Chapitre neuf

L'héritier

Dumbledore se tut et fixa Harry dans les yeux. Plus que jamais, il avait l'air de subir le poids d'un grand nombre d'années. Puis il soupira et finit par dire :

"C'est la troisième raison de ma visite… Sirius avait pris des dispositions après sa fuite de Poudlard ; il avait fait de toi son légataire universel. Mais, même si son innocence dans l'affaire Pettigrow ne fait plus de doute, il faudra une révision de son procès pour débloquer l'héritage. Je pense même que le Ministre n'est rien moins que réticent à faire avancer ce dossier ; il a toujours affirmé que Sirius était coupable et comme beaucoup d'argent est en jeu…

"Beaucoup ? Mais je croyais que la famille Black était ruinée…"

"Non, Harry, loin de là… Même si la situation des Black n'est plus ce qu'elle fut, il reste des sommes considérables ainsi que de nombreuses propriétés, en Angleterre comme à l'étranger…"

Le souvenir de l'été précédent se fit jour dans l'esprit d'Harry et des larmes vinrent brouiller sa vue. Il ôta ses lunettes et s'essuya les yeux du revers de sa manche et déclara dans un souffle :

"Je ne… je ne crois pas que je pourrais y retourner… Pas maintenant… et peutêtre jamais… Je préfère aller au Terrier."

"Je comprends, Harry, je comprends… De toute façon, la situation est très simple : Kréattur y vit encore et comme il a déjà trahi une fois, il serait impensable et surtout trop risqué d'y retourner…"

A la mention du nom de Kréattur, un éclair de colère fusa dans l'esprit d'Harry. C'était lui qui avait trahi Sirius et dévoilé certaines informations qui avaient conduit… Mais la rage s'estompa aussi vite qu'elle était venue, remplacée par l'habituelle culpabilité… C'était de sa faute, entièrement à cause de son entêtement… Si seulement il avait écouté les conseils que… Une fois de plus, inlassablement, Harry était revenu au bord de l'abîme mental qu'il avait longé inlassablement depuis la fin de l'année, et, même si ses relations avec sa tante s'étaient profondément modifiées, il ne parvenait pas à surmonter sa peine et il s'absorbait chaque fois un peu plus dans la contemplation des ténèbres sans fond des regrets et du remords.

Au bout d'un long moment, il émergea péniblement de son introspection, se sentant comme sortant d'un mauvais rêve ; il leva les yeux et croisa ceux de Dumbledore, dont les yeux bleu clair semblaient emplis de compassion et le vieil homme lui dit alors doucement :

"Te reprocher ce qui est arrivé n'y fera rien, Harry. Et tenter de l'ignorer n'est pas une meilleure solution ; il y a des peines que rien ne saurait adoucir, mais nul n'est tenu de les supporter seul. Comme je te l'ai dit, nos émotions font partie de nous ; ce n'est pas faire preuve de faiblesse que de les laisser transparaître ou de les partager. Caché derrière d'épaisses barrières, le cœur devient de glace."

Le Directeur soupira et un éclair de tristesse traversa son visage.

"Tu portes un bien lourd fardeau, Harry ; Merlin me soit témoin que j'ai toujours essayé de faire en sorte que tu ne le supportes qu'un minimum ; malheureusement, aujourd'hui il repose sur tes épaules. Je te promets sincèrement de t'offrir toute l'aide que je serai capable de réunir… mais il n'appartient qu'à toi de l'accepter ou de la refuser… de même que tu pourras accepter ou refuser le soutien de tes amis"

"Je ne veux pas qu'ils m'aident " cria Harry, soudain conscient de la raison qui l'avait empêché de se confier à ses amis. "Il ne faut pas, jamais ! Tous ceux qui m'entourent finissent par souffrir d'une manière ou d'une autre… je ne veux plus… je ne…" Il s'interrompit, au bord des larmes… "C'est trop horrible… Pourquoi ? Pourquoi ? J'en ai assez, assez de toutes ces horreurs ; autour de moi, dans ma tête…" Il leva le regard vers Dumbledore, et ses grands yeux vert émeraude, assombris par les larmes rencontrèrent les yeux bleu azur du Directeur, où se lisait une peine incommensurable. Dumbledore posa sa main sur l'épaule d'Harry, la pressant doucement. Ils restèrent ainsi sans bouger un long moment, puis le Directeur laissa retomber sa main et l'instant s'évanouit, laissant cependant Harry l'esprit quelque peu apaisé ; ce simple geste l'avait rassuré au-delà des paroles qui venaient d'être prononcées.

"Ne fais pas cette erreur, Harry. Au fond de toi, tu sais que rien de ce que tu feras ou diras n'empêchera tes amis de vouloir t'aider. Tu as peur pour eux et tu ne veux pas qu'il leur arrive malheur… mais en est-il différemment pour eux un seul instant "

La confusion et le désespoir décrurent faiblement dans l'esprit d'Harry tandis que les paroles du Directeur se faisaient jour en lui. Sa peur l'avait aveuglé : jamais Hermione et Ron n'accepteraient de l'abandonner, quel qu'en soit le prix… Il fallait apprendre à vivre avec ses craintes pour eux, comme ses amis avaient appris à vivre avec les leurs. Harry se sentait un peu idiot et honteux d'avoir agi ainsi… Il fut tiré de ses pensées par un toussotement et levant les yeux, il s'aperçut que Dumbledore le regardait avec un petit sourire et son regard pétillait malicieusement lorsqu'il déclara :

"Je suis certain qu'ils ne t'en voudront pas… Allonsécris-leur vite pour leur annoncer que tu les rejoindras bientôt ! Quant à moi, j'ai quelques affaires à traiter à Poudlard mais je te retrouve demain ici à la même heure pour notre première leçon. Au revoir, Harry "

Et le Directeur de l'Ecole de Poudlard disparut avec un léger "Pop ".

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Un nouveau chapitre... Un peu plus long que d'habitude !