CHAPITRE 6

Juillet 1992, Manoir Wayne

Derek court jusqu'à la porte, l'ouvre à la volée et sort. Son parapluie se retourne sous la violence du vent et la pluie le trempe en quelques secondes. Maugréant, il replie le parapluie et continue sa course.

- Rose ! beugle-t-il à travers les gouttes. Rose !

Il finit par voir la petite silhouette, réfugiée sous un arbre. Ses cheveux foncés ruissèlent d'eau et des larmes sur son visage se mêlent aux gouttes. En le voyant approcher, elle relève la tête et hurle :

- Je le hais ! JE LE HAIS !

Derek s'essuie le visage comme il peut et s'approche d'elle. Rose tourne ses yeux furibonds vers lui, puis éclate en sanglots. Il l'entoure de ses bras, abandonnant l'idée de les protéger avec son vieux parapluie.

- Je sais, murmure-t-il. Je sais.

Les épaules de Rose se soulèvent rapidement, et elle a enfoui son visage dans le cou de son ami. Ce dernier la serre un peu plus fort, voulant l'apaiser, la calme. Tout en sanglotant, elle tente de s'expliquer :

- Il est toujours… jamais là… et puis… là, il débarque et il faut faire comme il veut… je suis pas d'accord et…

Sa poitrine se soulève irrégulièrement comme elle parle.

- Ça va aller, Rose. On va rentrer d'accord ? Après on discutera.

Elle renifle en hochant la tête. Derek la relâche puis ramasse son parapluie. Rose a un sourire triste et lance :

- Tu l'as achevé.

Son ami se tourne vers elle pour lui sourire et passe son bras autour de ses épaules. Il pose un léger baiser sur le front de Rose. Ils rentrent au Manoir sous une pluie battante qu'ils ne sentent plus. Dès qu'ils franchissent les portes du patio, Olivia se précipite vers eux.

- Par Merlin ! Rose, chérie, où étais-tu ? ça fait deux heures qu'on te cherche partout !

Le jeune fille baisse les yeux et renifle de nouveau. Amalie accourt déjà, des serviettes et des couvertures dans les bras. Les deux femmes enveloppent les adolescents dans les linges chauds et les poussent jusqu'au salon. Rose, toujours dans les bras de Derek, se laisse tomber près du feu sur un tapis moelleux. Le majordome fait son apparition.

- Par tous les mages ! Vous êtes là, Miss Wayne ! Je vais en avertir le maître immédiatement !

- Il s'en fiche, crache Rose.

Olivia lui lance un regard peiné, puis fait signe à Benson de quitter la pièce pour aller prévenir Erwan, parti à sa recherche dans la forêt jouxtant le domaine, que sa fille est retrouvée.

Derek regarde furtivement les deux employées qui semblent indécises. Il hoche la tête, montrant qu'il maitrise la situation. La gouvernante et la femme de chambre sortent du grand salon, laissant les deux adolescents seuls devant le feu qui brûle dans la grande cheminée.

Rose renifle puis s'enroule un peu plus dans les couvertures. Elle appuie sa tête contre l'épaule de Derek et lance :

- Merci d'être venu me chercher.

Il soupire et la prend encore dans ses bras.

- Ton père ne te veut aucun mal, tu sais.

- Je sais, réplique-t-elle sèchement. Il s'en fout de moi, évidemment qu'il ne me veut aucun mal.

- Il n'est pas très présent, mais je suis sûr qu'il t'aime beaucoup.

- Au point de ne jamais être à la maison ? ou de m'embêter à chacune de ses rares apparitions ?

- Peut-être… qu'il ne sait pas trop comment s'y prendre, tu sais. Tu grandis, tu changes, c'est peut-être difficile pour lui, risque le blond.

Elle hausse les épaules.

- Heureusement que tu étais là. Comment tu as su que j'étais là-bas ?

- Tu te cachais toujours à cet endroit quand tu étais petite, tu te souviens ? On avait construit une cabane pas loin je crois.

Rose sourit au souvenir et opine de la tête. Elle regarde les flammes qui dansent. Puis elle se souvient de la raison de la venue de Derek chez elle ce jour-là.

- Dis… de quoi tu voulais me parler au fait ? Tu n'étais pas venu pour réparer des pots cassés à la base…

Derek sourit, puis semble hésiter.

- Il y a un souci ?

Il secoue la tête, faisant voleter ses cheveux mouillés de droite et de gauche.

- Alors dis-moi. Vas-y, l'incite son amie.

Le blond pousse un soupir, puis remet en place sa chevelure d'un geste de la main.

- C'est à propos de…

Rose hausse un sourcil.

- Je ne sais pas comment dire ça…

- Fais-le simplement.

Derek se racle la gorge.

- Je crois que je suis homosexuel.

Lundi 4 septembre 1995, Poudlard, cours de Botanique

Au secours.

- Alors, on s'y met ?

La voix chaude, la voix si rassurante, qui retentit comme un coup de feu dans son esprit. La voix qui lui avait manqué.

Rose se sentait complètement stupide à mesure que son cœur s'emballait. Elle se gifla mentalement de réagir comme une Poufsouffle prépubère de douze ans. Elle trouva, elle ne sût où, la force de hocher la tête, un peu sèchement peut-être. Le Serpentard ne semblait déjà plus se préoccuper d'elle et s'était tourné vers les plantes. La Serdaigle elle, voulut faire un pas en avant, mais ses jambes – traitresses ! – tremblaient trop, menaçant de la laisser tomber.

Elle soupira intérieurement.

Si son corps pouvait gentiment obéir à son cerveau, ça arrangerait ses affaires, merci.

Au désespoir, elle baissa le nez et regarda ses pieds, qui refusaient d'avancer. Elle les encouragea mentalement.

Allez ! il faut qu'on avance jusqu'à la table maintenant, sinon la prof va nous remarquer et enlever des points à Serdaigle ! Allez !

Miracle ! elle fit un pas en avant. Fière d'elle, Rose releva le tête. Un deuxième pas, un troisième et enfin elle fut près de la table de travail, l'air triomphant.

- Tu me passes l'engrais s'il te plait ?

Des SECONDES de travail ruinées en un instant. Ses genoux ? Certifiés 100% coton. Elle gonfla les joues, puis tendit une main tremblante vers le seau jaune à sa gauche. La jeune fille en attrapa le bord, puis l'anse, et elle y mit toutes ses forces. Enfin, ses forces actuelles. C'est-à-dire, pas grand-chose.

Dépitée, elle considéra le récipient un moment. Elle ne sut pas combien de temps elle resta là, mais apparemment, suffisamment longtemps pour que Blaise s'en aperçoive et se tourne vers elle, les sourcils froncés.

En la voyant, la main agrippée au seau, le bras tendu, le front plissée par l'effort et les yeux brillants, il faillit éclater de rire. Se retenant, il finit par proposer :

- Je m'en occupe peut-être ?

Il se pencha par-dessus son bras et attrapa l'engrais sans difficulté aucune. Rose lâcha l'anse sans résister. De toute façon, ses doigts étaient mous comme de la guimauve. Pétrifiée, elle n'osa même pas se retourner pour le regarder, alors qu'il attendait manifestement qu'elle fasse quelque chose dans ce genre.

Le Serpentard finit par s'inquiéter de cet étrange comportement. Pas un regard, pas un mot et maintenant elle était incapable de lui passer un bête seau plein de bouse.

- Rose ? ça ne va pas ?

Disant cela, il se pencha un peu vers elle, espérant l'inciter à se retourner. Il gagna cette manche. Elle se tourna enfin, mais ne le regardait toujours pas, les yeux dans le vague, l'air un peu perdu.

Son cerveau bouillonnait, triait les informations qui affluaient. Une lutte sévère s'était engagée entre son instinct et sa raison.

Blaise n'osait pas la toucher. Elle avait l'air de pouvoir exploser à tout moment.

- Non… fit-elle enfin.

Et, sans prévenir, elle partit à grands pas. Lorsqu'elle atteignit la porte de la serre, elle ne regarda pas Chourave qui la hélait, ni personne d'autre.

Courir. Il fallait qu'elle coure.

Cinglée par le froid, elle se mit à courir. Son cerveau ne savait pas où il allait, mais son corps lui, oui. La forêt n'était pas loin des serres, et c'était l'endroit parfait. Elle en dépassa la lisière, contourna un arbre, deux, sauta par-dessus un buisson.

« Plop » !

Elle atterrit sur quatre pattes, comme si elle faisait ça depuis sa plus tendre enfance. Elle ralentit sa course, passant au trot, puis finalement se contenta simplement de marcher. La raison avait perdu la bataille, et l'instinct avait pris le dessus. En simplement quelques secondes. La panthère se promena, toujours près de la lisière afin de ne pas se perdre. Elle attendait que ça se calme, à l'intérieur d'elle.

L'animal n'avait qu'une image en tête, qu'un nom.

Blaise.

Elle passa derrière la cabane vide de Hagrid. Crockdur aboya comme un forcené en la sentant. Rose se secoua, tentant d'ordonner ses simples pensées.

Dans sa tête, le schéma était facile : Blaise = danger. Le côtoyer était dangereux pour son anonymat. Elle se retourna brusquement, sentant une chose derrière elle. Un écureuil sur le tronc d'un arbre. Il la regarda un bref instant puis se carapata. S'apercevant qu'elle s'éloignait trop des serres, elle revint tranquillement sur ses pas. La sensation étrange qui l'avait envahie s'évanouit. Elle était bien.

Elle était presque arrivée au bon endroit. Pour plus de sécurité, elle s'enfonça un peu à l'abri des grands arbres. L'animal revint à sa forme humaine quand la sonnerie retentit. La jeune fille fit un grand détour et se débrouilla pour sortir du côté où Derek et ses amis seraient. Elle sortit de la forêt et ils étaient tous les sept là, le grand blond chargé de deux sacs de cours.

- Rose !

Lisa l'avait aperçue. Elle se dirigea rapidement vers eux, récupéra son sac en marmonnant. Aussitôt, les questions plurent :

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Pourquoi tu es partie ?

- Tu étais où ?

- C'est à cause de Zabini ?

- Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

- Tu comptes aller en parler à Chourave ?

- Réponds !

Elle les regarda tour à tour, puis grogna en grimaçant :

- Il fallait que je parte. C'était… instinctif, vous comprenez ?

Elle haussa les sourcils, tentant de se faire comprendre. Anthony fronça les siens, signe de grande réflexion, mais Lisa comprit en premier.

- Oh ! C'est à cause de lui ?

Comme Rose opinait gravement, les autres se regardèrent, saisissant les données du problème.

- C'est incroyable, fit Anthony. Pourquoi est-ce que ton corps t'ordonne de fuir et de… comment dire ?

- Retrouver une forme offensive plus puissante ? proposa Mandy.

- Peut-être que c'est plutôt en guise de protection, suggéra Derek.

- Silence, interrompit Padma.

Blaise venait de laisser les Serpentards partir devant et changeait de route pour s'approcher des Serdaigles.

Derek se mit d'autorité entre lui et sa meilleure amie, se redressant de toute sa hauteur. Anthony, son insigne de préfet brillant sur sa poitrine, s'avança à son tour. Mandy passa son bras sous celui de Rose, pour la soutenir.

Si Blaise n'avait jamais vu les Serdaigles afficher un air ouvertement hostile, c'était maintenant chose faite. Pas suffisamment téméraire pour les provoquer, il s'arrêta à bonne distance. Il regarda Anthony, préfet du groupe, puis lança d'une voix claire :

- Je ne sais pas ce qui vient de se passer. Je voulais simplement savoir comment Rose allait.

Ses yeux sombres glissèrent sur le côté, et le rang des Serdaigles se resserra, comme si le Serpentard avait le pouvoir d'attaquer l'un des leurs d'un simple regard. Terry, que son propre courage étonna, répliqua :

- Laisse-la tranquille ! Elle n'a pas besoin que tu lui tournes autour. Rentre au château !

Derek eut un sourire en coin, fier comme un paon. Blaise les regarda tous, sans agressivité, puis soupira et opéra un sage demi-tour. Mieux vaut ne pas titiller le dragon qui dort, pensait-il. Il disparut de leur vue.

- Ça va ? demanda aussitôt Lisa.

- Oui… Merci. Vous êtes extraordinaires, tous.

Elle coula un regard spécial à Terry et lui sourit.

- Tu m'as épatée !

Il eut un air modeste. Anthony fit un geste vers le château puis ils se mirent en marche. En chemin, Rose expliqua :

- Pourtant, il n'a rien fait de mal… il m'a juste demandé de lui passer le seau…

- Et après ? Comment ça s'est passé ? interrogea Michael.

- Je ne sais pas trop… mon cerveau s'est déconnecté de la réalité, et j'essayais de résister, mais l'instinct était tellement plus fort…

Ils étaient rentrés. Rose soupira, puis haussa les épaules.

- Je suppose que c'est quelque chose de normal, au début.

Malgré l'air dubitatif que Derek lui lança, ils préférèrent se contenter de cette explication.

Ils passèrent le reste de leur première après-midi à faire leurs devoirs qui abondaient déjà.

Le samedi, les équipes de Quidditch firent leurs sélections. Derek et Michael partirent épauler leur capitaine Roger Davies qui voulait réunir l'équipe. Il n'y aurait pas de nouveaux joueurs cette année dans l'équipe et Davies restait leur capitaine pour sa dernière année à Poudlard.

Le jeudi, ils avaient de nouveau Botanique. Rose prit les devants et alla voir leur professeure au début du cours. Elle avait échafaudé un plan dans sa tête, qu'elle avait dû mettre en œuvre dès lundi.

- Professeure, je souhaite m'excuser pour lundi. J'ai amené un mot de Madame Pomfresh.

- Vous étiez malade ?

- Je ne me sentais vraiment pas bien et il a fallu que je sorte en urgence pour euh…

Elle eut une mimique éloquente.

- Je suis allée à l'infirmerie après, acheva-t-elle en tendant le bout de parchemin.

- Très bien.

Il avait été aisé de raconter à l'infirmière qu'elle ne s'était pas sentie bien, vu ses antécédents. Madame Pomfresh en avait profité pour lui faire un examen de contrôle rapide et avait pris de ses nouvelles. Puis elle avait signé de bonne grâce le mot d'excuse.

- Professeure ? Pour les binômes, est-ce que…

- Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit. Monsieur Zabini est désormais votre partenaire.

L'élève hocha docilement la tête.

Génial.

Elle longea la paroi de la serre et s'installa sur la gauche de la paillasse. Blaise était déjà là. Rose tortilla ses doigts sur la table. Leurs travaux du jour consistaient à observer une plante carnivore.

- Observez-la, nourrissez-la, dessinez, schématisez. Je veux quarante centimètres de parchemin à son sujet pour lundi prochain. Pensez à illustrer votre devoir.

Rose soupira. Au moins, pas de terre cette fois-ci. L'espèce de monstre végétal semblait dormir ou quelque chose dans le genre.

Du coin de l'œil, elle vit Blaise s'asseoir et fouiller dans son sac. Elle l'imita et se concentra sur la plante, rapportant tout ce qu'elle remarquait sur son parchemin. Elle fit également quelques croquis agrémentés de légendes. Lorsque la cloche sonna, elle prit une profonde inspiration et se lança :

- Euh, pour l'autre fois…

Intimidée, elle releva la tête. Blaise était déjà parti et elle venait de parler dans le vide. Se sentant stupide et honteuse, Rose resta bouche bée un instant, puis elle se reprit et rangea ses affaires.

Le déjeuner lui passa au-dessus de la tête. William et les autres essayèrent de la divertir et de la faire parler un peu, sans succès. Elle se rendit en Sortilèges, l'air absent, plongée dans ses pensées.

Pourquoi l'avoir ignorée ? Elle aurait juste voulu s'expliquer pour lundi. Elle n'était pas en tort, après tout. Elle regarda distraitement le professeur Flitwick.

Peut-être qu'il ne veut vraiment plus me parler. Et que ce comportement est simplement la suite de cet été. Il ne m'a pas écrit, il m'ignore maintenant que nous sommes obligés de nous côtoyer. Lundi, il a simplement fait preuve de sympathie envers une camarade de classe. C'est tout. Après tout, il n'a rien dit de personnel. Il parlait juste de Botanique.

Forte de cette explication, qui lui semblait tout à fait logique, elle soupira un peu. La quatrième année appartenait au passé, à présent. Terminé les lettres, les rendez-vous clandestins, les baisers sur sa joue, sur sa bouche… Elle secoua la tête. Rose ne niait pas qu'elle avait beaucoup changé, et pour cause. Blaise, lui, avait simplement changé d'avis à son sujet.

Elle se concentra finalement sur le cours et s'appliqua à faire taire son crapaud.

Le soir, Rose se roula en boule dans ses draps et réfléchit, encore.

Blaise n'était plus son ami. William et elle s'étaient rapprochés. Les cours de DCFM était une vaste plaisanterie, et c'était sûrement parti pour durer.

Ses cours de Botanique allaient vite l'insupporter.

Elle haïssait toujours autant l'Astronomie.

Tout se mélangeait un peu dans sa tête, mais les informations étaient claires.

Kietel leva ses yeux noirs vers elle, se demandant pourquoi sa maîtresse soupirait tant, ce soir-là. Après une dernière caresse, il la vit fermer les yeux et s'endormir. Le petit Boursouf s'installa alors au creux de son cou, sur l'oreiller, et baissa les paupières à son tour.

- Il est temps, annonça Anthony.

Il était en effet vingt-deux heures passées, largement l'heure pour eux de se mettre à l'abri des oreilles indiscrètes. Le petit groupe remballa ses affaires et quitta la table où ils étaient installés. Ils montèrent tous les huit dans la chambre des garçons, silencieux. Vu l'heure, aucun risque pour qu'un de leurs cadets vienne les déranger. Et la plupart de leurs aînés ne fréquentaient pas les cinquièmes. Michael poussa la porte du dortoir, entra et fit passer les filles. Derek fermait la marche. Ils s'installèrent un peu partout dans la pièce, sur les lits ou bien des fauteuils bleus.

La séance pouvait commencer. Sept paires d'yeux se tournèrent vers la vedette de la soirée.

Rose prit son temps, les regarda tour à tour et s'éclaircit la gorge.

- Comme vous le savez, j'ai une maladie. L'an dernier, j'ai été hospitalisée pendant quatre mois, pour que les Guérisseurs essaient de trouver ce que j'avais, remémora-t-elle, avisant leurs hochements de tête. Lorsque je suis revenue, vous avez tous assisté à diverses de mes crises. À mon retour à Poudlard, elles montaient crescendo en douleur. Et la dernière était donc le 24 juin, à l'infirmerie.

Une fois ces faits rappelés, Rose put entamer la véritable histoire.

- Avant d'entrer à l'infirmerie, j'avais été fiévreuse pendant quelques jours. Je croyais honnêtement que c'était à cause des examens… bref.

Elle inspira brièvement.

- Ça a commencé comme les autres fois : convulsions, douleur dans tout le corps, perte de contrôle… je savais, je sentais que Derek et Blaise étaient là, qu'ils voulaient faire quelque chose pour m'aider… mais en même temps, je voulais à tout prix les empêcher de s'approcher de moi.

Sa voix faiblit un peu. Rose se racla la gorge.

- Je crois que j'y suis parvenue. Vous pouvez demander à un des intéressés, ajouta-t-elle en désignant Derek du menton.

Il opina pour confirmer ses dires, mais ne dit rien.

- Ensuite, tout a dégénéré. Je ne sais pas ce qu'ils ont vu, mais moi, je voyais beaucoup de choses. C'est vraiment impossible à décrire, soupira-t-elle. Je pensais surtout que j'allais mourir.

Lisa lui frôla la main pour l'encourager.

- Je sentais beaucoup de lumière autour de moi, c'était douloureux… mais je n'étais plus vraiment consciente je crois. Puis ça s'est aggravé… la douleur… celle que j'ai ressenti quand la lumière est devenue noire… qu'elle m'a enveloppée… une voix me disait des choses horribles…

Terry eut un hoquet de surprise.

- J'en suis presque sûre, affirma-t-elle. J'ai eu si mal… c'était atroce. J'ai cru que mon corps partait en lambeaux, que quelque chose essayait de sortir de moi-même en déchirant tout sur son passage… j'avais juste envie de mourir.

Sa voix se brisa. Rose reprit :

- Et d'un coup, je ne sentais plus rien. Ma tête s'est vidée. Mon corps ne me faisait plus mal, et d'ailleurs je ne le sentais pas. J'ai pensé que j'étais morte, vraiment, et que c'était enfin terminé.

Elle eut un sourire et regarda vers Derek.

- Et je l'ai entendu… qui m'appelait… c'est comme ça que j'ai compris que j'étais vivante, parce que Derek ne pouvait pas être mort…

Elle battit furieusement des paupières.

- J'ai pris conscience de mon corps. La douleur était partie, et je me sentais… apaisée. Mais quelque chose était étrange.

Nouveau sourire.

- Tous mes muscles étaient douloureux, mais ça me semblait normal. Et j'ai vu Derek et Blaise, et j'ai pensé, c'est fini, ça y est.

La jeune fille tortilla une mèche de cheveux, lança un regard à ses amis. Ils étaient suspendus à ses lèvres.

- Puis je me suis immobilisée. J'étais épuisée, et surtout, j'ai vu Blaise et Derek… je les ai vus reculer, avec cette peur dans le regard.

Elle s'arrêta, fit une moue.

- Non, pas de la peur. De la terreur pure, corrigea-t-elle.

Rose soupira.

- C'est à ce moment-là que j'ai compris. J'ai su précisément ce qui venait de se passer, ce que j'étais devenue, je ne sais pas pourquoi. J'étais dans les vapes, je ne pouvais pas me voir… mais je savais.

- Ensuite ? risqua Mandy dans un souffle.

- Je me suis redressée… j'ai marché dans du verre, j'ai eu mal, mais bizarrement, c'était une de ces douleurs rassurantes. J'ai marché vers Blaise et Derek, je crois, mais je suis tombée et je me suis évanouie. Enfin. Honnêtement, je n'aurais pas eu la force de faire bien plus que ça.

Les yeux voilés à force de revivre l'événement, Rose se tut. Padma murmura :

- Et maintenant ?

- Maintenant ? C'est-à-dire ?

- Pour ta maladie ?

- C'est terminé, rassura-t-elle. C'est ce que mon intuition me dit… et ce que Madame Pomfresh pense également.

Elle fit un sourire malicieux.

- Elle m'a expliqué que, comme je m'étais finalement transformée sans trop de dommages, je n'étais probablement qu'une simple Animagus maintenant.

- C'est déjà pas mal ! s'exclama Michael. Enfin, même si tu as vraiment souffert pour le devenir, ajouta-t-il comme Derek lui lançait un regard noir.

Rose rit légèrement. Brutalement, elle lâcha :

- Je ne suis pas seule.

Elle résuma son entretien dans le bureau de Dumbledore, avec son père, Flitwick et Pomfresh. Son dégoût apparent du nom de sa maladie les fit rire, mais ils furent surtout surpris, voire indignés que personne ne lui en eut parlé avant. Mais ce qui était fait, était fait. Et finalement, Rose n'aurait pas été plus avancée de savoir que sa maladie existait déjà, puisqu'il n'y avait aucun traitement.

Ils en parlèrent pendant un moment, chacun donnant son avis et posant des questions supplémentaires. Rose avait promis de répondre à toutes leurs demandes. Elle ne put s'empêcher de leur rappeler l'interdiction formelle qu'ils avaient d'en parler autour d'eux.

Puis, Terry la rejoignit sur le lit de Derek où elle était assise et la regarda intensément. Ses yeux gris avaient toujours paru très expressifs à Rose, et parfois elle le comprenait avant qu'il parle.

- Tu crois ? murmura-t-elle.

Il opina.

- Les autres aussi, affirma-t-il.

Elle se tourna vers ses amis.

- Vous… vous voudriez voir ?

Ils la fixèrent si intensément qu'elle ne peut réprimer un sourire. Puis Anthony prit posément la parole :

- Si tu es d'accord, que ça ne te gêne pas, oui, nous aimerions voir ton Animagus.

Rose se leva et se posta dans un coin de la pièce d'où ils pouvaient tous la voir. Elle ferma les yeux, se concentra…

Plop !

Ses quatre pattes touchèrent le sol sans un bruit. L'animal ouvrit ses yeux. Le vert apparut, éclatant au milieu du pelage noir.

Lisa et Mandy poussèrent des exclamations de stupeur, Michael jura et Terry se cramponna au matelas. Anthony remonta ses lunettes sur son nez et ne dit pas un mot. Padma avait plaqué sa main contre sa bouche. Derek souriait.

Ils ne semblaient pas effrayés, juste choqués, mais pour les rassurer, la panthère s'avança vers la personne qui l'avait déjà vue. Elle frotta sa tête contre la jambe de Derek, qui répondit par une caresse.

À leur étonnement à tous, Lisa se laissa glisser de son fauteuil et s'approcha à quatre pattes de Rose. Elle se planta devant la panthère, collant presque son nez au museau noir.

- Mais qu'est-ce que tu fabriques ? s'étrangla Anthony.

- C'est… c'est encore mieux que ce que je m'étais imaginé ! s'exclama-t-elle, excitée. C'est génial ! Non, c'est extraordinaire !

Ses yeux étaient grands ouverts et elle contemplait l'animal, une expression de fascination sur le visage.

- Rose, c'est incroyable !

Elle l'examina de plus près.

- Tu as gardé toutes tes caractéristiques d'humaine… la cicatrice, les yeux… tu as ta tache de naissance sur les côtes ?

Pour toute réponse, la panthère pencha la tête sur le côté.

- Tu ne sais pas ? Je peux vérifier ?

Rose poussa un ronronnement bref, comme un consentement. Elle se leva et attendit. Les doigts de Lisa parcoururent son pelage, à la recherche de la fameuse tache. La main s'immobilisa et Lisa observa d'un ton triomphant :

- Elle y est !

Elle posa sa main sur la tête de l'animal.

- C'est incroyable, répéta-t-elle. Pardon de t'avoir examinée comme ça, c'est irrésistible.

L'animal remua les moustaches, amusé. Il sentit une deuxième main lui toucher le dos.

Terry.

La panthère ronronna plus fort.

Mandy.

Padma.

Puis tous les autres, à tour de rôle, comme on touche un porte-bonheur, pressèrent leurs doigts contre elle.

Ravie, elle ronronnait sans interruption. Tous parlaient en même temps, faisant des commentaires, Anthony de sa voix posée, Lisa toujours surexcitée, Terry curieux mais pudique, Mandy franche et claire. Ils riaient beaucoup et elle les observait, d'un coup bien consciente d'avoir des amis extraordinaires. Ils l'acceptaient, sans question, sans condition.

Ils s'installèrent finalement pour une soirée improvisée, sortant cartes, magazines, jeux. La panthère resta parmi eux, à l'aise et ravie de se faire papouiller sans cesse par les filles. Il était plus de minuit, Anthony était sorti chercher à manger aux cuisines, Padma avait fait un saut chez les filles pour récupérer quelques affaires. Ils parlaient à voix haute, sans se soucier du reste du château, grisés par leur soirée.

Lisa, assise en tailleur sur un des lits, avait une grosse tête noire sur le genou. L'animal la regardait s'escrimer à faire faire un test de magazine à Mandy, qui s'obstinait à donner des réponses absurdes qui les faisaient hurler de rire. Padma les regardait et commentait, tout en se vernissant les ongles. Terry et Anthony étaient en pleine partie d'échecs, à même le sol, aux pieds des filles. La queue de la panthère se glissait régulièrement devant les yeux d'Anthony, ce qui, clama-t-il, provoqua sa défaite alors qu'il allait gagner. Terry gratouilla l'arrière de l'oreille du félin en guise de remerciements. Michael et Derek, armés de parchemins, montaient des stratégies pour le Quidditch. Leurs techniques finissaient généralement très mal pour les deux équipes, mais ils amusaient tout le monde en s'exclamant à tout va.

Les oreilles de la panthère frémirent.

Plus rien.

Elle reporta son attention sur les filles.

Et releva brusquement la tête. Elle se leva d'un bond, sauta au sol, contourna les garçons et se posta face à la porte. Elle coucha les oreilles en arrière et découvrit les dents. Un feulement bas gronda dans sa gorge. Sa queue se balançait nerveusement de droite à gauche.

L'alarme était claire. Quelqu'un arrivait. Elle recula, la présence était de plus en plus proche. Derek avait fait un geste aux autres qui s'étaient immobilisés en voyant le félin bouger. Les filles jetèrent une couverture sur leurs affaires et disparurent dans la salle de bain à toute vitesse. Lisa empoigna l'animal par le collet et l'entraina avec elle. Le plop retentit en même temps que la porte du dortoir s'ouvrait. Les quatre filles fixèrent la porte et écoutèrent. Rose entendait chaque détail, pouvait imaginer chaque mouvement.

- Excusez-moi ! clama une voix masculine agacée.

La porte se referma.

- Je peux savoir ce que vous fabriquez ?!

Terry et Anthony se relevèrent, rejoints par Michael et Derek. Les quatre garçons faisaient barrage entre le septième année et la salle de bain.

- On vous entend depuis la Salle Commune, accusa-t-il. Alors, explication ?

L'un d'eux avala sa salive. Anthony parla en premier.

- Nous n'arrivions pas à dormir, alors nous nous sommes relevés. Toutes nos excuses si nous avons fait trop de bruit, c'était involontaire.

Sa voix de diplomate sembla calmer un peu leur ainé.

- Il est plus d'une heure du matin, et c'est inadmissible qu'un tel désordre règne chez les Serdaigles ! On révise nos ASPIC, nous !

Il fit une pause, certainement pour les regarder tour à tour, pour appuyer son propos.

- Allez vous coucher maintenant. Et si jamais ça se reproduit, je serai obligé de vous dénoncer et d'en parler au professeur Flitwick, menaça-t-il. C'est clair ?

- Très clair, répliqua Derek, que le ton autoritaire n'intimidait pas.

Le septième finit par s'éloigner, puis franchit la porte et partit. Terry referma le battant, soulagé. Sans s'en rendre compte, les filles se tenaient les mains, concentrées sur ce qui se passait de l'autre côté. Michael ouvrit la porte.

- C'est bon, marmonna-t-il. Il est parti.

Elles sortirent enfin. Rose ne put réprimer un sourire.

- Heureusement qu'il n'a pas vu Sorcière Hebdo ni les flacons de vernis ! se moqua-t-elle.

Ils s'entreregardèrent, souriant d'un air coupable.

- Mesdemoiselles, annonça Anthony, je crois qu'il est temps pour vous de regagner vos appartements.

Padma approuva. Elles remballèrent leurs affaires pendant que Michael sortait inspecter le couloir.

- La voie est libre, fit-il en revenant, mais faites vite. On sait jamais.

Elles se faufilèrent par la porte. Avant de partir, Rose se retourna et interpella à voix basse :

- Hé !

Elle obtint leur attention.

- Merci, lança-t-elle avec un sourire.

Après cette soirée, une nouvelle complicité s'installa entre les huit Serdaigles. Ils étaient déjà très proches, mais avoir un secret à partager, un secret si particulier, rendit leurs relations spéciales. Parfois ils se lançaient juste de rapides coups d'œil, et semblaient se comprendre comme s'ils avaient parlé des heures. Leur fraternité s'accrut et ils se serraient les coudes comme jamais.

Leur obstacle de l'année : les BUSE. Les professeurs n'avaient de cesse d'en parler, alors ne pas y penser relevait de l'exploit. Ils travaillaient beaucoup, s'enfermant dans la Bibliothèque, la Salle Commune, ou parfois même la chambre des garçons pour être vraiment seuls.

Pour eux, la nomination de la professeure Ombrage au poste de Grande Inquisitrice n'eut pas un impact énorme. Ils avaient simplement eu la confirmation que la femme en rose était bel et bien envoyée par le Ministère pour fourrer son nez dans les affaires de l'école. Les cours de DCFM ne changeaient pas, comme prévu. Les huit amis avaient décidé de se résigner, simplement, et d'attendre que cette folie cesse. Lutter serait inutile et ne leur apporterait que des ennuis. Ce n'était que pour un an, car ne disait-on pas que le poste de professeur de DCFM était maudit ?

La seule chose qui les inquiétait, c'était que leur niveau, durement acquis et amélioré en troisième et quatrième, allait baisser.

Il fallait qu'elle se lance. Ce n'était pas si difficile après tout. Elle s'en était fait la promesse, après de nombreuses discussions à ce sujet avec Derek. Allez. Elle vit que le Serpentard avait appuyé sa main sur le plan de travail. Pleine de courage, elle posa sa main sur celle de Blaise. Elle tremblait légèrement, mais sa voix était ferme. Elle voulait dire plusieurs choses à la fois, elle voulut organiser ses paroles, mais tout ce qui sortit fut :

- Pourquoi ?

Rose ne le regardait pas, les yeux figés sur leurs mains immobiles. Sa peau diaphane tranchait sur la main foncée de Blaise. Ses doigts lui paraissaient si fins, si fragiles à côté de la grande main. À son majeur, une bague en or ornée d'une émeraude brillait. L'anneau glissait sans arrêt de son doigt, à cause de tout ce poids qu'elle avait perdu. Elle se sentit toute petite.

Elle l'entendit soupirer, mais il ne fit pas un geste.

- Regarde-moi.

Rose déglutit, puis releva la tête. Blaise la contemplait souvent sans retenue, mais ce qu'il regarda aujourd'hui, c'étaient ses yeux. Pour y lire la vérité.

Il y vit de la peur, il décela l'orgueil de la riche aristocrate, et enfin, comme la note de fond d'un parfum, il trouva une blessure, profonde, suintante. Rose irradiait la peine, la souffrance d'être rejetée. Le souffle coupé par l'intensité de ce que son regard renvoyait, Blaise entrouvrit la bouche.

Rose inspirait lentement par les narines, se forçant à ne pas prendre ses jambes à son cou comme son instinct le lui ordonnait.

Il apposa sa main droite par-dessus les leurs, faisant comme un écrin à la main pâle. Un frisson électrique parcourut la colonne vertébrale de Rose. Les doigts de Blaise se pressèrent aux siens.

- Je crois qu'il faut qu'on parle, fit-il alors à voix basse.

Soulagée, Rose ferma les yeux un bref instant.

- Oui.

Il esquissa un sourire qui réchauffa le cœur de Rose. Cela faisait des semaines qu'elle ne l'avait pas vu sourire.

La sonnerie qui retentit ne les perturba pas. Les amis de Blaise qui l'appelèrent, plus. Il ouvrit la bouche, prenant une inspiration, regarda autour de lui comme s'il avait oublié qu'ils étaient dans la serre numéro 3, en cours de Botanique. Rose sourit, puis retira sa main avec précaution. Elle rangea ses affaires et il l'imita aussitôt avant de se pencher vers son oreille :

- Ce soir, vingt heures, même lieu ?

Elle approuva, gardant son sourire timide. Il lui lança un dernier regard puis s'éloigna à grands pas. Savourant l'instant, Rose sortit tout doucement de la serre, rejoignant ses amis qui s'impatientaient.

- Tu faisais quoi ? demanda Lisa avec curiosité.

- Je discutais…

- Avec madame Chourave ? s'étonna Mandy. Qu'est-ce qu'elle te voulait ?

- Non, pas avec elle…

Elle regarda au loin, là où des Serpentards entraient dans le château. Ses amis comprirent instantanément.

- Vous êtes parvenus à vous parler alors ? interrogea Derek.

- Un peu… il faut qu'on s'explique. Que je comprenne ce qui s'est passé.

Sur ces mots, ils s'installèrent à table. Rose mangea sans vraiment faire attention à ce qu'il y avait dans son assiette.

Finalement, s'il avait accepté de lui parler, tout n'était peut-être pas perdu.

Peut-être que c'est un piège, glissa une voix sournoise au fond d'elle. Pour t'attirer dans les filets d'Ombrage… N'oublie pas à quelle maison il appartient…

Elle secoua la tête, s'attirant un regard d'Anthony. Rose lui sourit brièvement pour le rassurer.

Impossible. Blaise ne ferait pas une chose pareille. C'était un Serpentard, mais ça ne voulait pas dire qu'il était profondément vil et méchant.

Oscillant entre diverses hypothèses, Rose traversa l'après-midi sans encombre. La journée s'acheva avec le cours de Sortilèges et une session Bibliothèque – pour changer.

Elle grignotait du bout des lèvres au diner, songeant que vingt heures était une heure parfaite : ils n'étaient pas en dehors des limites, et personne ne roderait dans les couloirs puisque le diner ne serait pas encore terminé.

Un coup de coude de Derek la ramena à la réalité. Elle tourna son regard vers lui. Il lui souriait avec indulgence.

- Encore sur la planète B ?

Elle sourit du surnom.

- Désolée, fit-elle en posant ses couverts.

- Salut les cinquièmes ! lança une voix joyeuse. Alors, sortis de la Bibliothèque ?

Idriss les gratifia d'un grand sourire en s'asseyant. Nassim, Marc et William le suivaient de près et se laissèrent tomber sur les bancs à leur tour.

- Fais le malin, prévint Padma. Il parait que la sixième, ce n'est pas de la tarte non plus.

- Surtout avec les ASPIC qui se profilent à l'horizon, ajouta Anthony.

- Ah, parlez pas de malheur ! s'exclama Nassim, faisant rire les autres.

- Hé Michael, prêt pour l'entrainement tout à l'heure ? lança Idriss. Davies est remonté, je crois qu'on va souffrir.

Pour toute réponse, l'intéressé grommela. Derek semblait, comme souvent, en pleine forme et ravi de retourner sur le terrain.

- J'ai hâte, fit-il.

- Moi aussi, confirma William. Rose, tu viendras nous voir ce soir ?

- Le retour de l'Aiglon ! se moqua gentiment Marc.

Rose leva les yeux au ciel pendant que les autres riaient. Derek lui, attendait avec impatience qu'elle réponde à William. Elle évita soigneusement le regard du blond.

- Euh, non, pas ce soir, je peux pas, parce que je… ne peux pas.

Lisa étouffa un rire.

- C'est une bonne raison, énonça Nassim d'un air docte, le sourire aux lèvres.

Mais quelle andouille ! pensa-t-elle. Tu ne pouvais pas faire plus idiot comme réponse !

Heureusement pour elle, William savait très bien gérer les déceptions.

- La prochaine fois alors !

- Promis, répondit-elle, se forçant à sourire sans cesser de se trouver stupide.

Elle regarda rapidement la montre de Derek, puis quitta la table pour remonter se changer.

Elle enfila un jean et un pull plus joli que celui de l'uniforme et se mit en route. Il n'y avait plus qu'à espérer que « leur » salle serait toujours accessible. En arrivant près de la porte, elle songea aux soirée qu'ils avaient passées là l'an dernier. Est-ce qu'ils allaient pouvoir recommencer ? Ou était-ce déjà trop tard ?

Rose prit une grande inspiration, puis baissa la poignée et poussa le battant. Elle se glissa dans l'interstice et referma la porte. Elle fut assaillie par l'obscurité. Aucune torche chaleureuse ne flambait, aucune lumière ne filtrait. Cette noirceur autrefois si rassurante la mettait présentement mal à l'aise. Rose s'aperçut qu'elle s'attendait toujours à un piège, quelque part au fond de sa conscience. Elle était prête à se battre, elle le sentit à son corps tendu, à sa main crispée sur sa baguette. Se forçant à ne pas paniquer, l'Animagus fit appel à ses sens et se concentra sur ce qu'elle entendait.

Un être humain dans la pièce. Elle entendait son souffle, son cœur qui battait. Mais lui, l'avait-il entendue ?

Toujours sur le qui-vive, elle fit un pas en avant. Elle entendit l'autre bouger.

Au même instant, deux voix retentirent dans la pièce.

- Lumos !

Leurs baguettes s'allumèrent mais ils avaient reconnu leurs voix. Soulagée, Rose soupira tandis que Blaise se mettait à rire.

- La confiance règne, on dirait, dit-il en guise de préambule.

- C'est normal non ? avec l'autre crapaud qui rôde, répliqua Rose sur la défensive.

- J'avais peur que tu ne viennes pas, finalement.

- Pourquoi je ne serais pas venue ? Il faut qu'on discute, non ?

- Oui.

Elle vit la lumière de la baguette de Blaise approcher, alors elle s'avança à son tour. Lorsqu'ils furent un peu plus proches, Rose se hissa sur une table après en avoir testé la résistance. Face à elle, le Serpentard eut juste à s'asseoir, sur un autre bureau. Ils rangèrent leurs baguettes et se plongèrent de nouveau dans le noir.

- Qu'est-ce qui s'est passé cet été ? accusèrent-ils d'une même voix.

Surpris qu'ils se reprochent la même chose, ils se turent subitement, ne sachant plus par où commencer. Sentant l'hésitation de Blaise, Rose attaqua la première :

- Je t'ai écrit une lettre, début juillet. Tu n'as jamais répondu. Pourquoi ? Tu n'as pas reçu mon courrier ? ou tu ne voulais pas répondre ?

- Je te signale que je t'en avais écrit une juste avant toi, répliqua-t-il sèchement. J'ai pensé que nos hiboux s'étaient croisés, et j'ai attendu dix jours avant de t'en renvoyer une autre.

- C'est faux, assena Rose. Tu n'as rien envoyé. Je n'ai rien eu.

- Je t'assure que si, et plusieurs même ! Et tu sais quoi ? grinça Blaise, furieux.

- Quoi ?

Le ton était sec et tranchant.

- J'aimerais bien savoir pourquoi tu m'as renvoyé toutes mes lettres peu après ! riposta-t-il. Elles n'étaient pas assez bien pour toi ?

Rose grinça des dents. Ses poings se serrèrent.

Maitrise-toi.

- Je n'ai renvoyé aucune lettre, puisque je n'en ai reçu aucune, insista-t-elle.

Il eut un grognement de rage.

- Tu les as toutes ouvertes et tu n'as pas daigné répondre ! clama-t-il. C'est un peu injuste de m'accuser maintenant, non ?

Elle poussa un cri de frustration.

- Je n'ai rien reçu, Blaise ! Par Merlin, rien ! Rien du tout ! martela-t-elle.

Il soupira, excédé.

- Cette conversation ne mène à rien. Tant que tu refuseras d'admettre que tu me mens…

- JE NE TE MENS PAS ! coupa-t-elle, folle de colère.

Elle se leva d'un bond et arpenta la pièce de long en large.

Calme-toi. Ça va dégénérer. Respire. Inspire ; expire. Inspire ; expire. Pense à un champ de pâquerettes.

Blaise ne fit pas un mouvement pour l'arrêter.

Les poings serrés de Rose tremblaient, sa frustration était telle qu'elle avait envie de pleurer. Et surtout, de se transformer. Ce qui règlerait momentanément tous ses problèmes. C'était si tentant…

Résiste. Inspire ; expire.

Son souffle se faisait erratique. À bout de nerfs, tant le combat entre raison et instinct était rude, elle sentit des larmes couler le long de ses joues. Rose était tellement concentrée sur sa prise de contrôle qu'elle ne savait même plus où était Blaise, ni même s'il était encore là.

Je. ne. veux. pas. me. transformer.

Finalement, elle reprit le dessus. La panthère s'éloigna, et Rose fut prête, après un énième cycle d'inspiration-expiration, à régler ses problèmes comme une grande fille. Enfin presque.

- Tu es toujours là ? chevrota-t-elle.

Pas très convaincant. Elle essuya rapidement ses larmes.

- Oui, répondit une voix dure. C'est bon, tu es calmée ?

Comme elle ne répliquait pas, il poursuivit :

- Ça t'arrive souvent de piquer des crises de nerfs quand tu t'énerves ?

Son ton était sec et égal. Rose claqua la langue contre son palais pour toute réponse. Elle s'était immobilisée et savait qu'elle faisait face à Blaise.

- Blaise, une dernière fois, je te jure solennellement que je n'ai reçu aucune lettre de ta part. Je t'assure que si ça avait été le cas, je t'aurais répondu.

La voix de Rose était neutre, formelle. Elle ne pouvait toutefois pas s'empêcher de serrer le poing. Elle continua :

- Je t'ai écrit une lettre début juillet, mais comme je ne recevais aucune réponse, je n'ai pas insisté.

- Alors quoi, tu voudrais me dire que toutes mes lettres ont été interceptées, lues et renvoyées chez moi ?

Son ton n'était plus agressif mais dubitatif.

- Je ne sais pas… c'est une explication logique… mais qui ?

Il ne répondit pas. Elle sentait qu'il n'arrivait pas à croire à cette hypothèse. Mais plus elle y pensait, plus il lui semblait que c'était l'explication à tout. Qui ferait ça et dans quel but, c'était un autre sujet. Rose s'avança jusqu'à être à quelques centimètres de lui. Elle avança la main, tendit les doigts et rencontra les bras croisés de Blaise. Elle enroula sa main autour de son poignet et souffla encore :

- Je te le jure. Blaise, j'ai cru que… j'ai cru que tu ne voulais plus me parler, après… après…

Elle n'arrivait pas à finir. En parler était subitement douloureux.

- J'ai pensé que tu préférais couper tout lien avec moi, alors je n'ai pas voulu te harceler de courriers…

Sa main gauche rejoignit la droite sur les bras du Serpentard. Elle serra ses doigts inconsciemment.

Elle était terrifiée qu'il la rejette. Et s'il faisait ça violemment, il risquait de lui faire mal. Lorsqu'il bougea enfin, elle ferma les yeux et se crispa, prête au choc. Elle eut le temps de penser qu'elle n'arriverait pas à empêcher sa transformation s'il était trop brutal.

En réalité, Blaise décroisa lentement les bras pour prendre les mains de Rose dans les siennes.

- Pourquoi ? demanda-t-il alors.

- Pourquoi quoi ?

- Pourquoi as-tu pensé que je ne voulais plus rien avoir avec toi après ce qui s'était passé en juin ?

Déconcertée, elle ouvrit la bouche sans savoir quoi dire.

- Je ne sais pas, je me suis dit que… tu avais eu peur, que tu ne voulais pas connaitre quelqu'un comme moi. Tu n'aurais jamais dû assister à… à cette horreur, souffla-t-elle. J'ai vu ton regard quand je suis revenue… tu étais terrorisé…

Blaise soupira. Les mains de Rose tremblaient un peu dans les siennes.

- Bien sûr que j'étais terrorisé, Rose !

Elle eut un gémissement plaintif.

- Je venais de te voir te tordre de douleur comme jamais, tu hurlais comme un loup et d'un coup, tu as disparue ! Avalée par de la fumée noire ! Mais tu continuais à crier… c'était terrible, mais crois-moi, de t'entendre hurler, ça nous assurait que tu étais toujours en vie.

Il fit une pause et inspira.

- Et lorsque tu réapparais, tu n'es plus toi… alors oui Rose, j'étais terrorisé. J'ai cru que tu étais en train de mourir.

Il secoua la tête, elle devina son mouvement.

- Mais je peux t'assurer que jamais, jamais je ne me suis dit que je ne voulais plus te voir.

Ses paroles faisaient lentement effet dans l'esprit de Rose. Elle bredouilla enfin :

- Tu ne me détestes pas alors ?

- Bien sûr que non… mais j'ai cru que toi, tu m'ignorais. À cause des lettres.

- Blaire, je te jure et jure encore…

- Je te crois.

- Vraiment ?

- Vraiment, assura-t-il. Mais avoue que c'est tout de même étrange.

- Ça l'est. Je ne comprends rien non plus.

Rassurée maintenant qu'ils s'étaient expliqués, Rose eut un sourire. Les lettres restaient un mystère, mais là n'était pas l'essentiel.

- Et en Botanique ? interrogea soudainement Blaise.

Rose dut réfléchir un instant avant de comprendre. Elle soupira, honteuse. Comment expliquer tout ça simplement ? Hors de question qu'elle lui détaille l'effet que ça lui avait fait quand il s'était retrouvé face à elle après des semaines d'absence, les jambes paralysées, les genoux cotonneux, les bras ramollis… Elle rassembla son courage.

- Oh, je m'excuse pour ça, vraiment… Disons que c'est un problème de… contrôle de moi-même.

- De contrôle ?

- Disons qu'à l'occasion, j'ai du mal à contrôler ce que je suis devenue… tu comprends ?

- Le fauve fait des apparitions intempestives ? résuma Blaise, moqueur.

Soulagée qu'il le prenne de cette façon, elle confirma.

- J'ai remarqué que lors d'un choc émotionnel trop violent, j'ai tendance à me transformer automatiquement… enfin, ce n'est pas simple à expliquer, désolée…

Rose sentit son ami se détendre visiblement. Rieur, il demanda :

- Et c'était moi le choc émotionnel en Botanique ?

- Je suppose, oui, marmonna-t-elle.

Heureusement qu'il ne pouvait pas voir son visage. Elle devait être rouge tomate.

- J'ai une question à te poser… commença-t-elle timidement.

- Vas-y.

- Quand j'étais à l'infirmerie, après… Est-ce que tu étais là ?

Il resserra son emprise autour de ses doigts.

- Oui, murmura-t-il. Je suis venu tous les jours. Beaucoup de personne ont défilé, mais tu n'étais pas suffisamment consciente pour nous remarquer.

- Merci, fit-elle simplement.

Pour toute réponse, Blaise leva leurs mains, jusqu'à ce que ses lèvres effleurent les doigts de Rose. Le contact très ténu lui coupa le souffle. Il n'embrassait pas le bout de ses mains, mais presque. Ses hormones réagirent au quart de tour et elle eut envie de se blottir contre lui, de le sentir contre sa peau, qu'il l'embrasse encore. Elle résista, ne sachant pas si ce n'était pas un peu prématuré. Mais les mots franchirent ses lèvres trop vite.

- Serre-moi contre toi…

Stupéfaite de sa propre hardiesse, Rose sentit son visage s'empourprer de nouveau. Sa surprise n'était rien comparée à celle de Blaise, qui resta quelques secondes sans bouger. Puis il entoura Rose de ses bras et l'attira contre lui. Elle glissa ses mains dans son dos, sa joue contre son torse. Il resserra leur étreinte et Rose se félicita d'avoir fait des caprices pour qu'ils restent dans l'obscurité.

- Merci. Et pardon.

- Tu t'excuses parce qu'on s'enlace ? s'étonna Blaise.

Elle rit.

- Non. D'avoir été une idiote, plutôt.

- Alors je te dois des excuses aussi. Je suis monté sur mes grands hippogriffes, tout à l'heure.

- J'ai dû résister… tellement résister. Mais j'ai été bête aussi.

- Résister à quoi ? l'envie de m'en coller une ?

Son rire fut plus franc.

- Non. Enfin, peut-être. Résister à l'envie de me transformer. Au besoin de le faire.

- Tu as failli… ? s'étrangla-t-il.

- Oui. Quand je suis descendue de la table.

Il réfléchit un instant.

- C'est pour ça que tu tournais en rond ? J'ai vraiment cru que tu piquais une crise de nerfs, tu sais.

- Ça y ressemble un peu, avoua-t-elle.

- Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?

- Je ne pouvais pas. J'ai dû tellement me concentrer que je n'arrivais pas à parler.

Il médita un instant.

- Comment tu vas alors ? demanda-t-il finalement. Depuis juin.

Elle sourit, toujours contre lui. Comment pourrait-elle aller mal à cet instant précis ?

- Je vais bien. Je ne me souviens pas des premières semaines, enfin c'est très flou. Puis les vacances sont passées… et voilà.

- Tu n'as pas refait de crise alors ?

- Non. Il semblerait que c'est bel et bien terminé.

- Et ça te fait mal ?

Elle décolla son visage pour lever la tête vers lui, les yeux interrogateurs, comme s'il pouvait la voir.

- La transformation ? Non, pas du tout. J'ai juste des problèmes de contrôle, mais j'imagine que pour un cas comme le mien, c'est normal…

- Je suis heureux qu'on ait pu parler, dit-il subitement. Même si ça a mal démarré.

Rose rit un peu.

- Ça aurait été vraiment idiot de tout gâcher comme ça, affirma-t-il. Tu crois qu'on va pouvoir recommencer à discuter tous les deux ?

- Le soir ?

- Quand tu voudras.

- Dans le noir ? souffla-t-elle.

- Où tu voudras.

- Comme avant… ajouta Rose.

- Comme tu voudras.

- Tu es bien conciliant ce soir, plaisanta-t-elle.

- C'est parce que je suis heureux de te retrouver.

Elle fit un effort pour adopter un ton déçu, malgré son sourire.

- Ça ne va pas durer alors ?

- Ne compte pas là-dessus ! rit-il. N'essaie pas d'abuser de ma gentillesse, je te l'ai déjà dit.

- Il faudra que tu me donnes mes lettres. Si tu les as.

- C'est vrai. Tu penses qu'on pourra résoudre cette énigme un jour ?

- Je pense. Il suffirait de trouver une piste.

Elle fit une moue.

- Tu avais bien donné la bonne adresse à ton hibou ? risqua-t-elle.

- Eh bien, je crois que oui. Le Manoir Wayne ne doit pas être difficile à trouver pour un sorcier… supposa-t-il.

- Normalement. Enfin, on n'a jamais eu de problème de courrier avant. Quel mystère ! conclut-elle, rieuse.

Il sourit, frôla sa joue.

- Quel mystère en effet. Je crois qu'on devrait y aller. Je ne sais pas quelle heure il est, mais il doit être tard.

- Je suis d'accord. On se reverra lundi en Botanique ? proposa-t-elle.

Blaise confirma puis se glissa vers la porte.

- Ça ira pour rentrer ? interrogea-t-il.

- Je me souviens du chemin.

Ils se séparèrent rapidement et Rose retrouva vite son dortoir.

Le lundi en Botanique, ils purent à peine se parler, parce que la professeure Chourave était d'une humeur massacrante et ne supportait pas le moindre murmure.

Ils durent donc effectuer leurs travaux en silence. Ils travaillaient très proches l'un de l'autre. Blaise profita éhontément de la situation et n'arrêtait pas de titiller Rose, tantôt en lui touchant le bras, frôlant sa main ou effleurant ses doigts. Parfois il la poussait un peu, comme pour dire « tu me gênes », ou lui donnait de légères tapes sur les mains quand elle voulait participer, imitant la façon dont on réprimande un enfant qui veut prendre un bonbon. Privée du droit de parler, la Serdaigle virait régulièrement au rouge, un rouge léger qui colorait ses joues. Il ne pouvait déterminer s'il la troublait ou si elle était fâchée, mais ça avait l'air de beaucoup l'amuser de la torturer. Au moins, elle s'occupait de lui, le repoussant comme elle le pouvait, essayant de se concentrer sur les plants disposés devant eux. Les Serdaigles, qui savaient que ces deux-là s'étaient plus ou moins rabibochés, leur lançaient des coups d'œil amusés de temps à autre.

À la fin du cours, une fois sortis, Rose ne put que glisser à Blaise :

- Je me vengerai…

Puis il rejoignit ses amis avec un dernier sourire.

Le lendemain au petit déjeuner, une chouette retardataire fondit sur Rose. Il était neuf heures passées et elle ne s'attendait plus à recevoir du courrier. Le volatile donna un petit mot à Rose, qu'elle déplia à la hâte.

« Nous nous verrons ce soir.

J'attends ta vengeance avec impatience…

B. »

Elle sourit, amusée. Toute la journée, Rose fut agitée, pensant déjà à la soirée en haut de la tour.

Le soir, enfin, ils assistèrent à leur dernier cours de la journée.

L'Astronomie ne passionnait toujours pas Rose. Ils s'installèrent face à leurs télescopes. Au bout de quelques minutes d'observation, la jeune fille se mordit les lèvres et prit un air découragé quand la professeure passa près d'elle.

- Un souci Miss Wayne ?

Elle soupira théâtralement.

- Je ne comprends pas ce qui se passe, mon télescope est étrange… Regardez.

La professeure se pencha vers l'instrument, se redressa quelques secondes après.

- En effet…

Elle réfléchit un instant.

- Écoutez, pour ce soir, mettez-vous avec un de vos camarades. Laissez-moi le télescope, je m'en occuperai demain.

- Merci beaucoup professeure !

Rose sourit sincèrement, puis se glissa sur le côté.

- Bonsoir, Blaise. Je peux me mettre avec toi ? Mon télescope fait des caprices…

Il sourit et secoua la tête, pas dupe.

- Qu'est-ce que tu as fait à cette pauvre chose ? murmura-t-il.

- Mais rien voyons ! s'offusqua-t-elle. Je peux regarder dans le tien s'il te plait ?

Elle lui fit une petite moue et se faufila entre lui et le télescope avant qu'il ne réponde. Rose regarda sans les voir les étoiles, attendant juste une réaction derrière elle.

- Je peux regarder maintenant ?

Elle se poussa avec un sourire angélique. Blaise colla son œil à la lunette, l'air méfiant. Elle se pencha près de son oreille et badina :

- Alors, tu vois quoi ?

Faisant mine de vouloir regarder encore, elle se colla à lui. Il se redressa presque aussitôt, un sourire en coin. Elle croisa ses mains dans son dos, l'air innocent.

- Tu as fini ? On peut compléter nos cartes ?

Il opina, amusé. Ils se penchèrent au-dessus de leur petite table. Alors qu'ils discutaient à voix basse de la position de telle ou telle planète, Rose effleurait les mains de Blaise. Penchée à côté de lui, elle finit même par passer sous son bras, se serrant contre lui, son dos vers son torse. Elle fixait les cartes, souriante, alors qu'il penchait sa tête contre son épaule en réponse. La main gauche de Blaise était appuyée sur le parchemin. Rose ajouta sa main par-dessus. Feignant de vouloir l'écarter de la table, le Serpentard l'enlaça de son bras droit et la colla un peu plus contre lui.

- Tu me gênes, marmonna-t-il.

Leurs sourires s'élargirent. Courbé contre elle, Blaise finit pas poser son menton au creux de l'épaule de Rose. Reprenant le dessus, il prit sa main gauche dans la sienne et la promena le long de la carte, expliquant quelque chose que Rose ni ne comprenait ni n'écoutait. Lui-même ne savait pas trop ce qu'il racontait. La jeune fille était parcourue de frissons, de la tête aux pieds. Ils restèrent comme ça jusqu'à la fin du cours, se dissimulant dans la semi-obscurité du lieu.

Quand la professeure annonça la fin du cous, ils se séparèrent avant que quiconque ne fasse attention à eux – surtout avant qu'un autre Serpentard les surprennent dans cette position.

Ils descendirent les marches côte à côte, riant de leur petite comédie. En bas, Blaise retint le bras de Rose et la fit ralentir. La jeune fille fit un signe à Lisa et Derek qui ralentissaient pour l'attendre.

- Je vous rejoins plus tard, dit-elle avec un sourire.

Ils opinèrent et disparurent. Les deux amis parcoururent quelques mètres.

- Finalement, tu lui as fait quoi à ce télescope ?

- Oh, je l'ai un peu démonté, et j'ai enlevé une pièce ou deux.

Blaise sourit, amusé. Puis il interrogea alors :

- Tu te souviens des cours d'Astronomie de l'an dernier ?

- Oui, je m'en souviens, souffla Rose.

S'arrêtant, il se pencha vers elle.

- Tu as toujours peur, Rose ?

Sa voix était très douce, caressante. La Serdaigle déglutit et réfléchit.

- Encore un peu, oui. Parce qu'on manque de pratique ! plaisanta-t-elle pour dédramatiser.

Il sourit.

- Il va falloir qu'on reprenne des séances intensives alors.

Elle rougit un peu. Blaise s'adossa au mur.

- Je pense que ça peut être une bonne idée.

- Ça peut être ? C'est une bonne idée, Rose, voyons. Elle est de moi.

Elle éclata de rire.

- Eh bien, ça ne t'a pas rendu plus modeste !

- Que penses-tu de jeudi prochain ? Sur les coups de vingt heures, ça pourrait être bien, non ?

- C'est une bonne idée. Toujours au même endroit ?

- Oui. On évite de se sauter à la gorge cette fois-ci hein ? lança Blaise, malicieux.

- Ça peut se faire ! rit-elle. On pourrait utiliser un mot de passe…

- Pourquoi pas ?

Blaise semblait amusé par l'idée. Il attira Rose contre lui sans prévenir. Elle s'installa dans ses bras.

- Que dis-tu de… télescope ?

Elle rit.

- C'est un bon mot de passe, avoua-t-elle.

Rose sentit son souffle sur son visage. Il se penchait imperceptiblement.

Elle se figea.

- Quelqu'un, murmura-t-elle. Quelqu'un approche. Il faut qu'on se sépare.

Étonné, Blaise ne fit aucun commentaire et la relâcha. Ils s'éloignaient à peine l'un de l'autre, et il était trop tard.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? siffla une voix qu'ils reconnurent aussitôt.

Ils se figèrent un instant, avant que Blaise esquisse un mouvement pour s'interposer entre elle et le professeur Rogue. Ce dernier se planta devant eux, son teint cireux exprimant une colère froide.

- Puis-je savoir ce que vous faites en plein milieu des couloirs à deux heures et demie passées, jeunes gens ? articula-t-il de sa voix doucereuse.

Déconfite, Rose ne sut quoi dire. Blaise prit la parole, essayent de rester neutre.

- Nous sortons du cours d'Astronomie, Monsieur.

- Du cours d'Astronomie, vraiment ?

Il les regarda tour à tour.

- Monsieur Zabini, pourriez-vous me faire le plaisir de m'expliquer ce que vous faites à l'opposé de votre Salle Commune ? Alors que le cours s'est achevé depuis une demi-heure ?

Blaise ouvrit la bouche et la referma, ne sachant pas quoi dire à son tour. Rose eut une idée et commença :

- La professeure Sinistra nous a retenus, monsieur, et Blaise s'est proposé de me…

- Ne me servez pas vos salades sorties de votre cerveau de Serdaigle, Miss Wayne, coupa le professeur.

Rose se mordit les lèvres.

- Je vous retire à chacun vingt points, pour vagabondage dans les couloirs en dehors des heures de cours.

Ils n'eurent pas le temps d'être soulagés qu'il continuait :

- Vous viendrez également dans ma salle de cours ce jeudi à 20 heures. Vous aurez deux heures de retenue, afin de bien retenir la leçon.

Rose ouvrit la bouche pour protester, mais se tut en voyant le regard de Blaise. Son ami acquiesça en direction du professeur.

- Regagnez vos salles respectives maintenant.

Blaise opina, puis lança un regard désolé à Rose. Fière jusqu'au bout, elle releva le menton. Son ami sembla hésiter à faire quelque chose, mais finalement se pencha et murmura :

- À jeudi, Rose.

Il disparut, et après un dernier regard vers le professeur Rogue, Rose fila en vitesse. Elle avait une étrange sensation d'inachevé.

Rose raconta brièvement l'histoire à ses amis. Mandy s'offusqua immédiatement de la sanction, arguant que Rogue n'était qu'une vieille chauve-souris aigrie. Anthony lança à Rose un regard qui voulait dire « tu l'as bien cherché à trainer dans les couloirs » mais il ne fit pas de commentaire.

L'étrange sensation de Rose persistait, la sensation que quelque chose n'avait pas été fini ce soir-là. Cela la mit plutôt de mauvaise humeur, et le jeudi arriva. En cours de Botanique, elle se montra plutôt grognon, et Blaise ne s'en formalisa pas vraiment. Elle avait bien le droit d'avoir des sautes d'humeur.

Le soir à dix-neuf heures cinquante-cinq, Rose se présenta devant la salle de Rogue. La porte était ouverte, alors elle entra. Blaise était déjà là.

Finalement, le professeur fit son apparition, de mauvaise humeur. Il leur ordonna sèchement de récurer les fonds des chaudrons des premières années qui avaient fait des catastrophes, puis s'enferma dans son bureau.

Ils se mirent au travail, sans parler. Rogue risquait de les entendre. Après une bonne demi-heure, leur professeur surgit dans la salle, ne leur accorda pas un regard et sortit en lançant :

- Continuez votre travail !

Les adolescents s'entreregardèrent. Blaise laissa passer une ou deux minutes avant de s'arrêter et de regarder Rose.

- Bon, qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il finalement.

Elle releva la tête et le considéra. La sensation de l'avant-veille fit son grand retour. Son ventre se tordit. Elle grimaça. Rose venait de mettre le doigt sur ce qui la perturbait tant.

- Rien, rien… Tout va bien.

- S'il te plait, Rose, pas à moi. Tu ne m'as pas décroché un seul mot ce matin, et là tu ne m'accordes pas un regard. Raconte, lança-t-il d'un ton engageant.

- Rien, c'est juste un truc bizarre à propos de mardi soir.

Il attendit qu'elle développe. Elle le regarda, puis leva les yeux au ciel.

- La dernière fois, tu… enfin. C'était étrange.

- Je ne comprends rien. Explique.

- Il s'est passé… il m'a semblé… non, laisse tomber.

Il contracta sa mâchoire. Il y avait des jours, vraiment…

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- C'est juste que la dernière fois… reprit Rose, agacée qu'il insiste.

Elle s'interrompit de nouveau. Elle n'allait pas dire ça quand même. « J'avais envie que tu m'embrasses ». Ce qui n'était que la moitié de la vérité.

- Quoi la dernière fois, qu'est-ce qu'il y a avec la dernière fois ? Qu'est-ce que j'ai fait de travers encore ? s'emporta Blaise.

- Tu t'es enfui, comme tu aimes tant le faire ! Tu m'as à peine saluée, puis tu as disparu ! aboya Rose sans réfléchir comme elle sentait la moutarde lui monter au nez.

En colère, il jeta furieusement sa brosse dans un chaudron.

- Rose, je ne me suis pas enfui comme tu dis, je suis tout simplement parti ! Je te rappelle que tu as entendu quelqu'un arriver ! accusa sèchement Blaise. Et regarde où ça nous a menés !

- Oh je t'en prie, ne m'accuse pas de ça, Blaise ! cingla-t-elle, la voix plus forte.

- Très bien ! rugit-il. Alors où est le problème, par Merlin ?!

Ils se faisaient face à présent.

- Et moi qui ai cru… je croyais… s'énerva-t-elle. Non, tu as juste fui, lâche que tu es !

- Quoi Rose, qu'est-ce que tu croyais à la fin ?!

- Je croyais que tu allais m'embrasser ! explosa Rose.

Ses prunelles luisirent d'une nouvelle colère. Bon, elle l'avait dit. Blaisa la considéra de nouveau. Incrédule, il lâcha :

- Tu te sens juste offensée en fait !

Agressivement, Rose cracha :

- Ça doit être ça ! J'ai eu un accès d'orgueil !

Il s'avança vers elle, le pas lourd.

- Alors comme ça tu es vexée ?

Les yeux plein de flammes, à deux doigts de perdre le contrôle, elle répliqua :

- Voilà, vexée, c'est le mot !

Elle serra les dents.

Brutalement, il lui emprisonna le visage des deux mains et écrasa sa bouche contre la sienne. Étouffant un gémissement de stupeur, elle répondit immédiatement. Elle passa ses bras autour de son cou, agrippant ses doigts sur sa nuque. Leurs lèvres bougeaient ensemble, pour s'embrasser encore et encore. Blaise s'éloignait de quelques millimètres pour reprendre son souffle et Rose plaquait leurs corps, les collant étroitement. Il pressa sa bouche entrouverte contre celle de Rose. Elle l'imita et leurs souffles se mêlèrent. La main gauche de Blaise s'accrocha dans les longs cheveux ondulés, la droite se glissa dans le dos cambré. Il les fit reculer et ils se cognèrent à une table à laquelle ils s'appuyèrent. Inconsciemment, Rose planta le bout de ses ongles dans la nuque de Blaise. Sa langue se fraya un chemin vers sa bouche. La langue de Blaise vint à sa rencontre, elles jouèrent et se lièrent. Blaise pressa encore plus le corps de Rose contre la table, poussa un léger grondement pendant que des ongles lui griffaient la nuque. Ils butèrent de nouveau contre la table, et firent tomber un chaudron dans un vacarme épouvantable.

Sans lâcher Rose, il recula son visage de quelques centimètres. Rose était maintenant accrochée à sa chemise, défaite et froissée. Elle laissa ses mains glisser pour les poser sur les avant-bras de Blaise. Essoufflés, leur querelle oubliée, ils se regardèrent. Les prunelles de Rose brillaient d'un feu nouveau. Fier d'avoir allumé cette nouvelle lueur, Blaisa la considéra encore un instant, puis posa brièvement ses lèvres sur celles de Rose.

- Toujours vexée ? susurra-t-il à son oreille.

Encore haletante, Rose le repoussa avec malice.

- Tu as de drôles de méthodes… fit-elle remarquer.

- Je fais avec les moyens du bord ! rétorqua-t-il.

La jeune fille laissa échapper un rire, puis, soudainement consciencieuse, quitta Blaise pour ramasser le chaudron tombé, et retourna devant le bureau où reposait sa brosse à récurer. Comme il la suivait des yeux sans bouger, elle lança :

- Si tu ne t'y remets pas, on va encore être collés.

Rose désigna la brosse que Blaise avait jetée, un sourire aux lèvres.

- Et pour ne pas me mouiller, je dirai que c'était entièrement ta faute.

- C'est une attitude de Serpentard, ça. Tu me déçois.

Elle se mit à rire de nouveau, tandis qu'il s'attelait de nouveau à sa tâche.

- Tu crois que nos petits rendez-vous vont être compromis ? questionna-t-il.

- Pas forcément. Il suffira de ne pas fixer une date régulière. Plus nos rendez-vous seront aléatoires, mieux ce sera. Et puis, je suppose que les profs n'ont pas que ça à penser toute de même…

Il eut l'air convaincu.

- On se renverra des mots pour fixer les dates ? proposa-t-il.

- Oui.

Ils restèrent encore une petite heure, jusqu'à ce que le professeur Rogue ne revienne les chercher. Il lança un regard méprisant et froid à la Serdaigle puis les renvoya dans leurs dortoirs. Blaise s'arrêta bien avant elle, devant un mur de briques. Elle haussa un sourcil et regarda la paroi. Il lui sourit, s'approcha d'elle et plaqua en douceur ses mains sur ses oreilles. Il murmura alors un mot vers le mur, que Rose n'entendit donc pas.

Les briques semblèrent s'animer, et se murent, se repliant les unes sur les autres, faisant apparaitre une ouverture arrondie. Rose pensa aussitôt au mur du Chaudron Baveur. Blaise venait de lui montrer l'entrée de la Salle Commune de Serpentard… Bouche bée, elle regarda alternativement le jeune homme et l'entrée.

- Tu n'aurais jamais dû faire ça, chuchota-t-elle.

Elle espérait que personne ne se montre. Blaise sourit et se pencha vers elle. Il effleura sa joue de ses lèvres, puis les posa furtivement sur sa bouche. Il se redressa.

- Bonne nuit, Rose.

- Bonne nuit, souffla-t-elle.

Il disparut par l'ouverture qui se referma peu à peu. Rose reprit son souffle, puis se mit en route pour sa propre Salle Commune. Il lui fallut traverser tout le château, et elle n'arrêta pas de penser à Blaise, avec qui elle s'était pris la tête, avant qu'il ne l'embrasse sauvagement. Maintenant il lui avait montré l'entrée de sa Salle Commune.

Cela voulait dire beaucoup, selon elle, notamment qu'il ne se fichait pas d'elle et l'appréciait sincèrement. Dans l'état où ses capacités intellectuelles se trouvaient, elle se félicita de pouvoir mener un tel raisonnement.

On était le lundi 2 octobre et Michael venait d'entrer dans la Salle Commune pour rejoindre les autres, assis près du feu qui brulait dans la cheminée côté sud. Ils l'accueillirent en se poussant pour lui faire une place.

Il semblait assez agité. Anthony finit par froncer les sourcils et lui demander ce qui n'allait pas. Leur ami lança des regards de tous les côtés, observant les élèves qui peuplaient la Salle. Il n'était pas très tard et beaucoup de Serdaigles étaient encore en train de finir leurs devoirs ou de discuter, dispersés dans l'immense pièce. Lisa suivit son regard et hocha la tête. Elle proposa à voix basse :

- Montons dans la chambre des garçons.

Ils se levèrent, rassemblèrent leurs affaires et montèrent. Les autres élèves avaient l'habitude de voir les cinquièmes toujours ensemble, même pour aller dans les chambres, aussi personne ne leur prêta attention.

Une fois la porte fermée, Michael les considéra puis s'assit sur son lit.

- Raconte, exhorta Derek.

- J'ai passé la fin de l'après-midi avec Ginny. Elle m'a parlé d'un truc.

Il regarda brièvement Anthony.

- C'est à propos des cours d'Ombrage. Granger et Potter organisent une réunion.

- Quel genre de réunion ?

- Ils disent qu'il faut qu'on apprenne à se défendre par nous-même, puisqu'Ombrage a décidé de ne nous faire faire que de la théorie, expliqua-t-il.

- Ils veulent qu'on organise… la partie pratique des cours de DCFM ? résuma rapidement Terry.

- C'est ça.

- Et qui nous fera ce cours ? demanda Rose. Granger et Potter ?

- Je crois que c'est l'idée, opina Michael. Mais Ginny non plus ne savait pas exactement. Ils n'ont pas donné beaucoup de détails pour que leur plan ne tombe pas à l'eau.

- Où et quand se passera la première réunion ?

- La première sortie à Pré-au-Lard.

Anthony hocha la tête puis s'assit sur un matelas.

- Si leur idée est faisable, ça peut être bien. Sans de vrais cours pratiques, nous ne pourrons jamais valider nos BUSE.

- Sans parler de ce qui nous attend après, ajouta sombrement Padma.

- Il leur faudra un lieu facile à cacher, des horaires à communiquer à tout le monde… il ne faudra pas que la mégère se doute de quoi que ce soit. Ça va être compliqué à mettre en place, douta Rose.

Elle croisa les bras.

- Et lorsque quelqu'un les dénoncera, ils seront dans de beaux draps. Ils vont certainement risquer le renvoi.

- Tu es bien pessimiste ! s'exclama Mandy.

Rose fit une moue.

- Je trouve que c'est vraiment risquer beaucoup pour pas grand-chose. Ok, Granger est supérieurement intelligente et Potter a vaincu Vous-Savez-Qui plusieurs fois, mais quand même… j'attends de savoir ce qu'ils proposent vraiment.

Anthony la considéra longuement, le visage impassible, puis déclara :

- Moi, j'irai. Je suis curieux.

- Et si vous vous faites prendre ? Tu perdras certainement ta jolie insigne, railla Rose.

Le grand brun pinça les lèvres. Michael leur lança un regard désespéré.

- Je vous en prie, venez !

Mandy se tourna vers lui.

- Tu ne ferais pas ça pour Miss Weasley quand même ?

Il baissa les yeux d'un air coupable.

- Elle est tellement convaincue que c'est une bonne idée ! se défendit-il. Et je le pense aussi. S'il vous plait, venez, ne serait-ce qu'à la première réunion. Je ne pense pas que les Gryffondors nous enchainent pour nous obliger à rester, ajouta-t-il en souriant.

Mandy grimaça.

- Je ne sais pas… murmura-t-elle. Rose a raison, c'est certainement une mauvaise idée, en pratique. En théorie, oui, bien sûr que ce serait génial… mais c'est tellement risqué…

Lisa avait l'air aussi indécis qu'elle et elle coula un regard à l'insigne de préfet d'Anthony.

- Écoutez, lança Derek pour en finir, je pense que chacun devrait réfléchir de son côté, puis on verra quand le jour sera venu.

Terry hocha la tête, convaincu, puis regarda les autres. Leurs deux meneurs se lancèrent un coup d'œil puis approuvèrent.

- Bien que ma décision soit déjà prise, annonça ensuite Anthony.

Au regard que Rose lui lança, elle ne semblait pas être du même avis. En sortant de la chambre, Padma leva la tête vers l'horloge de la Salle.

- On devrait aller faire nos rondes, lança-t-elle à son homologue.

Souhaitant bonne nuit à leurs amis, ils s'engouffrèrent dans le passage secret.

Une fois qu'ils furent partis, Rose se tourna vers Derek, les bras croisés, et marmonna :

- Je pense toujours que c'est une mauvaise idée. Et je n'ai pas très envie que tu ailles te fourrer dans les ennuis.

Il fronça les sourcils, faussement fâché, et répondit :

- Serais-tu en train de me dire ce que je dois faire, Rose ?

Elle sourit un peu, puis continua à chuchoter :

- Je trouve que c'est trop risqué. Tu imagines les conséquences pour ton père au Ministère si elle découvre tout ?

Rose agita un doigt menaçant.

- Et elle saura.

Derek soupira.

- Écoute, on va faire comme j'ai proposé, d'accord ? Chacun réfléchit dans son coin.

Elle fit une moue qu'il jugeait adorable. Impuissant, il grommela :

- Tu sais que tu as déjà gagné en évoquant mon père. Alors ne me sors pas tout ton attirail.

Elle éclata de rire, l'embrassa et lui souhaita bonne nuit. Elle s'apprêtait à suivre les filles dans la chambre, quand Michael la retint par le bras. Elle haussa un sourcil.

- Rose, attends. Je voulais te dire : Ginny m'a clairement fait comprendre que seuls les Gryffondors, Poufsouffles et Serdaigles seraient au courant. Tu comprends ?

Elle eut un geste agacé.

- Oui, merci, j'ai compris. Pas de Serpentard.

- Alors n'en parle pas à… tu sais qui.

Elle grinça des dents.

- J'oubliais que je suis du genre à balancer tous nos petits secrets à tout le monde, désolée. Je tenterai de tenir ma langue, railla-t-elle.

Il la lâcha, l'air un peu confus, puis fit un faible sourire. Elle leva les yeux au ciel et promit :

- Je jure que je n'en parlerai pas à Zabini. Rassuré ?

Il hocha la tête, son sourire plus franc, puis monta dans son dortoir. À peine eut-elle franchi la porte que Mandy lui sauta dessus :

- Il t'a dit quoi ?

- Que je ne devais pas en parler à Blaise, soupira-t-elle. Comme si c'était mon genre.

- C'est la Weasley qui l'a convaincu d'aller à cette réunion, persifla Mandy.

- Vous en pensez quoi alors ? demanda Padma.

- Je crois…entama la blonde. Je crois que je pense comme Rose.

- Et surtout, elle n'a pas envie de se confronter à Ginny Weasley, se moqua gentiment Lisa.

Mandy lui tira la langue.

- Et toi ? questionna Rose.

- J'attends d'en parler avec ma sœur, conclut Padma avec un sourire.

Son amie hocha la tête puis alla dans la salle de bains se brosser les dents. Ses amies l'imitèrent.

Avant de se coucher, Lisa glissa à Rose :

- Honnêtement, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Pour Anthony et son statut de préfet, je veux dire, précisa-t-elle.

- Tu n'iras pas alors ?

Lisa pinça les lèvres.

- Je ne pense pas. S'il se fait prendre, il va bien falloir que je le console !

Rose éclata de rire avant de se glisser entre ses draps.

Mercredi matin, Derek reçut une enveloppe épaisse au courrier. Il reconnut l'écriture de sa mère sur l'enveloppe et l'ouvrit.

- Oh ! Nos photos !

Rose et Anthony, qui lisaient le journal ensemble, relevèrent la tête vers lui.

- Les photos de vacances ? Chouette ! Montre ! fit Rose en se penchant de son côté.

Tous les autres autour de la table attendaient aussi. On leur avait promis des photos paradisiaques, ils n'allaient pas laisser passer ça ! Même leurs amis de sixième regardaient Derek avec impatience.

Derek sortit un gros paquet de photographies brillantes. Il allait en étaler quelques-unes sur la table quand Rose l'arrêta brutalement d'un geste.

- On va… euh, les trier avant, dit-elle fermement.

- Pourquoi ? demanda-t-il à voix basse, ses yeux dans les siens.

- Tu en as pris de moi quand j'étais euh… enfin… tu sais ?

- Oh ! s'exclama-t-il à nouveau.

Il remit le paquet dans l'enveloppe.

- Je… ben je sais plus, avoua-t-il.

Il glissa l'enveloppe dans les replis de sa robe de sorcier.

En face d'eux, Terry, qui n'avait rien loupé, les fixait, l'air mécontent et les bras croisés.

- Quand elle était quoi au juste ? demanda-t-il à Derek.

Lisa marmonna devant l'air stupéfait de Rose :

- Vous n'êtes vraiment pas discrets tous les deux, même quand vous chuchotez…

Les deux amis se rendirent compte que tous les regardaient et attendaient la suite. Terry avait toujours l'air agacé, et Derek vit que William avait le visage fermé, ses doigts pianotant sèchement sur la table. Pour une fois, Rose n'avait pas de répartie et ses joues se colorèrent.

- Quand Rose était quoi, alors ? demanda Idriss, avec plus d'humour que Terry.

- Euh…, fit intelligemment Rose en coulant un regard aux sixièmes.

- Quand elle enchainait les shots de Whisky Pur-Feu dans un bar, évidemment ! clama Mandy bien fort.

Lisa et Padma éclatèrent de rire et Terry sembla se détendre un peu. Derek lui faisait discrètement du pied sous la table pour essayer de le rassurer.

- Mandy, on avait dit qu'on ne parlait pas du problème de Rose en public ! reprocha Michael, ce qui fit rire ses amies de plus belle.

Rose eut un sourire coupable et fit un clin d'œil à Terry.

- Voilà… conclut Derek. Donc on vous montrera les photos, promis, mais pas en public !

Anthony sourit à son tour et secoua la tête, amusé par ses exubérants amis.

- Vous voulez… commença Rose, indécise. Vous voulez qu'on prenne le temps de les regarder ce soir ? proposa-t-elle au groupe.

- Oui ! s'exclama Nassim. Surtout, ne triez pas les photos avant !

Ils éclatèrent tous de rire, définitivement relaxés. Sauf peut-être William, qui se tenait raide comme un piquet et ne quittait pas Rose et Derek du regard. Marc finit par le sortir de sa contemplation pour lui dire qu'ils allaient être en retard en cours. Les sixièmes les quittèrent et les laissèrent tous les huit. Aussitôt, Rose se pencha vers Terry et chuchota :

- Terry, c'est nul comme phrase, mais ce n'est pas absolument pas ce que tu crois.

- Qu'est-ce que tu crois ? demanda Derek, qui n'était même pas sûr d'avoir compris l'origine de l'irritation de son petit ami.

- Enfin ! des photos de Rose « quand elle était… » et elle ne termine pas sa phrase ! lança Mandy, souriante. Ça prête carrément à confusion !

- Oh. Mais voyons, Terry… continua Derek. Mais non.

Rose rit devant sa mine déconfite.

- On ne sait plus si on a pris des photos de moi… quand je ne suis pas moi. Vous comprenez ?

Les autres comprirent instantanément.

- Je ne pense pas, continua-t-elle, mais autant vérifier avant de les étaler dans la Grande Salle quand même.

Le soir venu, Rose et Derek avaient trié les photos – à la déception de Nassim. Il n'y en avait pas du félin noir, mais ils avaient écarté quelques photos ratées au passage. Ils les étalèrent sur une table de la Salle Commune, commentant plusieurs d'entre elles à leurs amis.

De voir ce grand ciel bleu, ces plages blanches, cet océan turquoise, ces poissons multicolores… les faisait tous soupirer d'envie, alors que la pluie battait contre les fenêtres du château. Les photos sous-marines fascinaient Lisa, et Rose étaient à deux doigts de toutes les lui donner tellement son amie était absorbée dans leur contemplation.

- Prends-en une, proposa-t-elle finalement. Ou plusieurs. Ou toutes. Tu reconnaitras mieux les animaux que moi en plus !

- C'est vrai ? Oh, merci !

Elle en sélectionna quatre, chacune montrant des poissons différents.

- Moi aussi j'en prends une alors ! s'exclama William, son sourire joueur aux lèvres.

Il se pencha sur la table.

- Mmh, réfléchit-il, parcourant les photos des yeux. Est-ce qu'il y en a au moins une où Rose n'est pas en train de manger ?

Mandy se mit à rire.

- Probablement pas…

Terry cherchait aussi, sans succès. Bientôt tous se moquèrent de la quantité improbable de nourriture qu'on voyait sur les photos, exception faite des photos sous l'eau. Soit c'était Derek au restaurant, ou Rose avec une glace, ou de nouveau Derek, allongé sur la plage, un cocktail à la main…

Les deux intéressés souriaient, pas perturbés pour autant. Padma s'exclama devant une image de tortue, Rose la rejoignit pour commenter leur aventure de ce jour-là.

Derek s'approcha de William, toujours penché sur la table, apparemment hypnotisé par une photo spécifique. Le blond la regarda à son tour. C'était une photo de Rose, sans nourriture à la main pour une fois. Elle était sur la terrasse devant l'océan, et elle riait à une blague que Derek avait faite avant d'immortaliser le moment. Son sourire dévoilait ses dents, ses cheveux semblaient onduler avec le vent, sa peau portait le léger hâle de leurs vacances. Derek l'avait trouvé belle à ce moment-là, jeune, insouciante. De toute évidence, William pensait la même chose. Ou quelque chose de similaire. Le blond poussa la photo vers lui.

- Prends-la, dit-il à voix basse. Elle a l'air de te fasciner.

William leva les yeux et lui fit un sourire coupable. Il ne savait pas si Derek parlait de la photo ou de Rose, mais répondit tout de même avec douceur :

- Chaque jour un peu plus.

Derek lui fourra d'autorité la photo dans la main. Son ami la mit dans sa poche, hocha la tête en remerciement.

- Tu sais, ce matin… commença Derek, toujours à voix basse.

William lâcha un grognement. Il avait trouvé sa propre réaction stupide mais avait été incapable de s'en empêcher. Rose faisait pourtant bien ce qu'elle voulait non ?

- Ce que Rose voulait vérifier, c'était si on avait pris des photos… animalières d'elle, fit-il mystérieusement.

Le brun le considéra le temps de comprendre, puis hocha la tête. Il était soulagé. Et se détestait de penser ça. Rose fait ce qu'elle veut, se répéta-t-il intérieurement.

- Et donc ?

- Aucune, heureusement. Pas le genre de cliché à déballer en public.

William sourit.

- Pas de photo de Rose éméchée dans un bar alors ? fit-il, à voix haute, faussement déçu.

L'intéressée leva les yeux vers lui et sourit.

- Désolée. On les a toutes détruites.

- Je suis hyper dépité ! clama Idriss, provoquant de nouveau l'hilarité des autres.

Ils continuèrent un moment à parler des photos et de leurs vacances respectives.

Anthony et Padma les quittèrent pour aller faire leurs rondes, et cela sonna la fin de leur petite soirée improvisée.

Le cours de Botanique du jeudi fut plus détendu que les précédents : Madame Chourave était de meilleure humeur et Blaise et Rose avaient résolu leurs problèmes. Le Serpentard était déjà là lorsque son amie arriva.

À part Lisa et Derek, personne ne connaissait tous les détails de la retenue de Rose dans les cachots. Mandy et Terry semblaient quand même se douter de quelque chose, vu les regards amusés qu'ils échangeaient. Même Anthony sembla penser que quelque chose de nouveau s'était passé, vu le sourire confiant de Blaise et le regard pénétrant qu'il lançait à Rose alors qu'elle s'installait presque timidement à côté de lui.

- Bonjour, Rose.

- Bonjour.

Elle posa ses affaires, puis enfila ses gants de travail.

- Quelle horreur on doit tripoter aujourd'hui ? demanda-t-elle.

Il lâcha un rire bref.

- On doit s'occuper de Voltiflor nains.

- C'est quoi ce machin encore ? grimaça-t-elle.

- Un Filet du Diable, en version inoffensive, résuma Blaise. Ça fait partie de notre programme pour les révisions des BUSE. C'est qui la Serdaigle dans l'histoire ?!

Elle sourit sans se sentir coupable.

- J'ai des circonstances atténuantes, les plantes me détestent.

Il secoua la tête, amusé, puis partit chercher un plant. Anthony en profita pour se glisser près de son amie.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé entre vous deux ? Vous vous êtes plus que réconciliés, on dirait…

En redressant la tête, Rose s'aperçut que ses sept amis la contemplaient, avides de savoir. Elle eut une moue puis capitula.

- Pendant la retenue, murmura-t-elle. On a commencé à se disputer quand Rogue est parti, puis…

Mandy ouvrit grand ses yeux marrons.

- Vous vous êtes embrassés, termina-t-elle à voix basse.

Rose opina, les yeux baissés. Michael lança un petit sifflement admiratif.

- C'est ça le regard… gourmand qu'il te lance depuis qu'on est arrivés alors ?

Padma et Mandy ne purent s'empêcher de pouffer. Rose eut un petit sourire, puis après un signe de Terry, se retourna vers sa paillasse comme son binôme revenait.

- De quoi vous parliez ? demanda Blaise avec curiosité en posant la plante sur la table.

- Rien d'important, les garçons parlaient d'un entrainement, éluda Rose en secouant la main. C'est quoi cette mocheté ?!

Elle fixait le végétal avec un dégoût profond. Blaise eut un rire discret puis tendit une paire de sécateurs à Rose.

- Tu lui enlèves ses feuilles mortes ? Après je mettrai l'engrais, si tu veux.

Soulagée, elle le remercia. Il sourit de nouveau, puis prépara la bouse de dragon dans son coin. Dès qu'elle approcha les lames de la plante, les tentacules bougèrent de quelques centimètres, comme pour fuir la jeune fille et son arme. En voyant les lianes se déplacer, Rose fit aussitôt quelques pas en arrière, l'air horrifié. Blaise se retourna pour regarder pourquoi son amie reculait si vivement.

- Ne t'en fais pas, elle ne va pas te manger… et puis elle est inoffensive, je te l'ai dit.

Elle secoua la tête puis avança de nouveau, brandissant le sécateur devant elle comme pour mieux se protéger de la plante. Blaise la regardait sans rien dire, curieux de ce qu'elle allait faire.

- Deuxième tentative, murmura-t-elle avec un sourire en coin.

Elle se trouvait ridicule, mais ne pouvait pas s'empêcher d'avoir une peur panique de ces lianes qui bougeaient toutes seules. Son deuxième essai se solda à nouveau par un échec : elle n'arrivait pas à approcher le végétal jusqu'au bout. Agacé mais amusé, Blaise s'approcha pour l'aider. Lui touchant le bras, il la fit sursauter et elle se retourna vivement, le sécateur toujours en main.

- Doucement ! rit le Serpentard. Ne m'embroche pas. Je vais t'aider.

- Pardon, chuchota-t-elle précipitamment.

Il lui prit l'outil des mains et s'avança d'un air sûr vers la plante. Il saisit quelques feuilles et branches mortes et les coupa sèchement, sans que le Voltiflor n'ait le temps de bouger.

- Voilà. Tu vois ? Pas de danger.

Elle marmonna quelque chose d'incompréhensible, Blaise sourit encore. Il lui remit les ciseaux dans les mains puis se plaça derrière elle et murmura :

- On va le faire ensemble.

- D'accord.

Rose se laissa guider par Blaise, déjà ailleurs, enveloppée par l'odeur du Serpentard. Jamais elle n'avait approché une plante qui bougeait d'aussi près, il fallait bien l'avouer. Elle le laissa mener les choses sans se plaindre. Bientôt, le petit plant était prêt à être rempoté. Elle renversa la tête en arrière pour voir Blaise. Il pencha son visage et lui fit un sourire à l'envers.

- Je m'en occupe, ne t'en fais pas.

- Merci.

Elle rompit leur petite étreinte pour aller fouiller dans son sac. Rose sortit son matériel afin de dessiner le végétal en détail. Elle se percha sur son tabouret et coinça ses jambes en tailleur. Elle était complètement absorbée dans sa contemplation de Blaise et ne portait aucune attention à son parchemin. Enfin, il se retourna et jeta un coup d'œil au feuillet.

- Ça ne va pas se dessiner tout seul, tu sais…

- Ah ? Euh, oui, oui…

- On le fait ensemble ?

- Ça me va !

Il prit place à côté d'elle et posa son parchemin sur la table. Ils s'attelèrent à étudier le végétal puis notèrent leurs impressions, leurs constatations.

- Alors, ton été ? finit-elle par demander, déjà ennuyée par son travail.

- Plutôt bien. J'ai passé deux semaines dans la maison de famille de ma grand-mère, avec plein de cousins, oncles, tantes… C'était plutôt sympa.

- Je ne savais pas que tu avais tant de famille.

- Ma mère a des frères, des sœurs, et toute une brochette de cousins ! Chaque été on se retrouve tous plus ou moins, pendant quelques semaines.

- Ça a l'air sympa…

Il opina puis la regarda en souriant.

- Et toi ?

- C'était long, résuma-t-elle brièvement.

Il n'insista pas, pensant qu'elle lui raconterait, quand elle en aurait envie.

- Alors, l'équipe de Serpentard a-t-elle un nouveau batteur ? Tu ne m'as pas dit…

Il se renfrogna.

- J'ai passé les sélections, comme je l'avais prévu mais…

- Ça ne s'est pas bien passé ? risqua son amie.

Il haussa les épaules.

- Moyennement. Le souci, c'est que Vinc – pardon, Crabbe et Goyle ont postulé le même poste.

- Et alors ? rétorqua Rose, une insulte au bout des lèvres.

Il lui lança un regard contrit.

- Disons qu'ils ont plus convaincu que moi.

- Et pour les autres postes ?

- Tous pris par des Serpentards plus âgés… et qui veulent rester.

Rose fit la moue, désolée pour lui.

- Mais ! reprit-il. Ils m'ont pris en tant que remplaçant.

- C'est bien ! fit-elle en souriant. C'est un pied dedans. Alors, quel poste ?

- Batteur.

- Oh, alors il n'y a plus qu'à attendre que l'un ou l'autre se blesse ! D'ailleurs, ça peut s'arranger tout ça.

Blaise lui fit un sourire complice.

- On va éviter. Je risque d'être le premier soupçonné, tu t'en rends compte j'espère ?

Rose se mordit la lèvre.

- Mince… tant pis. Tu vas quand même suivre les entrainements non ?

- Pas tous normalement, mais certains oui. Surtout avant les matches.

- Le premier, c'est en novembre n'est-ce pas ?

- Oui. Contre Gryffondor.

Rose opina puis jeta un œil à ses croquis. Elle les leva à hauteur de la plante pour mieux les juger.

- Ce n'est pas très convaincant, hein ?

- Disons que… c'est personnalisé.

Elle eut une rire discret.

- On fera avec.

- Tu pourrais recopier sur les miens, proposa Blaise. Histoire compléter ce qu'il te manque.

Elle se tourna vers lui.

- Tu serais d'accord ?

- Si je te le propose…

- C'est gentil ! Je veux bien.

Il se pencha vers son épaule.

- Disons, dimanche ? Tu serais libre ?

Elle esquissa un sourire.

- Serait-ce un rendez-vous ?

- À toi de voir, badina-t-il.

Rose se rapprocha encore de lui. Leurs lèvres s'espaçaient de quelques centimètres à peine.

- On verra sur place… où ?

- Le plus sage serait la Bibliothèque.

- Tu as raison. Pour étudier, c'est le mieux.

- Et éviter les rumeurs sur notre vie sexuelle épanouie.

Rose réprima un nouveau sourire.

- Tout à fait. Quatorze heures ?

Ils se séparèrent, chacun un sourire sur les lèvres.

Samedi matin, les Serdaigles s'étaient réunis à la bibliothèque, où personne ne pourrait les surprendre. Ils parlaient sans évoquer précisément leur sujet par précaution. Le débat faisait rage entre ceux qui allaient se rendre à la réunion de Granger et Potter, et ceux qui n'iraient pas. Enfin, le débat faisait surtout rage entre Anthony et Rose.

- Puisque je vous dis que c'est une erreur ! siffla de nouveau l'Animagus.

Michael secoua la tête. Rose reprit :

- Si jamais vous vous faites attraper – et vous allez vous faire attraper, Ombrage vous renverra !

Anthony contracta sa mâchoire.

- Et vous ne serez pas plus avancés. C'est insensé, finit-elle.

- Rose, on va y aller. C'est juste une réunion dans un bar, par Merlin ! s'exclama Padma.

- Elle le saura ! C'est une erreur, répéta Rose avec colère.

Lisa et Mandy se faisaient toutes petites en attendant que l'orage passe.

- Ça suffit, tonna Anthony. C'est notre choix, et si tu es contre, très bien. Laisse-nous faire ce que nous avons décidé.

- Ne sois pas idiot, rétorqua-t-elle sèchement. Vous risquez trop gros.

Il la considéra, de la colère dans les yeux.

- Les autres ne peuvent pas toujours faire ce que tu veux, Rose ! cracha-t-il. Tu n'es pas la fille unique du Manoir Wayne ici, arrête ton caprice !

- Espèce de petit…

- DEHORS ! Sortez de ma bibliothèque ! Tous !

Rose se leva brutalement et ramassa ses affaires avant tout le monde. Elle laissa échapper un rugissement de frustration et sortit à grands pas. Elle disparut sans un mot.

Anthony la talonnait, le visage fermé, suivi des six autres. Personne ne disait un mot. Leurs meneurs venaient de se disputer violemment dans la Bibliothèque, lieu sacré du silence. Terry était navré que les choses aient dégénéré. Il glissa sa main dans celle de Derek.

- Tu vas quand même aller à Pré-au-Lard ? demanda-t-il timidement.

- Oui. Mais je n'irai pas à la réunion. Et ce n'est pas à cause de Rose, ajouta-t-il, sur la défensive.

- Je sais, soupira Terry en esquissant un sourire.

- On se retrouvera après, d'accord ?

Terry hocha la tête, rassuré. Ils ne furent donc que sept à aller signer le registre de Rusard pour aller dans le village voisin.

Rose était remontée dans la tour Ouest, folle de rage. Ces imbéciles organisaient une réunion clandestine, s'y rendaient en leur âme et conscience, alors qu'Ombrage étendait son pouvoir sur toute l'école ! Ils commettaient une erreur monumentale. Serrant les dents, elle cracha la réponse au tableau qui posait une énigme et entra brusquement dans la Salle Commune. Les plus jeunes qui n'avaient pas encore le droit de sortir, levèrent les yeux vers elle. Il était facile de deviner dans quel état d'esprit leur ainée se trouvait maintenant. Les pommettes rouges, les cheveux défaits et hirsutes, les poings serrés et les yeux qui brillaient étrangement, elle était en colère. Et une colère noire. Ce qu'ils ne pouvaient pas voir, c'était sa peur de perdre le contrôle, car son Animagus était là, bien réveillé, et commençait à frapper à la porte de sa conscience, pressé de sortir, pressé de la transformer.

Rose se dirigeait droit vers son dortoir, pour être en sécurité. Elle s'apprêtait à monter les escaliers quand une voix l'appela.

- Hé, Rose !

Elle se retourna lentement, comme un robot, l'esprit déconnecté, en pleine bataille. William s'avançait vers elle en souriant. Devant son air furieux, le sourire s'évanouit.

- Qu'est-ce qui t'arrive ?

Elle pinça les lèvres, les yeux étincelants. Comme elle ne répondait pas, William l'attrapa par l'avant-bras.

- Rose ?

Comme électrocutée, elle se dégagea brutalement. Toujours enfermée dans sa colère, elle siffla en montrant les dents :

- Laisse-moi tranquille ! Je ne t'ai rien demandé, de quoi tu te mêles ?

Ses lèvres découvrirent encore ses dents, comme prêtes à mordre, puis Rose fit de nouveau volte-face et gravit quelques marches quand un bras ferme la saisit et l'arrêta. Prise de cours, elle redescendit les marches comme il la tirait avec force vers lui. Elle croisa le regard bleu et tenta de se dégager, mais la poigne était bien trop puissante. Pour plus de sureté, il immobilisa les deux bras entre ses mains.

- Mais lâche-moi ! s'exclama-t-elle, la colère affluant de nouveau sur son visage.

Il fronça les sourcils, elle se débattait comme une forcenée. Mais elle n'avait pas un dixième de la force nécessaire pour qu'il la laisse s'échapper. Les jointures de ses mains étaient tout de même blanches.

- Mais qu'est-ce que tu me veux ?!

Aveuglée par sa fureur, elle ne s'aperçut même pas qu'elle criait presque. Les premières années et les autres avaient déguerpi ou se cachaient derrière leurs livres.

- Tu ne peux pas me laisser tranquille non ?!

Il ne la quittait pas de yeux, ni ne relâchait son emprise. Quand il put enfin en placer une, il desserra les dents :

- Est-ce que tu pourrais s'il te plait, arrêter de me hurler dessus ?

Rose se figea enfin, ouvrit et ferma la bouche comme un poisson rouge. La bataille dans son esprit s'était terminée soudainement.

- Bien. Tu as fini de passer ta colère sur moi maintenant ?

Il la sentit se détendre un peu, mais ne relâchait toujours pas son emprise. Toute trace de rage s'évanouit d'un coup dans les prunelles vertes de Rose. Réalisant peu à peu ce qui venait de se passer, elle le fixa d'un air perdu. Puis ses yeux s'ouvrirent en grand et se brouillèrent de larmes. Elle bredouilla, les joues mouillées :

- Pardon… pardon William, je suis tellement désolée… je ne sais pas ce qui m'a pris…

Pris au dépourvu par les larmes, il relâcha enfin ses poignets. Une pulsion poussa Rose à se blottir contre lui, l'enlaçant. Elle enfouit son visage dans son cou et murmura entre deux sanglots :

- Pardonne-moi… j'ai été si bête, désolée…

Allant de surprise en surprise, William referma automatiquement ses bras autour d'elle et la serra contre lui.

- Allons, qu'est-ce qui s'est passé ? Raconte.

Elle poussa un soupir, gonfla les joues. Elle ferma les yeux et renifla. Il sourit et reprit :

- Quelqu'un a été méchant avec toi ?

Elle sentit le sourire dans sa voix et répliqua :

- Ne me parle pas comme à une enfant.

Elle sentit le corps de William qui riait.

- Quelqu'un aurait-il contrarié notre chère aristocrate ? interrogea-t-il.

- Pff.

- Vraiment, quel Véracrasse puant, celui qui ose s'opposer à la volonté de la noble Miss Wayne ! déclara-t-il d'un ton faussement indigné.

Elle sourit contre son cou, amusée. William desserra son étreinte, la prenant par les épaules pour l'écarter de lui. Comme Rose reniflait toujours, il souleva délicatement son menton de deux doigts pour que leurs regards se rencontrent. Lorsqu'il capta son attention, il susurra :

- Ça va mieux maintenant ?

Elle sourit un peu, rassurante. Puis redevint sérieuse.

- Je suis tellement désolée, tu sais. C'était idiot de m'en prendre à toi et…

- Je te pardonne, coupa-t-il, la voix basse. Je suis bien d'accord, mais je te pardonne.

Un petit silence s'installa. Avant même qu'ils ne comprennent réellement ce qui se passait, la main de William se glissa sur la joue de Rose. Son pouce effleura sa bouche. Il se rapprocha d'elle, et elle pencha naturellement la tête vers l'arrière, fermant peu à peu les yeux. Le souffle court, William posa ses lèvres sur celles de Rose. Elle répondit timidement à son baiser, posant sans s'en rendre compte sa main sur le torse de William, comme cherchant un appui.

Cela ne dura que quelques secondes, durant lesquelles leurs lèvres restèrent scellées.

Puis William recula subitement, les yeux hagards. Il laissa sa main retomber, fit deux pas en arrière. Rose retira vivement sa main de son torse et entrouvrit la bouche. Il la regarda, sembla la découvrir et balbutia :

- Je euh… Pardon, ce n'était pas…

Il se passa nerveusement la main dans les cheveux.

- Je suis désolé, vraiment.

Il la regarda un bref instant, puis opéra un demi-tour et s'éloigna rapidement. Rose n'eut pas le temps de protester ni de faire un mouvement qu'il avait quitté la Salle Commune.

Hébétée, elle se laissa tomber sur une marche. Et la phrase s'installa dans sa tête, en lettres lumineuses.

William m'a embrassée.

Elle le revoyait encore se pencher vers elle, fermer les yeux… Les images défilaient en boucle dans sa tête. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était là, mais en tout cas les autres élèves avaient déserté. Peut-être pour aller diner. Inconsciemment, elle se frotta les poignets. Elle avait mal. Rose baissa le nez pour voir, sur ses avant-bras, des marques. Des traces de sa lutte contre William. Des traits épais lui ornaient les poignets, déjà sombres. Elle grimaça. Ce ne serait pas facile à cacher longtemps. Sa peau marquait trop vite. Elle repensa à son calme quand elle était comme folle, à sa poigne de fer pour la faire revenir sur terre. La jeune fille soupira de nouveau. Puis elle se leva, rabaissa ses manches, boutonnant tout, se félicitant d'avoir mis une chemise ce matin. Elle s'examina. Aucune trace, parfait.

Peut-être était-il l'heure d'aller manger, mais elle n'avait pas faim. De petits papillons dansaient inlassablement dans son ventre. Il était inconcevable d'aller à l'infirmerie sans expliquer la raison de ces marques. Elle restait là, hésitante, quand la porte s'ouvrit. Ses Serdaigles étaient de retour, Anthony en tête. Mais qu'est-ce qui lui avait pris de se disputer avec lui pour ça ? Ce n'était pas du tout une façon de leur montrer son inquiétude. Ses sept amis entrèrent, le préfet se raidit en apercevant Rose face à lui. Elle prit le temps de regarder tour à tour Terry, Padma, Michael et Anthony. Enfin, elle s'adressa à ce dernier.

- Je suis désolée. Je te demande pardon de m'être énervée comme ça contre vous, et contre toi Anthony. C'était déplacé et injustifié.

Ce n'était pas si difficile de s'excuser auprès de ses amis, après tout.

- Ce n'était pas du tout la bonne manière de vous dire que j'étais inquiète.

Elle lui adressa un petit sourire.

- Si tu es d'accord pour faire la paix… proposa-t-elle.

- Je m'excuse aussi. Pour ce que j'ai dit sur toi, c'était injuste.

Elle soupira.

- C'était ma faute.

Elle lui tendit la main.

- Toujours amis ?

Il opina, sérieux, puis serra sa main dans la sienne. Rose faillit pousser un petit cri de douleur – donc William avait serré très, très fort – mais se retint à temps.

- Vous avez mangé ? demanda-t-elle quand les effusions sentimentales entre elle et Anthony furent terminées.

Lisa secoua la tête, Derek poussa un « non ! » scandalisé. Terry clarifia :

- Nous nous sommes retrouvés après… la réunion, puis on est revenus. On voulait manger avec toi.

Elle hocha la tête, reconnaissante. Elle envoya un nouveau sourire à Anthony puis murmura malgré elle alors qu'ils sortaient :

- C'était bien ?

Il lui lança un regard sévère, mais voyant son air pitoyable, il soupira et répondit :

- Comme je l'ai dit aux autres, il ne vaut mieux pas que nous en parlions.

Il continua en voyant un sourcil se hausser :

- Nous avons dû signer un parchemin à la fin, avec nos noms dessus… à la manière dont Granger nous a présenté ça, je suis prêt à parier qu'il est ensorcelé. Elle tenait absolument à ce qu'on garde le secret.

Rose hocha la tête, convaincue. C'était même fort possible qu'il ait raison, et ce ne serait pas la première fois. Il lui fit un sourire désolé.

- Tu sais, j'aurais aimé pouvoir t'en parler, confia-t-il en s'asseyant près d'elle à table.

Comme elle penchait la tête sur le côté, il ajouta :

- Je suis sûr que tu aimerais la vision des choses de Potter. Ce qu'il propose.

- Tout ça bien sûr, sans vouloir exciter ma curiosité, railla Rose en souriant à son tour.

Il lui fit un clin d'œil entendu et s'occupa de son assiette.

- En tout cas, annonça Michael de façon que seulement eux huit entendent, il y a une chose dont nous pouvons parler.

Padma sembla dubitative.

- Mais si ! Potter a affirmé qu'il n'était pas venu parler de ça.

- Ah… comprit Terry. Il parle de la version de Potter du mois de juin.

Il capta leur attention à tous. Il continua, un ton plus bas :

- Potter affirme que Diggory a été tué par Vous-Savez-Qui, qui est bien revenu à la vie. Et que leurs versions, à lui et Dumbledore, sont les bonnes. Il n'en a pas démordu.

Les trois autres hochèrent la tête pour confirmer les dires de Terry. Derek coula un regard vers Rose, attendant son avis. Comme elle ne réagissait pas, il lui donna un coup de coude. Elle leva les yeux, étonnée, puis comprit ce qu'il attendait d'elle : qu'elle conclue la discussion.

- Hé bien moi, je crois Potter et Dumbledore, affirma-t-elle enfin.

Soulagés, les autres opinèrent du chef. Ils s'intéressèrent de nouveau à leurs assiettes. Derek troubla leur silence en s'exclamant :

- Hé, Idriss ! Vous venez manger avec nous ?

Les quatre sixièmes étaient arrivés dans la Grande Salle et cherchaient des places. Toujours enthousiastes, Nassim et Idriss s'installèrent instantanément avec les cinquièmes. Marc salua tout le monde, un sourire aimable au visage et prit place. Seul William avait hésité, avant de les rejoindre quand Marc l'eut sorti de ses pensées. Le petit groupe se mit alors à discuter, de choses et d'autres. Les conversations se croisaient, il était difficile de définir qui parlait de quoi.

Seuls deux élèves restaient muets : Rose et William. La première gardait l'œil concentré sur son verre, qui devait être passionnant et le second remuait inutilement sa fourchette dans son assiette, l'air absent. Rose se cachait derrière ses cheveux détachés, les joues rouge soutenu. William était plus pâle que d'ordinaire.

N'y tenant plus, l'Animagus se leva et marmonna :

- J'y vais, je vais, euh, commencer à faire mes devoirs.

Elle eut un sourire absent puis elle sortit vite, vite. Une fois dehors, elle put respirer de nouveau. Elle prit à gauche sans vraiment le faire exprès. Rose sentait le sang pulser dans ses oreilles. Son cœur faisait filer le liquide rouge à toute vitesse dans ses veines, et bientôt, les hématomes sur son bras la lancèrent de nouveau, détournant son esprit quelques secondes. Elle croisa les bras sur sa poitrine, puis fit un demi-tour pour se rendre aux toilettes les plus proches. Là-bas, elle pourrait laisser couler de l'eau froide sur ses poignets. Apaisée à cette simple idée, elle hâta le pas.

Elle fonçait tête baissée et ne vit pas que quelqu'un faisait la même chose qu'elle. En sens inverse. Le choc fut brutal. Le corps mince de Rose fut projeté en arrière et elle atterrit sur les fesses, poussant un gémissement sourd. L'autre avait reculé de quelques pas sous l'impact, mais n'était pas tombé, lui.

- Rose ! Excuse-moi, je ne t'avais pas vue et…

Il lui tendit la main pour l'aider à se relever. Elle attrapa les doigts tendus et quitta le sol. Comme il tirait sur son bras, elle ne put retenir un grognement de douleur supplémentaire.

- Je t'ai fait mal ? demanda-t-il immédiatement.

Elle releva le nez et devint toute rouge. Il tenait toujours sa main dans la sienne et il suivit le regard de Rose qui se baissait automatiquement pour contempler son poignet. Vivement, il détacha les boutons de sa manche et la releva jusqu'au coude. Stupéfait, il jura.

En quelques heures, les hématomes s'étaient développés jusqu'à être parfaitement et clairement visibles. Du bleu, du violet, du jaune tirant sur le vert… comme si les contusions avaient plusieurs jours.

- Mais qu'est-ce que je t'ai fait ? murmura-t-il.

Rose se dégagea rapidement et dissimula son bras sous sa manche.

- William, je t'assure, ce n'est rien. Ma peau marque très vite et…

- Arrête ! interrompit-il, ses yeux bleus toujours agrandis. N'essaie pas de me rassurer. Je suis un abruti.

Des élèves sortaient de la Grand Salle et les observaient d'un air curieux. Mal à l'aise, Rose empoigna son ami et le tira loin des regards. Ils marchèrent quelques minutes, durant lesquelles William continua de s'arroser d'insultes en tout genre. Rose le poussa dans leur Salle Commune. Elle s'adossa à un mur et attendit que son ami se calme.

William marchait en rond, l'air ébahi et défait, tout en marmonnant des paroles qu'elle ne voulait surtout pas comprendre. Il s'arrêta d'un coup et plongea ses yeux dans les siens. Il était à quelques mètres d'elle.

- Écoute, je suis vraiment désolé… Je ne voulais pas te faire mal et…

- Chut !

Il s'interrompit. Elle tendait l'oreille.

- Les autres arrivent. On va discuter tranquillement dans ton dortoir, ok ?

Comme il hésitait, elle ajouta :

- Tu préfères expliquer devant tout le monde pourquoi j'ai des bleus sur les bras ?

Les épaules basses, il se tourna et monta dans sa chambre. Rose referma la porte derrière eux, juste à temps.

- Je suis tellement désolé… Pourquoi tu ne m'as pas dit que je te serrais aussi fort ? Je ne m'en suis pas rendu compte…

Il était à nouveau très éloigné d'elle. Peu habituée, Rose se rapprocha de lui. Il faillit faire quelques pas supplémentaires en arrière, mais elle l'en dissuada en soufflant d'un air blessé :

- Pourquoi tu t'éloignes ?

- Je voudrais éviter de te toucher de nouveau.

- Je ne ferai pas de crise de colère, promis, dit-elle avec un sourire indulgent.

Comme il ne se déridait pas, Rose grogna. Elle entreprit de défaire les boutons de ses manches et les roula haut sur ses bras, pour qu'il voie bien l'étendue des dégâts. Elle brandit ses mains devant lui et clama :

- Voilà, j'ai des bleus, et alors ? Tu ne pouvais pas deviner. Tu m'as simplement empêchée de m'en prendre à toi injustement. Je t'assure que c'était justifié. Je suis même contente que tu m'aies maintenue.

Il avait posé un regard horrifié sur ses bras.

- William… Tu ne vas pas culpabiliser des siècles pour ça quand même ? Je t'assure que tu es pardonné. Ce n'est pas grave.

Il se passa la main dans les cheveux, puis se laissa tomber sur ce qui devait être son lit.

- Je n'arrive pas à y croire, dit-il finalement.

- Quoi donc ?

Il posa un regard profond et grave sur elle.

- Que je t'ai serrée aussi fort. Je suis désolé.

- Tu es pardonné, murmura-t-elle, l'imitant comme dans la matinée.

Il déglutit, toujours rivé dans ses prunelles vertes, et marmonna :

- Tu me laisses voir de plus près ?

- C'est de l'attraction morbide ? plaisanta-t-elle.

- Non ! s'offusqua-t-il. Non ! Je veux juste voir ce qu'on pourrait faire.

Elle tendit ses mains offertes vers lui tout en s'asseyant. Il ne fit que les prendre en coupe dans les siennes, sans toucher les contusions. William observa de plus près, suffisamment pour que Rose sente son souffle sur sa peau. Ce qui produisait une sensation pas du tout désagréable, en y réfléchissant. La chaleur qu'exhalait William courait sur sa peau diaphane, apaisant la douleur, courant jusque dans son ventre pour réveiller les papillons. Elle en était là de ses réflexions quand le brun releva la tête. Il l'observa à la dérobée, avant qu'elle ne surprenne son regard. Rose avait l'air absorbée par quelque chose de troublant. Enfin, elle descendit de son nuage et l'interrogea du regard.

- J'ai peut-être une idée, annonça-t-il.

Elle sourit.

- J'ai de la crème contre les bleus, pour le Quidditch, précisa-t-il. Tu pourrais en mettre.

Comment n'y avait-elle pas pensé ? Derek et Michael en avait toujours tout un stock avec eux.

- Bonne idée.

Il sourit à son tour, puis lâcha ses bras pour se lever et aller fouiller dans une armoire. Il en sortit un tube, l'air triomphant. William enleva le bouchon, puis étala prudemment une grosse noisette de crème jaunâtre sur l'avant-bras droit de Rose. Comme elle ne bougeait pas, il lui fit un signe de tête encourageant. Un peu perdue, elle balbutia quelque chose comme :

- Je suis droitière… je vais pas y arriver.

Elle était honteuse de devoir lui avouer qu'elle n'avait pas la moindre idée de savoir si ses gestes seraient les bons. Rose n'avait jamais pratiqué l'automédication, et encore moins appliqué des substances sur son corps. Il y avait toujours quelqu'un pour le faire à sa place.

William fronça les sourcils, puis, retrouvant son ton taquin :

- Alors, vous voyez mademoiselle l'aristo… on étale doucement la crème sur toute la partie blessée…

Il joignit le geste à la parole. Comment faisait-il pour toujours comprendre ce qui lui arrivait au juste ?

- Ensuite, on masse délicatement…

Elle grimaça. C'était douloureux.

- Désolée, murmura-t-il. On masse, donc… pour que la crème rentre bien dans la peau. Et une fois fait, on admire le résultat !

La peau de Rose brillait à cause de la substance graisseuse, ce qui rendait l'hématome encore plus repoussant.

- D'accord, ce n'est pas joli à regarder, mais promis, ça vaut le coup.

Il lui sourit, plein de malice. Grisée par l'attention réconfortante dont il faisait preuve, Rose lui tendit innocemment son bras gauche. Il ne se laissa pas prendre au piège et se contenta de faire apparaitre une bonne quantité de crème sur le bras.

- Il faut que tu apprennes toute seule maintenant, tu es grande, Rose… sourit le brun.

Elle ne put retenir un sourire en voyant l'air de professeur qu'il se donnait.

- Alors… commença-t-elle d'une voix caressante. Après avoir déposé la crème sur le bras, on masse…

- Doucement, rappela William, ses yeux posés sur le visage de Rose.

Les coins de ses lèvres frémirent. Elle continua son massage, regardant sa peau absorber la crème scintillante.

- Et quand la crème a bien pénétré la peau… il ne reste plus qu'à admirer, termina-t-elle.

- Bravo, complimenta son ami. Tu vois, tu sais faire plein de choses.

- Si tu voulais me montrer comment me passer de la crème sur le corps, tu pouvais juste me le dire, ironisa-t-elle en souriant.

- Rien ne vaut une bonne mise en situation, affirma-t-il sous le rire de Rose.

Il reboucha le tube de crème. Rose déroula distraitement ses manches en le regardant faire, si concentré sur un si petit capuchon. William releva les yeux et contempla les manches défaites de son amie. Soupirant d'un air résigné, il commença à attacher les boutons des manches de sa chemise. Rose éclata de rire et commenta :

- Que veux-tu, on ne peut pas tout faire dans la même journée…

- Il faut laisser le cerveau enregistrer la leçon sur les crèmes d'abord.

Il sourit en la regardant rire aux éclats.

- Merci, chuchota-t-elle quand il eut fini.

- Ne me remercie pas, pitié.

Il se sentait toujours coupable. Elle le rejoignit à côté de l'armoire.

- Je t'ai dit, arrête de culpabiliser pour ça. Avec la leçon sur la crème, disons que nous sommes quittes, d'accord ?

Rose esquissa un sourire. Il opina, les yeux brillant d'amusement. Elle allait sortir de la chambre quand William lui fourra un livre dans les mains.

- Prends ça. C'est ton alibi pour être restée dans une chambre de garçon.

- Ça parle de quoi ? interrogea-t-elle en feuilletant l'ouvrage.

- C'est un livre sur les Potions à effet irréversible. Passionnant.

Il attrapa un parchemin et une plume pour se donner l'air sérieux et ils sortirent tout naturellement du dortoir. Presque personne ne remarqua leurs arrivée, sauf leurs amis respectifs.

Malgré leur preuve évidente comme quoi ils avaient travaillé, Derek leur lançait des œillades toutes les cinq minutes. Rose déclara rapidement qu'elle allait se coucher et coula un regard profond à son meilleur ami, qui voulait dire « tu sauras tout plus tard ». Il lui sourit et la laissa filer.

Rose passa rapidement par la salle de bains, mit son pyjama et fila dans son lit à toute vitesse. Si les filles revenaient maintenant, tout était fichu : les manches de son haut étaient trop courtes. Heureusement, demain on était dimanche et le dimanche elle pouvait porter un gros pull à lourdes manches. Rose tira les lourds rideaux.

Elle se pelotonna dans son lit avec Kietel et se repassa les images de sa journée.

William m'a embrassée. Bon, après il s'est excusé mais… par Merlin. Blaise. Je l'avais oublié. Blaise aussi.

William ET Blaise m'ont embrassée.

Oh.

Je suis dans le pétrin.