qu'il ne pouvait pas avancer plus. Rose ne l'avait peut-être pas éjecté à des mètres d'elle, mais il restait bloqué, à une cinquantaine de centimètres du lit. C'était impossible d'avancer, son corps n'y arrivait pas, ne voulait pas. Comme s'il y avait eu une barrière entre eux, comme un champ de force qui éloignait quiconque voulait s'approcher. Derek était dans la même situation, et le regard qu'ils échangèrent ne les rassurèrent pas.

Le corps de Rose se tendit à nouveau. Ses dents grincèrent furieusement. Elle serra les poings, et à nouveau hurla, longuement, profondément, son buste se décollant du matelas.

Elle retomba, les lèvres entrouvertes. Ses yeux s'ouvrirent. Ils étaient noirs, intégralement noirs.

Un souffle chaud et puissant sembla sortir de sa bouche. Les torches de l'infirmerie vacillèrent et s'éteignirent. Il faisait déjà nuit et il n'y avait plus de lumière dans la pièce.

La force entourant Rose s'amplifia et poussa les deux jeunes hommes en arrières, les éloignant un peu plus d'elle. Ils reculèrent en trébuchant, les jambes tremblantes, sans la quitter des yeux.

Elle était pâle, si pâle… et ses yeux pleins de cette fumée noire… sa cicatrice rouge, comme à vif. Rose poussa un nouveau cri strident alors qu'une sorte de lumière blanche semblait soudainement émaner de son visage.

Non, de sa cicatrice, pensa aussitôt Derek.

Seule source de lumière, elle accentua l'expression de déchirement de Rose. Elle semblait à présent se battre, les bras et les jambes bougeant inutilement, s'emmêlant dans les draps.

Le rayon de lumière émanant de sa cicatrice grandit, dépassant les rideaux qui l'entouraient encore, grossit, s'étalant au-dessus de Rose.

À leur horreur, ils virent que cette lumière était suivie d'une autre, qui sortait aussi de la cicatrice. Ils savaient que c'était impossible. Et pourtant.

Cette nouvelle lumière était noire, plus noire que les yeux de Rose, mais elle éclairait autour d'elle avec force. Les cris de Rose reprirent tandis que la lumière noire montait, s'étendait, recouvrait Rose.

La lumière blanche fut soudainement avalée par la noire et disparut.

Derek et Blaise ne voyaient plus Rose, recouverte de noir.

La lumière perdit en intensité, jusqu'à devenir seulement opaque. Elle était devenue fumée, épaisse et étouffante. Elle semblait ne jamais arrêter de s'étendre, de prendre de l'ampleur. Bientôt elle recouvrit tout le lit de Rose, engloutit les rideaux, monta et s'étala contre les fenêtres de l'infirmerie. Elle envahit les sens de Derek et Blaise, aveuglés, suffocants dans sa chaleur. Ils se protégèrent inutilement les yeux de leurs mains.

Rose ne criait plus. Elle gémissait faiblement, comme étouffée elle aussi, écrasée par la masse noire et insaisissable.

Ils pensèrent que peut-être, ce serait terminé maintenant qu'elle ne criait plus.

Ils avaient tort, bien sûr.

Rose hurla de nouveau. Mais ce n'était pas elle. C'était l'autre, la deuxième voix. Elle était plus rauque, plus puissante. Abandonnant la protection de ses yeux, Derek se couvrit les oreilles. Entendre Rose qui souffrait, qui n'était plus elle… c'était horrible. Leurs tympans les vrillaient, assommés par la puissance du cri. Il n'avait plus rien d'humain.

La lumière noire jaillit de nouveau, puissante, éclairant violemment la pièce. De nouveau les bras devant les yeux pour se protéger, Derek et Blaise ne voyaient plus rien. Ils entendaient seulement. Les hurlements de Rose et de l'autre se mêlaient, le lit grinçait, tremblait, comme si on se battait dessus. Ils entendirent un hurlement rageur, le lit fit un bruit terrible et une masse en fut projetée, atterrissant dans l'un des rideaux, tombant bruyamment, emmêlée dedans.

Le champ de force qui retenait Blaise et Derek sembla éclater, les faisant vaciller et tomber sur le sol froid. La fumée noire se dissipait, partait vers le plafond pour disparaitre, les laissant entrevoir la scène devant eux. Le lit était visiblement cassé et s'était effondré sur le côté. Les draps pendaient tristement du matelas, déchirés. Les panneaux tenant les rideaux étaient tous tombés, plongeant l'infirmerie dans le chaos. Des morceaux de verre gisaient un peu partout, les chaises en bois étaient éclatées en centaines d'échardes.

Blaise et Derek se relevèrent avec précaution, sondant la pièce du regard. Où était Rose ? Derek s'approcha lentement.

- Rose ? Rose, t'es où ? gémit-il, au désespoir.

Blaise le suivait au même rythme. Il tenait son bras, blessé par un morceau de verre quand il était tombé et que tout avait semblé exploser.

Ils virent en même temps le rideau effondré bouger. Derek se précipita et entreprit de démêler le tissu, aidé de Blaise.

Ils se figèrent en même temps et reculèrent instinctivement de quelques pas.

Rose n'était pas là. Il y avait autre chose à la place. C'était noir, et énorme.

À bout de souffle, une tête se releva des rideaux blancs lacérés. Ses yeux se tournèrent vers les deux garçons. Ils étaient verts.

La tête eut une expression de douleur presque humaine, et son corps frémit, faisant glisser les tissus blancs. Au prix d'un effort terrible, le corps se redressa lentement. Un grondement de douleur parvint aux oreilles de Derek et Blaise quand une patte apparut en marchant sur un morceau de verre. Ses épaules roulèrent sous sa fourrure et le corps entier émergea de son cocon déchiré. L'animal fit quelques pas incertains vers le lit cassé, semblant voir l'endroit pour la première fois. La tête se tourna de nouveau vers les garçons et les fixa. Sa queue fouetta l'air.

Derek et Blaise étaient côte à côte, paralysés et muets.

L'effort l'avait épuisée et après un vacillement, la panthère s'écroula au sol, les yeux fermés.