Aller vérifier l'état des fortifications sur la côte n'était pas vraiment ce qu'Arthur appelait un voyage reposant, même si c'était hélas nécessaire. Lancelot les avait négligées comme le reste du royaume. Arthur avait manqué de s'étouffer en entendant l'estimation de l'argent nécessaire pour tout remettre en état. Son ex-beau père l'avait étouffé de récriminations, trop heureux d'être en tête à tête avec son ancien gendre pour tâcher d'obtenir de l'argent pour la défense du royaume. Seulement, comme de l'argent, il n'y en avait pas ou il fallait le quémander aux Saxons, il se contentait de réclamer des promesses. Arthur avait promis, du bout des lèvres. Il préférerait de loin pouvoir mettre cet argent hypothétique dans l'éducation ou la santé, mais s'ils donnaient un signe de faiblesse, la Bretagne deviendrait Saxonne, Jute ou Wisigothe.
Au moins, Léodagan n'avait pas abordé une seule fois la question de Guenièvre, au grand étonnement d'Arthur. Tant mieux. Arthur avait refusé de se fâcher sur la question des défenses mais il se serait assurément mis en colère sur celle de Guenièvre. Il ne voulait pas en parler, et si c'était avec quelqu'un, ce ne serait certainement pas avec son beau-père.
Ex beau-père. Arthur refusait d'oublier ce détail. Il n'avait plus aucun droit légitime sur Guenièvre. Il devait faire gaffe à ne pas l'oublier. Il devait lui laisser l'échappatoire qu'elle méritait. S'il se mettait à penser à elle comme son épouse, à l'appeler sa femme, le peuple et la noblesse se mettraient aussitôt à penser à elle comme telle. Guenièvre serait reine tout comme il était roi, point final.
Certes, Arthur la voulait reine. Il ne voulait pas du trône, ni du Graal, mais il désirait l'avoir, elle, à ses côtés. Il se trouvait terriblement égoïste de le vouloir. Et il était forcé de s'interroger. La désirait-il maintenant parce qu'il pensait ne plus pouvoir l'avoir ? C'était bien son genre. Pendant leurs vingt ans de mariage, il l'avait détestée, méprisée et humiliée. Pendant ses dix ans d'exil, il avait à peine pensé à elle, et maintenant, sa seule présence le rendait fou de désir ? Il se sentait comme un enfant qui se met à désirer un jouet seulement parce qu'on lui avait interdit d'y toucher. Guenièvre méritait mieux que d'être sa solution de repli, choisie uniquement parce qu'elle était familière, parce que c'était la situation la plus confortable pour lui.
Voilà ce qui bloquait Arthur dans l'élan qui la portait vers elle. Du moins, c'était une partie de la raison. L'autre, c'était Guenièvre elle même. Arthur s'y connaissait suffisamment en femmes pour avoir la certitude qu'elle le désirait. Cependant, on ne construisait pas une relation sur des désirs enfouis depuis trente ans. Il fallait une affection durable. Des projets communs. Être capable de demander à l'autre si elle voulait lui parler de ce qu'elle avait vécu sous le joug de Lancelot. Être capable de parler à l'autre de ses tourments. Sinon, ils en viendraient à se haïr et ce serait pire qu'avant.
Arthur portait peut être à nouveau la couronne de Logres, mais il se sentait surtout le roi des cons à être incapable de fournir à Guenièvre ce dont elle avait le plus besoin. Affection. Sécurité. Tendresse. Une oreille attentive. Il faisait des efforts, pour prendre sur lui, pour ne pas faire payer à Guenièvre son ressentiment d'être de nouveau forcé d'assumer la couronne. Guenièvre était plus forte qu'elle ne l'avait jamais été, plus dure plus maligne. Elle était aussi plu fragile, plus qu'elle ne voulait probablement l'admettre. Quand il la voyait, il ne pouvait s'empêcher de penser à Shedda dans sa cage. Jamais il n'avait autant pensé à la jeune esclave que ces dernières semaines. Arthur voulait protéger Guenièvre, comme il avait voulu aider Shedda, mais était-ce la même chose que l'aimer ? Il devait en être sûr.
La tournée d'inspection l'avait trop fatigué pour l'aider à trouver les réponses à ces questions. Et lui qui avait espéré que ce court éloignement lui permette de mettre tout ça à plat. Il fallait qu'il soit con, quand même. Un roi n'avait jamais le temps de se poser pour réfléchir. Il avait espéré quoi, que Léodagan lui offrirait quelques moments de silence et de paix ? Arthur se moucha et resserra les pans de son manteau. Il ne se rappelait pas que les hivers aient été si froid au temps jadis.
-Serait pas fâché de me mettre au plumard, moi, grommela Léodagan. C'est pas un temps pour voyager. On a de ces hivers depuis dix ans... À croire que les dieux marquaient leur désapprobation.
-Si vous croyez que ça me fait plaisir de crapahuter comme ça... À nos âges, il serait pas temps qu'on laisse les jeunes s'occuper de ces tournées d'inspections, ou qu'on les réserve pour le printemps ?
-La jeunesse, faudrait la former, de un, et qu'elle en ait quelque chose à foutre, de deux. Y a bien les filles de Karadoc qui ont deux doigts de jugeote, mais c'est à peu près tout dans le lot. Enfin, c'est toujours mieux que la génération de mon fils. Et puis, quand on va cacher son cul dix ans au soleil, on se plaint pas d'une petite brise vivifiante une fois de temps en temps.
-Vivifiante ? On se pèle carrément le cul, oui ! Et vous vous allez peut être pouvoir vous mettre au pieu, mais moi j'ai ma mère qui arrive demain alors autant vous dire que question repos je vais pas en avoir beaucoup, mais je vais déguster un max !
-Oh, vous billez pas trop non plus. Si elle a repoussé son voyage de quelques jours pour un peu de verglas, c'est qu'elle commence à ramollir sur ses vieux jours.
Arthur manqua de s'étouffer.
-Ramollir, ma mère ? Je voudrais bien voir ça !
-Vous seriez étonné. C'est comme moi, ça fait au moins cinq ans que j'ai pas brûlé un mec. J'ai même pleuré quand la petite est rentrée. Pas devant elle, question de dignité, hein, mais n'empêche que le soir j'ai chialé. Je peux vous dire que Séli s'est bien foutue de ma gueule, mais elle avait pas vraiment l'œil sec non plus.
Arthur n'essaya même pas de cacher sa grimace dubitative. Le monde avait changé, il avait changé, mais dans le cas de sa mère, il avait de gros doutes. Enfin, il pourrait le constater de lui-même dès le lendemain. Déjà, ils voyaient les murailles de Kaamelott apparaître au loin. Après quarante huit heures à crapahuter dans la boue et sur le verglas, c'était pas trop tôt. Arthur ne ressentait cependant qu'une énorme fatigue en voyant la silhouette épaisse du château. Il ne voyait pas la fin de cet hiver et de la longue liste de choses qu'il lui restait à faire pour pouvoir seulement remettre en mouvement les choses. Il était si fatigué qu'il pouvait sans peine ignorer la honte qu'il ressentait habituellement en voyant la tour de la Table Ronde en ruine. Au moins, Léodagan se taisait maintenant qu'ils approchaient du château. Arthur put finir la route en silence. Il réussit même à ne penser à rien pendant une bonne demi-heure.
En mettant pied à terre devant le portail en construction du château, Arthur sut immédiatement que quelque chose n'allait pas. C'était l'instinct acquis après vingt ans passés à la tête de l'État, ajouté à la vision familière de Bohort courant vers lui en criant.
-Sire, c'est une catastrophe !
-Qu'est-ce qui se passe, Bohort ?, soupira-t-il, déjà fatigué d'avance. Je vous préviens, je viens de me geler pendant deux jours sur les routes avec mon beau-père, alors la crise a intérêt à être sérieuse !
-Tintagel menace de faire sécession et de venir raser Kaamelott ! Si ce n'est pas dramatique, je ne sais pas ce qu'il vous faut !
Ça, c'était pas du sérieux, c'était carrément du brutal. Toute fatigue oubliée, Arthur lança les rênes de son cheval à un palefrenier. Léodagan fit de même.
-Dites-moi tout. Et pas au milieu de la cour ! Les gens d'ici ont mérité de passer quelques semaines sans paniquer, vous ne trouvez pas ?
Il alpagua Bohort par le bras et l'entraîna dans la pièce la plus proche, un débarras où les ouvriers du chantier entreposaient leur matériel et, visiblement, sifflaient du vin en douce. Un beuglement de Léodagan suffit à les faire déguerpir.
-Alors ?, demanda Arthur dès que la porte fut refermée. Quand est-ce que vous avez reçu cette nouvelle ? Qu'est-ce qui prend à ma mère de l'annoncer par écrit alors qu'elle aurait pu me le dire en face à son arrivée demain ?
Bohort écarquilla les yeux.
-Mais sire, c'est elle-même qui l'a dit.
-Elle ? Et quand ça, bon sang ?
-Mais ce matin, avant de plier bagages et de s'en retourner à Tintagel avec toute sa suite. Ah sire, Kaamelott n'a-t-elle point assez souffert ? Faut-il donc que le spectre de la guerre civile nous hante à nouveau ? Il nous faut fuir, tant qu'il est encore temps ! Kaamelott ne peut nous offrir sa protection habituelle dans son état !
Arthur leva la main en essayant de contenir sa colère. Dix ans d'absence et Bohort n'avait pas acquis un pet de courage, même s'il avait raison sur ce dernier point. En cas de siège, ils tiendraient moins longtemps encore que Lancelot et sa bande de lèches-bottes.
-Ralentissez, j'ai du mal à suivre. Vous pigez quelque chose, vous ?
-Rien du tout, confirma Léodagan. Elle foutait quoi à Kaamelott hier, Ygerne ? Elle devait pas arriver demain ?
-À l'origine, non, elle devait bien arriver hier, mais elle a changé d'avis. Je l'ai appris par...
Arthur s'interrompit. C'était Guenièvre qui lui avait annoncé le changement et qui l'avait encouragé à partir avec Léodagan. Lui-même n'avait pas vu la lettre en question. Au visage soudain livide de Bohort, Arthur comprit que celui-ci était arrivé à la même conclusion que lui. Arthur avait été trompé. Par Genièvre. Bordel, ça faisait plus mal qu'il ne l'aurait cru.
-Et bien ?, aboya Léodagan.
Pas une seule fois durant les deux derniers jours Arthur n'avait mentionné cette information à Léodagan. Il n'en avait pas vu l'intérêt ou l'utilité. Maintenant, il en était soulagé.
-Si vous permettez, j'aimerais mieux ne rien dire de plus, balbutia Bohort. Je ne voudrais causer de tort à personne. Après tout, ce ne sont que des menaces pour l'instant et l'on est en droit d'espérer que le roi saura calmer l'ire de dame Ygerne.
Léodagan plaqua Bohort contre le mur.
-Ah, non, mais vous allez parler ! Parce que ce genre de conneries, c'est la dernière chose dont on a besoin en ce moment. Non, mais là, il y a de la décapitation dans l'air ! Je me suis peut être ramolli, mais faudrait pas voir que des traîtres sèment la dissension dans le royaume. L'autre fumier de Lancelot ça suffit !
-Non, mais je m'en occupe, le coupa Arthur en faisant les gros yeux à Bohort pour le convaincre de se taire.
-Vous vous en occupez ? Ah bé on est dans de beaux draps alors ! Parce que si moi je me suis ramolli, vous êtes pire qu'un gros bébé pleurnichard !
La colère commençait à sérieusement monter au nez d'Arthur, mais il la contint, une fois de plus. C'était plus facile qu'à l'époque, ou alors il était trop fatigué de la vie pour se mettre véritablement en colère. Il allait pourtant falloir qu'il relâche toute cette pression, sous peine d'exploser.
-Je m'en occupe, répliqua-t-il d'un ton sec en ignorant l'insulte. Vous vouliez aller pioncer, non ? Alors allez-y. Aux dernières nouvelles, c'est moi le roi, alors laissez moi m'occuper de ma baraque ou je vous renvoie faire pousser des blettes dans la vôtre. Un conseiller, c'est juste ça, un conseiller. Bohort, avec moi.
Il sortit à grand pas du débarras, suivi par un Bohort dont le visage trahissait à la fois le soulagement et l'appréhension. Une fois Léodagan hors de portée de voix, le chevalier reprit la parole.
-Merci, sire. Je m'en serais terriblement voulu si certaine personne avait du pâtir de ma crainte à l'idée que Tintagel passe des menaces à l'offensive.
-Vous, commencez pas ou je vous passe un savon. Où est Guenièvre ?
Bohort passa devant Arthur et s'arrêta comme s'il voulait bloquer le couloir. Le geste aurait été plus menaçant si ce couloir là n'était pas assez large pour qu'Arthur puisse largement l'éviter, même s'il prenait à Bohort l'envie de dégainer son épée.
-Je ne trahirais ni la position, ni les intentions de la reine ! Il vous faudra me passer sur le corps d'abord !
Pour appuyer ses dires, il dégaina son épée et la pointa maladroitement vers Arthur. Celui-ci leva un sourcil étonné. Finalement, Bohort avait acquis un peu de courage pendant ces dix ans. Tout finissait par arriver. L'idiot avait cependant involontairement trahi Guenièvre en confirmant que c'était un acte prémédité de sa part. Non pas qu'Arthur en doutait.
-Guenièvre n'est plus reine.
-Ne vous en déplaise, sire, répliqua Bohort en se redressant de toute sa hauteur, à moins que vous ne choisissiez une nouvelle reine et que vous puissiez produire l'acte d'annulation de votre premier mariage, dame Guenièvre sera toujours la reine à mes yeux. Et je ne la trahirais pas, même auprès de mon roi.
-Arrêtez de faire le con et expliquez moi ce qui c'est passé.
-Je préférerai vraiment n'en rien faire. La reine vous expliquerais mieux que moi...
-Et dire que je vous ai cru courageux un instant. Vous préférez la voir payer seule les pots cassés de ses conneries, hein ? Dégagez, je vais la trouver seul.
Bohort détalla sans demander son reste, et juste à temps, ou Arthur lui aurait envoyé un pain dans la gueule. Ou peut être pas. Il avait été touché par ce que Bohort avait dit sur Guenièvre. C'était bon de savoir qu'il y avait des gens prêts à la soutenir, des gens mieux que lui ou que ses parents, mais il y penserait plus tard. Arthur partit à la recherche de Guenièvre. Elle ne pouvait pas être si dure à trouver.
Il se trompait. Elle n'était ni dans sa chambre, ni dans la salle que les dames de la cour avaient réquisitionné pour leurs travaux de couture, ni dans la cuisine. Arthur ne lui connaissait pas vraiment d'amie ni de loisir à part la dentelle. Il finit par se résoudre à demander autour de lui mais soit les gens étaient véritablement ignorants, soit Bohort leur avait passé le mot en douce, car personne ne le renseigna. De plus en plus excédé, Arthur se mit à ouvrir chaque porte du château qui n'était pas fermé à clé. S'il ne la trouvait pas, il irait chercher les clés des autres et ne s'arrêterait pas avant de l'avoir trouvé. Le ridicule de la situation l'agaçait presque plus que le réel problème. Presque. La colère de Tintagel n'était pas un vain mot, il était bien placé pour le savoir. Ils étaient dans la merde jusqu'au coup, si Guenièvre avait foiré autant que Bohort en donnait l'impression. Dans ces conditions, il avait bien mieux à faire que de jouer à cache-cache devant des serviteurs interloqués. Que les chefs de clan en entendent parler et le peu d'autorité qu'il avait récupéré auprès d'eux s'envolerait en fumée !
Finalement, il découvrit Guenièvre cachée chez sa suivante. Assise sur le lit, elle pleurait en se mouchant le nez dans un mouchoir sale, pendant que Nessa lui tapotait le dos d'un air compatissant. En l'entendant entrer, les deux femmes levèrent la tête.
-Si vous saviez comme je suis désolée, sanglota Guenièvre.
Au lieu de se calmer à cette vue, Arthur vit rouge.
-Désolée ? Vous avez bon dos, vous ! J'arrive et j'apprends d'un même coup que vous m'avez trompé pour que je me tire et réussi à nous mettre Tintagel à dos ? Ah non, vraiment, c'est du beau travail !
Il cria les derniers mots et ne le regretta qu'en voyant Guenièvre se pétrifier. Penaud, il s'avança pour s'excuser, peut être pour la prendre dans ses bras et lui demander de lui expliquer calmement ce qui c'était passé.
L'oreiller que Guenièvre lui lança à la tête le prit par surprise. Le visage rouge de chagrin et de colère, elle bondit sur ses pieds.
-Oh, vous m'énervez à la fin ! J'ai seulement voulu vous aider !
-Je vous ai rien demandé moi !, surenchérit Arthur.
-Bien sûr que vous m'avez rien demandé ! Vous êtes incapable de déléguer ! Votre mère arrive et ça se voit que ça vous rend aussi mal que d'habitude, alors je vous ai proposé de la recevoir à votre place, et vous vous m'ignorez totalement. Oui, avec tous les efforts que vous faites et je vois bien que vous vous tuez à la tache, j'ai voulu aider. Tout ce que vous m'avez donné à faire jusqu'ici c'est de la broderie et du raccommodage.
Arthur cligna des yeux. Bien sûr qu'il voyait que Guenièvre avait du mal à trouver ses marques dans ce nouveau Kaamelott, tout comme lui mais il pensait que si elle n'était pas satisfaite, c'était parce qu'il ne trouvait pas de temps pour elle. Les rares fois où il avait eu du temps à lui accorder, elle avait l'air tout à fait satisfaite du travail qu'elle réalisait avec les dames de la cour.
-Mais vous aimez ça, la broderie, balbutia-t-il.
-Oui. Et je suis contente de rendre service, hein ! N'empêche qu'après dix ans à n'avoir que ça à faire, peut être que j'ai envie de m'occuper d'autre chose, comme de politique.
-Très bon choix, applaudit Arthur d'un ton persifleur. Vraiment, très bon choix. Et vous lui avez dit quoi exactement à ma mère qu'elle plie bagage aussi vite ?
Guenièvre fit une grimace piteuse.
-Elle a commencé par vous insulter en disant que c'était inadmissible que vous ne soyez pas là, puis par exiger des réparations et des excuses officielles de Kaamelott pour le traitement subi par Tintagel pendant le règne de Lancelot. Elle voulait de l'argent, plus d'argent que vous ne pouvez en donner et des privilèges commerciaux et financiers. Tout du long, elle vous a traité de bâtard et d'autres choses qu'il est hors de question que je vous répète. Je sais pas, elle arrêtait pas de monter le ton alors j'ai fais de même et j'ai fini par dire des choses...
-Quelles choses ?
-Je sais plus, moi ! Que si elle était pas contente elle pouvait aller se gratter. Que si elle voulait des privilèges, elle pouvait toujours aller lécher le cul de Lancelot ou des Saxons parce que si elle disait un mot de plus j'allais la foutre dans les geôles pour dix jours, histoire de voir si ça la calmait un peu. Ah oui, et quand elle menacé de revenir avec une armée pour vous donner la leçon que vous méritiez, j'ai dit que finalement elle avait dû pas si mal s'entendre avec Lancelot et les Saxons si elle avait encore assez d'argent pour lever une armée et que dans ces conditions, la seule chose qu'elle obtiendrait de Kaamelott serait mon pied dans son cul.
Arthur ouvrit et referma la bouche trois fois de suite sans trouver le moindre mot. Guenièvre se ratatina un peu plus et recommença à se frotter les yeux avec un mouchoir. Ce spectacle finit d'exaspérer Arthur. Comment pouvait-on faire autant de dégâts en si peu de temps ? Des semaines de travail pour préparer la venue d'Ygerne, foutues en l'air. Arthur avait tout préparé, il savait qu'il allait être obligé de lui accorder quelques privilèges pour obtenir le soutien dont il avait besoin, mais il y avait accolé suffisamment de contraintes pour pouvoir dire qu'il sortait gagnant du marché. Maintenant, même s'il arrivait à calmer sa mère et tous ceux de Tintagel, il allait devoir renoncer à cette victoire. Guenièvre avait tout caché, tout ça pour le protéger des injures d'une mère qui ne pouvait plus lui faire de mal, pas après tout ce qui c'était passé. Arthur avait bien envie de lui en mettre une.
-Je suis désolée, conclut Guenièvre en constatant qu'il ne parlerait pas le premier. J'ai juste voulu vous protéger.
Il émit un rire sardonique.
-Ben c'est réussi !
-Oh, ça va !, s'énerva Guenièvre, repassant des larmes à la colère en un battement de cœur. Peut être que je voulais être à la hauteur pour une fois ! Peut être que j'avais envie d'être digne de vous.
Digne de lui ? C'était Arthur qui n'était pas digne d'elle, qui ne l'avait jamais été. Ne le savait-elle pas ? L'avait-il maltraitée au point qu'elle se dénigre à ce point, elle qui avait été sa seule lumière ces dernières semaines ? Au lieu de lui dire exactement tout ça en se mettant à genoux pour lui demander pardon, il la prit à partie sur le ton le plus glacial possible.
-En politique, quand on ne sait pas y faire, on ferme sa gueule !
Jadis, Guenièvre se serait effondrée un peu plus et aurait quitté la pièce en rouspétant avant de passer la nuit à sangloter dans son oreiller. La femme face à lui poussa au contraire un cri de rage. Arthur recula, persuadé qu'elle était capable de tenter de lui arracher les yeux.
-Bien sûr que je suis une quiche en politique ! À qui la faute, je vous prie ? Vous me traitez comme une incapable depuis le jour de notre mariage et même si maintenant vous ne dites rien quand je viens assister aux réunions, c'est pas comme si quelqu'un faisait le moindre effort pour m'aider à comprendre. Qu'est-ce que j'y connais moi aux taxes et à tout ce tintouin ? Rien ! Alors, il a bien fallu que je commence à me renseigner par moi même !
Arthur fronça les sourcils. Il avait bien remarqué que depuis un peu plus d'une semaine, Guenièvre ne venait plus jeter le moindre coup d'œil quand il conférait avec les chevaliers ou les chefs de clan, mais il pensait que c'était parce qu'elle avait fini par s'y ennuyer. Et comme lui n'avait même plus le temps de manger convenablement, il ne la voyait presque plus. Mais cela n'expliquait pas ce qu'elle voulait dire par se renseigner elle même. Les livres sur le sujet était tous en latin et elle n'était pas très douée dans cette langue. Soudain il comprit.
-Ça fait longtemps que vous lisez ma correspondance dans mon dos ?
Guenièvre baissa à nouveau la tête d'un air coupable. Arthur réalisa alors qu'ils étaient désormais seuls. Nessa s'était discrètement glissée hors de la pièce et avait refermé la porte. Avec un peu de chance, leur dispute resterait privée, mais c'était peu probable. Les chambres des quartiers des domestiques n'étaient pas réputées pour leur isolation sonore.
-Quelques semaines, avoua Guenièvre. Je sais bien que je ne suis pas futée, que je n'y comprend pas grand chose et que vous avez plus important à faire que de répondre à mes questions, alors je me suis dit que si je m'éduquais moi même, je finirais par y arriver. C'est comme ça que vous avez appris à être roi, sur le tas non ?
-J'ai peut être appris à être roi des Bretons sur le tas, mais j'avais déjà fait mes classes en matière de politique auprès de César à Rome, rétorqua Arthur. Vous auriez du m'interroger. J'aurais répondu à vos questions, moi.
Sa colère commençait à retomber. Il comprenait mieux pourquoi elle avait agit de cette manière et s'il n'était pas content qu'elle l'ait fait dans son dos, il était prêt à passer sur l'offense, cette fois. Après tout, Guenièvre avait agis sur un bon sentiment. Pour un peu, il serait touché. Il tendit la main pour tenter de la réconforter, mais Guenièvre repoussa sa main, l'œil toujours brûlant de colère.
-Vous croyez pas que vous m'avez suffisamment montré à quel point vous pensez que je suis une gourde ? Je l'ai assez vue pendant vingt ans votre grimace chaque fois que je sors une bêtise plus grosse que moi. Non, je n'ai pas eu envie de venir vous voir, j'ai eu envie de me débrouiller toute seule. Ça vous emmerde, c'est ça, que je puisse ne pas avoir besoin de vous ?
-Bonjour la confiance !, s'embrasa à nouveau Arthur. Parce qu'après, c'est moi qui vais devoir faire le voyage jusqu'à Tintagel pour m'écraser devant ma mère. C'est facile de dire qu'on a voulu faire par soi même, mais c'est une excuse qui marche quand on a raté une tarte, pas quand on reçoit un chef de clan allié.
-Confiance ?, cracha Guenièvre avec un rire mauvais. Vous me parlez de confiance ? On en fait la liste de toutes les fois où vous m'avez prouvé que je ne peux pas vous faire confiance, justement ? On reparle de la fois où vous m'avez presque balancé une table à la gueule parce qu'une autre refusait vos avances ? De vos moqueries sur mes phobies alors que vous avez les vôtres ? De toutes les fois où vous vous êtes moqué de mes tares sans jamais proposer de méthode pour y remédier ? De celles où vous m'avez ignorée, humiliée, et parfois même en public ? De l'isolement le plus total où je me suis trouvée à cause du mépris de monsieur qui faisaient que seule vos maîtresses avaient assez pitié de moi pour me traiter de manière amicale, parce que c'étaient pas les dames de la cour qui allaient le faire ? De celle où vous avez prétendu ne pas pouvoir me faire l'amour parce que vous alliez partir en campagne avant de vous endormir nu sous une de vos maîtresses ? De toutes vos autres mauvaises excuses pour ne pas m'engrosser en sachant pertinemment que c'était moi qu'on allait accuser d'être incapable d'y parvenir, parce que c'est toujours la femme qu'on accuse ? Ah ça, elles étaient belles vos excuses ! Et quand c'était pas vous, c'était vos maîtresses qui vous en trouvaient. Je crois que ma préférée, c'était que vous me touchiez pas parce que vous aimez pas les femmes celtes, alors que même ça c'était faux, parce que Mevanwi elle a pas vraiment le profil d'une romaine, figurez-vous !
-Peut être que si vous m'aviez montré à l'époque qu'il y avait ne fut-ce qu'un semblant de cervelle entre vos deux oreilles je vous aurait mieux traitée ! Mais non, vous étiez décidée à me prouver qu'il était impossible d'avoir une tête plus vide que la vôtre !
Guenièvre se tut. De nouvelles larmes perlèrent au coin de ses yeux. Elles se mirent à couler sans que Guenièvre n'essaye de les retenir. Arthur se mordit les lèvres.
-Pardon. Je n'aurais pas du. Je ne pensais pas...
-Si, vous le pensiez. C'est bien ça qui fait mal.
Arthur n'essaya pas de la retenir quand elle se leva et quitta la pièce sans lui adresser un regard. La porte se referma dans un silence accusateur. Arthur retomba sur le lit, défait.
-Pardon, murmura-t-il. Pardon.
Guenièvre n'était plus là pour lui adresser ce pardon qu'il ne méritait pas. Arthur prit sa tête entre ses mains et pour la première fois depuis une éternité, il s'autorisa à verser une larme. Il pleurait parce qu'il était incapable de réussir la seule chose qui importait encore un peu à ses yeux, rendre Guenièvre heureuse, parce qu'il était incapable de ne pas réaliser les mêmes erreurs, encore et encore. Les dieux n'avaient pas besoin de le punir d'avoir échoué dans la quête du Graal, il y arrivait très bien tout seul. Il avait décidé de faire les choses différemment, de ne pas se mettre en colère, mais la colère était toujours là, à peine contenue par tout son sang-froid. Arthur était trop vieux pour changer. Il était un aigri et un colérique, c'était inévitable qu'il finisse par exploser.
Comment avait-il pu lui cracher au visage une chose pareille ? C'était faux. Même à l'époque, Guenièvre n'était pas aussi conne qu'il avait voulu le lui faire croire. Naïve, peut être, mais pas idiote. Il y avait des choses qu'elle voyait plus clair que lui, tant de choses. Il n'aurait pas du lui crier dessus. Elle avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase, et ce n'était vraiment pas sa faute. Guenièvre n'avait pas à payer pour tous les autres. Elle méritait moins sa colère que les autres.
Quel répondant elle avait, au demeurant !
Du doigt, Arthur suivit les cicatrices sur son poignet. Il aurait dû le voir venir. Il savait que Guenièvre n'allait pas bien, que toutes les cicatrices ne se voyaient pas mais que les siennes étaient profondes. Bien sûr qu'elle s'était réfugiée chez Nessa. Ces dix dernières années, la suivante avait été son seul soutien, pas Arthur. Et bien sûr qu'elle avait eu peur de lui. Tous ses reproches étaient justes, Arthur avait fait tout ce qu'elle disait. Jamais il n'avait donné à Guenièvre la moindre raison de lui faire confiance et il venait de lui prouver que sa méfiance était plus que légitime. La seule chose qu'il lui ait jamais donné avec un peu de sincérité et sans arrière pensée, c'était ce baiser à la tour de Ban.
Cette fois, Arthur avait voulu bien faire les choses. Il avait voulu être patient et leur laisser à tous deux le temps de savoir ce qu'ils voulaient et de soigner leurs blessures. Il se mit à rire doucement. Quel imbécile il faisait. Ses blessures étaient toujours à vif mais il savait ce qu'il voulait maintenant. Il voulait le doux sourire de Guenièvre et son rire trop bruyant mais si sincère. Il voulait lui faire l'amour jusqu'à l'aube et se réveiller tous les matins dans les bras d'une femme qui l'aimait pour lui même et pas pour son statut. Arthur voulait la mériter et vieillir avec elle, voir sa tête se couvrir de cheveux blancs et son front se rider.
Arthur laissa tomber sa tête dans ses mains. Il avait tout gâché.
-.-.-
N'hésitez pas à commenter si la lecture vous a plu ! Le prochain chapitre devrait arriver bientôt et s'intituler "le silence"
