Chapitre vingt-deuxième
Pensées…
Le petit déjeuner se déroula dans une ambiance sinistre, presque délétère. Personne n'osait briser le silence et chacun se hâta d'engloutir son repas avant de quitter la table. Ron s'en fut le premier, sous prétexte d'aller chercher le courrier, puis Hermione, alléguant d'une migraine et enfin Ginny, sans raison valable. Resté seul Harry termina en vitesse avant de se réfugier au jardin où il s'assit sur un banc, laissant son esprit vagabonder.
The council of Elrond – The Fellowship of the Ring OST – Enya – H. Shore
Il était si profondément absorbé dans ses pensées qu'il n'entendit pas un léger bruit de pas derrière lui. Ce ne fut que lorsqu'il sentit une main se poser sur la sienne qu'il sursauta, levant les yeux pour découvrir Ginny qui le regardait dans les yeux. Effrayée par son mouvement brusque, elle avait reculé d'un pas et bafouilla, confuse :
"Je ne… je ne voulais pas te déranger. Désolée…"
Elle fit mine de s'en aller mais il la retint.
"Non, attends, c'est moi… J'ai été surpris, c'est tout. Tu ne me déranges pas, c'est juste que…"
Sa voix mourut et son regard se fit lointain ; une fois de plus, il s'abandonna à ses sombres réflexions. Ginny, quant à elle, s'assit à côté de lui, sans cesser de le regarder d'un air inquiet et légèrement inquisiteur.
Au bout d'un long moment, elle finit par demander d'une voix hésitante :
"Ca va ?"
Harry cligna des yeux, comme s'il sortait d'un rêve éveillé et soupira profondément. Après un instant, il finit par répondre :
"Je ne sais pas… Toutes ces choses, ces visions horribles, cette cruauté… J'aimerais que cela cesse, mais c'est impossible…"
Il la regarda dans les yeux et sa voix se fit plus douce :
"Il y a quelque chose dont je n'ai jamais parlé à personne, Ginny… Le… Après le Ministère… Enfin, quand je suis revenu à Poudlard, Dumbledore m'a longuement parlé. Il… il m'a expliqué pourquoi V… pourquoi Tu-Sais-Qui, s'en était pris à moi et à… à mes parents. C'est à cause d'une prophétie… la même que celle que nous étions allés chercher… Elle avait été faite avant ma naissance et elle parlait de sa chute. Elle annonçait que celui qui aurait le pouvoir de le vaincre était proche, qu'il naîtrait de ceux qui l'avaient par trois fois défiés et ce quand le septième mois mourrait…"
"Mais alors… ça veut dire que… c'est toi ?"
Ginny avait l'air incrédule ; Harry eut un rire sombre et poursuivit :
"Justement, non, enfin pas à l'origine. Ca aurait aussi pu être Neville… Si tu savais comme j'ai espéré, à cet instant, que cela puisse être lui… En y repensant, c'est assez horrible, mais j'ai souhaité de tout mon cœur que ce ne soit pas moi… mais la suite de la prophétie précise que "Le Seigneur des Ténèbres le marquera comme son égal"… Il n'y a aucun doute, c'est moi, forcément moi…"
Sa voix se brisa et il détourna le regard, des larmes brillant dans ses yeux. Au bout d'un moment, Ginny, doucement, posa la main sur son bras et demanda :
"Tu ne me dis pas tout… La prophétie ne s'arrête pas là, c'est ça ?"
Harry ferma les yeux ; il était déchiré entre le désir de tout raconter à Ginny, de lui confier ses craintes et ses doutes et le désir de cacher à ses amis le noir secret qui pesait sur sa destinée, à la fois parce qu'il craignait leur réaction, mais aussi parce qu'il voulait plus que tout les protéger du sort funeste qui semblait réservé à ceux dont ils étaient proches… Cet horrible dilemme le déchirait et il se sentait désemparé ; cependant il se remémorait les paroles de Dumbledore : rien n'empêcherait Ron, Hermione, Ginny et les autres de l'aider, qu'il parle ou bien se taise…
Alors il révéla à la rouquine la dernière partie de la prophétie, la plus terrible… Elle l'écouta en silence, mais son visage reflétait les émotions successives qui l'assaillaient et il vit une stupéfaction mêlée d'épouvante céder la place à la pitié. Incapable de lui faire face, il baissa les yeux, mais elle lui prit les mains, lui disant :
"Harry… regarde-moi."
Obéissant, il rencontra son regard, où une détermination sans faille s'affichait.
"Dis-moi, pourquoi n'en as-tu pas parlé plus tôt ?"
La question le prit au dépourvu et il hésita longuement avant de répondre :
"Parce que… c'est que… Je crois que j'avais peur…"
"De quoi ?"
"Et bien, de… de… Ginny, si je dois être vainqueur, je serai un meurtrier, tu comprends ça ?"
Elle le regarda durement et répliqua froidement :
"Un meurtrier ? Harry, Voldemort n'est pas humain, c'est moins qu'une bête, il est déjà mort une première fois et si tu dois en finir avec lui, ce sera tout sauf un meurtre ! Il est odieux de devoir tuer, mais dans ce cas, il ne s'agira que de dissiper un cauchemar épouvantable, de renvoyer cette horreur à l'endroit où il aurait dû se trouver dès la première fois… Je suis surprise que tu n'aies pas parlé à Dumbledore et…"
"Dumbledore ? Parlons-en, du grand magicien, de ses grands airs, de ses grands discours… Parler de tout à tout le monde comme s'il était au courant de tout ? Est-ce qu'il s'est jamais demandé ce que moi je pensais ? Est-ce que…"
Il s'était levé, furieux, mais Ginny bondit à son tour sur ses pieds et lui asséna une gifle retentissante. Interdit, il s'interrompit en plein milieu de sa tirade et la dévisagea avec une expression incrédule. Lorsqu'elle parla, ce fut à voix basse et étroitement contrôlée :
"Tu te comportes comme un imbécile, Harry ! Tu parles de grandes phrases et de grands airs, mais dans le rôle du martyr, tu en rajoutes ! Est-ce qu'il ne t'est jamais venu à l'esprit que Dumbledore savait peut-être mieux que quiconque ce que l'on éprouve en pareille situation ? Est-ce que tu te rappelles qui a écrasé Grindelwald en 1945 ?"
Elle s'interrompit, frémissante de colère, les joues en feu. Harry, vaincu, baissa la tête ; il avait complètement oublié que Dumbledore avait lui aussi dû affronter le même choix que celui qui l'attendait. Il se rassit, désemparé, se sentant également confus et honteux. Au bout d'un moment, Ginny s'assit à son tour et lui prit la main.
"Harry, je crois que tu devrais arrêter de prendre tout sur toi… Bon sang, c'est exactement comme cette histoire d'Occlumencie. Fais-nous confiance, un peu ! Après tout, les amis, c'est fait pour ça, non ?"
Il leva les yeux et lui adressa un pâle sourire :
"Merci, Ginny."
Elle le regarda dans les yeux et lui rendit finalement son sourire :
"De rien, Harry…"
