Helloooo mes chères et chers! J'ai mis un petit moment à pondre ce chapitre, mais je suis heureuse de vous le donner enfin! J'espère que ce chapitre vous plaira autant qu'à moi :D A chaque fois je me fais avoir par moi-même: je pense toujours que je vais faire un chapitre plus court, et là surprise, il est toujours plus long que le précédent xD Pour votre plaisir ;)
Nous revoilà donc dans la tête de notre chère petit OC (qui aura bientôt un prénom... quoi que je ne parviens pas à me décider tout à fait xD)
Je remercie encore de tout mon coeur La, shadoks, Anna (te revoilà! J'aime tes reviews qui surlignent des choses que je ne vois pas moi-même dans mes chapitres xD), La Plume d'Elena et Sakiie-Chan! Merci, merci, merci pour vos reviews qui gonflent mon petit coeur de joie!
Je n'ai plus qu'à vous dire... Enjoy ;)
Quarante-six, quarante-sept, quarante-huit, quarante-neuf…
Cinquante ! Criai-je à haute voix, tout en me laissant tomber lourdement sur le sol du cachot.
Je soufflai tout l'air que mes poumons contenaient, en fixant le plafond, et remontai mes genoux sur ma poitrine pour tenter de décontracter mes abdominaux. Doucement, je roulai sur mon dos de droite à gauche afin d'atténuer les tiraillements douloureux qui parcouraient les muscles de mon ventre. Piouh, c'était dur le sport quand même !
Mais au fond, j'étais contente. Contente de sentir mon corps s'endurcir au fur et à mesure des journées. Contente de pouvoir m'occuper un peu…
Depuis que l'autre monstre était venu dans ma cellule, trois semaines plus tôt, plus rien ne s'était passé. J'avais attendu avec des frissons d'horreurs le moment où il reviendrait pour me violer, me tuer, m'étriper… mais il n'était jamais revenu, à mon grand soulagement. Mon coup de pied bien placé devait l'avoir fait fuir… hinhinhin ! Non, bien sûr, je savais que ce n'était pas cela, mais j'essayais vainement de réconforter mon pauvre cerveau qui semblait sur le point de disjoncter à tout instant. D'autant plus depuis le soir où le colosse était venu dans ma cellule. Peu après, alors que le ciel se parait de teintes plus sombres, des hurlements s'étaient élevés dans le lointain.
Ils venaient des profondeurs, ils venaient de dehors, et ils étaient remplis de tant d'horreur, que je n'avais pas pu fermer l'œil de la nuit. Ce n'était qu'au bout d'un long moment que j'avais compris que c'était des cris humains, quand j'avais cru entendre quelques mots plus ou moins distincts. Et pire encore, c'était des cris d'humaines. J'avais pleuré toutes les larmes de mon corps durant le reste de la nuit, jusqu'au petit matin, en les entendant exprimer leur terreur, tout en essayant de contrer les images inhumaines qui me venaient en tête.
Je ne savais pas ce qu'ils faisaient avec ces femmes, et je ne voulais pas savoir. Surtout pas. J'étais sûre que si je tentais ne serait-ce que de comprendre, je deviendrai folle. Irrémédiablement folle.
J'avais tellement peur. Peur de perdre la raison et de ne pas me rendre compte, peur de mourir dans ces cellules putrides et puantes, peur de finir comme ces femmes désespérées, peur de me retrouver face au magicien à nouveau, peur de revoir l'immense monstre…
La peur. Voilà tout ce qui m'habitait depuis près de cinq semaines. J'avais peur, peur, peur, peur… Je me réveillai toutes les nuits en pleurant, mon appétit avait diminué, parfois des fortes crises de spasmophilie me prenaient et je tremblai, incapable de bouger, pendant des heures.
Ma peur, déjà bien présente, était accentuée par les effets physiques de ma malnutrition, et de mon stress perpétuel, et sous mes doigts sales, je sentais tous les os de mon corps… Mes joues creuses, mes côtes proéminentes, mon ventre bien trop creusé, mes hanches désormais dénuées de toute graisse, mes fesses où seuls restaient quelques muscles. Parfois, des mèches entières de mes cheveux tombaient, et dans mes pires cauchemars, je perdais aussi mes dents.
Mon manque d'hygiène était tel que je me demandais encore comment je n'étais pas tombée malade. La crasse s'accumulait dans tous les recoins de mon corps, et j'avais attaché mes cheveux sals en un chignon pour éviter qu'ils ne s'emmêlent encore plus. Mes ongles, trop longs, avaient été rongés par mes soins, et chaque jour, j'observai dépitée, les poils recouvrir un peu plus mon corps meurtri.
Et pire que tout… mes règles n'étaient pas venues.
Malgré le fait que j'aime très peu ces dernières… je ressentais leur non-venue comme un manque terrible, qui m'apportait une peur supplémentaire. Je savais, pour avoir lu quelques livres et étudié un peu le métabolisme humain, que ce n'était pas bon, quand une femme n'avait plus ses règles. Pas bon du tout.
Je soupirai et étendit mes jambes trop lourdes, en fixant le plafond. L'inconfort du sol ne parvenait même plus à me faire mal au dos. Je savais que mes conditions de vie étaient tout à fait horribles, mais un peu malgré moi, je m'émerveillais de la faculté d'adaptation de mon corps… Du style : je ne sentais plus mon odeur, qui devait être immonde. Mes oreilles s'étaient habituées aux râles des autres prisonniers je ne les entendais plus, tout comme les cris de ces femmes. Mon dos, habituellement pointilleux quant à la dureté du matelas, ne se plaignait plus du sol dur et inconfortable et mes muscles, que je travaillais un peu chaque jour, s'étaient endurcis. Mon estomac ne gargouillait plus comme au début, semblant s'être habitué à cette faim perpétuelle… ou s'était simplement rétréci.
Bref, tous ces changements étaient aussi perturbants que fascinants.
J'avais même appris quelques mots de ce langage rugueux qu'était celui du geôlier. Mais je ne savais pas si ces mots pouvaient être employés à toute occasion, puisque c'était ceux qu'il me criait lorsqu'il ne désirait plus entendre ma voix parfaite. A la longue, je les connaissais par cœur, en ne sachant quelle était l'exacte traduction, je préférais ne pas les utiliser. Je les gardais tout de même dans un coin de ma tête, certaine que cela pourrait me servir un jour prochain.
Mais je commençais à trouver le temps long, et alors qu'au début j'étais persuadée d'être libérée rapidement, cet espoir fou s'envolait peu à peu, remplacé par une attitude résignée qui m'effrayait. Mon âme de battante, avide de liberté et d'espace, semblait peu à peu se taire, faisant place à une lassitude écœurante. Je n'avais plus envie de manger, plus envie de chanter, plus envie de vivre. J'avais longtemps espéré que mon véritable pays, mon monde, me ré accepterait en son sein. Mais je m'étais clairement fourvoyée, et j'étais visiblement condamnée à survivre dans cet univers si différent… si dur, pour le restant de mes jours.
Ce constat désespéré me donnait envie de m'étouffer dans ma tristesse. Mais je n'avais plus de larmes pour pleurer, et j'étais fatiguée d'une telle chose.
Parfois, il m'arrivait de vouloir rester des heures entières, allongée par terre, à contempler de mes yeux vides le plafond irrégulier de ma cellule, cherchant simplement la force de me lever, d'affronter cette nouvelle journée. Souvent, je ne le pouvais pas. Je n'y arrivais plus. A quoi bon me mettre sur mes deux pieds, puisque je n'avais nulle part où aller ? A quoi bon chercher un moyen de m'enfuir, puisqu'il y en avait aucun ? A quoi bon espérer, puisqu'il n'y avait même plus d'espoir ?
J'étais desséchée, comme une plante laissée trop longtemps sans eau. Mon cœur s'était ratatiné tout au fond de ma poitrine, mes canaux lacrymaux, ma tête, mon esprit, mon âme, étaient inexorablement vides. Vidés de toute vie. Pourquoi vivais-je encore, d'ailleurs ? Je n'avais pas ma place ici, et je n'avais de toute façon plus aucune raison de vivre. Peut-être que si je me donnais la mort ici, je reviendrai dans ma véritable vie ? En France, près de ma famille et de mes amis ?
Insidieusement, une voix me soufflait toutefois que ce ne serait pas le cas. Si je mourrai ici, je mourrai pour de bon, sans avoir revu mon chez moi. Ce dernier point me répugnait assez pour éloigner de moi toutes les idées suicidaires qui traversaient régulièrement mes pensées. Et puis, malgré mon stade avancé de dépression, je savais que je n'étais pas prête à mourir. Je n'étais pas prête de voir la vie s'échapper de mon corps, et surtout pas prête à me faire le moindre mal.
Je ne savais pas exactement ce qui me retenait de faire un tel geste, mais c'était ce qui ravivait souvent la minuscule flamme, dangereusement vacillante, qui brûlait encore tout au fond de moi. Une flamme de vie.
A nouveau, je soupirai et plantai mes yeux fatigués sur le plafond, incapable de continuer ma série. Je n'avais plus de force, autant physiquement, que mentalement. Doucement, en utilisant une légère impulsion, je me retrouvai assise. Je fis passer mes jambes sous moi, puis me tint accroupies quelques secondes. Je plaçai mes mains sur mes genoux et dépliai doucement ceux-ci, après quoi, vertèbre par vertèbre, je déroulai mon dos devenu dur et noueux comme du bois, à force de dormir à même le sol.
Une fois debout, je me mis sur la pointe des pieds, levai mes paume de main vers les hauteurs, et étirai mon corps douloureux avec délice, laissant échapper un léger soupir de plaisir.
Après quoi, je m'approchai de la porte, tentant d'apercevoir le couloir entre les interstices. C'était une habitude qui j'avais prise durant les dernières semaines, alors que je dépérissais d'ennui et de désespoir. Regarder à travers les minces fentes me permettait d'espérer la venue d'un bouleversement. Quelque chose qui me permettrait de tenir le coup, de ne pas devenir complètement folle. Jusqu'à présent, rien ne s'était jamais passé, mais je persistai, incapable de m'arrêter.
Je laissai tomber mon front contre la porte, et mes épaules s'affaissèrent. Evidemment, il n'y avait rien, dans le couloir. A quoi m'étais-je attendue ? J'eus toutes les peines du monde à ne pas m'écrouler de déception, et restai campée sur mes deux jambes, puisant dans mes maigres forces pour résister à la gravité.
Doucement, retenant des larmes qui ne viendraient pas, je basculai mon visage vers le ciel. Emettant un appel désespéré, qui résonna dans les tréfonds de mon âme. « Je vous en supplie, faites quelques chose. N'importe quoi. N'importe quoi… qui puisse m'aider… N'importe quoi… »
Un grondement assourdissant empli l'air devenu affreusement dense, et dans un craquement monstrueux, le ciel se déchira pour déverser ses larmes sur les terres arides qui entouraient la tour. Il pleuvait. Pour la première fois depuis cinq semaines, il pleuvait. Surprise, presque incapable de croire ce que j'entendais et voyais, je m'approchai du mur qui portait la seule fenêtre de la pièce. Quelques gouttes me tombèrent sur le visage, et tremblante, je portai mes doigts à mon visage pour les recueillir. Interloquée, j'observai longuement le ciel criblé de nuages lourds et sombres, aux contours menaçant, parfois traversés par des flashes de lumière d'une violence particulière, qui ébranlaient la tour.
Je ne sais combien de temps je restai ainsi, à regarder avec une fascination complète les cieux en colères, mais lorsque je détournai mes yeux de ce spectacle sublime, j'entendis des cris, et des hurlements inhumains se propager dans ma cellule, provenant des hauteurs. Je fronçai les sourcils, en essayant de comprendre ce qui se passait. Habituellement, les tortures étaient faites en bas, de ce que je pouvais entendre, toutefois, les brefs plaintes que j'entendais, et qui inondaient la plaine venaient du haut de la tour.
Pour échapper aux tourments de ces cris, peu nombreux, mais emplis de souffrance, je me roulai en boule dans un coin de la pièce, en protégeant mes oreilles écorchées de mes deux mains. Comme je le faisais souvent, désormais, je me balançai convulsivement d'avant en arrière, espérant que ces hurlements passeraient, et que le tonnerre qui déchirait le ciel cesserait. Je m'endormis au bout de plusieurs heures, éreintée.
Ce fut des bruits de pas qui me réveillèrent en sursaut, bien plus tard. L'orage s'était tu, laissant place à un ciel sombre et torturé, marbré de nuages noirs. Le cœur battant, je me relevai rapidement, et me précipitai vers la porte, espérant voir celui qui s'approchait. En écoutant plus attentivement, je distinguai trois différents échos me révélant la venue de trois individus, et une sorte de raclement… quelqu'un était traîné dans le couloir.
Je m'agrippai aux aspérités de la porte, comme une noyée à sa bouée, tentant d'apercevoir quoi que ce soit entre les interstices. Etait-ce quelqu'un qui venait de mon monde ? Où l'emmenait-il ? Que se passait-il ? Venait-on me libérer ? Lorsque cette dernière question fusa dans mes pensées, je me retins fortement de rire, sachant que cela était évidemment impossible. Après quoi, je me reconcentrai sur la venue impromptue de ces créatures.
Les pas se rapprochèrent de mon cher cachot, et bientôt, je pu voir des crocs, des yeux aux pupilles verticales, et des peaux sombres comme les ténèbres. Lorsqu'ils s'arrêtèrent devant ma porte, je me rejetai de toutes mes forces vers le fond de ma cellule, affolée. Je me collai contre un mur en essayant de me fondre dans l'obscurité. Une peur panique enveloppa mon corps entier et mon cœur se mit à battre de toutes ses forces contre mes côtes.
Le claquement du verrou résonna dans la pièce, et des tremblements s'emparèrent peu à peu de mes membres, tandis que des images terribles traversaient mes pensées torturées.
Brusquement, la porte s'ouvrit, et je crus défaillir. Un des êtres monstrueux jaillit dans la cellule, semblant chercher quelque chose, puis ses yeux tombèrent sur moi, pitoyable créature collée contre le mur, et avec un ricanement affreux il éructa quelques mots que je ne compris pas. Heureusement, il ne fit aucun pas vers moi, et je compris seulement qu'il vérifiait si j'étais toujours là, et si je ne comptais pas m'enfuir en voyant la porte ouverte. Vu mon état actuel, je n'aurais même pas été capable d'effectuer un pas sans m'écrouler.
La créature se retourna vers le couloir, où brûlait une torche qui m'empêchait de voir ce qu'ils portaient… ou plutôt, qui ils portaient. Mes yeux, peu habitués à la lumière vive de la flamme mirent un moment à comprendre ce qu'ils voyaient. Deux autres monstres, tout aussi horribles, entrèrent dans la cellule, peinant visiblement sous le poids de celui qu'ils portaient. La peau très sombre du corps imposant qu'ils trainaient péniblement ne me trompa pas, et mon cœur faillit cesser de battre lorsqu'ils pénétrèrent tout à fait dans la pièce.
Sans quitter des yeux ces étranges individus qui sortaient tout droit de mes pires cauchemars, je glissai le long du mur pour me tenir le plus éloigné possible de leurs doigts griffus, et de leurs crocs jaunis. Mon corps tremblant ne semblait plus pouvoir me porter, toutefois, je parvins lentement à creuser une distance acceptable entre ces monstres et moi-même. Je ne savais pas de quoi ils étaient capables, et je n'avais certainement pas envie de le découvrir. Leur vue seule me suffisait à me remplir d'épouvante.
Celui qui m'avait adressé quelques mots à son entrée émit un claquement de langue, marquant son impatience, tandis que les deux autres tentaient de redresser le corps inerte qu'ils tenaient de toute la force de leurs longs bras maigres. Après quelques tentatives, ils parvinrent à plaquer le dos du colossal individu contre le mur, afin de lier ses poignets aux larges chaines qui pendaient au mur. A nouveau, le troisième cracha quelques mots durs et tranchants, puis vint vérifier les attaches, testant la solidité des épaisses chaînes noires. Après quoi, il fit claquer les clefs dans les anneaux massifs qui entouraient les poignets de l'imposant corps, toujours inerte. Alors, ils reculèrent, et contemplèrent quelques secondes l'immense être enchaîné. Soumis par son état d'inconscience, mais écrasant par la force que dégageait sa stature.
Quelques mots claquèrent dans l'air, et les deux porteurs s'esquivèrent par la porte grande ouverte de laquelle entrait la lueur vive de la torche. La troisième, que je reconnu enfin en le geôlier qui me hurlait de me taire lorsque je chantais trop longtemps, resta quelques instants de plus. Le cœur battant à tout rompt, je demeurai immobile, ne le quittant des yeux.
Et soudainement, il se mit à ricaner tout en se tournant vers moi. Il prononça quelques paroles incompréhensibles en secouant la tête, une lueur sadique dans le regard, puis, il sortit, et le verrou claqua à nouveau. Je faillis me ruer sur la porte, paniquée. Ils n'allaient pas me laisser avec cette monstrueuse créature ?! Il allait me manger, me tuer, me violer ! Non ! Ce n'était pas possible ! Que s'était-il passé ? Pourquoi ? Pourquoi !
Ma respiration se fit plus pressante, raclant ma gorge nouée par l'angoisse. Je bloquai mon regard sur la masse imposante, sombre, du monstre. Il était pendu par les bras, les genoux à terre, sa tête pendant lamentablement entre ses deux épaules. Ses longs dreadlocks touchaient par terre, coulant de chaque côté de son visage, couvrant ses traits.
Je pris une longue inspiration, tentant de calmer la peur effroyable qui courait dans mon corps tremblant. Doucement, je me laissai tomber le long du mur rugueux, et entourai mes genoux de mes bras, tentant d'apporter réconfort et chaleur à mon être terrifié.
Le reste de la nuit fut si… long. Le colosse ne bougea pas une fois, et malgré la peur qui m'étreignait étroitement, je ne pus empêcher ma tête de vaciller et mes yeux de se fermer. Plusieurs fois, je me réveillai en sursaut, paniquée, tentant vainement de comprendre pourquoi ils avaient laissé ce monstre dans ma cellule. Je ne dormis que très peu, et lorsque je parvenais à m'enfoncer dans les bras de Morphée, ce n'était que pour rêver de l'être massif se délectant de mon sang et de ma chair.
Ce ne fut que lorsque l'aube pointa le bout de son nez, qu'un bruit de chaîne me réveilla tout à fait. Je redressai brusquement la tête, clignant plusieurs fois des paupières pour ajuster ma vue à la faible luminosité de la pièce, et quand enfin mes yeux englués de sommeil se posèrent sur le corps du monstre, ma respiration fut subitement coupée. Là, dans les lueurs claires du jour, je pouvais nettement apercevoir ce que la veille, la pénombre profonde m'avait cachée.
Un liquide noir et luisant le couvrait entièrement, dégoulinant doucement le long de ses cheveux et de ses jambes. Je suivis des yeux ces étranges écoulement sombres, et lorsque mes prunelles tombèrent sur la flaque poisseuse qui s'étalait à ses genoux, je compris que ce fluide étrange était du sang. Son sang.
Horrifiée, je relevai lentement mon regard. Des blessures profondes couvraient de larges portions de son corps, dévoilant chair et creusant dans sa peau des sillons noirâtres. Il avait été mutilé de toute part ! Les coupures béantes suintant du sang noir, et les lambeaux de chair brûlées témoignaient des horreurs qu'il avait dû subir. Sa respiration sifflante s'élevait faiblement dans la pièce, et sa poitrine massive tremblait à chaque inspiration. Je frissonnai, incapable de comprendre comment on pouvait infliger de telles tortures à un être vivant, même à un monstre comme lui.
Cependant, malgré l'horreur profonde que m'inspirait son état, je ne bougeai pas, trop effrayée. Le titan remua légèrement ses bras, et les chaînes cliquetèrent à nouveau. Un grognement s'éleva doucement de sa poitrine, tandis que lentement il relevait son visage, tirant sur les muscles de ses épaules, probablement ankylosés. A travers ses cheveux poisseux, deux yeux jaunes aux pupilles verticales me fixèrent et je me figeai, tentant de paraître invisible, de me fondre dans le mur.
Mon immobilité n'abusa bien évidemment pas le colosse qui gronda sourdement, en tenta de se relever, tirant sur ses blessures et ses muscles raidis, faisant ruisseler sur son corps des filets de sang noir.
-Non ! Criai-je malgré moi, en me levant à demi, une main ouverte devant moi afin de lui faire comprendre qu'il devait arrêter son geste.
Il entendit mon cri, j'en étais sûre, car ses oreilles étrangement pointues bougèrent légèrement dans ma direction, toutefois il ne daigna pas m'écouta et continua stupidement à essayer de se mettre debout. Je me levai dans l'intention de le retenir, et m'avançai vers lui sans réfléchir. Mais bien avant que je ne l'atteigne, il se hissa dans un grognement sur ses deux pieds, et avec lenteur, déroula son dos, se redressant de toute sa taille. Je m'arrêtai brutalement, à quelques pas de lui. Il était gigantesque ! Je levai mon regard vers son visage, et restai pantoise : c'était Lui ! Celui qui m'avait amenée dans ces cachots ! Celui qui m'avait kidnappée et qui était venu me voir quelques semaines plus tôt !
Un mélange de peur et de colère se distilla alors en moi. Je lui arrivais à peine à la poitrine, et ma force face à la sienne devait égaler celle d'une mouche devant un éléphant, mais je n'en avais cure ! Il était celui qui m'avait fichue dans la mouise, et pour ça, je n'allais pas l'aider. Tout était de sa faute !
Pourtant, lorsqu'un râle de douleur s'échappa de son corps, mes résolutions faillirent brusquement, et alors qu'il tombait à nouveau sur ses genoux, je m'approchai d'un geste. Je ne savais pas exactement ce que je comptais faire, une fois à ses côtés, mais j'étais incapable de rester indifférente face à ses souffrances. Ne me demandez pas pourquoi : je ne savais même pas moi-même ce qui me passait par la tête ! Donc, soit j'étais folle à lier, soit complètement débile. Peut-être un peu des deux, finalement…
Il tremblait de tous ses membres, et des filets de sang s'écoulaient de ses blessures béantes. Lentement, je m'approchai et tendis ma main vers lui, je ne sais dans quel but et je ne pus jamais terminer mon geste pour le savoir, car à travers sa souffrance, il sembla prendre conscience de ma présence, et brutalement, rugit de toutes ses forces dans ma direction, en montrant ses crocs luisants, les yeux fous, les muscles contractés. Je me jetai en arrière, terrorisée par la haine et la douleur qu'il dégageait, et rampai à reculons jusqu'à ce que ma tête cogne le mur opposé.
Un ricanement méprisant se fit entendre dans le couloir, et quelques secondes plus tard, le bruit d'un plateau raclant le sol emplit la pièce. Je gardai mes yeux rivés sur le colosse, méfiante au possible. Cependant, il ne fit aucun geste prouvant qu'il avait vu la nourriture et l'eau. Sa respiration était forte et saccadée, ses muscles tremblaient et apeurée, je restai prostrée dans mon coin, incapable de bouger après m'être fait rejetée de la sorte. Je n'osai même pas aller prendre une gorgée d'eau, malgré la sécheresse insoutenable de ma gorge.
Alors, je fis ce qu'il y avait de mieux à faire : j'attendis. Je n'avais pas de montre, aucun repère pour m'aider, et je ne savais comment le temps s'écoulait ici, mais j'étais certaine d'être restée dans ma position plusieurs heures d'affilées. Jusqu'au moment où il s'affaissa. Aussitôt, je me relevai en grimaçant, mes membres ankylosés par mon immobilité. Doucement, sans faire de bruit, j'approchai du plateau et l'emportai vers mon coin. Il contenait la même chose que les mois précédent, c'est-à-dire presque rien. Cela aurait été supportable s'il n'y avait que moi dans la cellule, mais désormais je la partageais avec le monstre. Cela voulait-il dire que je devais partager ces maigre repas avec lui ? Visiblement oui.
Je soupirai, découragée. Il n'y avait pas même de quoi me faire vivre, sur ce plateau, comment un colosse comme lui allait-il survivre avec si peu de choses ? Je fus subitement prise d'une pensée égoïste qui me gela sur place : et si je gardais tout pour moi ? Après tout, il était attaché ! Je n'avais qu'à le laisser mourir de faim, ce n'était qu'un monstre après tout…
Aussitôt, l'horreur de mon raisonnement m'étreignit et je faillis vomir. Je me dégoûtais… comment pouvais-je penser une chose pareille ? Ne m'avait-on pas toujours appris à être bienveillante ? A partager ? A donner à ceux qui en avaient besoin ? Qu'importe s'il était différent, il souffrait ! J'avais honte, tellement honte ! Moi qui jugeais à l'apparence et au peu que je voyais ! J'étais comme les premiers blancs, qui avaient vu les noirs comme des êtres inferieurs et les avait dénigrés pendant tant de générations ! J'étais même pire ! Comment pouvais-je mériter de vivre ? Mes ancêtres m'auraient craché dessus pour cette attitude ignoble ! Et je l'aurais amplement mérité… Il souffrait. Qu'importe qui il était, ce qu'il avait fait. Il souffrait.
Je me débattis encore des minutes entières contre moi-même. Puis, tremblante de dégoût, je serrai les poings, et pris une longue inspiration.
Avec lenteur, j'attrapai la cruche et la soulevai. Mes yeux papillonnèrent un moment, passant de l'eau au titan. Puis, prudemment, je m'avançai vers sa silhouette massive. Pour me rassurer, je tâtai sa jambe du bout de mon pied nu. Il ne broncha pas. Soulagée, je m'approchai encore, posai la cruche à terre et recueilli dans le creux d'une de mes mains un peu du précieux liquide. Doucement, je renversai sa tête ballante en arrière, et versait le contenu de ma paume entre ses lèvres, prenant soin d'éviter du regard les crocs aiguisés qui jaillissaient de sa bouche. Par réflexe, il déglutit sans pour autant se réveiller.
Heureusement qu'il était à genou, car sinon j'aurais été bien trop petite pour pouvoir l'atteindre ! Je réitérai mon geste plusieurs fois jusqu'à être à peu près satisfaite, bien que je ne connaisse pas la soif exacte du monst… du… du géant.
Après quoi, gardant toujours mon regard rivé sur lui –prête à bondir au moindre mouvement- je me penchai pour attraper la cruche. Je bus une toute petite gorgée puis amenai le récipient près de l'une de ses blessures. Je pris une longue respiration, et laissai couler un fin filet d'eau clair sur la peau sombre du titan. Je jetai un coup d'œil méfiant sur son visage, et ne voyant rien bouger, je levai ma deuxième main pour frotter doucement sa peau non lésée, essayant de nettoyer les pourtours de ses plaies. La plupart avaient cessé de saigner, mais certaines étaient encore suintantes et je me contentai de mouiller autour, ne sachant comment guérir de telles choses.
Plus je m'aventurais à nettoyer cet immense corps, plus je retenais des haut-le-cœur en voyant l'état lamentable dans lequel il se trouvait. Je ne faillis reculer qu'un à seul moment, durant ma besogne : quand la créature émit un grognement que j'interprétai comme étant un grognement de soulagement. Mais elle ne se réveilla pas, ou tout du moins n'ouvrit pas les yeux et ne fit aucun geste brusque, ce qui me suffisait amplement.
Au bout du compte, je n'eus pas assez d'eau pour nettoyer toutes les plaies. Je me retirai donc après avoir fait mon maximum, et partageai équitablement les maigres denrées qu'ils nous avaient données.
Puis, épuisée par ma longue nuit et ces derniers évènements éprouvant, je m'endormis, recroquevillée dans un coin de la pièce, suffisamment éloignée du titan, l'esprit plus léger que la veille.
