Pendant la sixième année de son enfermement, Guenièvre avait soudain décidé de ne plus parler. Elle en avait assez de demander encore et encore à Lancelot qu'il la libère, de lui cracher au visage qu'il l'indifférait et que ses crimes l'horrifiaient. Son silence, avait-elle décidé, serait plus parlant que tout ce qui pourrait sortir de sa bouche. Elle avait tenu six mois. Si Lancelot n'avait pas décidé que son silence voulait dire que Nessa était incapable de bien s'occuper de sa maîtresse et s'il n'avait pas parlé de l'exécuter, Guenièvre aurait tenu plus longtemps encore.
Le silence, avait-elle appris, était une arme.
Aussi, le lendemain de leur dispute, quand elle croisa Arthur dans un couloir, Guenièvre leva bien haut le menton et passa sans même le regarder. La main d'Arthur se tendit comme pour l'arrêter, presque timide. Devant sa froideur, le roi recula en blêmissant. Elle lui avait fait mal. Tant mieux, songea vicieusement Guenièvre. Ne lui avait-il pas suffisamment fait mal au fil des ans, lui ? Il aurait mérité qu'elle reprenne sa diatribe là où elle l'avait laissé, parce que Guenièvre avait laissé pas mal d'avanies de côté. Si elle voulait, Guenièvre pouvait se montrer encore plus blessante et à cet instant, elle avait vraiment envie de l'être. Au lieu de crier, elle laissa son silence parler pour elle.
Le soir même, quand Nessa vint la coiffer, elle se racla la gorge en entrant dans la pièce.
-Je suis censée dire à madame que le roi aimerait la voir demain, à l'heure et au lieu qu'il lui plaira.
Guenièvre haussa les épaules sans rien dire et s'assit à sa coiffeuse pour laisser faire la servante. Dans le miroir, elle vit Nessa sourire.
-Madame aurait du me faire savoir que nous étions censées adopter ce comportement. J'en aurais tenu compte devant le roi. Ce que je peux dire, c'est qu'il avait l'air tout penaud. Je crois que madame a frappé un grand coup, et je la félicite.
Guenièvre lui rendit son sourire et se détendit un petit peu. Quand elle avait cessé de parler pendant leur emprisonnement, Nessa avait d'abord été surprise, puis inquiète pour elle. Même si elle n'était qu'une servante, elle avait secoué Guenièvre en la suppliant de lui dire ce qui n'allait pas. Elle craignait un sort ou une mixture maléfique de Mevanwi, la brave fille. Dès la première visite de Lancelot, elle avait compris ce qui se passait. De ce jour, elle s'était elle aussi mise à se taire, mais seulement quand Lancelot les visitait, par solidarité. Le reste du temps, son babillage empêchait Guenièvre de devenir folle. Visiblement, Arthur allait subir de la part de Nessa le même dédain que Lancelot. Qu'il essaie de passer par Nessa pour communiquer avec Guenièvre, il était assuré de ne rencontrer qu'un silence hostile.
Les deux jours suivants, Guenièvre ne vit même pas un cheveu d'Arthur. Les bruits de couloir l'informèrent qu'il était enfermé avec son père et ses plus proches conseillers pour trouver la réponse appropriée aux menaces de Tintagel. En l'apprenant, Guenièvre ressentit une vague de culpabilité. Sur ce coup là, elle avait vraiment merdé. Une guerre contre Tintagel était la dernière chose dont ils avaient besoin. Mais ce n'était pas une raison pour qu'Arthur la traite comme il l'avait fait. Elle persista dans son silence.
Pour autant, si Arthur ne se montra pas, il lui fit savoir qu'elle était désirée auprès de lui. Guenièvre ne pouvait faire trois pas dans un couloir sans qu'un chevalier ou une servante ne lui dise que le roi voulait la voir, et où ils pensaient qu'elle pourrait le trouver. Même son père s'y mit. Il la coinça près de la porte des cuisines alors qu'elle s'y rendait tard le soir pour se nourrir sans risquer de croiser quiconque.
-Ma fille, je vous attendais. Je sais pas ce qui vous prend depuis que vous êtes revenue, mais il faudrait voir à adopter un autre comportement ! Je sais pas ce que vous lui avez dit mais notre « bon roi » en perd l'appétit et le sommeil. Notez que j'ai toujours pris plaisir à le voir dans un sale état, mais là c'est tout juste si on arrive à lui faire tenir une conversation d'un bout à l'autre, et on a quand même d'autre problèmes à régler que vos querelles, alors vous allez me faire le plaisir de vous bougez le derrière pour aller fissa lui parler. Criez lui dessus un bon coup si ça vous chante, ça a toujours marché pour votre mère et moi, tout ce qu'il compte c'est qu'il soit en état de prendre une décision, et vite. Compris ?
Comme pour les autres, Guenièvre se contenta de hocher la tête pour indiquer qu'elle avait bien reçu le message avant de continuer sa route. Sans surprise, sa mère l'attendait dans la cuisine.
-Beau travail, ma fille !, approuva-t-elle en lui tendant une assiette pleine. Laissez-le mariner encore une journée dans son jus et paf ! Vous le ferez ramper à vos pieds. Ah, on a de beaux jours devant nous finalement.
Guenièvre prit l'assiette et repartit comme elle était venue sans faire mine d'avoir remarqué qu'on lui adressait la parole. Le château était décidément trop peuplé à son goût. Heureusement, même en ruines, surtout en ruines, Kaamelott était pleine de cachettes où l'on pouvait disparaître pendant des heures. Dès le lendemain, Guenièvre appliqua cette nouvelle tactique, ne rentrant dans sa chambre que tard le soir. Au quatrième jour, serviteurs et chevaliers avaient semblent-ils compris le message car plus personne ne tenta de la coincer dans un couloir. Elle n'en voulait pas Arthur. La faire harceler pour la forcer à lui parler, c'était une tactique de Lancelot. Lui avait sans doute demandé de transmettre le message et tout le monde faisait du zèle.
Guenièvre se coucha tout de même soulagée de voir que tout le monde s'était enfin calmé et lui donnait l'espace qu'elle désirait. Pour la première fois depuis la dispute, elle ne fit pas un seul mauvais rêve et dormit comme une traite.
Au matin, elle appris qu'Arthur était partit. Accompagné d'une délégation conséquente, il se rendait à Tintagel pour parler avec Ygerne. Son père était partit avec lui, sans doute pour empêcher qu'Arthur rajoute une couche aux insultes de Guenièvre. La rumeur disait qu'ils seraient absents une à deux semaines. Au moins, elle n'avait plus à se cacher d'Arthur.
Guenièvre ne se remit pas pour autant à parler. Les dames de la cour durent s'habituer à la voir coudre et broder en silence. Les deux premiers jours, elle se turent, comme si Guenièvre était encore la reine et que sa façon d'agir devait dicter leur comportement. Guenièvre faillit éclater de rire. Du temps où elle était reine, jamais elle n'avait été traité avec ce respect, et c'était maintenant qu'elles s'y mettaient ? C'était comme Arthur qui semblait seulement voir en elle une femme depuis qu'ils étaient séparés.
L'avantage du silence, c'est que Guenièvre pouvait ainsi écouter les conversations autour d'elle. Les gens avaient tendance à oublier rapidement quelqu'un qui ne disait rien. Si seulement elle avait su qu'écouter était si important quand elle était reine ! Grâce à son silence, elle en entendait de belles sur les exactions de Lancelot, les tentatives de certains de récupérer du pouvoir ou de manipuler Arthur, sur les craintes et les espoirs du peuple... Arthur aimerait probablement être informé de ces choses. À défaut de les lui répéter, elle pourrait peut être les écrire. Il y avait le temps, d'ici son retour.
Surtout, le silence donnait à Guenièvre le temps de réfléchir. C'était un luxe qu'elle n'avait pas vraiment eu depuis qu'Arthur l'avait sortie de sa prison, alors qu'il y avait beaucoup de choses auxquelles elle devait penser. Après dix ans d'enfermement, il n'y avait rien de plus réjouissant, et de plus difficile. Pour la première fois depuis dix ans, elle était maîtresse de son avenir. À son âge, elle n'allait pas se faire ordonner quoi que ce soit par ses parents, un mari ou quiconque d'autre. Que voulait-elle alors ?
Ne plus être traitée comme une conne était en tête de liste, suivie de près par être libre. Ensuite...
Qu'elle le veuille ou non, Guenièvre se retrouvait à penser à Arthur, parce qu'il fallait bien qu'elle se demande si elle voulait un futur avec ou sans Arthur, après avoir décidé qu'elle ne voulait plus jamais avoir Lancelot dans son angle de vue, sauf peut être pour une redite de la partie de Robobrole.
Il lui avait semblé qu'en l'embrassant à la tour de Ban, Arthur lui avait fait une proposition implicite. Tout son comportement depuis, ces regards doux, ces baisers, tout semblait appuyer l'interprétation de Guenièvre. Est-ce qu'elle pouvait s'être trompée ? Ce ne serait pas la première fois. Elle avait bien cru faire un mariage d'amour puis que Lancelot la traiterait mieux qu'Arthur. Ah, la grossière erreur ! Arthur ne l'avait jamais attachée et abandonnée en pleine forêt « pour son bien ». Non. Il l'avait juste humiliée pendant vingt ans et des broutilles avant de lui faire miroiter le minimum de respect auquel elle avait droit. Guenièvre méritait mieux que ça.
Et pourtant... Guenièvre devait être la reine des connes, parce qu'elle y croyait encore. Avant même qu'il ne l'attache dans les bois, elle avait compris qu'elle devait fuir Lancelot. Elle avait vu la folie dans ses yeux avant tout le monde, même avant Arthur. Lancelot rationalisait tous ses actes, mêmes les plus honteux. Il était toujours justifié à ses propres yeux. Arthur... Elle avait vu son regard juste après qu'il lui ait craché ces horreurs au visage. Il avait immédiatement eu honte. Lui était capable de regretter et de faire amende honorable. Il était un chevalier, bien plus que Lancelot ne l'avait jamais été. Déjà, lui n'avait pas forcé sa porte pour la forcer à entendre ses arguments. Il n'avait pas non plus la clé de sa chambre. Enfin si, mais seulement parce que le roi avait accès à toutes les clés de toutes les portes du château. Mais il n'avait ni fermé sa porte à clé, ni forcé celle-ci.
Guenièvre était tentée de rompre son silence pour parler à Nessa, à sa mère, à Bohort, à n'importe qui qui pourrait lui donner son avis et l'aider à voir plus clair. Mais non. Elle voulait que sa décision soit la sienne et la sienne seule. Elle ne voulait pas être convaincue par un autre, sauf, peut être, par Arthur lui-même. En vrai romantique, ou en vrai gourdasse, elle n'était pas sûre, Guenièvre souhaitait qu'il mette un genou en terre et lui demande suffisamment sincèrement pardon pour qu'elle y croit.
Et elle voulait y croire ! Il avait escaladé sa tour, blessé à l'épaule. Ça voulait forcément dire quelque chose. Mais quoi ? « Pardon » ? « Je vous aime » ? « Essayons encore » ? Guenièvre espérait que ce soit le troisième. C'était plus crédible qu'une déclaration d'amour et plus fort que la simple excuse qu'elle méritait. Guenièvre avait lu les mémoires d'Arthur, écrites alors qu'il était à l'article de la mort. L'homme qui se dévoilait dans ces pages, il était touchant. Guenièvre en était tombé un peu amoureuse, plus sincèrement en tout cas que de l'époux dont elle pensait devoir être amoureuse. Elle aurait voulu que cet homme-là accepte son aide et son soutien. Elle voulait croire que l'homme qui avait écrit ces pages la traiterait convenablement. Parce qu'après trente ans à être traitée comme une sous-merde par les deux hommes pour qui elle avait eu ou cru avoir des sentiments, elle méritait sa fin heureuse. Très longtemps elle avait cru que ce ne pouvait être qu'Arthur. Elle n'avait pas envie de s'être à ce point trompée, mais elle ne pouvait oublier à quel point il avait été odieux.
Non, Guenièvre rêvait. Arthur Pendragon ne s'était jamais agenouillé devant personne et ne s'excusait qu'à contrecœur. La seule chose censée était de se tirer avant son retour. Pourtant, Guenièvre temporisait de jour en jour, en partie parce qu'elle espérait encore, en partie parce qu'elle craignait de retomber dans les griffes de Lancelot.
Arthur revint au neuvième jour de ses réflexions sans que Guenièvre soit plus avancée. Nul ne l'informa de son retour. Guenièvre ne le découvrit qu'en arrivant devant l'arbre qu'Arthur affectionnait particulièrement jadis alors qu'elle terminait sa promenade, chaudement emmitouflée, dans les jardins du château. Ces derniers jours, c'était devenu un lieu qu'elle affectionnait. À sa grande surprise, Arthur était assis dans la neige au pied de l'arbre, les yeux fermés.
Une branche craqua sous les pieds de Guenièvre quand elle voulu faire demi-tour.
-Hein ?
Arthur ouvrit les yeux, une main sur son épée. Guenièvre s'arrêta dans son mouvement. Elle ne voulait pas fuir devant lui, ni le chasser d'un endroit qu'elle savait cher à son cœur. Elle étudia son visage. Il semblait fatigué, comme toujours. Ses cernes étaient aussi sombres que ses yeux. Le pli amer à sa bouche semblait destiné à ne jamais disparaître. Par contre, il paraissait avoir reprit un peu de poids et le hâle de son visage commençait petit à petit à s'effacer, la faute au pâle soleil breton.
En retour, Arthur semblait l'étudier aussi. Guenièvre se demanda ce qu'il voyait en elle. Il l'avait embrassé deux fois en moins d'un mois. Lui trouvait-il enfin des traits à son goût, malgré les ans et les kilos en plus ? À moins qu'il soit en train de se demander ce qu'il avait bien pu lui trouver l'espace de quelques jours.
-Je voulais voir s'il était encore là, marmonna finalement Arthur. Je pensais à moité que Lancelot l'aurait brûlé et j'ai toujours été bien là pour penser...
Guenièvre comprit qu'il lui expliquait sa présence au pied de l'arbre, mais ça n'expliquait pas comment il était rentré si discrètement. Jadis, on sonnait les trompettes pour le retour du roi. Restait-il cependant des trompettes ? Ça n'avait aucune importance. Elle s'inclina et commença à reculer. S'il voulait réfléchir auprès de son arbre, elle n'allait pas l'en empêcher Après tout, elle même ne faisait que ça depuis plus d'une semaine.
-Ah non, si vous aimez cet endroit, vous gênez pas pour moi, c'est moi qui part, protesta Arthur.
Elle interrompit une nouvelle fois son geste, un peu interloquée. Son père s'était assez plaint à l'époque qu'Arthur ne partageait son arbre avec personne. Elle resserra son manteau autour d'elle et attendit. Arthur se redressa en grognant, pestant dans sa barbe que ce n'était plus de son âge de chevaucher comme ça pendant des jours. Guenièvre se mordit les lèvres pour ne pas lui faire remarquer, de un que Loth d'Orcanie voyageait depuis longtemps en calèche pour cette exacte raison, et de deux qu'avec un manteau si peu épais, c'était pas étonnant que ses os sentent le froid.
Une fois debout, Arthur dansa d'un pied sur l'autre, puis finit par faire quelques pas en direction du château avant de s'arrêter.
-Vous partez si vous voulez pas m'écouter, hein, mais puisque je vous ai sous la main... Je crois vraiment qu'il faudrait qu'on parle. Maintenant, plus tard... à vous de voir surtout ! Et si vous ne voulez vraiment pas voir ma tronche, si ma présence vous est insupportable, sachez que je comprend. Je me trouve suffisamment insupportable moi même. Alors je vous l'ai déjà dit, mais si vous voulez un château ou une cabane n'importe où entre ici et la Carmélide, je vous l'offre, avec assez d'hommes pour tenir Lancelot à distance. Je ne... Il est hors de question que vous vous sentiez prisonnière. Que ce soit de moi ou des serments que vous avez pu prêter jadis. Je n'ai jamais voulu ça pour vous. C'est en partie pour ça que notre mariage m'était si répugnant. Aucun de nous n'avait le choix. Je voulais vous dire ça, et que... et bien, que je suis un porc.
Guenièvre hocha la tête. Elle était totalement d'accord avec cette affirmation.
-J'ai des excuses et explications tout le tour du ventre et je pourrais vous les déballer jusqu'à demain, mais ça ne changerait rien à rien, pas vrai ? Voilà, c'est dit. Je vous ai fait payer des choses qui ne sont pas votre faute. Je suis un porc, je vous ai maltraitée pendant des années et vous méritiez mieux qu'un mariage forcé avec un connard comme moi.
À nouveau, Guenièvre hocha la tête. Elle ne s'attendait pas à ce que ça lui fasse autant de bien qu'il dise à voix haute ce qu'elle avait si longtemps pensé tout bas. Tout le monde avait l'air de trouver normale, ou au moins acceptable, la façon dont il la traitait, y compris ses parents. Comme si le titre de reine compensait toutes les vacheries qu'il lui envoyait dans la figure. Seul Lancelot lui avait dit qu'elle méritait mieux. Comme il était le seul à dire ça, elle l'avait cru. Et quand il s'était révélé pire qu'Arthur, elle avait même finit par penser qu'elle méritait peut être ce qu'on lui infligeait, qu'elle était trop bête pour jamais mériter mieux que le mépris des autres.
Arthur hésita.
-Je vous ai assez retenue. Je veux juste ajouter quelque chose et après vous êtes libre de me frapper ou de m'ignorer. J'ai vraiment cru que je pouvais changer, que je pouvais vous rendre justice, mais... Il faut croire que je resterait à tout jamais ce connard abject que vous avez épousé. Je veux faire mieux, mais est-ce que j'en suis capable ? Je sais pas. Sincèrement, je sais pas. C'est pour ça que je voulais attendre, et vous voyez, j'ai eu raison, j'ai tout gâché. Et vous m'avez supporté toutes ces années. Vous êtes forte, Guenièvre. Plus forte que moi. Je voulais vous le dire. Pardon. Pour tout.
Il la fixa encore quelques instants puis partit vers le château. La question jaillit de la bouche de Guenièvre sans qu'elle puisse la retenir.
-Si je pars et que je vous parle plus jamais de ma vie. Vous n'allez pas...
Sa voix tremblait trop pour qu'elle puisse achever sa question. Arthur fit demi-tour et vint lui prendre les mains pour les porter à ses lèvres. Il chercha son regard et ne le quitta pas.
-Je vous jure solennellement, devant tous les dieux que vous souhaitez, celtes ou romains, sur le Dieu unique, sur Excalibur, sur le Graal, si je m'ôte la vie un jour, ce ne sera pas à cause de vous. Ce sera à cause de tout le reste. Je ne vous infligerait pas ça. Ma première tentative ce n'était déjà pas votre faute. Je l'ai fais malgré vous, pas à cause de vous. Vous avez toujours tout fait pour me soutenir même si l'inverse n'est pas vrai et je vous en ai fort mal récompensée. J'espérais... Le vieux con que je suis suis espérais que vous m'aideriez à aller mieux mais ça ne veut pas dire que le poids de ma vie ou de ma mort repose sur vous. Ni hier, ni maintenant, ni jamais.
Guenièvre laissa échapper un souffle qu'elle ne réalisait pas qu'elle retenait, depuis peut être dix ans. Ses larmes se mirent à couler, sans qu'elle puisse les retenir. Aussitôt, elle sentit les bras d'Arthur autour d'elle.
-La vache, je voulais pas... Pardon. Respirez. Respirez Guenièvre, c'est pas votre faute. Tout ça c'est la mienne. Respirez. Doucement. Tout doucement. Comme moi. En rythme. Voilà. Tout doucement.
La main d'Arthur lui caressait les cheveux. Guenièvre réalisa qu'elle avait froid aux pieds. Ils étaient assis par terre avec de la neige qui rentrait dans ses chaussures. Elle n'avait même pas réalisé qu'ils s'étaient assis. Sa fesse droite lui faisait mal, comme si elle était tombée sur une racine, mais elle ne se rappelait pas être tombée. Dès qu'Arthur la sentit bouger, il s'éloigna d'elle.
-Qu'est-ce qui s'est passé ?
Sa bouche était pâteuse. Elle se sentait toute faible.
-Ce sont des choses qui arrivent, la rassura Arthur en la couvant d'un regard attentif auquel elle n'avait jamais eu droit que quand elle était malade. Il n'y a aucune honte à ça.
Comme en rêve, Guenièvre se revit pleurer et s'accrocher à Arthur en ayant l'impression d'étouffer.
-Ça vous est déjà arrivé à vous ?
-Oui, répondit-il d'une voix très douce, comme s'il avait peur de parler trop fort. Vous croyez que j'ai réagit comment quand j'ai appris que j'étais censé devenir le roi des Bretons ? Bon, pas tout de suite, d'accord, mais sur le bateau, un peu avant de débarquer... Oui, j'ai paniqué. C'est humain. Vous voulez que je parte ? Ou vous préférez que je reste ?
Guenièvre sentit les larmes revenir, mais elle les contint cette fois. Ça c'était le Arthur qu'elle avait toujours voulu voir se tenir devant elle, doux et attentif, ne portant aucun jugement. Pourquoi fallait-il que ce soit si rare et uniquement dans les pires moments ?
-Vous pouvez rester un peu, finit-elle par dire.
Arthur soupira et se passa la main sur le front.
-Merde, marmonna-t-il. Je voulais pas... Je croyais avoir les mots. J'y pense depuis des jours. Je voulais pas vous blesser.
-Ben tant pis, c'est fait.
Il rit doucement, comme s'il se moquait de lui-même mais ne dit rien de plus. Guenièvre se mordit les lèvres. Six mois et douze visites. C'était le temps qu'elle avait tenu sans dire un mot face à Lancelot. S'il n'avait pas menacé Nessa, elle aurait tenu plus longtemps encore. Elle aurait continué jusqu'au jour de sa libération. Guenièvre n'avait rien à dire à Lancelot, à part le supplier de la laisser partir. Dans le cas d'Arthur, elle avait tenu treize jours et une rencontre inattendue avant de craquer. Trop de questions lui venaient à la bouche. Trop de récriminations, aussi. Si seulement elle n'avait pas ouvert la bouche ! Si elle s'était retenue, elle n'aurait pas craqué. Elle s'en voulait terriblement qu'il ait vu ce moment de faiblesse. C'était sa faute aussi. Quelle idée de sortir des choses pareilles à quelqu'un qui refuse de vous parler ! Et il y pensait depuis des jours en plus ? Il aurait pu faire plus d'efforts dans ce cas !
Mais il lui avait demandé pardon. En soi, ça ne voulait pas dire grand chose. Lancelot lui demandait souvent pardon, mais ce n'était que des mots vides de sens dans sa bouche. Chez Arthur, les mots sonnaient sincères. La peine dans ses yeux ne pouvait pas être simulée. L'hésitation dans sa voix non plus. C'était tellement différent du ton qu'il employait jadis avec elle. Guenièvre avait envie de savoir si c'était plus réel que sa soigneuse indifférence.
-Comment je sais ?
-Pardon ?
-Comment je sais que je peux vous faire confiance ? Que vous allez pas me laisser tomber comme une vieille chaussette ou m'insulter ?
-Vous pouvez pas savoir et moi non plus. C'est ça l'a... la vie à deux. C'est se jeter à l'aveugle dans le vide et espérer que l'autre est là pour vous rattraper. C'est un risque. J'aimerais le prendre, c'est vrai, mais il faut que vous le vouliez aussi.
Guenièvre soupira. Elle aimerait bien savoir si elle était prête à prendre ce risque. Elle l'avait prit une fois déjà ces dernières semaines et il lui avait renvoyé sa gentillesse en pleine poire, même si oui, elle avait fait une bourde monumentale. Peut être pouvait-elle le prendre une deuxième fois ? Juste au cas où ça marche. Pas plus, par contre. Elle s'était déjà suffisamment laissée maltraitée pour toute une vie.
Arthur frissonnait de froid à ses côtés, mais il ne bougeait pas. Il attendait qu'elle soit prête à bouger. Il ne la touchait même pas, parce qu'elle n'avait rien demandé. Si elle n'était pas encore en colère contre lui, elle lui demanderait de la serrer à nouveau très fort. Ses étreintes étaient rares et un peu bourrues, mais il avait toujours le chic pour rassurer Guenièvre quand quelque chose lui faisait peur. Elle aimait bien ça, tout comme elle appréciait ce silence entre eux à présent. Ce n'était pas celui d'autrefois, froid et sec. C'était le silence de deux personnes qui se tenaient compagnie sans sentir le besoin de briser le silence avec des platitudes. Il y avait une petite ride familière sur le front d'Arthur, celle qui indiquait qu'il pensait très fort à quelque chose. Guenièvre se demanda si c'était lié à elle.
Un éternuement d'Arthur finit par briser ce silence.
-Vous êtes frigorifié mon pauvre ami ! Vous devez rentrer vous mettre au chaud.
-Je devrais, oui. Vous êtes en état de vous relever ?
Guenièvre pris appui sur le banc, mais renonça très vite. Arthur était déjà debout. Il époussetait sa cape couverte de neige.
-J'ai l'impression de plus avoir de jambes.
-Je dirais bien que je vais vous porter jusqu'au château, mais j'ai trois jours de chevauchée dans les pattes et plus vraiment le dos d'un jeune homme... Vous pouvez attendre seule un petit peu ? Je vous envoie Nessa et deux gars costauds pour vous escortez. Si les gens demandent, vous vous êtes un peu tordue la cheville et vous rentrez vous reposer.
-C'est fort gentil, mais vous ne trouverez pas Nessa, c'est son jour de congé.
-Vous donnez un jour de congé à votre suivante maintenant ? Avec tout le travail qu'i faire juste avec vos cheveux ?
-Elle a bien droit à ça non, après ces années d'enfermement !
-Ça, je dis pas le contraire. Juste que ça fait plaisir à voir. Tout le monde trouve tellement normal de faire trimer les serviteurs et les esclaves toute la journée. Ça me fait gerber.
-Parce que vous avez été esclave ces dernières années.
Arthur détourna le regard.
-Non. Ça remonte à avant. Bien avant. Je... Peut être que je pourrais vous raconter. Un jour. Si vous voulez bien à nouveau me parler. Parce que là vous avez eu un coup de faiblesse, mais on peut très bien faire comme s'il ne s'était rien passé aujourd'hui.
Guenièvre prit le temps de réfléchir. Elle devait prendre sa décision, maintenant. Elle n'était pas prête. Elle ne savait toujours pas si elle pouvait faire confiance à Arthur. Demain, dans huit jours, il pouvait la blesser à nouveau. Il était doué pour blesser les gens. Même ses maîtresses qu'il traitait avec infiniment plus de respect qu'elles s'en étaient plaintes plusieurs fois auprès d'elle. Mais il lui tenait compagnie dans le froid sans rien lui demander en échange. Il lui faisait des promesses, pour la première fois. Il faisait des efforts.
-Je crois que je veux bien, finit-elle par dire. Cette fois en tout cas.
Arthur poussa un énorme soupir de soulagement.
-Vous m'en voyez soulagé. La vache, c'est violent le coup du silence ! Je devrais essayer ça quelquefois. Pas avec vous, avec les autres cons.
La précision rassura Guenièvre. En retour, elle réussit à lui sourire.
-Et si je vous refais ce coup là ?
-Après les milles avanies que je vous ai faites ? Vous y avez droit mille fois Guenièvre. Au moins, vous savez que ça marche.
-Avec vous.
-Pardon ?
Les deux mots avaient échappés à Guenièvre, malgré elle. Enfin, il était trop tard pour reculer.
-Ça marche avec vous, précisa-t-elle. Lancelot a préféré ne rien comprendre quand je lui ai fait ce coup là.
Les yeux d'Arthur se mirent à flamboyer de colère. Pas envers elle, cette fois, compris Guenièvre avec soulagement, envers Lancelot. Ça faisait du bien de voir quelqu'un se mettre en colère pour elle. Elle fut quand même soulagée de voir qu'il ne posait pas de questions sur Lancelot et son emprisonnement. Après sa crise un peu plus tôt, Guenièvre était sûre qu'elle n'aurait pas la force d'en parler.
-Si vous voulez parler de ça aussi... Je suis prêt à vous écouter. Quand vous voulez. Je sais que je n'ai pas beaucoup de temps pour vous, mais vous avez le droit de me forcer à le prendre. Peut être pas quand je suis dans la salle du trône ou à la Table Ronde, quand on les aura reconstruites, mais partout ailleurs, oui.
-C'est noté. Peut être que je vous prendrait au mot. Je crois que moi non plus je ne vais pas très bien.
Ces derniers mots avaient été prononcés si bas que Guenièvre n'était pas sûre qu'il les ai entendu, puis Arthur se baissa à nouveau à son niveau. Il la regarda droit dans ses yeux. Son regard était plus triste que jamais. Il remit machinalement une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Guenièvre n'avait pas réalisé que sa coiffure s'était défaite.
-Je sais.
Sa voix était très douce tout d'un coup, compatissante, mais sans jugement. Un instant, elle crut qu'il allait à nouveau la prendre dans ses bras, mais il renonça et se redressa.
-Je vous envoie du monde, et un bon repas chaud dans votre chambre. Ça m'étonnerais que vous ayez très faim, mais il faut vous requinquer, ou votre père me trucidera à son retour. Est-ce que je peux venir m'assurer que tout va bien, un peu plus tard ?
-Vous pouvez, répondit-elle sans réfléchir.
Il s'éloigna à grands pas dans la direction du poste de guet le plus proche. Quand il fut parti, Guenièvre s'autorisa à verser à nouveau quelques larmes. Décidément, elle était incapable de se retenir aujourd'hui ! Elle finit par sortir un mouchoir de sa manche pour se moucher à plusieurs reprises. Quand ses yeux furent secs, elle fronça les sourcils. Son père n'était pas rentré ? Qu'est-ce que ça voulait dire ?
Plus tard, dans le confortable cocon de sa chambre, Guenièvre obtint le fin mot de l'histoire quand trois servantes lui amenèrent un repas digne d'une reine. Pendant qu'elle brossait ses cheveux tout emmêlés par sa crise de panique et sa chute, elle écoutait d'une oreille très distraite les jeunes femmes quand le nom d'Arthur résonna dans son oreille.
-... rentré seul, en ayant lâché toute son escorte, vous vous rendez compte !
-J'étais là quand il a débarqué dans la cour à fond de train. Son cheval avait l'air à deux doigts de tomber raide mort. Et lui, qui sort à ses chevaliers que les autres sont à trois jours de là et qu'à cause qu'ils allaient trop lentement pour lui, il est parti devant !
-C'est quoi un roi qui lâche son escorte ? Avec tous ces saxons et le traître qui se promènent dans la campagne ?
La troisième servante, qui n'avait encore rien dit, se mit à glousser.
-Maman bossait au château à la grande époque. Elle dit qu'y agissait comme ça quand il avait un béguin pour une fille et qu'il avait des maîtresses tout le tour du château. On dirait que ça a pas changé. Je me demande qui c'est.
Guenièvre se figea. C'était pour elle qu'il avait le béguin, pour elle, pas pour une fille de ferme, pas pour une femme de chevalier. Il avait fait toute cette route tout seul pour venir plus vite s'excuser. C'est ce qu'il avait sous-entendu du moins, et ça expliquait ses cernes et sa fatigue. Il tenait au moins assez à elle pour ça.
Avec un grand sourire, Guenièvre se remit à brosser ses cheveux avec plus d'entrain. Quand les servantes furent partie, elle découvrit qu'elle avait en fait un immense appétit, alors qu'elle mangeait comme un moineau depuis des jours.
Tout en mangeant, elle finit de prendre sa décision. Le risque était grand qu'Arthur la blesse à nouveau, mais elle allait le prendre, une dernière fois. Parce qu'il semblait sincère dans le désir de lui plaire et de s'excuser. Parce qu'il la considérait, pour la première fois de sa vie. Peut être aussi parce qu'elle avait envie de quelque chose, de quelqu'un qu'elle ait choisi. Bien sûr, c'était ses parents qui avaient organisé le mariage, mais si ça marchait cette fois, ce serait parce qu'elle l'avait voulu, elle et elle seule.
Elle finissait de se mettre en chemise de nuit quand on toqua à la porte, si doucement qu'elle pouvait sans peine prétendre n'avoir rien entendu. Guenièvre hésita quand même une bonne seconde, malgré sa résolution, avant d'aller ouvrir.
Arthur se tenait dans l'entrebâillement de la porte. Son regard se posa aussitôt sur l'épaule nue de Guenièvre. Il rougit et ramena fermement son regard sur son visage. Guenièvre rougit aussi. Son esprit la ramena malgré elle à cette fois où il l'avait serrée si fort contre lui, juste là. Les choses qu'elle avait ressenti tout d'un coup !
-Je vous dérange ?, demanda Arthur.
-Non, pas du tout.
-Tant mieux. Je voulais m'assurer que vous étiez remise.
-Oui. Je crois... Vous allez dire que je suis bête, mais je crois que ça m'a fait du bien.
-Non, ça ne me viendrait pas du tout à l'esprit. Pleurer fait du bien. J'imagine que si j'étais capable de pleurer plus souvent je me porterais un peu mieux moi aussi. Mais on vous apprend pas à pleurer, ni à Tintagel, ni dans l'armée romaine.
-Ça c'est pas trop mal passé avec votre mère ?
Arthur grimaça.
-Disons que ça aurait pu être pire. Elle était tellement contente que je vienne m'humilier publiquement devant elle qu'elle a un peu lâché du lest. Votre père doit avoir raison, elle faiblit sur ses vieux jours. Elle a prit un de ces coups de vieux ! Nous tous en fait.
Guenièvre baissa les yeux. Elle en était parfaitement consciente dans son cas. Arthur secoua la tête.
-Je parlais plutôt de vos parents et de moi. Vous êtes resplendissante. Vraiment.
Elle avait des pattes d'oie au coin des yeux, des cheveux blancs ici et là dans sa chevelure et elle s'était empâté avec le manque d'activité. Guenièvre voulait pourtant bien le croire, parce que le regard d'Arthur s'était à nouveau posé sur son épaule nue.
Malgré elle, Guenièvre sourit. Cette épaule nue, c'était une idée de sa mère pour séduire Arthur, au tout début de leur mariage, quand Guenièvre lui avait confessé que rien ne se passait, en-dessous de la ceinture ou au-dessus. Sa mère était sûre qu'Arthur ne saurait résister si elle montrait un peu de chair. Guenièvre n'avait osé dévoiler que son épaule, quand sa mère lui disait d'exposer tous ses appâts, quoi que ça veuille dire exactement. Jamais, en vingt ans de mariage, Arthur n'avait jeté un seul coup d'œil sur cette épaule. Elle pouvait compter sur une main le nombre de fois où il avait même regardé ses lèvres. Et là, deux fois en autant de minutes.
Il la désirait. Arthur mentait parfois – souvent – avec sa bouche, mais jamais avec son corps. Il avait changé en dix ans d'absence, mais maintenant que Guenièvre avait appris à décrypter ses expressions, il ne pouvait plus lui cacher grand chose.
-Mes yeux sont là, finit par dire Guenièvre, sans cacher son ton amusé.
-Désolé. Bien. Je suis content que vous alliez bien. Je vais vous laisser alors.
Il ne fit pas un geste pour partir.
-J'imagine que vous vous rappelez où est votre chambre, lui rappela Guenièvre de plus en plus amusée.
Il eut un petit rire.
-Je dois pouvoir m'en rappeler. Dites-moi juste, vous pourrez me répéter à l'occasion ce que vous avez dit à ma mère, dans le détail ? Non, je sais que je me suis emballé, mais ça devait être assez exceptionnel à voir.
Guenièvre sourit. S'ils étaient déjà arrivés à un stade où ils pouvaient rire ensemble de l'incident, c'est que les choses tournaient pour le mieux. Jadis, il aurait mis bien plus de temps à lui pardonner, et il ne se serait certainement pas excusé. Arthur essayait vraiment de se racheter. Un argument de plus en sa faveur.
-Je dois pouvoir me remettre les mots en tête, je pense, et même vous décrire la scène. Le seigneur Bohort était tout pâle, je crois qu'il a failli s'évanouir. Le seigneur Perceval lui, avait l'air d'être prêt à sauter sur votre mère pour la mordre.
Arthur secoua la tête d'un air exagérément désolé.
-Et j'ai raté ça. Je crois que je vous en veut pour ça plus que pour le reste en fait. Merde. Je m'étais juré de plus me mettre en colère contre vous et j'ai recommencé en quelques semaines. Si vous saviez comme je m'en veut.
-Après vingt ans à me traiter de conne, vous croyiez vraiment que ce serait une promesse facile à tenir ?
-Non. Bien sûr que non. Mais je veux pas être le mec qui s'excuse, je veux être celui qui a pas besoin de s'excuser parce qu'il fait les choses comme il faut.
-Faut dire que je vous avais un peu donné des raisons de crier, reconnut Guenièvre.
-Pas comme ça. Vous m'avez dit des choses très vraies et moi je vous ai sortit en retour une de ces vacheries. Même pas méritée en plus.
Le rire de Guenièvre ressemblait à un sanglot. Elle se détestait un petit peu de montrer cette faiblesse devant lui. Il avait dit qu'elle était plus forte que lui. Oh, comme elle voulait que ce soit vrai. Mais elle ne se sentait pas plus forte aujourd'hui qu'hier.
-Ça va, je sais que je suis une gourde.
-Non.
Le regard d'Arthur était mortellement sérieux. Guenièvre voulait le croire, mais il lui avait trop souvent soutenu le contraire.
-Allez vous pouvez le dire, je m'en rends bien compte.
-D'accord, vous en êtes une mais c'est pas de votre faute. C'est vos parents et moi les coupables. On vous a infantilisée pendant des années, traitée comme une incapable et une imbécile. Bien sûr que vous avez perdu toute confiance en vous et toute capacité à devenir autre chose qu'une idiote. Vous deviez n'être qu'un ventre fais pour engendrer l'héritier. On vous a jamais demandé de penser, jamais proposé de le faire non plus. Alors non, si vous avez jamais été bête, c'est de la faute de ceux qui auraient du vous éduquer, puis la mienne pour vous avoir plongé la tête un peu plus profondément dans l'eau. J'aurais pu faire de vous une vrai reine, capable de comprendre et d'aider à faire fonctionner le royaume. J'ai choisi de n'en rien faire. Mais si vous voulez toujours de moi, ou même sinon, on va y remédier maintenant. J'ai fais une liste de lectures qui peuvent vous aider et après les réunions auxquelles vous assisterez, je pourrais répondre à vos questions. Si j'ai pas le temps, et je l'aurais pas souvent, soyons honnêtes, je suis sûr que Bohort pourra faire affaire. C'est un lâche, mais le plus savant de cette bande d'incapables. J'ai découvert qu'il vous respecte énormément, autant en profiter. Pour commencer, il faut voir ce qu'il reste comme livres dans la bibliothèque, et sinon, je commanderais les autres à Rome dès qu'on aura un peu d'argent.
-Vous ne me dites pas de commencer petit ? Genre, par la gestion du château ?
-C'était un peu le pré gardé de votre mère ça. Je me suis dit que vous auriez peut être pas très envie de vous battre contre elle pour récupérer la gestion des stocks des cuisines et puis, je croyais que vous aviez dit que vous vouliez vous occuper de politique plutôt que de broderie.
Guenièvre le saisit par le col et l'embrassa. D'abord saisi, Arthur la rapprocha encore un peu plus et approfondi le baiser avec une maîtrise de celui-ci que Guenièvre était loin de posséder. Elle se laissa guider, puis se détacha de lui, le cœur battant. Le visage d'Arthur était rouge. Le sien aussi.
-Je dois dire que je ne m'attendais pas à ça, balbutia Arthur.
Guenièvre non plus. En même temps que son souffle, elle essaya de récupérer ses esprits. Elle avait agit d'instinct. Arthur ne lui avait jamais paru plus beau qu'à cet instant où il tentait de racheter ses erreurs et de vraiment lui donner ce qu'elle voulait. Il l'avait entendue. Il l'avait écoutée. C'était tout ce que Guenièvre avait jamais désiré. Au passage, il lui avait même permis de réaliser autre chose, à quel point la colère qu'elle ressentait était dirigée autant vers ses parents que vers lui. Ses parents étaient aussi coupables qu'Arthur de ce qu'elle était devenue au fil des ans, une femme malheureuse emprisonnée dans un mariage avec un homme qu'elle était prête à aimer mais qui la méprisait. Arthur avait mis le doigt sur quelque chose qui la chiffonnait sans rejeter la responsabilité de ses actes sur autrui. Voilà l'homme qu'elle avait envie d'aimer.
Arthur promena délicatement son doigt sur sa joue, comme s'il essayait de s'assurer qu'elle était vraiment là. Il allait parler quand une porte s'ouvrit en grinçant plus loin dans le couloir. Par réflexe, il se plaqua contre la porte de Guenièvre pour ne pas être vu. Un bruit de pas s'éloigna, pendant qu'ils reprenaient leur souffle.
La scène était proprement ridicule. Quel homme se cachait pour visiter son ex-femme et l'embrasser dans les couloirs ? À leurs âges, en plus ! Ils échangèrent un regard amusé et se mirent à pouffer de rire.
-Heureusement que le ridicule ne tue pas..., s'amusa Arthur. Faudrait beau voir qu'on me surprenne à votre porte.
-Oui, ce serait pas bon pour ma réputation, un homme à cette heure et moi en chemise de nuit...
Pour la troisième fois, le regard d'Arthur se posa sur son épaule. Guenièvre avait bien l'impression qu'ils étaient en train d'essayer de se séduire l'un l'autre. Si seulement elle avait la moindre idée de la marche à suivre.
-Vous avez raison, approuva Arthur. Merde, et moi qui avait encore des tas de choses dont je voulais parler. J'imagine que ça devra attendre demain.
-Pourquoi attendre demain ? On peut faire ça à l'intérieur.
Arthur la regarda d'un air interloqué. Guenièvre s'empourpra. Voilà, elle avait encore agis comme une idiote. En terme de séduction, il devait y avoir un équilibre entre rien du tout et beaucoup trop vite, mais elle l'avait raté d'au moins trois cent pas.
-Vous voulez que je rentre ?, demanda-t-il comme pour s'assurer qu'il avait bien entendu. Je dis pas non. Ce sera plus discret et au moins on sera pas dans ce courant d'air.
Guenièvre hésita, puis hocha la tête en silence pour confirmer son accord. Elle ne se faisait pas confiance pour parler. Si elle ouvrait la bouche, elle craignait de tout gâcher. C'était stupide. Ils avaient partagé vingt ans la même chambre, et maintenant elle n'osait pas laisser entrer son mari chez elle. Son ex-mari. L'homme que ne l'avait jamais effleurée une fois de tout le temps qu'ils avaient dormi dans le même lit.
-Il se passera rien, promis.
La douceur dans la voix d'Arthur la rassura et lui permis de retrouver sa voix.
-Je sais pas si c'est une promesse que j'ai envie de vous voir tenir. Depuis le temps qu'on est censé l'avoir fait, la perte de ma virginité c'est pas loin d'être le Saint Graal.
Cette fois, Arthur s'étrangla de rire, si fort qu'elle fut obligée de le frapper dans le dos. Ses yeux pétillaient quand il se redressa.
-La vache, vous y allez fort, question comparaison. Mais si ce n'est que ça... Je vous promet que ça doit pouvoir s'arranger plus vite que pour le Graal. Un jour. Pas maintenant.
-Non, pas maintenant, confirma Guenièvre désormais pleinement rassurée. Du coup, vous attendez quoi ?
Arthur fit un pas en avant. La porte se referma sur eux.
-.-.
Voici pour ce sixième chapitre. Le prochain s'intitule "la confession". N'hésitez pas à laisser un retour !
