Chapitre vingt-neuf

Cours et détours

Aquarium – Le Carnaval des Animaux – C. Saint-Saëns

Hermione se faufila discrètement hors du dortoir qu'elle partageait avec Parvati et Lavande. Elle referma doucement la porte et descendit les escaliers sur la pointe des pieds. Au pied de l'escalier, elle passa la tête par la porte qui donnait sur la salle commune. La salle semblait déserte, faiblement éclairée par les braises qui rougeoyaient dans l'âtre ; elle la traversa d'un pas vif. Parvenu près de la sortie, elle tira sa baguette de sa poche, la pointant sur elle et murmura :

"Chamæleo !"

Un frisson la parcourut ; elle baissa les yeux pour regarder sa main et ce fut comme si elle voyait le sol à travers. Elle eut un léger sourire : cela faisait deux mois qu'elle travaillait à créer ce sort pour son projet d'Arithmancie, mais elle ne l'avait jamais testé. Elle pensa à toutes les difficultés qu'ils auraient évitées s'ils avaient disposé d'un pareil sort, avec Ron et Harry… avant de s'adresser un reproche muet : ils n'avaient pas besoin de ça pour se lancer dans leurs aventures nocturnes, inutile qu'elle les y encourage encore plus !

Elle se glissa hors de la Tour de Gryffondor. D'une voix ensommeillée, la Grosse Dame demanda :

"Qui est là ?"

Hermione se garda bien de lui répondre et tourna aussi vite que possible à l'angle du couloir. Elle s'arrêta un instant pour s'orienter et choisir son chemin puis, légère et furtive, elle prit la direction l'Infirmerie.

Elle tourna dans le couloir du troisième étage de l'aile sud, au bout duquel se trouvait l'escalier menant à l'Infirmerie, quand un léger bruit de pas la figea sur place. Elle se réfugia derrière l'armure la plus proche et retint son souffle. Au bout de quelques secondes, une silhouette apparut à l'extrémité de la galerie et entreprit de la remonter dans sa direction. Elle se tassa plus étroitement contre le mur, priant pour ne pas être repérée. Au moment où le promeneur nocturne passait devant elle, un rayon de lune éclaira son visage : Malefoy, arborant une expression impénétrable. Qu'est-ce qu'il fait ici ? Il ne va pas dans la direction des cachots…

Un instant, elle envisagea de le suivre, mais elle renonça à son plan ; elle avait mieux à faire que de suivre Malefoy, au risque d'être découverte ou pire, surprise par Rusard. Elle attendit que les pas s'évanouissent et elle se dirigea vers l'Infirmerie.

Elle entrebâilla la porte, se glissa dans l'ouverture et ferma délicatement derrière elle. La pièce était brillamment éclairée par la lune, qui jetait ses feux nocturnes à travers les grands vitraux, nimbant la pièce d'une lumière nacrée. Seuls deux lits étaient occupés et elle se dirigea vers celui de Ron.

Elle s'arrêta au pied du lit et observa le rouquin qui dormait profondément. La lueur de l'astre nocturne jetait des reflets argentés sur sa tête et sa chevelure n'avait plus cette flamboyance habituelle. La finesse des traits de son visage, plus marquée que d'habitude, et combinée à une certaine pâleur, ainsi qu'à la lumière lunaire lui conférait un air de fragilité inhabituel ; il respirait si légèrement qu'Hermione eut un instant d'hésitation mêlée d'angoisse, avant de voir sa poitrine se soulever presque imperceptiblement.

Mais alors qu'elle se penchait vers lui pour prendre une de ses mains qui reposaient sur la couverture, le bruit d'une porte s'ouvrant la fit sursauter. Sans prendre le temps de regarder, ni même de réfléchir, elle se jeta au sol et roula sous le lit de Ron. Des pas s'approchèrent et elle risqua un œil dans leur direction : deux pieds chaussés de pantoufles lui apparurent, au pied du lit ; sans doute Madame Pomfresh qui venait inspecter ses malades. Apparemment, son sortilège était au point : cette dernière ne l'avait pas vue… Au bout d'un moment qui parut figé en une éternité à Hermione, l'infirmière repartit et la porte se referma.

Hallelujah – Shrek OST – R. Wainwright

Précautionneusement, avec une infinie prudence, elle s'extirpa de dessous le lit. Les yeux clos, la respiration toujours aussi lente que légère, rien n'indiquait que Ron n'ait été réveillé par la visite de l'infirmière. Elle pointa sa baguette sur sa poitrine et murmura :

"Visibile !"

Puis, lentement, elle s'assit sur le bord du lit et saisit la main de Ron dans les siennes, dont la transparence s'estompait à vue d'œil. Celui-ci bougea légèrement, sa respiration se fit plus forte et il ouvrit les yeux. Son regard était brouillé par le sommeil, mais rapidement celui-ci se posa sur Hermione, qui éprouva cette sensation familière, qui l'étreignait chaque fois que Ron l'observait.

"Mione ?" fit-il à voix basse;

"Ron, je…" Sa voix était basse et contenue, mais à la limite du tremblement. Elle se reprit et poursuivit, la voix plus ferme. "Il fallait que je te parle, Ron… J'ai quelque chose à te dire, que j'aurais dû dire il y a longtemps… et il a fallu que tu sois attaqué pour que je… Seigneur, je m'imaginais déjà le pire, je t'ai vu mourant, mort, déjà… et en même temps, j'espérais follement… que ce n'était pas toi, ou que ce n'était pas grave… Je ne peux même pas te dire à quel point j'ai été heureuse quand je me suis retrouvée à tes côtés… Tu étais vivant, c'est tout ce qui comptait pour moi…"

Elle baissa la tête et laissa échapper un sanglot, avant d'essuyer rageusement les larmes qui perlaient dans ses yeux. Elle resta silencieuse un long moment avant de relever la tête et planta son regard dans les yeux d'azur du rouquin, qui l'observait sans mot dire, une expression impénétrable sur son visage, qu'envahissait néanmoins une certaine rougeur. Elle se mordit la lèvre inférieure, rassemblant tout son courage, avant de prendre une profonde respiration et de poursuivre d'une traite :

"Ron, j'ai eu si peur, ce soir… Peur pour toi, peur de te perdre, de te perdre avant même de t'avoir trouvé… Je… Je t'aime, Ron… Je t'aime plus que tout au monde, et je ne supporterais pas de te perdre, comme j'ai cru te perdre ce soir…"

Ron semblait pétrifié ; il cilla mais ce fut sa seule réaction pendant une dizaine de secondes, dont chacune parut une éternité à Hermione, suspendue qu'elle était aux lèvres du rouquin. Enfin, celui-ci réagit ; il se hissa sur un coude et se redressa. Puis il prit les mains d'Hermione dans les siennes, et doucement, les amena à lui et les posa sur sa poitrine, sur son cœur ; alors, il se pencha vers l'avant, doucement et, dans un effleurement, ses lèvres se posèrent sur celles d'Hermione, l'embrassant timidement tout d'abord, puis de plus en plus ardemment.

Surprise, elle eut un infime instant d'hésitation avant de répondre fiévreusement, passionnément, tandis que sa peur d'être rejetée s'évanouissait et qu'un bonheur sans limite l'envahissait.

Lorsqu'ils se séparèrent, elle arborait un sourire éclatant et Ron lui répondit quoique de manière hésitante, et il lui parla en ces termes :

"Jamais… jamais je n'aurais cru que ça… que cela puisse arriver un jour, à part dans mes rêves les plus fous… J'ai toujours pensé que… tu vas me trouver stupide…"

Hermione lui sourit tendrement et clignant de l'œil, lui répondit, non sans malice :

"Ce sera pas la première fois… mais c'est ça qui fait ton charme de rouquin borné et têtu, Ron…"

Il la regarda avec des yeux ronds l'espace de quelques secondes, avant d'éclater d'un rire silencieux. Lorsque celui-ci fut passé, il poursuivit :

"Qu'importe, j'ai toujours pensé que tu ne t'intéressais pas à moi, que tu préférais… je ne sais pas, quelqu'un comme… comme…" il rougit légèrement, avant de poursuivre : "… comme Harry, par exemple…"

Ce fut au tour d'Hermione d'ouvrir des yeux ronds :

"Harry ? Et pourquoi donc ?"

"Je…"

Mais avant qu'il n'ait pu aller plus loin, la réponse se fit jour dans son esprit… Elle se rappelait l'humeur sombre de Ron après qu'ils avaient reçu leurs bulletins, la manière qu'il avait eu d'esquiver la discussion sur leurs options de sixième année… Elle se souvint de la réaction de Ron quand Harry avait été "choisi" pour le Tournoi des Trois Sorciers, de sa réaction quand elle avait cru que c'était Harry qui avait été choisi pour être Préfet…

Réalisant qu'elle avait compris, le rouquin baissa la tête ; Hermione tendit la main, le prenant par le menton et, le forçant à la regarder dans les yeux, déclara avec feu :

"Ron… tu sais parfaitement que cela n'a rien à voir !"

Elle ouvrit la bouche pour poursuivre mais à cet instant, un bruit de porte s'ouvrant brutalement se fit entendre et la voix de Madame Pomfresh se fit entendre :

"Qui est là ?"

Réagissant à la vitesse de l'éclair, Hermione reprit sa baguette, murmura la formule de Mimétisme, se dirigea vers la porte en courant et sortit. Quant à Ron, il arrangea rapidement les couvertures et se recoucha ; quand l'infirmière entra avec un bougeoir à la main, inspectant prudemment la pièce, il dormait déjà profondément.

Pendant ce temps-là, Harry se tenait dans le bureau de Dumbledore, tentant désespérément de récupérer sa baguette. Celle-ci était posée devant le Directeur, qui regardait Harry s'escrimer avec une expression neutre, quoique teintée d'un soupçon d'amusement.

"Accio baguette !"

Rien.

"Accio !"

Harry se figea. Sa baguette venait d'osciller légèrement… avant de s'immobiliser.

"Accio ! ACCIO !"

A cet instant, sa baguette décolla soudain du bureau et vola en droite ligne dans sa direction, le percutant au front. Il jura sourdement, avant de se baisser pour la ramasser et Dumbledore parla soudain :

"Harry…"

Celui-ci, vexé de s'être ridiculisé de la sorte, leva sur le directeur ses yeux, dans lesquels étincelait une lueur de contrariété, mêlée de frustration et il répondit, plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu :

"Quoi ?"

Dumbledore lui jeta un regard légèrement réprobateur et Harry se reprocha son impertinence ; il baissa les yeux, vaguement honteux. Le Directeur se leva et alla se poster à la fenêtre ; de là, sans se retourner, il reprit :

"Repense à l'instant où ta baguette a bougé, essaie de te souvenir de la sensation que tu as éprouvé, de l'impression que tu as ressentie…"

Harry soupira ; il n'aurait jamais cru que pratiquer la magie sans baguette fut aussi difficile. Les rares fois où il y était parvenu, il avait en proie à des émotions violentes : la peur qui l'avait étreint tandis que les Détraqueurs les avaient attaqués, Dudley et lui, dans l'allée entre Magnolia Crescent et Wisteria Walk, la colère qu'il éprouvait la fois où il avait fait disparaître la vitre au zoo… Mais en l'absence d'émotions de cet ordre, il lui avait fallu une concentration extrême pour parvenir au plus petit résultat et il se sentait épuisé, comme vidé de son énergie…

Soudain, un toussotement de Dumbledore le tira de ses réflexions et il ferma les yeux, tentant de retrouver ce qu'il avait ressenti à l'instant précis où sa baguette s'était déplacée.

Au bout d'un long moment, il rouvrit les yeux et fit d'une voix rauque :

"J'ai eu l'impression que…"

"Oui ?"

"C'était comme si… comme si quelque chose s'était déplacé, avait changé de place…"

"Voilà, c'est ça… En fait, le plus difficile à réaliser pour un sorcier qui tente de lancer un sort sans baguette magique, c'est de canaliser l'énergie magique dont il a besoin. La baguette est l'instrument qui permet d'effectuer cette concentration d'énergie, c'est pourquoi s'en passer est extrêmement difficile."

Le Directeur se retourna, se dirigea vers la porte, qu'il ouvrit et ajouta :

"D'ici à la prochaine fois, j'aimerais que tu t'exerces à retrouver cette sensation, à la provoquer si possible, avec le Sortilège d'Attraction, toujours…"

"D'accord… bonsoir, Professeur."

"Bonsoir, Harry."