Helloooooooow tout le monde!

Oui, je sais, j'ai beaucoup tardé pour ce chapitre, et je n'ai aucune excuse valable, alors je vais simplement vous présenter mes plus plates excuses... Huhu...
Je suis estomaquée par le nombre de reviews que j'ai eu sur le dernier chapitre, cela ne pouvait être meilleur cadeau pour Noël et toutes les fêtes! Merciiiiiiiii!

Je remercie donc:

Aliena wyvern, Sakiie-chan, Neiflheim, La Plume d'Elena, (Toujours présent(e)s, merci, merci, merci!)

La (Moi aussiiiii je me suis dit récemment que les Uruks ne pouvaient pas être que noirs! Ils ont été créés par quelque de corrompus et bridés à être mauvais, mais peut-être qu'avec quelqu'un d'autre il auraient été tout à fait différents, c'est ce que j'aimerais essayer de montrer dans cette fanfiction!)

Cam (Heureusement que la curiosité a été plus forte sur ce coup-là ;) )

L'allien (Mercii pour le prénom, je voulais quelque chose de simple et qui ne fasse pas trop excentrique... ou elfe quoi xD et pour tout te dire je n'ai pas lu la fanfiction de Howlsoul donc je ne sais pas xD)

Anna, Eclipse1995, Roselia001 (Merci à vouuus, ça me fais super plaisir!)

Ebene (Hahaha, merci à toi, c'est vrai qu'elle n'a toujours pas eu son beignet, pauvre petite! Peut-être... un jour prochain xD)

oOo

Pour ce chapitre-là, je vais peut-être mettre un attention aux âmes sensibles pour quelques descriptions de combat un peu sanglant. Je pense que c'est encore assez soft, mais au cas où je préviens!


L'eau était partout, m'emprisonnant dans un étau glacé et compact. Je me débattais en vain pour chasser ce liquide vicieux de ma vue mais il revenait sans cesse, s'infiltrant dans mes pores, dans mes oreilles, dans ma bouche et mon nez, glissant le long de mon œsophage et parfois, de ma trachée. Je suffoquai. Le fluide boueux s'engouffra dans mes poumons, noyant mes bronches et mes bronchioles. Une douleur aigüe se propagea dans ma poitrine entière, et j'ouvris la bouche pour prendre une inspiration afin de hurler, mais rien ne vint si ce n'est de l'eau et je compris que j'allais mourir. Mon corps fut pris d'étranges spasmes tandis que sous mes yeux exorbités, je voyais mes mains se tendre vers la surface afin d'attraper quelque chose, n'importe quoi, qui pourrait me sauver. Mais rien ne rencontra mes doigts tremblants. Mes forces me quittèrent subitement. Avec effort, ma tête commençant à tourner dangereusement, je me recroquevillai.

Je m'étais faite opérer de mes dents de sagesse, un an plus tôt, parce que j'avais la mâchoire trop petite pour les contenir toutes. L'opération s'était parfaitement bien déroulée et je n'avais bien sûr gardé aucune séquelle, toutefois, un souvenir particulier m'était resté. Celui de l'anesthésie. J'avais choisis une anesthésie générale, parce que je ne tenais pas à voir le chirurgien-dentiste se pencher sur ma bouche avec des instruments étranges, et surtout parce que je n'aurais probablement pas supporté d'entendre les craquements sympathiques de mes dents sauvagement arrachées pendant une heure entière. Bref, j'avais préféré dormir le temps de l'opération, d'autant plus que j'avais très envie de savoir quel était l'effet exact de la morphine sur le corps, et ce qu'on ressentait lorsque l'on s'endormait. Eh bien… ce n'était pas aussi marrant que ce qu'on pouvait penser ! Cela n'avait pris que quelques minuscules secondes durant lesquelles ma tête avait brutalement tourné, puis j'avais eu l'impression de m'enfoncer sous terre, le cerveau compressé par un étau de fer. Et je m'étais endormie. Ou évanouie, je ne savais pas quel était le bon terme.

J'avais la sensation de revivre cette impression terrible de tournis. Doucement je m'enfonçais dans le noir, le cerveau hurlant de douleur sous l'asphyxie qui lui était imposé. Mais, contrairement à ce que je pensais, je ne m'éteignis pas tout de suite. Je restai consciente quelques secondes, tandis que mon corps glissait doucement vers le fond de la cellule inondée. Ces quelques secondes me permirent de revoir et de ressentir une dernière fois ce qu'avait été ma vie, avant tout cela. Je revis mes parents adoptifs, souriants. Mon père m'offrant des sucreries dans le dos de ma mère. Mon premier chagrin d'amour, ma meilleure amie en train de me faire une grimace pendant que nous nous brossions les dents côte à côte. Je me revis durant les cours, ou en train de danser à une soirée, pleurer la mort de mon chien, rire à grand éclat devant les bêtises de mes cousins, manger un merveilleux repas de Noël avec ma famille, prendre l'avion pour retourner dans mon pays d'origine en compagnie de ma mère adoptive, partager une pomme d'amour avec mon ancien petit-ami, aller au club de gym, prendre ma meilleure amie dans mes bras, manger un beignet…

Oui… C'était à partir de là que tout avait changé, que tout était devenu sombre et étrange ! Un drôle de sentiment se fraya un chemin jusqu'à ma conscience, qui continua son introspection. Je me revis sur le dos de Narghaash qui courait en direction de la tour, je revis le sorcier blanc, mes journées à chanter dans la cellule, mes maigres repas, mes côtes apparentes, mes petits entrainements, le visage du geôlier, sa phrase préférée, les monstres qui avaient attachés Narghaash dans le cachot, son rugissement lorsque j'avais voulu l'approcher et les jours passés à le nourrir, à lui donner à boire. Et puis, la façon dont il avait grondé lorsque j'avais répété son prénom… Après… ce n'était que froid, misère, terreur, eau…

Je me sentis partir. Lentement. Ma vision s'étrécit, les battements de mon cœur ralentirent et je plongeai avec délice dans la noirceur, qui m'appelait… Emilie… Emilie… Emilie…

Je ne sentis qu'à peine l'étreinte brusque qui ceignit mon bras. Soudainement, ma tête se trouva hors de l'eau. Mais je n'avais plus de force, et mes poumons étaient engorgés d'eau. Je restai immobile, incapable de bouger, incapable de rester en vie. Je sentis vaguement que l'on me secouait en tous sens, et tandis que je basculai doucement vers la mort, une douleur insupportable se propagea depuis mon sternum jusqu'au cou, et dans un spasme subit, mon corps s'arqua. Je vomis ce qui me sembla être des litres d'eau, et des larmes jaillirent de mes yeux sous la douleur. Crachotante, pantelante, tremblante, je sentis qu'on me tenait fermement le bras. Je restai quelques instants les yeux fermés, occupée à vider les flots qui s'étaient engouffrés dans mes poumons. Une fois que cela fut terminé, j'inspirai une grande bouffée d'air qui me brûla la gorge, et qui fit accélérer mon cœur.

J'ouvris alors les yeux, et découvris Narghaash à deux pas de moi, debout, de l'eau jusqu'à la taille. Mon regard glissa sur son visage. Ses oreilles pointues étaient légèrement rabattues vers l'arrière. Je ne parvins à déchiffrer son expression tant elle était étrange, et lasse je renonçai à essayer. Je tentai alors de regarder autour de moi, mais mon cerveau était trop fatigué, et je restai concentrée sur lui. C'était plus facile. Son corps sombre se découpait clairement sur le décor clair et miroitant. Miroitant ? Je fronçai les sourcils, puis incapable de tourner mon corps qui ne tenait debout –je ne le remarquai qu'alors !- que grâce à l'eau qui m'arrivait à la poitrine, je découvris la scène qui se jouait tout autour de moi et restai abasourdie. Nous n'étions plus dans la cellule, mais à côté de la fenêtre que j'avais si souvent observée d'en bas. Nous étions dehors, et il y avait de l'eau partout. Elle léchait le pied de la tour et s'étendait comme un immense lac jusqu'à l'orée d'une forêt, qui me semblait lointaine.

Mais ce qui me stupéfia le plus, ce fut de voir des arbres… oui, oui, des arbres marcher, rugir, lancer des cailloux, et écraser des monstres sous leurs pieds. Je restai immobile, portée par les flots, la bouche grande ouverte, incapable de comprendre les informations que mes yeux m'envoyaient. Un spectacle magnifique, j'en étais certaine. Je serais restée encore un long moment à les contempler bêtement, si l'un des végétaux géants ne nous avait pas repérés Narghaash et moi, plantés comme deux imbéciles au pied de la tour.

Narghaash fut bien plus rapide que moi à réagir. Il faut dire que mon corps ne m'obéissait plus bien, et que j'étais incapable de mouvoir ne serait-ce que mon petit doigt, tant je me sentais engourdie. Ce devait probablement être le contrecoup de ma récente noyade.

Je sentis la poigne autour de mon bras se resserrer, mais ne fit aucun commentaire, mes yeux agrandis par la terreur. L'arbre vivant s'approchait de nous à grands pas, brandissant un bout de rocher faisant deux fois ma taille avec l'intention évidente de nous écraser. Soudainement, je fus puissamment tirée à travers les flots, et un léger cri naquit dans ma gorge, sans qu'il ne passe la barrière de mes dents serrées. Je relevai difficilement la tête, et aperçu Narghaash, fendant les flots, ses muscles puissants brisant l'onde en deux. Des rugissements semblables à de drôles de craquements de bois surgirent tout autour de nous, tandis que les autres arbres-vivants prenaient conscience de notre présence impromptue au milieu d'eux. La panique affluant dans mon corps flasque, je tournai la tête de tous côtés. Ils étaient beaucoup trop ! Je tentai de me redresser, et pris pieds sur le sol encombré de détritus.

L'eau m'arrivait au-dessus de la poitrine et mes jambes ne répondaient pas. Je trébuchai lamentablement, mon cœur battant à toute allure contre ma cage thoracique. J'entendis Narghaash grogner. Il s'arrêta brusquement, se retourna légèrement vers moi, et ses yeux se posèrent un instant sur mon visage. Et je compris ce qu'il voyait en moi : je n'étais qu'un boulet. Sans moi, il aurait déjà parcouru la moitié du terrain inondé et serait quasiment hors de portée des végétaux mouvants. Une peur panique se répandit dans mon corps, lorsque je compris qu'il allait me laisser ici, pour sauver sa peau. Je plongeai mes yeux dans les siens, le suppliant de m'emmener avec lui. Mais qui étais-je pour lui ? Je n'étais qu'une pauvre fille sans force, qui l'empêchait d'avancer. Une pauvre loque errante qui ne comprenait rien à sa vie, et surtout, qui ne servait à rien. Rien. Je n'étais rien, ici. Je failli gémir de frayeur, mais me contint au dernier instant. Dans un même temps, une compréhension certaine monta en moi, et je me dis que si j'avais eu l'occasion, j'aurais probablement fait pareil. Je serais partie en le laissant… Prête à embrasser mon destin –après tout, j'avais déjà failli mourir une fois, qui étais-je pour repousser ainsi l'heure de ma mort ?- je tentai de me défaire de la poigne du colosse.

Un grondement arrêta mon geste, et ses larges doigts foncés se refermèrent sur mon poignet avec encore plus de force. Je relevai les yeux et les plongeai dans les siens, le cœur au bord des lèvres. L'hésitation qui avait auparavant scintillée dans les prunelles de Narghaash avait disparue, remplacée par une franche détermination. Je fronçai les sourcils, mais avant que je ne puisse prononcer le moindre mot il se retourna, se baissa légèrement, et à la force d'un seul bras me tira hors de l'eau glacée pour me plaquer contre son dos. Presque aussitôt, je m'agrippai de toutes mes forces à ses épaules, et instinctivement, mes jambes s'enroulèrent autour de sa taille. Quelques secondes plus tard, il se jetait sur le côté pour éviter un projectile, et se remettait à courir en direction de la forêt.

J'étais ballotée en tous sens, mais je n'en avais cure. Il courait pour nos vies, et je n'allais pas me plaindre du mauvais traitement de mon corps en pareille circonstance. Sous mes bras crispés, je sentais les pulsations puissantes et rapides du cœur de Narghaash, m'indiquant l'effort considérable qu'il fournissait pour nous sortir de là. Sans cesse, des arbres-vivants nous barraient le passage en rugissant, et sans faillir le colosse les contournait en feintant, faisant jouer les muscles puissants de ses cuisses, crevant l'onde avec la force d'une locomotive lancée à pleine puissance. Il courait, esquivait les rochers et les divers projectiles qui nous étaient lancés, sautait par-dessus les objets qui nous barraient le passage, se jetait sur le côté pour éviter d'être cueillit au passage par les bras noueux des végétaux… Et moi, je tentais de me faire le plus petite possible, me recroquevillant sur moi-même pour ne pas le gêner dans ses mouvements. Je savais que le moindre faux pas nous conduirait inévitablement à la mort, et je n'avais pas envie de retenter cette expérience désagréable.

Jamais il ne ralentit, malgré le poids conséquent qu'il portait sur son dos, et ses plaies probablement douloureuses d'où s'écoulaient –pour certaines- du sang noir et poisseux qui imbibait mes vêtements déjà trempés.

Finalement, après un temps qui me parut une éternité nous atteignîmes la bordure de la plaine, où l'eau laissait place à la terre et à la forêt. Les arbres-vivants avaient renoncés à nous suivre lorsqu'ils avaient vu que nous nous dirigions vers l'immense et sombre bois. Sentant que le danger s'était éloigné, Narghaash se retourna un instant pour contempler la tour d'ivoire, fièrement dressée au milieu de l'étendue miroitante. Agrippée à son dos et peu décidée à le lâcher, je laissais également mes yeux se promener sur le paysage pittoresque. Puis, piquée par une drôle de curiosité, j'observai ces étranges végétaux doués de vie qui marchaient calmement, à présent, cherchant sans doute les derniers survivants du massacre.

C'est alors que mon attention fut retenue par deux petites choses qui gesticulaient étrangement, sur l'un des arbre-vivant. Fronçant les sourcils pour tenter d'apercevoir ce que c'était, je mis quelques secondes à comprendre que c'était probablement des êtres vivants, autre que des monstres. Mais la distance et la fatigue me jouaient des tours et je ne parvenais pas à voir distinctement ce qu'ils faisaient, ainsi perchés dans les branches de ces étranges créatures. Je laissai rapidement tomber, trop épuisée pour réfléchir et me concentrer aussi intensément. Et malheureusement, dans mon état, je ne pouvais rien faire pour eux.

Nous restâmes encore quelques minutes dans cette position, et j'en profitai pour détendre légèrement mes muscles crispés, laissant le temps à Narghaash de se gorger une dernière fois de ce paysage. Je n'avais pas très envie de me plonger dans l'étude psychologique profonde de ses pensées, mais j'étais assez éveillée pour comprendre qu'il s'apprêtait à quitter l'endroit dans lequel il avait toujours vécu, et même si ce n'était -à mon goût- vraiment pas terrible, cela devait lui faire quelque chose. Que ce soit du bien, ou du mal, je ne savais pas, et pour le moment je n'avais pas envie de savoir : Je venais d'échapper par deux fois à la mort, j'étais trempée, mes poumons me brûlaient comme jamais, mes muscles étaient tétanisés, alors je n'avais plus la force d'éprouver le moindre sentiment.

Les seuls points positifs que je pouvais relever, sur le moment-même, était que nous étions hors de danger –quoi que…- et que je n'avais pas froid, en effet le corps de Narghaash dégageait une chaleur phénoménale qui m'avait rapidement enveloppée, supprimant les frissons insupportables qui m'avaient parcourus. Et ça, c'était plutôt pas mal.

Narghaash changea doucement de position, ses oreilles frémirent puis il tourna la tête vers la gauche. Difficilement, car la peur s'effaçait peu à peu de mon corps pour laisser place à un épuisement dévastateur, je suivis son regard et restai interdite en voyant au loin des silhouettes aux peaux brunes et blanches courir hors de l'eau pour s'engouffrer dans la forêt. Narghaash semblait tout aussi surpris que moi de voir des survivants, et je sentis son dos vibrer contre mon ventre. Je n'essayai même pas de comprendre, et laissai lourdement tomber ma tête contre son omoplate puis fermai les yeux, incapable de résister au besoin urgent de repos qui s'exerçait sur moi.

Je sentis le souffle puissant du colosse contre mon bras lorsqu'il tourna son visage vers moi. Je n'eus pas la force de relever ma tête pour le regarder et restai dans la même position. Quelques secondes plus tard, il se mettait à marcher, avançant rapidement à travers les arbres clairsemés, restant tout près de la bordure de la forêt. J'entrouvris les yeux à plusieurs reprises, mais incapable de les garder plus de quelques minutes ouverts, je me résolus à les laisser fermés. Je ne savais pas où je me trouvais, où me guidait mon compagnon de cellule et si ses intentions étaient louables, mais je ne parvenais pas à être effrayée. Il était celui qui m'avait sauvé la vie à deux reprises, et une sorte de confiance étrange s'était installée en moi à son égard.

Et puis, il pouvait me porter là où il voulait, après tout je m'en fichais royalement, tant que je pouvais assouvir ce besoin de sommeil insupportable qui me taraudait ! Je voulais dormir ! Simplement dormir ! Quelques minutes… quelques secondes… je voulais seulement m'allonger et me laisser engloutir par Morphée… J'étais si fatiguée… si, si fatiguée…

Je n'eus toutefois pas le loisir de m'endormir car Narghaash se mit rapidement à trottiner à travers la forêt, et je fus incapable de trouver le sommeil ainsi ballotée. Toutefois, la chaleur que dégageait le corps du colosse et la constance de ses foulées me détendirent légèrement et je glissai bientôt dans une douce somnolence, perdant ainsi la notion du temps et de l'espace. A chaque fois que je m'éveillais de cet étrange sommeil, je gémissais, déboussolée et perdue, torturée par mon manque de sommeil et de confort. Je n'aspirais qu'à une seule chose : que l'on s'arrête, et que je puisse m'endormir pour de bon ! J'avais tellement envie et besoin de dormir que cela était insupportable d'en être empêchée. Malheureusement, mon souhait le plus cher –en cet instant- ne fut pas exaucé, car Narghaash continua de louvoyer entre les arbres à un rythme soutenu. Des larmes se mirent bientôt à rouler sur mes joues sans que j'en sois informée. Surprise de sentir un liquide s'écouler le long de mon visage, je le frottai contre mon épaule, et compris que je pleurais en voyant ma peau luisante d'eau. Je restai un moment interdite, puis reposai doucement ma tête contre le dos de Narghaash, renonçant à comprendre pourquoi j'étais subitement atteinte d'une crise de larme.

J'étais fatiguée, et dans mon état actuel, cela expliquait tout.

Ce ne fut que lorsque Narghaash arrêta sa course, que je daignai relever la tête. Il marchait plus doucement à présent, et des voix me parvenaient de derrière les fourrées. Il commençait à faire nuit et les étoiles pointaient le bout de leur nez dans les cieux. Je clignai difficilement des paupières, tentant de garder les yeux ouverts. Le colosse s'avança lentement, ses oreilles à l'affut du moindre bruit. Pour ma part, je n'arrivais même pas à me sentir concernée par ce qui m'entourait, c'était comme si je vivais un rêve cotonneux, trop étrange et décalé pour qu'il s'agisse de la réalité. Si je n'avais pas été aussi faible, j'aurais probablement ris –ce qui en disait beaucoup sur mon état mental…-.

Narghaash s'avança avec précaution. Il écarta quelques branches gênantes, et pénétra dans une large clairière. J'écarquillai les yeux en découvrant un minuscule feu au beau milieu de l'étendue. Autour de ce feu était assemblé un petit groupe de personne dont je ne devinais que les silhouettes. Certains étaient assis près du feu, et il me semblait entendre des sanglots provenant de ces quelques individus, d'autres étaient debout et gesticulaient. Les mots râpeux qui me parvinrent aux oreilles m'indiquèrent très rapidement de quel genre étaient ces êtres : des monstres de la tour. J'aurais dû avoir peur, comme j'aurais dû avoir peur de Narghaash, mais rien ne se manifestait en moi. J'étais vidée, vidée de mes forces, de mes pensées, de mes sentiments, de mes instincts… de tout.

Je raffermis ma prise sur les épaules de Narghaash au moment où il s'avançait vers les silhouettes. Presque aussitôt, quelques rugissements envahirent l'air, et un grondement menaçant s'échappa de la poitrine de mon porteur, me sortant partiellement de ma torpeur. Les yeux écarquillés, je regardai les monstres s'approcher de nous, lançant des phrases aux consonances gutturales dans les airs, et brandissant quelques étranges épées. Je sentis Narghaash se tendre légèrement et passer dans une position clairement offensive. Contre mes avant-bras, la force de son pouls accéléra et sa respiration gagna en puissance. Il ouvrit la bouche, et avec un calme qui contrastait avec la tension de ses muscles, lança quelques phrases qui claquèrent dans l'air de la clairière. Les oreilles pointues des monstres s'abaissèrent légèrement, tandis que de sa voix rauque, Narghaash continuait de leur parler. Je fixai difficilement mes prunelles sur le groupe devant moi, tentant d'analyser leur comportement, et c'est alors que je me rendis compte de ce que dégageait le colosse sur lequel j'étais perchée…

Une aura de puissance contenue, sauvage et brute, menaçante et forte, mêlée à une autorité suprême qui ne nous invitait qu'à lui obéir, à plier, car il était sans conteste le Chef.

Mes yeux passèrent en un instant sur la dizaine de monstre qui se tenait devant lui. Certains étaient petits, trapus et mince comme le geôlier, et d'autres ressemblaient à Narghaash, grands et musclés. Toutefois, aucun ne dépassait la stature de mon porteur, et je fus soudainement persuadée que si les choses tournaient mal, aucun d'eux ne parviendraient à remporter la victoire face à Narghaash. Je me sentis alors très petite, comparée à tous ces monstres si forts et si grands. Et surtout, incroyablement minuscule à côté de la puissance et de la grandeur de mon porteur. Je ne devais être qu'une toute petite chose, accrochée à son dos, fragile et profondément faible ! À côté de tous ces monstres dont je ne comprenais ni la langue, ni les intentions, je n'étais rien. Qu'un boulet qu'il était facile d'occire. D'ailleurs, je n'arrivais toujours pas à comprendre pourquoi Narghaash m'avait emmenée ici, et pourquoi il m'avait laissée la vie sauve. Y avait-il une raison pour qu'il agisse de cette façon ? Je ne savais pas… je n'arrivais plus à réfléchir, ni à penser droit, mes pensées engluées dans une torpeur étrange. Et puis… le sommeil m'appelait si fort !

Je fis tout de même un énorme effort pour garder mes yeux ouverts, et tenter de comprendre la scène qui se déroulait devant nous. Narghaash avait cessé de parler, et sur les visages de ceux qui avaient rugis régnait une expression d'incompréhension. Finalement, certains baissèrent leurs armes, et bientôt tous nous escortaient jusqu' au petit feu. Je bougeai légèrement sur le dos de mon porteur, une sensation de malaise montant en moi. Quelques monstres me regardèrent un instant avec une légère lueur d'intérêt, teintée pour certains de quelque chose que je refusai aussitôt de comprendre. Je frémis en sentant les prunelles aux couleurs irréelles me fixer à travers les ténèbres. Voyant qu'ils m'observaient intensément, et sentant probablement mes muscles se raidir, Narghaash grogna quelques mots gutturaux, et les drôles d'yeux se détournèrent de ma personne. Je soupirai doucement, et sentis les épaules du colosse tressaillir légèrement. Comme si il riait.

Nous atteignîmes rapidement le feu, et là encore Narghaash et les autres se mirent à discuter dans leur langue étrange. Je renonçai aussitôt à comprendre, et laissai glisser mon regard sur les silhouettes assises près du feu. Je fus étonnée de découvrir des femmes au visage blafard, aux cheveux emmêlés et aux regards hantés. Fronçant les sourcils, je parvins à les compter, elles étaient au nombre de cinq. Elles avaient toutes des couleurs de cheveux et d'yeux différents, mais aucune n'arborait ma couleur de peau et j'en fus presque surprise. J'haussai mentalement les épaules et reposai ma tête contre le dos de Narghaash, espérant que bientôt nous pourrions nous poser afin que je dorme... Mon désir suprême !

Je dus m'assoupir quelques instants car lorsque j'ouvris à nouveau les yeux, la discussion avait cessée. Je relevai doucement la tête au moment où quelques êtres monstrueux s'allongeaient près du feu. Trois autres s'éloignaient chacun de leur côté pour se poster près des arbres, au bord de la clairière. Alors enfin, Narghaash s'approcha des femmes qui s'étaient recroquevillées les unes contre les autres. Certaines reculèrent instinctivement en voyant le colosse s'approcher d'elle, une expression de dégoût, de terreur et de résignation ancrée dans leurs prunelles. Mon porteur ne leur adressa aucun regard, et s'accroupit à leurs côtés. Il plaqua une main sur mon dos, et dénoua mes jambes crispées autour de sa taille, puis délaça mes doigts contractés autour de sa gorge. Doucement, je m'affaissai sur le sol, à quelques centimètres d'une jeune femme qui me regarda étrangement. Après quoi, Narghaash se releva et m'abandonna à côtés de ces personnes que je ne connaissais pas.

Certes, c'étaient des humaines et j'aurais probablement dû m'en réjouir car cela faisait plusieurs semaines que je n'en avais pas vu. Mais je n'avais pas confiance en elles ! Qui sait ce qu'elles allaient me faire ? Je ne voulais pas rester là, près de ces étrangères. Je voulais rejoindre Narghaash, même si je ne tenais plus debout, même si la fatigue m'habitait. Il était le seul à côté de qui je pourrais dormir sans crainte.

Je pris une longue inspiration. J'avais la tête qui tournait et mes membres étaient si faibles que je doutais un instant de ma réussite. Je parvins pourtant à me redresser sur un coude, et à chercher des yeux mon ancien compagnon de cellule. Je le repérai rapidement, accroupis un peu plus loin, le visage tourné vers le ciel. J'inspirai une nouvelle fois, puis me redressai difficilement. Je réussis à me mettre à quatre patte, fis quelques pas vacillant puis me stabilisai. Alors, je poussai sur mes bras et me relevait doucement. Tremblante de fatigue, ma vision floue et imprécise, je m'avançai jusqu'à me retrouver à côté de Narghaash. Je sentis son regard sur moi au moment où mes jambes lâchaient. Je fus douloureusement ramenée à terre, et mon coccyx envoya quelques ondes de souffrance à travers mon pauvre corps. Trop étourdie pour comprendre, je m'allongeai lentement. Instinctivement, je me roulai en boule, adoptant une position fœtale. Tournant le dos à mon porteur, je ne pus discerner son expression. Toutefois, je crus entendre quelques rires étranges au moment où, enfin paisible, je plongeai dans les limbes réconfortantes du sommeil.

oo00O00oo

Un cri perçant explosa dans l'air, m'arrachant de mes songes, et faisant grimper mon taux d'adrénaline à un haut niveau. Je me redressai brusquement, le cœur battant et le souffle court. Alors, mes yeux se posèrent sur le tableau qui se déroulait devant moi, et je restai interdite. Un des monstres, appartenant sans doute à la race de Narghaash car il avait la même stature, tirait une femme par le bras, voulant l'emmener vers la forêt. Ses grognements, sa posture et son regard luisant ne laissaient aucun doute quant à ses intentions et je restai immobile, pétrifiée par l'horreur de la scène. Quelques-uns des êtres monstrueux ressemblant à Narghaash avaient jaillis d'entre les arbres, alertés par les cris et se tenaient à quelques pas, ne faisant pas mine de vouloir intervenir. Au contraire, l'un d'eux se mit à sourire en lançant un commentaire sans doute graveleux, à l'intention de celui qui tentait d'emporter la jeune fille.

Deux femmes se levèrent alors en criant et tentèrent d'aider la jeune fille qui hurlait toujours, les yeux fous. Les deux autres restèrent à terre, les yeux baissé et le visage baigné d'une expression qui me révolta au plus haut point : de la résignation. Comme si elles ne pouvaient rien y faire, comme si c'était perdu d'avance, comme si elles avaient déjà trop lutté, comme si cela faisait longtemps qu'elles vivaient de pareilles horreurs… comme si… Oh ! C'est là que je compris qu'elles avaient déjà vécu cela, et que les cris que j'avais si souvent entendus lorsque j'étais dans ma cellule étaient les leurs. Profondément choquée, je restai immobile, tandis que les grognements du monstre se remplissaient de frustration contenue.

Je me penchai subitement sur le côté et vomis toute mon horreur.

Au moment où je me relevai, les yeux luisants de larmes, un rugissement terrible ébranla la clairière. Narghaash apparut d'entre les fourrées, et son regard dur se posa sur celui qui tenait la jeune fille. Ayant entendu le grondement terrible du colosse, celui-ci se retourna, mais ne voulut pas lâcher la pauvre femme qui tremblait de tous ses membres, le visage pâle. Narghaash, écrasant par sa stature et sa puissance s'approcha lentement en prononçant une phrase qui déplut visiblement au perturbateur. Il attira contre lui celle qu'il tenait par le bras, l'arrachant à l'étreinte des deux femmes à présent muettes. Il répliqua agressivement et Narghaash gronda sourdement, furieux. Je sentis les poils de mes bras s'hérisser, la tension montant brusquement d'un cran et devenant quasiment palpable. Les deux êtres monstrueux qui étaient sortis de la forêt un peu plus tôt reculèrent légèrement, les oreilles rabaissées et je fixai mon regard sur le colosse qui prononça une dernière phrase dans un grognement menaçant. Imperceptiblement, il changea de posture.

Soudainement, dans un rugissement abominable, le monstre qui avait tenté d'emporter la jeune femme bondit sur Narghaash. Les corps des deux géants s'entrechoquèrent avec une force extraordinaire, et bientôt, des grondements de rages s'élevèrent de leur lutte sanglante et impitoyable. Leurs griffes lacérèrent, leurs crocs déchiquetèrent, leurs poings puissants frappèrent. Du sang noir éclaboussa bientôt le sol autour d'eux, et pendant un infime instant, j'eus peur de voir Narghaash tomber. Ils se frappaient sans se retenir, dans l'intention de blesser, de détruire, de tuer… Je me mis à trembler de toute part, dépassée par les évènements et par la haine qui se dégageait de leurs corps sombres. Je ne fis aucun geste, profondément choquée par ce que mes yeux voyaient. Je n'étais pas habituée à voir tant de violence, et cette lutte titanesque, profondément sauvage me retournait l'être entier. Je ne parvins cependant pas à arracher mes yeux écarquillés de la scène, tous mes sens centrés sur Narghaash. Impuissante, je le regardais perdre du sang, se faire brutalement frapper, lacérer, mordre… Et une terrible sensation de peur enflait dans mon ventre, tandis que du sang noir et épais coulait le long de ses membres.

Des émotions complexes jaillissaient en moi, s'entremêlant, produisant un amas bouillonnant et informe dont je n'arrivais rien à tirer. Je savais seulement que Narghaash était la seule personne en qui j'avais un tant soit peu confiance, et que je connaissais en ce bas-monde. Il était celui qui avait sauvé ma vie à deux reprises, et celui que j'avais nourris de mes mains… Je sentais clairement que s'il ne survivait pas à ce combat, je ne le supporterais pas. D'autant plus que je n'entrevoyais que trop bien mon avenir, si Narghaash venait à tomber… je savais que je serais la prochaine à me faire trainer vers la forêt par un monstre aux yeux lubriques… et si ce n'était pas le cas, je mourrais à coup sûr d'une maladie, d'une blessure, ou sous les griffes d'un animal sauvage. Oui, si Narghaash mourait, s'en était fait de moi.

C'est pourquoi, le cœur battant à tout rompt, les yeux remplis de terreur, j'espérais de tout mon être qu'il s'en sorte vivant. J'en vins même à supplier intérieurement cette force qui m'avait permis de sortir de la tour d'ivoire. Oh, permettez qu'il vive !

Et soudainement, dans un rugissement terrifiant, Narghaash plongea ses crocs acérés sous le menton de son adversaire. Le temps sembla se figer tandis que le perturbateur se débattait encore, vainement contre la puissance du colosse. Puis, se couvrant de sang noir, mon compagnon de cellule arracha sauvagement la gorge de son adversaire, brisant cartilages, artères et veines. Il recula de quelques pas, un morceau impressionnant de chair de la bouche, qu'il cracha à terre. Il pencha la tête et observa le corps du monstre aux yeux luisants s'affaisser lentement, sans vie. Alors, il bomba le torse et hurla de toutes ses forces sa victoire, ouvrant sa mâchoire luisante de liquide noir en direction du mort. Les monstres, qui s'étaient approchés pour observer le combat se joignirent à son cri, et des frissons de peur et de dégoût s'emparèrent de mon corps tandis que je gardai les yeux fixés sur Narghaash, comme pour m'assurer qu'il était bien vivant. Il l'était, et malgré son apparence terrifiante, je m'en réjouissais.

Ma joie fut toutefois de très courte durée, car le colosse prononça quelques mots en direction de ses compagnons, qui se ruèrent aussitôt sur le corps du défunt. Je vomis à nouveau, en entendant les monstres arracher joyeusement muscles, tendons, organes et tripes au cadavre. Afin de me soustraire au carnage qui se déroulait non loin de moi, je me roulai en boule, les mains sur les oreilles, et me balançai d'avant en arrière en chantonnant une simple comptine, espérant que cela couvrirait le bruit horrifiant de cette boucherie.

Quelques minutes plus tard, une main se posa sur mon épaule, et je sursautai. Délogeant mon visage de mes mains, je rencontrai le regard familier de Narghaash. Si j'avais été dans de meilleure condition, j'aurais probablement souris, mais mes forces m'avaient quitté. Je mis quelques longues secondes avant de me rendre compte qu'il me tendait un morceau sanguinolent, provenant sans doute du corps mort de son adversaire. Ce fut plus fort que moi, je me projetai en arrière avec un cri d'horreur. Je reculai de quelques mètres, incapable de regarder ce qui se trouvait dans la main du colosse. Un grondement sourd qui fit hérisser les poils de mes bras atteint mes oreilles et je fixai mes yeux sur Narghaash. Une expression de stupeur, mêlée à de la colère s'affichait sur son visage noirci par le sang, et il s'approcha à nouveau en me tendant l'amas de chair immonde. J'écarquillai les yeux, et vomis une fois encore. Je ne rejetai quasiment rien, puisque je n'avais plus rien dans l'estomac, mais l'acidité de la bile m'écorcha la gorge. Je reculai à nouveau en secouant vivement le visage de droite à gauche. Puis, voyant qu'il souhaitait à nouveau s'approcher de moi, j'hurlai de toutes mes forces :

-NON! Je ne peux PAS manger ça ! Je ne veux PAS ! LAISSEZ-MOI !

Lorsque ma voix retomba, un silence de mort régnait dans la clairière. Ma poitrine se soulevant difficilement, je repris mon souffle en gardant un œil sur Narghaash, effrayée de voir sa réaction. Mon attention entière était fixée sur le visage du colosse, qui ne trahissait pour le moment aucune émotion. Je frissonnai subitement, me demandant si je n'étais pas allée trop loin, et si mon destin était de mourir de la main même de celui qui m'avait sauvée. Le ferait-il ? Après tout, je ne connaissais rien de lui, et de sa race. Peut-être qu'il en était capable… J'étais si concentrée sur mon compagnon de cellule, que je ne vis pas l'une des femmes se lever et s'avancer avec hésitation vers moi, la main tendue.

-Ce n'est pas possible… ce n'est pas possible… qui… qui êtes-vous ?

Je me retournai brusquement, mon cœur faisant une embardée telle que je crus mourir sous le choc…

Elle avait employé ma langue !