Bonjour, bonsoir!
J'ai mis un petit moment à écrire ce chapitre, je sais, mais l'inspiration m'est venue subitement hier soir, et paf ça fait des chocapics!
Bref, je vous remercie de tout coeur, mes cher(e)s lecteurs et lectrices, ça me fait tellement plaisir que vous aimiez et que vous laissiez de si beaux reviews *_*
Merci à La plume d'Elena, PerigrinTouque, Sakiie-Chan, et Anna pour vos reviews!
Place à la suite, Enjoy:
Vacillante, je plongeai mes yeux dans ceux du vieillard. Ce fut une terrible erreur. Ma tête commença à tourner et je tanguai, comme au bord d'un gouffre profond. Je secouai mes pensées engluées et rompis le contact, préférant fixer le sol de marbre, largement plus intéressant. C'était étrange… c'était comme si, lorsque ses prunelles m'avaient englobées, je m'étais perdue. Comme s'il m'avait hypnotisée pendant quelques malheureuses secondes. Je frissonnai de toute part, incapable de contrôler la répulsion intense qui se dégageait de mon corps à une telle pensée.
Premièrement sa voix, et maintenant son regard. Ou j'étais frappée, ou alors ce type essayait de me plier à sa volonté.
Je préférais croire que j'étais frappée, c'était plus facile pour moi psychologiquement. Toujours en est-il que quelques longues secondes plus tard, l'homme vêtu d'une large toge blanche –qui s'habille encore comme ça, sérieusement ? - reprit la parole, s'adressant visiblement à moi-même. Je le regardai de biais, sans fixer ses prunelles, et secouai la tête.
-Je n'comprends rien à ce que vous dites !
Il tenta une seconde fois, et les sonorités qui roulèrent entre ses lèvres furent tout à fait différente, cependant je ne compris toujours pas. Durant un court instant, je regrettai de ne pas avoir pris option russe lorsque j'étais au lycée, ça m'aurait probablement bien servis aujourd'hui… si toutefois c'était bien du russe ! A nouveau, je secouai la tête, en faisant attention de ne pas me déséquilibrer.
-Toujours rien.
Après quoi, il enchaina des dizaines et des dizaines de phrases, dans des langues tout à fait étrangères à mon pauvre cerveau qui ne savait plus où donner de la tête. A chaque fois qu'il s'arrêtait pour reprendre son souffle, je secouai la tête de gauche à droite, les yeux exorbités. Je ne comprenais RIEN. Pourtant je n'étais pas si mauvaise en langue, je me débrouillais en anglais, j'avais quelques notions d'allemand et d'espagnol, mais là c'était bien au-dessus de mes compétences. Et je ne pouvais m'empêcher d'éprouver une certaine admiration pour ce vieillard qui devait connaître à lui seul une cinquantaine de langue… Il avait eu tout le temps de les apprendre, aussi… quand on est à la retraire, on a du temps pour tout !
Le souci, c'est qu'il semblait perdre patience, et les veines sur ses tempes gonflaient dangereusement, se teintant d'un rouge violacé plutôt remarquable. Je rentrai la tête dans les épaules, sentant l'air crépiter de colère tout autour de moi. Et puis, alors que j'allais m'excuser pour mon incapacité totale à comprendre ne serait-ce qu'un mot sortant de sa bouche, une vague de rébellion enfla en moi, et éclata : ce n'était tout de même pas de ma faute si je ne comprenais rien ! Et puis il devait prendre en compte que j'étais psychologiquement très bouleversée à cause des monstres que j'avais rencontrés, et de la perte inopinée de mon beignet.
Repenser à mon beignet activa mes glandes salivaires qui déversèrent sur ma langue tout ce qu'elles contenaient : j'avais horriblement faim, et soif. Et puis, peu à peu, toutes ces sensations que j'avais momentanément oubliées se mirent à pulser dans mon corps douloureux. Mon ventre gronda sourdement, ma gorge sèche et ma langue pâteuse se rappelèrent à moi, ma côte probablement cassée et mes jambes raidies envoyèrent des signaux de douleur si intense que je me retins de pas gémir. Un autre détail tout à fait gênant revint à ma mémoire : mon pantalon tout de rouge tâché. La honte.
Heureusement, le vieillard ne semblait pas s'intéresser de près à mon pantalon, et c'était tant mieux. Je jetai un regard au monstre qui restait impassible, et qui suivait des yeux le vieil homme comme s'il attendait un ordre. Je fronçai les sourcils, et mon attention se fixa à nouveau sur l'homme en blanc, qui n'était plus si blanc : son visage se colorait lentement de rouge, et il en me fixant, il remua son bâton tout en prononçant quelques mots d'une voix d'outre-tombe.
Soudainement, je sentis une présence dans ma tête, et quelques secondes plus tard, une douleur atroce se répandit dans mon crâne. J'hurlai de toutes mes forces et mes jambes se dérobèrent sous mon poids. Mon dos frappa durement le sol de marbre, puis l'extérieur s'effaça et je fus plongée dans mes souvenirs. Des centaines d'images défilèrent sous mes paupières closes, des centaines de souvenirs. Certains dont j'avais encore des traces dans ma mémoire, et d'autres qui avaient dû se perdre profondément en moi. Je vis les visages de mes parents, puis ceux de mes deux frères, notre ancien appartement, mes premiers jours d'écoles, moi dans ma chambre en train de chanter à tue-tête devant ma glace, mes premières meilleures amies, moi en train de faire les magasins avec ma mère, les quelques livres que j'avais lu, mes années au collège, mes disputes, les quelques copains que j'avais eu, la mort de mon chien, celle de mon grand-père... Je vis tout, ou presque tout. Il passa très rapidement sur mes années lycée et ce que j'avais pu y faire, pour en venir directement au fait : moi assise sur mon banc, mon cher beignet pressé entre mes doigts, et ma disparition soudaine. Il repassa cette scène plusieurs fois de suite, ignorant délibérément mes hurlements de douleurs.
Puis, aussi soudainement qu'il était entré dans ma tête, il en sortit, me laissant pantelante, en position fœtale, des larmes ruisselants sur mes joues sales. Des convulsions secouaient mon corps entier, et mon esprit était totalement vide. J'avais été violée. Violée dans mon intimité, et j'étais tellement choquée que je ne parvins plus à aligner deux pensées cohérentes. Cet homme, cette pourriture, venait d'entrer dans ma tête sans aucune permission, et s'était approprié de plein droit tout ce qui me composait, tout ce que j'étais. Il avait presque tout vu, il avait vu mes peines, mes joies, mes soucis… tout. Je me sentais si mal que je continuai de sangloter douloureusement, pitoyablement pendant de longues minutes. J'essayai –en vain- de comprendre comment il avait pu faire une telle chose, et surtout pourquoi ? J'avais envie de hurler, de me diriger vers lui et de le griffer, de lui crever les yeux ! Envie de faire sortir de mon corps ce malaise horrible qui m'avait envahie ! Mes pensées, mon être, ma conscience avaient été outrageusement violés, et je me sentais aussi vulnérable qu'un nouveau-né. Mise à nue. J'étais nue. Nue devant cet homme ignoble qui me regardait, un rictus de satisfaction accroché à ses lèvres charnues.
Si je n'avais pas été aussi faible, aussi choquée, je l'aurais certainement frappé de toutes mes forces pour effacer ce sourire ignoble de son visage. Au lieu de quoi, j'avançai simplement une main pitoyable, dépourvue de la moindre force, dans sa direction, tout en retenant des gémissements humiliants. Et il se mit à rire. Un rire à la fois envoûtant, et profondément répugnant. Une étincelle dangereuse brillait dans ses yeux, proche de la folie. Je frissonnai fortement et serrai mes poings prêts à frapper s'il s'approchait trop près de moi. Puis il se dirigea dans ma direction, à pas lent, et victorieux. Je jetai un regard suppliant à l'étrange créature qui était restée debout, sans esquisser le moindre geste. Il ne me regarda pas, et garda ses yeux fixés sur son maître.
Le fou pointa son bâton blanc sur moi, et j'eus du mal à retenir un cri d'horreur lorsque je me retrouvais sur le dos, maintenue par une force inconnue et invisible. Tout mon corps se révolta profondément, et la terreur qui s'empara de moi fut telle que je ne parvins plus à respirer. Des étoiles dansèrent devant mes yeux mi-clos et mon corps convulsa doucement. Et d'un seul coup, je pu à nouveau respirer, la force inconnue m'ayant comprimée, puis relâchée aussi vite la cage thoracique. Une grande goulée d'air sec m'écorcha la gorge, et je toussai, les poumons brûlants. Cependant, je ne pus esquisser le moindre geste, un poids enserrant mon corps entier pour le maintenir à terre. Je ne parvenais même pas à bouger mon petit doigt.
Mon cerveau malmené ne parvenait plus à comprendre ce qui se déroulait autour de moi. Trop d'informations, trop de choses étranges, trop de souffrance. Ces monstres, ce fou, mes pensées dévoilées, cette magie qui me maintenait prisonnière. Je perdais la tête. Mes yeux, fous, roulaient dans leurs orbites, et malgré cette chape d'air qui me tenait en place, je tremblais de tous mes membres, sous le choc.
Je ne sais combien de temps je restais dans cette position. Mes yeux captèrent tout de même quelques images confuses : une main aux longs ongles crochus au-dessus d'une boule en feu, deux yeux jaunes aux pupilles de chat qui me regardaient intensément, le plafond si haut…
Je ne sais pas si je m'évanouis, ou si je m'endormis. Tout était nimbé de brouillard, toutefois, cet enfer de douleur et d'incompréhension s'atténua lorsque je sentis quelqu'un s'approcher de moi à pas lourd. Deux bras puissants me soulevèrent de terre, et j'entrouvris les yeux. C'était le monstre qui m'avait conduite jusqu'ici, qui me portait à nouveau. Nous sortîmes de cette pièce maudite, et imperceptiblement, je me détendis. Avant de me crisper plus encore : je ne savais pas où il m'emmenait. Allait-il me jeter en pâture à ses semblables ? Me laisser dehors à mourir sous le soleil brûlant ? Me dévorer ? M'emmener chez un autre fou qui s'infiltrerait dans mon esprit et me dévorerait avidement mes souvenirs ? Je me mis à trembler doucement.
Je voulais rentrer chez moi. Revoir mes amies, ma famille. Retrouver ma petite ville tranquille, mon sac, mon travail. Je voulais rentrer. Je vous en supplie, renvoyez-moi chez moi, je vous en supplie ! Ce n'est qu'un affreux cauchemar ! Je vous en supplie, laissez-moi partir, laissez-moi rentrer chez moi…
De nouveaux sanglots se bloquèrent dans ma gorge, mais aucunes larmes ne vinrent mouiller mes joues. Il faut dire que je n'avais même plus la force de pleurer. Alors je me laissai emporter par mes pensées meurtries. Les yeux mi-clos, je tanguai au bord de l'inconscience. J'avais envie d'y plonger, d'oublier de ce qui se trouvait autour de moi, cependant, les bras du monstres dans mon dos et sous mes jambes, l'écho de ses pas lourd, son souffle bruyant, et les lampes rougeoyantes qui parsemaient les murs des couloirs m'empêchaient de sombrer. De drôle de détails qui me tenaient éveillée malgré moi. Peut-être que la peur qui pulsait dans chacune de mes veines y était aussi pour quelque chose... Je ne savais plus. Je ne savais même plus qui j'étais.
Je ne repris un brin de conscience que lorsque mon porteur ralentit. Il lança quelques mots gutturaux en direction d'une autre personne, puis j'entendis le crissement d'une porte métallique contre la pierre. Le monstre passa l'encadrement, puis me déposa brutalement par terre. Je ne bougeai pas, incapable de solliciter mes muscles, et il resta à m'observer quelques secondes. Après quoi, il se retourna, sortit et claqua puissamment la porte. Des cliquetis se firent entendre, puis le bruit caractéristique du verrou, et les pas s'éloignèrent.
Je restai seule, le corps et le cerveau douloureux. Je n'avais plus envie de rien, je n'avais plus la force de rien. Et c'est donc avec délice que je plongeai dans l'inconscience qui m'accueillit à bras ouvert.
Je me réveillai doucement, ouvrant mes lourdes paupières, et fixai quelques instants le carré de lumière qui se trouvait sur le mur en face de moi. Je pris une profonde respiration, et fronçai le nez sous l'odeur peu amène qui régnait dans cet endroit. Je bougeai légèrement mes membres crispés et me rendis compte avec étonnement que je m'étais roulée en boule pendant mon sommeil. Je me relevai avec mille précautions, posant ma main à terre et poussant le sol avec lenteur. Bientôt, je me retrouvai assise, grimaçant sous la douleur que me renvoyait mon pauvre corps décharné. Je me trouvai dans ce qui devait être une cellule, en pierre grise.
Je levai les yeux vers la tâche lumineuse qui avait attiré mon attention tout à l'heure, et remarquai que le plafond était très haut, plus d'une vingtaine de mètres au-dessus de moi. Une unique fenêtre trouait la roche sombre, un mètre à peine en dessous du haut de la cellule. Elle n'avait pas de vitre, et seuls deux barreaux de fers verticaux l'obstruaient. Je retins un rire jaune. Ces barres grisâtres étaient bien inutiles puisque j'aurais été parfaitement incapable de grimper jusqu'à l'ouverture qui déversait un flot de soleil réconfortant.
Doucement, je m'accroupis, dépliai mes articulations qui craquèrent. Je serrai les dents lorsque mes cuisses tremblèrent, et pris appuis sur le mur quand je me sentis fléchir. Je pris une longue respiration, puis m'avançai à pas lent dans la pièce où j'avais été jetée sans plus de façon. Elle était sans surprise d'une forme rectangulaire, large d'une dizaine de mètres et longue d'une quinzaine. Il y avait des chaînes accrochées à un mur, toutefois je n'avais pas été liée. Ils avaient dû me considérer bien trop faible pour pouvoir m'évader, même sans liens. Bien que ce ne soit qu'une petite chose, j'en fus ravie. Au moins, je pouvais bouger.
Je fis lentement le tour de la pièce, laissant ma main trainer sur le mur, à hauteur de ma hanche, tentant de trouver entre les pierres quelque chose indiquant une chambre secrète ou un passage qui m'aurait amené à l'extérieur… bein quoi, je pouvais bien rêver, non ? Toutefois, bien que je sache qu'il était improbable voire impossible qu'une chose pareille existe, je fus profondément déçue de ne rien trouver.
Je poussai un long soupire, et me plaçai de façon à voir le ciel par la fenêtre. Il était d'un bleu magnifique, pur, parfait. Mais il était si loin. Où étais-je ? Quel était cet endroit ? Pourquoi avais-je été interceptée par cette bande monstrueuse ? Pourquoi avais-je été examinée par ce fou ?
Rien que d'y penser, mon corps tressaillit de toute part, et je ne pus contenir les tremblements nerveux qui parcoururent mon être. Je ne voulais pas y repenser. Ça avait été terrible, et je ne parvenais pour l'instant pas à m'en remettre. Je l'avais sentis, pervers, pénétrer dans mon âme, au plus profond de moi, grattouiller, griffant mon être et forçant les barrières que j'avais levées. Je frissonnai à nouveau et décidai de penser à autre chose. D'un geste instinctif, je croisai mes bras sur ma poitrine. Puis, je me laissai glisser le long du mur. Je tâtai mon pantalon humide et rougis, puis haussait les épaules. Malheureusement, je ne pouvais rien faire pour ça.
Je ne pouvais qu'attendre. Je détestais attendre. D'autant plus que je ne savais pas ce qui allait advenir de moi. Certes, le savoir peut être destructeur, mais l'ignorance et l'attente sont pires lorsque votre vie est entre les mains d'une personne inconnue et effroyablement pervertie.
Je ne savais pas où j'étais. Je ne savais pas dans quel monde j'étais. Je ne savais pas qui étaient ces gens. Je ne savais pas ce qu'ils me voulaient. Et j'avais peur. Terriblement peur.
Peur qui m'envahit doucement, serra ma gorge… j'éclatai en sanglot, et enfouis mon visage entre mes bras.
Ce ne fut que lorsque le carré de lumière eut disparut, et que le ciel se teintait de rose que j'émergeais du brouillard dans lequel j'avais été plongée. Une trappe s'ouvrit sous la porte, et un plateau de fer racla contre la terre. La faim me labourait le ventre, aussi, je me précipitai à quatre pattes sur ce repas. Cruche d'eau douteuse, quignon de pain légèrement rassis, et deux tranches de viande séchée. Un luxe. Je me jetai sur la nourriture, et avalai aussi vite que je pus.
Seulement, mon estomac, qui n'avait pas reçu de nourriture depuis plus d'un jour, se révolta en grondant, et je me retins de vomir mon repas sur le plateau. Ok, c'est compris, la prochaine fois, je mâche. Après ce repas frugal qui ne me rassasia qu'à peine, je me couchai dans un coin de la pièce, et malgré les tremblements qui agitaient toujours mon corps, je m'endormis rapidement, des larmes baignant mes joues.
