Chapitre quatorze
Le chat
Le chat et l'oiseau – Pierre et le loup – S. Prokofiev
Un chat. Plutôt petit, d'un noir d'encre, à l'exception d'une tache blanche sur la gorge. Nullement effrayé, celui-ci regarda Harry d'une manière qui lui rappela étrangement Pattenrond. Le cœur battant la chamade, le souffle un peu court, Harry jeta un regard noir au félin – il avait reconnu un des innombrables chats de Mme Figg ; l'animal lui rendit son regard sans ciller et ajouta posément :
"Miaou ?"
Harry jura intérieurement de s'être effrayé tout seul et s'assit dans son fauteuil de prédilection. Le chat sauta instantanément sur ses genoux et se mit immédiatement à ronronner. Harry lui gratta la gorge d'une main tandis qu'il attrapait le Manuel de Transplanage Elémentaire de Callista Blowhorn que McGonagall lui avait laissé pour rédiger son devoir. Il en était à la page 56 lorsqu'un bref coup de sonnette le tira de sa lecture, le faisant légèrement sursauter et réveillant le chat qui dressa brusquement l'oreille. Posant son livre, il prit l'animal dans ses bras et alla ouvrir.
Dumbledore se tenait sur le pas de la porte, accompagné par Mme Figg, toujours chaussée de ses inévitables pantoufles. Surpris, Harry ouvrit la bouche pour les inviter à entrer, mais la vieille dame poussa un cri strident et s'écria :
"Mon petit Merlin ! Te voilà, vilain garçon… Il était encore parti en vadrouille, le filou, le méchant chat… "
Déconcerté, Harry regarda alternativement le chat puis sa maîtresse ; la pauvre bête semblait rien moins que réticente à se rendre à sa propriétaire et échappant à Harry, il se réfugia dans la maison ; Mme Figg sembla sur le point de le poursuivre mais, heureusement, Dumbledore vola au secours de l'animal :
"Bonjour, Harry. Je pense qu'il n'est pas nécessaire de vous présenter. Harry, Mme Figg cherchait… Merlin ; je crains de n'avoir guère le temps pour une chasse au chat : tu pourras lui ramener quand nous aurons terminé de discuter. Arabella, si vous voulez bien nous excuser…"
Harry s'effaça pour le laisser entrer et ferma la porte sur une Mme Figg quelque peu déconcertée. Il suivit le Directeur au salon, où ils s'installèrent. D'un mouvement de baguette magique, Dumbledore fit apparaître un plateau de thé et Harry, légèrement surpris, sursauta. Il savait qu'il pouvait désormais pratiquer la magie à la maison mais… Et bien, voir Dumbledore à l'œuvre dans le salon des Dursley avait quelque chose de surréaliste et Harry trouvait ça renversant, à tout le moins. Absorbé par ses pensées, il se rendit soudain compte que le Directeur, théière en main, lui posait une question et il fit :
"Je vous demande pardon, Professeur ?"
"Je te demandais si tu voulais du thé…"
"Oh ! Euh… juste une goutte…Voilà, merci."
Dumbledore reposa la théière, prit sa tasse et but une gorgée. Harry l'imita, le regard fixé sur le vieil homme, attendant que celui-ci prenne la parole. Le silence s'étira ainsi un long moment avant que le Directeur ne finisse par le rompre :
"Harry, je suis ici pour te parler d'un certain nombre de choses. Tout d'abord, la plus simple : je tiens à te féliciter pour tes résultats et tout particulièrement en ce qui concerne les Potions ; on dirait que les enseignements du Professeur Rogue ont fini par se révéler profitables…"
Harry esquissa un sourire ; il connaissait trop bien Dumbledore pour relever l'allusion et haussant simplement un sourcil, il se contenta de fixer impassiblement le Directeur, qui ajouta, les yeux pétillant de malice :
"Par contre, j'ai bien peur que le Troisième Œil ne se soit pas ouvert chez toi… Voilà qui va faire beaucoup de peine à cette pauvre Sibylle…"
Harry étouffa un rire ; voilà bien une chose qui ne lui manquerait pas. La divination… Trelawney et ses yeux de chouette… ses prédictions loufoques… l'avenir… les prophéties…
Sentant que les pensées de son vis-à-vis dérivaient en terrain glissant, Dumbledore se hâta de poursuivre :
"En ce qui concerne ton séjour chez les Weasley, Arthur a arrangé un transfert en Portoloin dans deux semaines ; grâce à un ami au Service des Transports, il a réussi à obtenir une autorisation… ce qui est assez exceptionnel, ces temps-ci."
Harry se sentait partagé : les années précédentes, il aurait tout donné pour aller chez Ron le plus tôt possible ; curieusement, aujourd'hui, il se sentait réticent à quitter la maison aussi rapidement. Comme s'il avait lu dans ses pensées, le Directeur ajouta :
"Je sais que c'est un moment délicat et que tu ne veux pas abandonner ta tante en ce moment ; cependant, je serai plus rassuré quand tu seras chez les Weasley. Je ne m'étendrai pas sur les détails mais il semble qu'un intrus se soit introduit dans les bureaux du Service des Affaires Scolaires… Il a été surpris et a pris la fuite avant d'avoir pu s'emparer de quoi que ce soit mais il s'était attaqué au coffre contenant les dossiers de M à Q… Dans le but de dénicher l'adresse de ta tante, peut-être, nous ne le saurons probablement jamais… Cependant…"
Harry, soudain inquiet, le coupa :
"Mais alors, pourquoi ne pas me faire partir immédiatement ? Cela pourrait être dangereux pour ma tante et…"
"Du calme, Harry, du calme ! Par précaution, j'avais fait retirer ton adresse de tout dossier te concernant à la fin du mois de juin dernier ; tout ce qui t'était adressé devait passer par Poudlard avant de te parvenir."
Harry sentit la morsure de la colère le titiller, à l'arrière de son esprit ; encore une fois, Dumbledore avait agi sans lui demander son avis. Il faillit émettre une remarque acerbe puis se retint : non seulement c'eut été inutile et de plus, il trouvait la décision de Dumbledore parfaitement appropriée… Il fut à nouveau tiré de ses pensées par le Directeur, qui avait continué à parler :
"… et je pense qu'il faut que nous testions tes capacités dans ce domaine."
"Euh… je vous demande pardon ?"
Le vieil homme pouffa.
"On m'a déjà reproché de radoter ; si tu m'obliges à répéter tout ce que je dis, cela ne va rien faire pour améliorer la situation…"
Harry se sentit rougir à la manière de Ron – jusqu'aux oreilles – et fit d'une petite voix :
"Désolé, professeur…"
"Oh, ce n'est pas grave… Bien, je te disais que j'allais tester tes capacités comme prévu. Est-ce qu'il t'est déjà arrivé de lancer des sorts sans baguette ?"
Harry acquiesça, se remémorant les épisodes du toit de l'école, du massacre de ses cheveux, du pull-over maudit et du boa brésilien, sans compter d'autres qui avaient dû se produire quand il était plus petit ; il avait entendu l'oncle Vernon parler une fois d'une histoire de lait mystérieusement remplacé par du chocolat chaud quand il avait cinq ans… Ainsi que la fois où il avait réussi à allumer sa baguette sans la tenir, l'an dernier, lors de l'attaque des Détraqueurs. Il expliqua tout cela à Dumbledore mais, intrigué, il lui demanda :
"Je croyais que tous les sorciers faisaient parfois de la magie involontairement dans leur enfance… N'est-ce pas le cas ?"
"Si, en effet, mais à des degrés très variés… Miss Granger, par exemple, n'a jamais accidentellement fait de magie, mais je me souviens que la Brigade de Réparation des Incidents Magiques avait dû intervenir chez les Weasley ; la petite Ginny avait ensorcelé des couverts et des assiettes qui avaient pris la fuite en direction du village voisin."
Harry était surpris ; il n'aurait jamais cru que Ginny… mais elle était capable de réussir des maléfices et des sortilèges avec une facilité déconcertante.
"En général, ces phénomènes sont le signe d'une grande puissance magique ; à l'inverse, leur absence dénote en général un faible pouvoir. Mais ce n'est pas forcément un rapport de cause à effet : on ne peut certainement pas dire de Miss Granger qu'elle manque de capacités... Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte, comme le contrôle que la personne exerce sur ses émotions, par exemple – Harry revit brièvement McGonagall lui conseillant de "contrôler ses humeurs" mais aussi et surtout la volonté : beaucoup de sorciers acculés à une situation quasi désespérée ont réussi des exploits malgré eux… Enfin bref, au travail !"
Dance of curse II – A Girl in Gaea OST : Escaflowne the Movie – Y. Kanno
Le Directeur se leva et tendit la main vers Harry. Celui-ci lui remit sa baguette et le vieil homme alla se poster au fond de la pièce.
"Bien… Je vais te demander d'essayer d'attirer ta baguette ; un sortilège d'Attraction devrait faire l'affaire. N'oublie pas que la volonté est la clé !"
…
Au bout d'une heure, Harry en avait assez. Sa baguette n'avait pas bougé d'un pouce et Dumbledore commençait à l'irriter avec ses exhortations.
"Accio baguette" s'écria-t-il pour ce qui lui semblait être la millième fois, avançant le pied brusquement et cognant violemment la jambe dans la table basse. La douleur fusa dans son esprit et la colère qui mijotait en lui depuis un moment monta en flèche et il hurla :
"ACCIO !"
Et tout devint noir.
