Un château comme Kaamelott ne pouvait pas se reconstruire en quelques jours, même si une bonne partie des pierres sur places pouvaient être réutilisées. Partout on entendait le bruit des marteaux et des ouvriers se hélant d'un bout à l'autre du chantier. Au bout d'un mois de ce régime, Guenièvre avait hérité d'un mal de tête permanent, à l'image de tous les autres habitants du château. Une humeur chagrine régnait sur le chantier, à l'image du temps ambiant. Même un homme aussi gentil que Bohort en devenait cassant. Guenièvre était peut être celle qui le vivait le mieux. Certes, ce bruit était difficilement supportable et elle soupirait de soulagement à la fin de la journée de travail des ouvriers, mais c'était mieux que de vivre seule avec sa boniche dans une tour hantée à supporter les visites de Lancelot. Au moins ici elle avait à qui parler et, de toute manière, mieux valait s'y faire. Kaamelott ne s'était pas construit en un jour.

Une plaisanterie courait depuis peu. Il avait fallu dix ans pour construire Kaamelott, dix minutes pour le détruire, il en faudrait cent pour le reconstruire, à moins que le roi Arthur ne sorte l'argent nécessaire de son cul. Guenièvre ne la trouvait pas très bonne, en plus d'être vulgaire. Arthur n'était pas responsable de l'état dans lequel Lancelot avait laissé le royaume. Elle ignora la petite voix qui lui soufflait qu'Arthur était quand même un peu responsable de la situation. Le pauvre homme se le faisait suffisamment entendre dire pour que Guenièvre n'en rajoute pas, même en pensée. D'autant qu'il faisait tout ce qu'il pouvait. Il avait même été quémander une partie de l'argent nécessaire auprès des Saxons et il n'aimait pas vraiment s'écraser comme ça devant autrui.

Guenièvre souleva un rideau et se faufila dans l'une des rares cours intactes du château. Comme c'était aussi la plus grande, elle accueillait à la fois le conseil du roi et le bureau du chef de chantier. Il n'y avait même pas de table à part une longue planche sur des tréteaux pour accueillir les plans du chantier et en l'absence de table ronde, quelques chaises disparates avaient été placées en cercle pour accueillir les chefs de clans et les chevaliers survivants qui commençaient à revenir un peu penaud à Kaamelott. En bref, c'était un foutoir pas possible et tout le monde gueulait pour se faire entendre.

Avant, jamais Guenièvre ne se serait intéressé à ce qui pouvait se dire ou se faire à ces réunions. Elle posait des questions à Arthur le soir parce que c'était ce qu'une femme était censée faire, soutenir son mari et l'écouter, non ? Mais il l'avait rembarré si souvent qu'elle s'était totalement désintéressé du sujet. Mais après ces dix ans enfermée, elle se découvrait curieuse de tout, même du fonctionnement administratif de Kaamelott.

Arthur leva la tête à son approche et lui jeta un regard interloqué d'abord, inquiet ensuite. Il fit mine de se lever, mais Guenièvre l'interrompit en lui mimant que tout allait bien et chercha une grosse pierre pour s'asseoir à l'écart. Arthur finit par se renfoncer dans son siège, mais un idiot aurait remarqué à quel point il était tendu et nerveux. Un mois à l'ombre des ruines de Kaamelott et Arthur n'avait pas encore hurlé une seule fois. Quelqu'un qui ne le connaissait pas aurait dit que c'était un progrès, mais Guenièvre le connaissait, elle, et beaucoup de gens présents sur le chantier aussi. Tout le monde marchait sur des œufs, en attendant l'explosion, la considérant inévitable.

Guenièvre le regarda attentivement. Elle aurait bien aimé qu'il se mette à crier. Chez Arthur, c'était presque un signe de bonne santé. Ça voulait dire qu'il était assez en forme pour que les choses le touchent. Là, elle avait peur qu'il s'écroule. Ses blessures physiques étaient guéries, mais les autres ? Ses cernes lui paraissaient encore plus importantes et elle n'aimait pas sa nouvelle manie de se frotter le poignet. Il tourna la tête vers elle, conscient de son regard, et Guenièvre détourna le sien, rougissante, pour écouter ce que disait le seigneur Calogrenant. Très vite, son esprit se mit à voleter d'ici de là. Il était question de taxes et de taux d'intérêt, que des sujets auxquels elle ne comprenait pas grand chose.

Arthur fronça les sourcils en voyant Guenièvre bayer plus ou moins discrètement dans ses mains gantées. Il avait du mal à comprendre ce qu'elle faisait là. Il fallait dire que ces derniers temps, Arthur ne prétendait plus comprendre Guenièvre. Il détourna le regard. Elle avait l'air fatiguée, mais il voyait qu'elle reprenait des couleurs d'être un peu au grand air. C'était au moins une victoire à mettre à son actif.

-Qu'en pensez-vous, sire ?

Il cligna des yeux en comprenant que c'était à lui qu'on s'adressait et rejoua la conversation dans sa tête. Il était question de permettre aux seigneurs de payer moins de taxes en augmentant celles des paysans.

-Non. Le peuple a été assez taxé ces dernières années.

-Mais sire, nous sommes presque ruinés !

-Si vous l'êtes presque, vos paysans le sont totalement. Non, c'est non. Et si vous êtes pas contents, je peux toujours ré-enfoncer cette putain d'épée dans son rocher et vous laisser vous débrouiller seuls comme des cons. Moi, je décarre et je me construit une cabane sur le bord du Pont-Euxin, histoire de profiter du soleil et de la cuisine locale, ça vous va ?

La dizaine de chefs de clan déjà prête à hurler se calma aussitôt, mais pas Léodagan qui renifla bruyamment.

-Faudrait quand même voir à pas oublier qui vous a rendu votre trône mon p'tit père. Quand à décarrer, je voudrais vous voir essayer. On a transmis un portrait de votre tronche dans tous les ports avec interdiction de vous laisser embarquer et une belle petite récompense à la clé, juste au cas où. Si vous tentez de vous barrez, je vous ramène à coup de pieds au cul.

-Je suis un peu vieux pour en recevoir.

-Pas grave, je suis clairement pas trop vieux pour les donner.

Arthur grimaça intérieurement. Jusqu'ici, la menace de se tirer dare-dare avait été efficace. Les chefs de clan avaient peur de se retrouver responsables de la reconstruction de Kaamelott et que Lancelot reporte sa colère sur eux. Hélas, ça ne pouvait pas durer toujours. Grâce à Léodagan, ça ne marcherait plus. Il était trop futé pour ne pas comprendre qu'Arthur avait fini par reconnaître sa défaite et décidé de rester.

-Pas de passe-droit pour les chefs de clan, soupira-t-il. Question suivante ?

Je crois que c'est mon tour, reprit Léodagan. On a parlé des impôts, super, mais faudrait aussi parler de où va l'argent. Parce que déjà qu'on a des Burgondes et des Saxons qui se baladent comme ils veulent partout en Bretagne, faudrait pas voir que d'autres bouseux de barbares fassent de même. L'autre con de Lancelot a peut être enlevé les tourelles sur la plage, alors faudrait voir à les remettre, avant que des mollassons commencent à parler de culture ou d'autres conneries.

Bohort et Karadoc ouvrirent tous deux la bouche à leur tour, mais Arthur leva la main pour les interrompre.

-Non, mais en fait j'en ai marre de voir vos tronches. Cassez-vous.

De nouvelles bouches s'ouvrirent pour protester.

-Cassez-vous je vous dit, on en reparle cette après midi. Je déclare la réunion ajournée jusqu'après le repas.

Guenièvre fut presque surprise de voir tout le monde se lever sans protester, mais eux aussi devaient s'inquiéter pour Arthur, à leur manière. Elle avait entendu deux ou trois jours plutôt son père s'inquiéter que « l'autre incapable nous claque entre les mains avant de se mettre sérieusement au boulot », ce qui était sa manière de dire qu'il craignait qu'Arthur ne brûle la chandelle par les deux bouts.

En attendant que les quartiers d'habitation soient habitables, Guenièvre dormait sous la tente à côté de celle de ses parents et non loin de celle d'Arthur. Elle voyait bien que la lumière y restait allumée très tard le soir et qu'il tournait en rond comme en animal en cage, les rares fois où il était là. Le soir de la chute de Kaamelott, Guenièvre s'était promis d'avoir une longue discussion avec lui. Il y avait tant de choses dont ils devaient parler, ce qui leur était arrivé à l'un et à l'autre ces dix dernières années, des mémoires qu'Arthur avait laissé derrière, de ce qui s'était passé à la tour, de ce que Guenièvre voulait, de ce qu'Arthur voulait... Cela faisait beaucoup de choses à aborder, surtout pour des gens qui n'avaient jamais réussi à se parler dix minutes d'affilées sans se crier dessus ou s'insulter, parfois les deux.

En un mois, l'occasion ne s'était jamais présentée. Arthur avait été par monts et par vaux, allant négocier avec Horsa et ses Saxons, rencontrant les chefs de clans, escortant les Burgondes jusqu'à la mer pour qu'ils rembarquent sur leur navires... Ces derniers étaient tellement ravis d'avoir détruits Kaamelott qu'ils avaient crié de joie à l'idée de retourner sur le continent pour raconter ça à leurs amis, sans réaliser qu'ils devraient du coup à nouveau envahir la Bretagne dans l'avenir.

C'était très bien tout ça, il avait besoin de rester actif pour éloigner ses idées noires, mais Guenièvre aurait quand même aimé le voir rester à table plus de cinq minutes pour se remplumer un peu et avoir cette discussion avec lui.

Arthur la vit hésiter à se lever et à partir.

-Non mais vous ça va, je vous ai déjà dit que vous pouviez rester.

Guenièvre se retourna, l'air encore un peu dubitatif, et ça c'était sa faute.

-Vous m'avez dit ça il y a un mois et excusez-moi, mais vous étiez un peu au trente-sixième dessous alors...

Arthur aurait voulu lui serrer les mains pour la rassurer et la réchauffer, mais se lever était trop difficile pour l'instant. Il avait si peu dormi la nuit précédente qu'il était à deux doigts de piquer un roupillon en plein milieu d'un courant d'air qui dressait ses cheveux sur sa tête depuis deux heures.

-Vous avez pas besoin de demander la permission pour rester. Ni maintenant, ni plus tard.

Guenièvre le regarda d'un air un peu ahuri. Elle ne retrouva ses esprits qu'après le départ des derniers seigneurs.

-Pourquoi ?

Sa petite voix triste était douloureuse à entendre. Arthur détourna à nouveau le regard.

-Je vous ai pas suffisamment mal traitée jusqu'ici ? Ça devrait vous donner un passe-droit, non ?

Guenièvre renifla, encore un peu interloqué.

-C'est bien gentil de le reconnaître ! Mais enfin, si vous vous remariez ou si vous preniez une maîtresse, vous diriez plus ça.

Le rire mélancolique d'Arthur lui fit tout aussi mal que son incrédulité avait blessé celui-ci.

-Regardez-moi. Est-ce que j'ai encore l'âge de prendre des maîtresses ? Ce ne serait pas sérieux.

-C'est pas comme si ça vous avait arrêté avant. Y en a eu pas mal qui sont passées dans ce château, et certaines plutôt jeunes en plus.

-Et ben j'ai eu tort, voilà ! J'aurais jamais du vous faire ça.

Guenièvre réalisa qu'elle se tenait toujours les bras ballants au beau milieu de la cour. Elle prit son courage à deux mains, saisit un siège et s'assit juste à côté d'Arthur. Tous deux avaient des tas de choses à dire à l'autre, des tas de questions à poser, mais ils ne savaient pas par où commencer. Vingt ans de mariage et dix ans de séparation faisaient beaucoup de choses à se faire pardonner ou à comprendre. Très vite, Guenièvre vit Arthur dodeliner de la tête. Celle-ci finit même par plonger en avant. Le roi poussa un ronflement sonore alors que quelques flocons de neige se posaient sur ses cheveux. Un peu malgré elle, Guenièvre se mit à rire et le secoua doucement. Arthur se redressa en sursaut.

-Quoi ?

-Vous ne pouvez pas vous endormir ici mon ami. Vous allez attraper la mort et on ne veut pas ça, n'est-ce pas ?

Arthur se ratatina un peu en entendant la supplication dans sa voix. Il se pelotonna un peu plus dans sa cape sans faire mine de bouger. Qu'on le laisse dormir cinq minutes et il serait capable de bouger.

Guenièvre reposa sa main sur son bras.

-Vous savez ce qu'il vous faut ? Une bonne nuit de sommeil dans un vrai lit. Vous je sais pas, mais moi j'en peut plus de dormir sous la tente dans tous ces courants d'air.

Arthur sourit. Après ces dix ans passés sous l'éreintant soleil du sud, il avait un mal fou à se réhabituer à ce temps détestable de Bretagne. Quitte à ce qu'on le ramène de force, n'aurait-il pas été possible que ça se fasse à la fin du printemps pour lui rendre la transition plus facile ?

-Il faudra encore du temps pour que les quartiers privés soient reconstruits, avec la tour principale. Mais d'ici là, j'ai une bonne nouvelle. Les quartiers des invités, dans la tour est, n'ont pas trop été touchés. L'architecte a dégagé les débris, colmaté quelques fissures et depuis ce matin, on a une quinzaine de chambres habitables. Je vous surprend si je vous dit qu'il y a failli y avoir des disputes pour savoir qui allait avoir le privilèges pour dormir dans un vrai lit ce soir ?

-Vu que ma bonne a du utiliser un marteau pour dégeler l'eau de ma carafe ce matin, non. À ce propos, j'aurais une demande...

Arthur se retint de lever les yeux au ciel. Tout le monde lui faisait demande après demande ces temps-ci. Merlin et Elias renchérissaient d'exigences pour leurs nouveaux laboratoires. Merlin, en particulier, exigeait un plafond de verre et la proximité d'un bosquet sous peine de ne pas réussir à faire ses trucs de druide, parce qu'il travaillait mieux en extérieur. Karadoc prétendait que les cuisines devaient être agrandis et avait deux fois tenté de modifier les plans du château pour qu'on lui construise une chambre contiguë à la cuisine avec un passage privé reliant les deux, évidemment. En dix ans, Léodagan n'avait oublié aucune de ses lubies militaires et était de mauvais poil depuis que les tours burgondes avaient été détruites pour fabriquer des échafaudages.

S'il s'était aussi souvent tiré de Kaamelott ces dernières semaines, ce n'était pas pour rien. Tout ce joli monde avait tellement d'exigences qu'ils faisaient presque le pied de grue devant sa tente à l'aube pour être sûr d'être entendu. Si la reconstruction de Kaamelott n'était déjà pas si coûteuse, Arthur aurait volontiers intégré des passages secrets dans tous les murs pour pouvoir y circuler sans jamais croiser personne. La seule chose qui le retenait, outre le prix, c'est qu'il avait toujours désiré être un souverain abordable et proche du peuple. Il refusait de changer d'opinion sur le sujet simplement parce que sa dépression lui maintenait la tête sous l'eau en permanence.

Guenièvre restait silencieuse. Il ouvrit l'œil pour la regarder. Elle se mordait la lèvre comme une gamine qui avait peur d'être prise en faute. Combien de fois Arthur lui avait reproché de se comporter comme une enfant, sans jamais lui permettre d'être autre chose ? Toutes les promesses du monde ne justifiaient pas un tel comportement à l'égard d'une personne à qui il avait aussi fait des promesses, même à contrecœur.

-Allez-y, je vous écoute.

-J'ai besoin de savoir, je suis quoi ici au juste ? Votre femme, votre ex-femme ? Je reste ici, je rentre en Carmélide, je fais quoi ?

-Vous êtes ma... mon ex-femme. Et vous êtes ce que vous voulez ici. Si vous voulez rentrer en Carmélide, c'est bon. Si vous voulez un château à vous n'importe où, je vous le donne.

Il avait voulu dire « ma femme ». Il avait perdu ce droit des années plutôt. Dès le premier jour, peut être. Il ne pouvait plus proclamer avoir le moindre droit sur Guenièvre et c'était tant mieux. Lui s'était trouvé plus libre en temps qu'esclave à tanner des peaux à longueur de journée qu'en temps que roi assis sur un trône, parce que sa prison était celle des responsabilités, mais Guenièvre avait passé dix ans à être une véritable prisonnière, avec quatre murs et une minuscule fenêtre comme seule horizon. Plus jamais il ne voulait la voir plier sous un carcan. Lui n'avait pas le choix, mais il tuerait pour qu'elle, si.

-Et si vous voulez rester..., poursuivit-il après lui avoir laissé le temps d'intégrer ce qu'il lui disait, ben ça me ferait vachement plaisir.

Les larmes montèrent aux yeux de Guenièvre. Elle se demandait si Arthur savait à quel point c'était important, ce qu'il lui offrait. Guenièvre n'avait jamais été libre de choisir son futur, sauf une fois, et elle avait prit la pire décision de sa vie en pensant que Lancelot lui offrait mieux qu'Arthur. L'indifférence et le dédain d'Arthur l'avaient au final moins blessée que la manie de Lancelot de la placer sur un piédestal.

Ça ne répondait pas à ses questions sur ce qui s'était passé à la tour et à ce baiser, son premier vrai baiser, mais Arthur semblait dire que c'était à elle de décider ce qu'elle voulait en faire. C'était terrifiant, mais Guenièvre n'avait jamais été aussi reconnaissante envers Arthur.

-La vache, je penserait pas que ça vous ferait pleurer. Qu'est-ce que j'ai encore fait ?

Il se levait à moitié, l'air inquiet. Guenièvre lui sourit et essuya ses larmes.

-Tout va bien. Je vous promet. Je pensais juste à quelque chose de triste.

-Heureusement que je pleure pas à chaque fois que je pense à quelque chose de triste ou il y aurait plus un mouchoir propre d'ici à l'Orcanie. Enfin, vous vouliez me parler de quoi ?

Il détournait la conversation pour qu'elle n'ait plus à penser à tout ça. Guenièvre avait envie d'embrasser le bout de son petit nez rouge de froid, mais il l'aurait sans doute mal prit.

-Ah oui. Alors, c'est à propos des chambres. Si je reste, est-ce que je pourrais avoir une chambre au rez-de-chaussée ? Peut-être même avec un petit jardin ?

Elle avait passé dix ans à ne voir qu'un bout de ciel bleu ou gris, sauf quand elle se penchait à sa fenêtre. La campagne autour du château de Ban était peut être jolie, mais on se lassait de voir toujours les mêmes collines et les mêmes arbres. Un jour, la foudre était tombé sur l'un d'eux. Le voir prendre feu avait été le spectacle le plus intéressant de toute sa captivité. Un jardin par contre, on pouvait l'entretenir, le remodeler tous les ans. Elle s'était souvent promis qu'elle aurait un jardin, une fois qu'elle serait libre, avec des tas de fleurs qui changeraient chaque saison.

Arthur hocha la tête. Il avait eu droit à dix ans de couchers de soleils fantastiques sur le désert. Il pouvait imaginer l'horreur d'être enfermé en quatre murs, alors Guenièvre n'avait pas besoin d'expliquer ses raisons.

-Je dois revoir l'architecte tout à l'heure. Vous aurez votre jardin. Mais c'est long, de faire pousser un jardin. Vous vous voyez encore là dans cinq ou dix ans ?

-Si vous y êtes toujours.

C'était la première fois qu'elle osait être aussi directe. Guenièvre rougit. Soudain, elle entendit un bruit incongru et écarquilla les yeux. Arthur riait doucement dans sa barbe. Il y avait même un pétillement dans ses yeux qu'elle n'y avait jamais vu. Si c'était grâce à elle, Guenièvre était la femme la plus heureuse du monde.

-Il y a autre chose que je voulais vous dire, se rappela-t-elle soudain. Mes bijoux. Je sais que j'ai des trucs que je croyais valoir beaucoup mais qui ne sont que du toc, comme ce petit peigne qu'on m'avait volé, je sais pas si vous vous rappelez, mais j'ai encore d'autres choses, des que je tiens de ma mère, de vous ou même de Lancelot. C'est marrant comme les hommes croient qu'on pardonne tout pour une pierre un peu brillante.

Arthur grimaça. Il était coupable de ça, aussi.

-D'accord, mais pourquoi me parler de vos bijoux ?

-Parce que vous pourriez les vendre. J'ai un peu suivi quand même, il y a besoin d'argent pour la reconstruction de Kaamelott, pour la défense du royaume, la quête du Graal et tout ça. Ça me gène d'avoir tout ça alors que le peuple meure de faim. Je les aurait donnés plus tôt, mais Lancelot disait que je méritait des bijoux de reine. Il m'a même offert des bijoux pris à vos maîtresses en disant qu'ils auraient toujours dû me revenir.

Là dessus, Arthur devait reconnaître que Lancelot n'avait pas tort. Arthur avait bien des choses à reprocher à ses anciens compagnons, mais il était loin d'être blanc dans l'affaire.

-Merci. Donnez ce que vous voulez, j'en ferais bon usage. Mais je refuse que vous donniez tout, ça pourrait encore vous servir un jour.

-Je vais faire ma sélection.

Arthur hocha la tête et se leva, serrant au passage sa main pour la remercier.

-J'imagine que je doit y retourner. J'ai l'architecte à voir, une inspection du chantier de l'aile ouest à faire pour vérifier que personne tire au flanc et ça c'est juste avant le déjeuner.

-Alors je vais vous laisser à vos petites affaires, je vais pas vous déranger plus que ça.

Guenièvre imita Arthur en parlant d'une voix un peu trop enjouée. Il lui semblait un peu plus en forme. Si c'était grâce à elle, c'était une première. D'habitude, elle aggravait ses sautes d'humeur, alors c'était agréable de se sentir utile.

-Je vous vois ce soir ? Je peux dire, si j'arrive à en trouver le temps ?

Définitivement, Guenièvre n'avait pas l'habitude qu'on lui demande ce qu'elle voulait au lieu de lui dire ce qu'elle devait faire. Toute sa vie, ça avait été comme ça. Sa mère lui disait comment s'habiller, comment séduire son mari, comment lui faire des enfants, son père lui disait quelles exigences elle devait répéter à Arthur. Arthur, lui, se contentait de lui dire qu'il mangerait avec elle à telle heure ou qu'elle devait être présente pour recevoir tel chef breton ou barbare. Avec Lancelot, c'est tout juste si elle pouvait choisir quoi manger le midi. Ces changements allaient un peu trop vite pour elle. Elle réussit quand même à hocher la tête et à sourire à Arthur.

-Oui. Et ce serait bien qu'on discute un peu au passage, non ? Je veux dire, c'est à peine si on a causé vous et moi depuis...

-Ce serait bien, oui. J'essaierai, si j'en trouve le temps.

Guenièvre s'éloigna en s'étonnant elle-même d'avoir le pas si guilleret. Vaguement, elle se demanda si c'était ça qu'avaient ressenti les maîtresses de son mari quand il leur faisait la cour et si c'était ça, la cour en question. Si oui, c'était bien agréable. Et même si ce qui venait de se passer était juste une marque d'amitié, une simple conversation entre deux gens qui s'appréciaient, ça lui allait très bien aussi. À part ses boniches et les maîtresses d'Arthur, Guenièvre n'avait jamais eu que Lancelot comme ami et uniquement parce qu'elle était trop conne pour comprendre qu'il n'avait pas vraiment l'amitié en tête. Son mariage avec Arthur n'avait pas été un mariage d'amour, quoi que sa mère lui ai mis en tête. Arthur ne l'avait jamais aimé. Quand à elle, elle avait cru l'aimer pendant qu'il l'humiliait quotidiennement puis avait fui avec Lancelot quand elle avait fini par voir la vérité. Ensuite, elle avait commencé à vraiment tomber amoureuse de lui quand il s'était adouci, mais il s'était ouvert les veines et avait fui le royaume, l'abandonnant à la merci de Lancelot. Mais quelque chose lui disait que cette fois elle avait une chance et elle espérait ne pas la gâcher.

La meilleure preuve que quelque chose était possible, c'est que contrairement à Lancelot, Arthur ne lui faisait jamais de promesses vides. Durant les vingt ans de leur mariage, il n'avait jamais caché qu'il ne l'aimait pas, Guenièvre s'était aveuglée toute seule. Et maintenant, il ne lui promettait pas qu'il lui consacrerait un moment en mettant une main sur son cœur et un genou en terre, lui. Arthur disait « peut être » et « si je peux ». Alors, oui, Guenièvre y croyait. Au moment de disparaître, elle lança un dernier sourire à Arthur.

Le sourire de Guenièvre accompagna Arthur tout le reste de sa journée. C'était idiot. Il n'avait plus vingt ans et ça faisait longtemps que les femmes ne lui faisaient plus tourner la tête comme à un gamin. Mevanwi avait été le dernier de ses coups de cœurs catastrophiques. Arthur devait s'y faire, il vieillissait, même si l'idée n'était pas agréable.

Et pourtant, le sourire de Guenièvre lui faisait cet effet là. Vingt ans de mariage et il n'avait pas été fichu de remarquer les fossettes qu'elle avait quand elle souriait. Et cette voix qui lui évoquait jadis une crécelle de lépreux lui donnait aujourd'hui du baume au cœur.

Parce que si Genièvre souriait, il n'avait pas tout raté.

Pour Arthur, la journée avait mal commencée. Il avait eu l'impression de revivre les pires journées de son règne, celles où il devait jongler entre les emmerdeurs qui venaient quémander quelque privilège et ceux qui venaient lui demander de régler des problèmes qui auraient du se résoudre simplement avec deux doigts de jugeote. Quand Genièvre était arrivée dans la cour, Arthur était à deux doigts de dégainer son épée et d'étriper un des connards qui l'entourait. Peut importait lequel. Il n'avait pas voulu lui infliger ce spectacle et son arrivée l'avait calmé, la discussion qui avait suivi aussi.

Elle lui donna la force d'affronter le reste de la journée, que ce soit pour pinailler avec l'architecte sur les détails du chantier, virer Venec et sa dernière équipe de bras cassés des ruines qu'ils avaient commencé à piller, manger sur le pouce sans même avoir le temps d'enlever ses gants, ergoter avec Léodagan sur les tourelles qu'il fallait absolument mettre sur la plage, arrêter Perceval et Karadoc avant qu'ils ne commettent une énième connerie et revenir avec les chefs de clan sur la question des impôts et la quête du Graal.

Dans tout ça, il se retrouva obligé de grignoter dans la cuisine, engouffrant des rondelles de saucisson à la chaîne tout en dictant ses ordres pour le lendemain à une horde de serviteurs aussi épuisés que lui. Autant dire que Guenièvre avait du malheureusement passer à la trappe.

La nuit était déjà bien tombée quand il se retrouva dans les couloirs des quartiers des invités, une torche à la main, comme au bon vieux temps. Le duc d'Aquitaine avait logé dans cette chambre, les jumelles du pêcheur dans telle autre. Le silence régnait. Tous les locataires actuels devaient déjà être couchés, trop heureux d'avoir retrouvé un vrai lit. Par acquis de conscience, il alla quand jeter un coup d'œil dans la pièce qui servait de salle à manger.

Dans les assiettes, les restes finissaient de se figer, mais une lumière continuait à briller près du feu. Arthur ouvrit un peu plus grand la porte et découvrit Guenièvre, agenouillée près du feu.

-Ne me dites pas que vous m'avez attendu.

-Certainement pas, protesta-t-elle. Je n'arrivais pas à dormir, figurez-vous.

À d'autres. Arthur s'accorda un sourire en coin.

-C'est gentil de m'avoir attendu.

-Les hommes, vous croyez vraiment qu'on fait tout pour vous, souffla Guenièvre en levant les yeux au ciel d'un air excédé. Je suis pas allée me coucher parce que ma chambre est au quatrième étage. J'y suis entrée et j'ai eu une sorte de vertige, alors j'attends que ça s'en aille pour aller me coucher.

Arthur fronça les sourcils.

-Au quatrième ? Mais j'ai vu l'architecte tout à l'heure et je lui ai dit de vous faire placer au rez-de-chaussée. Je lui ai dit de vous l'annoncer lui-même quand j'ai compris que je n'aurais pas le temps de le faire moi-même. Je... Je voulais vous en faire la surprise à l'origine.

Les yeux de Guenièvre s'adoucirent et elle baissa la tête.

-Merci. C'est gentil.

-Attendez-moi là.

Arthur grimpa au quatrième étage et y arriva en sueur. Ces escaliers aux marches hautes n'étaient plus faits pour lui. Où diable était-il allé trouvé la force d'escalader cette tour ? C'était un mystère. La chambre de Guenièvre ne fut pas dure à trouver, c'était la seule qui n'était pas fermée à clé. Arthur roula toutes ses affaires dans une couverture et redescendit aussi vite qu'il était monté pour la rejoindre.

-Je vous ai pris l'essentiel, vous enverrez votre suivante chercher le reste demain. Venez. Je sais où est votre chambre.

Guenièvre le suivit en silence jusqu'à la chambre en question. Autrefois, Arthur aurait simplement appelé un serviteur pour qu'il règle le problème, ravi de ne pas avoir à la supporter cinq minutes de plus. Il n'était jamais serviable qu'avec ses maîtresses. Grâce à leurs confidences, Guenièvre savait même qu'il ne l'était pas toujours.

-J'ai dit à l'architecte de vous faire la place pour un jardin, finit par dire Arthur pour rompre le silence. Je suis désolé, il ne sera pas très grand et entouré de murailles.

-Grand comment ?

-Vous voyez l'ancienne salle où on prenait les repas avec vos parents ? À peu près deux fois comme ça. Si on avait visé plus grand, il aurait fallu tout reconcevoir, des écuries au potager.

Guenièvre écarquilla les yeux. C'était plus qu'elle ne l'avait espéré.

-Les murailles, on peut faire courir des rosiers dessus. Merci.

Arthur se racla la gorge et s'arrêta soudain.

-Votre chambre. J'espère qu'elle vous conviendra, en attendant mieux. La fenêtre donne sur le potager dans l'arrière cour des cuisines, je peux vous dire que j'ai du me battre avec Karadoc pour qu'il accepte de céder cette chambre. Les odeurs sont un peu fortes, mais vous aurez de la verdure.

Guenièvre ouvrit la porte et s'effaça pour le laisser poser son paquet sur le lit. Il dénoua la couverture pour en sortir une chemise de nuit, une robe pour le lendemain et ses principales affaires de toilettes qu'il disposa sur la petite table en face du lit.

Il aurait voulu qu'elle dise quelque chose. Ce silence avait quelque chose d'étouffant, dans cette chambre sombre. Arthur posa la robe sur le dossier de la chaise et la lissa un peu pour se donner une contenance, puis ressortit en frôlant la robe de Guenièvre. Celle-ci le suivit dans le couloir, toujours silencieuse. Ils se retrouvèrent à se regarder d'un air incertain sous une torche tremblotante.

-Ben voilà, finit par dire Arthur pour rompre le silence, je crois que vous êtes bien installée.

-Et vous, vous logez où ?

-Au deuxième étage, dans la chambre à l'angle de la tour ouest. Pourquoi ?

Guenièvre se mit à fixer le sol comme si c'était la chose la plus intéressante du monde. Elle ne pouvait pas lui dire que ces derniers temps, quand elle avait du mal à dormir, elle s'emmitouflait dans un manteau et se levait pour aller jusqu'à la tente d'Arthur. Ce n'était qu'en l'entendant ronfler ou en le voyant tourner en rond dans sa tente qu'elle arrivait à retourner dormir, rassurée. Depuis qu'il était de retour, elle se réveillait en sueur, avec le souvenir de son corps livide dans une baignoire remplie de sang.

-Parce que je m'inquiète pour vous, finit-elle par dire plus sobrement.

Ses yeux se posèrent involontairement sur les bracelets de cuir qui recouvraient les cicatrices sur ses poignets. Arthur comprit aussitôt ce qu'elle voulait dire. Il déglutit. Il était tard, il était crevé, mais il lui devait de répondre à cette inquiétude.

-Je peux pas promettre d'aller mieux comme ça.

-Je sais.

-C'est dur de se lever le matin, dur de rester debout toute la journée et dur d'aller se coucher en sachant qu'il faudra recommencer le lendemain. Ce sera peut être toujours comme ça, et même si je vais mieux un jour, rien ne dit que je ferais pas une rechute.

-Je sais. Dix ans enfermée, c'est long. Vous croyez que j'ai jamais eu des pensées noires ?

Il les surpris tous les deux en la prenant dans ses bras et en la serrant tout contre lui. Il inspira profondément son parfum. C'était le même que celui qu'elle portait à la tour, mais Arthur n'aurait pas su dire si elle l'avait déjà porté avant. Même dans leur lit, il ne l'avait jamais tenue d'aussi près.

À son contact, Guenièvre commença par se figer. Elle n'avait pas non plus l'habitude d'être tenue d'aussi près. La dernière fois c'était quand Lancelot l'avait traîné de force au sommet de cette tour où il s'était ensuite jeté à ses pieds pour lui jurer un éternel amour et qu'il l'épouserait dès qu'il aurait tué Arthur. Guenièvre avait failli éclater de rire. Lancelot était bien la seule personne sur terre à estimer qu'Arthur était encore son époux. Elle s'était contenté de se débattre, son toucher lui étant odieux.

-Je vous fais mal ?, s'inquiéta immédiatement Arthur.

-Non. J'ai pas l'habitude, c'est tout.

Arthur desserra un peu son étreinte et Guenièvre se détendit peu à peu. Arthur commença à lui caresser les cheveux, enivré par son souffle sur son cou. Il se demanda s'il lui faisait le même effet que ce qu'elle lui faisait à lui. Tout son corps semblait en feu.

-Vous savez, finit par dire Guenièvre d'un ton presque mutin, j'ai dit que j'avais pas l'habitude, pas que j'aimais pas ça.

Guenièvre sentit les mains d'Arthur l'agripper plus fermement et la plaquer contre le mur. Elle retint un glapissement, surprise par le froid du mur puis dut se mordre les lèvres pour ne pas gémir. Les lèvres d'Arthur semblaient partout, sur ses joues, ses mains, son cou... Quand à ses mains, elles descendirent de son dos à ses hanches avant que l'une d'elle ne remonte jusqu'à un sein qu'elle agrippa presque brutalement. Guenièvre étouffait. Ses vêtements étaient de trop, ceux d'Arthur aussi. Son corps se cambra inconsciemment vers celui d'Arthur, à la recherche de quelque chose qu'on lui promettait depuis trente ans et qu'elle devinait délicieux.

Elle avait cru le baiser qu'ils avaient partagé à la tour passionné. Elle se trompait, elle ne s'était jamais autant trompé. Sa naïveté la fit rire, mais ce son se transforma immédiatement en un gémissement qu'elle n'avait jamais entendu sortir de ses lèvres et qui amena Arthur encore plus près d'elle.

Puis, tout aussi soudainement, il s'éloigna comme si quelque chose l'avait brûlé. Le souffle coupé, Guenièvre du s'appuyer contre le mur pour ne pas tomber.

-Désolé, souffla Arthur.

-Désolé, répéta Guenièvre, d'abord interloquée, puis frustrée et furieuse. Désolé ? Ah mais faudrait pas voir à déconner mon p'tit père, vous m'avez mis dans cet état, j'espère que vous comptez pas me laisser en plan comme ça !

Arthur laissa tomber sa tête contre son épaule.

-J'ai été un salaud avec vous pendant trente ans. Je vous ai méprisée, vilipendée, humiliée, abandonnée. C'est vrai tout ça ou pas ?

Guenièvre hocha la tête. Elle avait soudain envie de pleurer.

-Oui. C'est vrai.

-J'ai tout raté avec vous, dès le premier jour. Alors s'il vous plaît, laissez-moi faire les choses bien. Je veux pas vous faire des promesses que je pourrais pas tenir, alors laissez-moi un peu de temps, d'accord ? Pour faire les choses bien. Pour être l'homme que vous auriez mérité d'avoir à vos côtés.

Il attendit de longues minutes en silence, écrasé par le regard scrutateur de Guenièvre. Que cherchait-elle sur son visage ? Les marques de sa contrition ou son désir de monter à son niveau comme il avait monté le mur de la tour ? Elle était en droit de le repousser ou de lui cracher à la figure.

-Vous allez pas me mettre sur un piédestal comme Lancelot, hein ?

La voix de Guenièvre n'était qu'un filet. Arthur s'empara de sa main et y posa un baiser, avant, enfin, d'oser la regarder dans les yeux.

-Jamais. Vous êtes un être de chair, Guenièvre, pas une statue de pierre. Tôt ou tard je vais dire un truc blessant ou vous crier dessus parce que vous m'agacerez toujours prodigieusement. Alors, il y a bien des choses que je peux merder, mais pas celle-là.

Guenièvre ne put cacher son soulagement. Il ne lui mentait pas, elle pouvait le lire dans ses yeux. Et il l'avait appelée par son prénom. C'était si rare qu'il l'emploie qu'elle avait presque oublié comme son nom sonnait joliment dans sa bouche.

-Bon. Je vais me coucher alors. Mais la prochaine fois que vous me refaites un coup comme ça, vous avez intérêt à aller jusqu'au bout.

Arthur émit un rire étranglé.

-La seule chose qui pourrait m'arrêter, c'est un mot de vous, un seul. Allez vous coucher. Je vous ai suffisamment retenue.

Elle lui sourit timidement et referma sa porte sans le quitter du regard. Même après avoir entendu la clé tourner dans la serrure, Arthur resta là, les bras ballants, une bonne dizaine de minutes, à attendre que son cœur se remette à battre à un rythme normal. C'était peut être parce qu'il n'avait pas touché une femme depuis dix ans, mais il s'était rarement enflammé aussi vite sur un simple contact. S'il n'avait pas trouvé le courage de se retirer... Il avait dit vrai à Guenièvre, seul un mot ou même un geste d'elle aurait pu l'arrêter. Et elle le voulait aussi, après tout ce temps. Cette seule pensée faisait battre son cœur un peu plus vite et faisait apparaître un petit sourire stupidement fier sur son visage. Il fallait se résoudre à l'évidence. À cinquante ans, de nombreux hommes prenaient une maîtresse. Arthur, lui, avait trouvé moyen de tomber amoureux de sa femme. C'était à pleurer.

Il remonta les deux étages jusqu'à sa chambre en chantonnant un petit air guilleret.