Chapitre vingt-sixième

Un voyage mouvementé

Incrédules, les deux garçons regardèrent Neville se tourner vers sa grand-mère pour lui parler, avant de l'embrasser sur la joue, d'empoigner sa malle, la soulevant sans effort apparent et se dirigeant vers la porte la plus proche.

Quelques instants plus tard, il apparut à la porte de leur compartiment et l'ouvrit en grand.

"Salut ! Vous avez encore de la place ici ?"

Quand le train s'ébranla, ils étaient en train de discuter de leurs vacances. Les trois garçons avaient été rejoints par Luna, qui avait l'air autant dans les nuages qu'à l'accoutumée, puis par Hermione et Ginny, que les conversations sur le maquillage et les play-boys de Poudlard avaient très rapidement lassées.

Neville leur racontait son stage de botanique, chez un ami de sa grand-mère. Il avait découvert quantité de plantes exotiques et bizarres, dont il comptait parler au plus tôt avec le Professeur Chourave. Au début de son stage, en traversant la serre des plantations dangereuses, il avait failli être dévoré par une Tentacula Vénéneuse ; il avait réussi à lui échapper mais ce faisant, était tombé dans un massif de Caloricola Desertiensis, qui servait pour l'élaboration de potions d'habileté mais délicate à manipuler car le moindre contact donnait à n'importe qui une très forte fièvre, pour laquelle il n'y avait aucun remède. Il avait déliré durant six jours et quand il s'était réveillé, sa maladresse et son embonpoint avaient fondu comme neige au soleil.

"J'ai pris le cours avancé de Botanique et celui de Soins aux Créatures Magiques pour l'an prochain. Vous avez pris quoi vous ?" demanda-t-il, se tournant vers Harry.

"Euh… j'ai pris Potions, Métamorphoses, Défense contre les Forces du Mal et Sortilèges…"

"Vraiment ? Je ne savais pas que tu aimais Rogue à ce point !"

Harry ouvrit la bouche pour répliquer sèchement mais la lueur malicieuse dans l'œil de Neville le fit changer d'avis et il répondit d'un ton suave :

"J'adore le son mélodieux de sa voix et son caractère si amical ! C'est un tel plaisir d'être en cours avec lui !"

Ils éclatèrent tous de rire. Quand ils se furent calmés, Neville se tourna vers Hermione, l'interrogeant du regard.

"Oh, j'ai pris Métamorphoses, Arithmancie et Sortilèges et je suivrais aussi le cours de Runes Anciennes à côté, en dehors de l'horaire… "

Harry ouvrit de grands yeux :

"Tout ça ! Décidément, tu ne changeras jamais !"

Ils rirent à nouveau, puis Neville se tourna vers Ron mais, l'ignorant, celui-ci, l'air subitement renfrogné, se leva et demanda :

"On ne devrait pas être avec les Préfets ?"

Hermione plaqua une main sur sa bouche :

"J'avais complètement oublié !

Ouvrant la porte à la volée, Ron s'engouffra dans le couloir. Hermione le suivit après avoir lancé un vague "A plus tard !" aux autres.

Quand la porte se fut refermée, Neville se tourna vers Harry et Ginny, l'air interrogateur.

"Qu'est-ce qui se passe ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?"

Harry jeta un coup d'œil à Ginny, qui le lui rendit, impassible. Il finit par répondre, d'une voix hésitante.

"En fait… Je… enfin, Hermione pense que Ron n'a pas très bien réussi qu'il… Il n'en a pas parlé et chaque fois que quelqu'un aborde la question, il trouve une excuse pour changer de sujet ou sortir de la pièce… En fait, c'est bizarre, on dirait que… qu'il a honte de nous en parler… ces derniers temps, on aurait presque dit qu'il nous évitait, parfois… Je ne comprends…"

"Tu ne comprends pas pourquoi ?" l'interrompit Ginny avec vivacité, quoique sans brusquerie. "Harry… c'est toujours la même chose, avec Ron…" Elle soupira, fermant les yeux et ajouta : "Il a toujours l'impression d'être le dernier, de ne rien valoir, de n'être bon à rien… Ca m'étonne que tu te poses encore la question… Entre Hermione, qui réussit brillamment tout ce qu'elle fait et toi… il se sent… inférieur…"

"Mais ce n'est pas vrai ! Sans lui, nous n'aurions jamais…"

"Je sais bien, Harry, mais ce n'est pas moi qu'il faut convaincre… Ca a toujours été la même chose avec Ron ; entre Bill, Charlie et Percy, qui ont toujours été brillants, que ce soit en cours ou au Quidditch ou Fred et George qui n'ont jamais travaillé mais qui réussissaient toujours, il s'est toujours senti en arrière…"

Harry lui jeta un regard malicieux :

"Et toi ?"

"Moi, c'est différent, je suis une fille !"

Ils éclatèrent de rire mais bientôt le sourire d'Harry s'estompa tandis qu'il se rappelait ce que Ron lui avait dit en première année… Et moi, on voudrait que je fasse aussi bien que les autres, mais même si j'y arrive, personne ne s'en apercevra, parce que je serai le sixième à le faire et on trouvera ça normal. Quand on a cinq frères, on ne fait jamais rien de neuf…

Ron était souvent resté dans son ombre… Un souvenir douloureux lui revint en mémoire : en quatrième année, ils s'étaient brouillés, car Ron avait cru qu'Harry lui mentait à propos du Tournoi des Trois Sorciers… Il réalisait à présent qu'alors, Ron aurait tout donné pour être à sa place, pour occuper le devant de la scène, ne serait-ce qu'une fois, brièvement…

Pendant ce temps-là, Ron et Hermione avaient quasiment atteint le compartiment des Préfets, en tête du train. Il tendit la main pour ouvrir la porte mais elle le retint par la manche. Il l'interrogea du regard ; elle avait l'air mal à l'aise, comme si elle avait quelque chose de délicat à dire et ne savait pas par où commencer.

Il jura intérieurement ; il se doutait de quoi elle voulait lui parler et il n'en n'avait pas envie, du moins pas encore…

"Qu'est-ce qu'il y a Ron, franchement ?"

Il fut tenté de laisser son cœur déverser sa peine, de tout lui révéler : ses notes pas très brillantes aux Buses… la discussion que ses parents avaient eu avec lui après, un soir au Terrier, alors que tout le monde était couché… les sermons qu'ils lui avaient asséné sur le travail scolaire… son entretien avec McGonagall, l'année précédente, quand elle lui avait conseillé de prévoir un autre choix de carrière qu'Auror…

Mais, alors qu'il ouvrait la bouche, un éclair de fierté lui fit ravaler ses paroles. Hors de question de faire étalage de sa faiblesse, même passagère… De plus, elle lui avait si souvent conseillé de travailler plus… Il se sentait honteux de ne pas l'avoir écouté plus tôt et il savait que s'il lui parlait, il risquait de ne plus oser la regarder en face…

Il referma la bouche et répondit, un peu plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu :

"Mais rien, Hermione, absolument rien, je t'assure…"

Là-dessus, il se dégagea et, se détournant, entra dans le compartiment des Préfets et referma la porte. Restée seule dans le couloir, Hermione regarda pensivement dans le vide… Elle se doutait bien de ce qui avait dû se passer, mais si Ron ne voulait pas en parler, rien n'y ferait… Elle ressentit un petit pincement au cœur, soudain triste de voir combien Ron avait changé depuis la fin de l'année précédente : il était devenu taciturne, renfermé… se déplaçant comme une ombre, silencieux comme un chat, comme s'il essayait d'éviter le plus de contact avec les autres… Elle soupira puis, se reprenant, ouvrit la porte et entra dans le compartiment.

Pendant ce temps, Harry, Neville et Ginny étaient passés à une discussion animée sur leur nouveau professeur de Défense contre les Forces du Mal. Même si c'était peu probable, Harry espérait que Rémus reprendrait son poste.

Au bout d'un moment, Neville se leva et sortit pour se rendre aux toilettes, qui malheureusement étaient occupées. Il se rendit dans le wagon voisin, le traversa et s'engouffra dans les toilettes. Au moment où il allait ressortait, la porte du wagon d'à côté s'ouvrit avec violence et Drago Malefoy fut projeté à l'intérieur. Zabini, Goyle et Crabbe entrèrent à sa suite. Apercevant Neville, Zabini eut un sourire mauvais et pointa sa baguette dans sa direction. Bien que peu rassuré, ce dernier sortit la sienne et la dirigea fermement sur le Serpentard. Malefoy, encore étourdi, probablement par un sortilège, se redressa en chancelant et fit d'une voix sourde :

"Ne te mêle pas de ça, Londubat !"

"Comme… comme si j'avais le choix !"

Zabini laissa échapper un ricanement :

"Tu t'es trouvé un protecteur, Malefoy, quelle chance ! Et un des meilleurs en plus…"

Son expression, de sarcastique, se fit menaçante :

"Allez, Londubat, arrête ton numéro et on ne te fera pas de mal… enfin, pas trop…"

Neville ne répondit pas mais serra les dents, arborant un air résolu. Soudain, Zabini esquissa un geste du poignet en criant :

"Everbero !"

Mais Neville était prêt et le Serpentard n'avait pas fini d'articuler son sort qu'il s'exclamait :

"Protego !"

Le sortilège fut dévié et frappa le plafond. Le Serpentard parut surpris et recula d'un pas ; aussitôt, Crabbe et Goyle s'avancèrent d'un air menaçant, leurs gros poings serrés, mais Neville pivota vivement pour les tenir en respect avec sa baguette. Les deux brutes s'arrêtèrent puis sortirent les leurs. Pris séparément en duel, aucun des deux ne représentait une menace pour le Gryffondor, mais à deux contre un, les choses devenaient plus délicates. Goyle, plus rapide, lança un maléfice de Jambencoton que Neville esquiva, répliquant par un Stupefix, qui frappa de plein fouet le Serpentard, qui s'effondra de tout son long. Mais le temps qu'il lui avait fallu pour se débarrasser de son adversaire avait suffi à Goyle pour se décider :

"Rictusempra !"

Neville fut touché en pleine poitrine ; aussitôt, le fou rire le saisit et c'est à grand-peine qu'il parvint, entre deux éclats de rire, à articuler :

"Pe… Petrificus totalus !"

Goyle n'eut pas la présence d'esprit d'éviter le maléfice et tomba comme une masse à la renverse. Le sortilège de Chatouillis s'interrompit aussitôt et Neville se redressa, à bout de souffle. Malefoy avait l'air de s'être bien défendu : Zabini gisait inconscient dans l'angle de la pièce et son bras gauche, visiblement cassé, faisait un angle bizarre au niveau du coude. De son côté, le blond arborait une vilaine coupure sur la joue droite. Il se regarda dans la glace et, pointant sa baguette sur sa blessure, murmura :

"Vulneris medicare."

La coupure se referma instantanément, ne laissant qu'une pâle trace rose. Malefoy inspecta le résultat d'un œil critique, puis, soudain, il se retourna, faisant brusquement face à Neville et, les yeux brillants de colère, gronda :

"Je t'avais dit de ne pas t'en mêler, Londubat ! Toujours aussi borné, à ce que je vois ! La prochaine fois, fais-moi une faveur : va au diable !"

Neville ouvrit la bouche pour répondre mais le Serpentard fit volte-face et se rua hors du compartiment, laissant sur place le Gryffondor médusé.