SURPRIIIIIISE :D
Me voilà, après un moment d'absence. BOUM de l'inspiration. BOUM, trop envie d'écrire. BOUM, j'ai trop aimé écrire ce chapitre. Et j'espère qu'il vous plaira!
MERCI MERCI MERCI à fabienne.2869, Darkklinne, Az Sharane et Eleenia pour vos reviews qui m'ont fait chaud au coeur!
PS: Oui, désolée je l'ai ré-uploadé parce que j'avais mis des petits espaces à des endroits et ils se sont enlevés, enlevant de la clarté au texte!
RE-PS: Emilie a vite progressé dans la langue, parce que ça aurait été difficile de continuer l'histoire autrement!
ATTENTION: langage parfois cru + certains événements passés évoqués qui peuvent choquer.
Quelques semaines passèrent, se ressemblant, sans pour autant que cela ne me dérange. En fait, j'étais même contente d'avoir ces jours calmes, où les seules activités que nous faisions étaient celles qui ne permettaient de survivre. Ces journées étaient généralement composées de corvées pénibles, et répétitives, mais cela me donnait le temps de réfléchir, d'apprendre et finalement de me reposer.
De toute façon, je n'avais pas d'autre choix que de dormir souvent : j'étais constamment fatiguée. Dés que le soleil se couchait, nous nous regroupions autour du feu dans l'immense grotte et presque aussitôt, je me pelotonnais dans un coin et tombais directement dans les bras de Morphée. La journée, je parvenais à marcher plus longtemps, à écharner avec force les quelques peaux que nous ramenaient les orques et les uruks, mais je me fatiguais rapidement.
J'étais lasse de ce corps faible, et je m'en plaignais parfois à Angélique, qui me disait de lui donner du temps. J'avais frôlé la mort, et mon corps tout comme mon psychisme avaient besoin de s'en remettre. Doucement mais sûrement.
Etrangement, je commençais à m'habituer à cette vie. Peut-être que je n'aurais pas dû, ou en tous cas, pas autant.
Chaque matin, nous nous levions à l'aube. Déjà, quelques orques ou uruk étaient partis chasser et pêcher. Narghaash également, n'était jamais présent quand nous nous levions.
Puis, toutes les femmes ensemble, avec le vieil orque dont j'avais fini par demander le nom, allions nous débarbouiller au petit lac. Ufthak n'était pas du genre caustique. Plusieurs fois, dans un westron approximatif, j'avais tenté de lui poser des questions auxquelles il n'avait jamais répondu. Pour autant, je ne me décourageais pas et lui adressais toujours un sourire jovial quand je passais devant lui. Peu à peu, je l'avais senti s'adoucir… si on peut dire ça comme ça. Il avait commencé à me répondre, de temps en temps. Un petit mot, par-ci, par-là, et j'en étais ravie.
Après notre petite toilette au lac nous nous dirigions vers les bois, et avec Ufthak qui veillait sur nous, nous cherchions du bois sec, des plantes et des baies à ramasser. Cela durait souvent presque toute la matinée, et je me réjouissais particulièrement de ces moments que je passais dans la nature sauvage, en compagnie d'Angélique et des autres femmes. Ces temps ensemble étaient particulièrement propices à la discussion, et à l'apprentissage.
En effet, après des milliers de nœuds au cerveau, et pas mal d'essais de prononciation, j'arrivais désormais à faire des phrases simples dans un westron pas trop mal. Bien sûr, il m'arrivait toujours de fourcher sur quelques mots, ce qui faisait généralement bien rire Eolayne et Gwirawen. Elles ne se lassaient pas de me corriger avec douceur et tact, reprenant avec moi la prononciation. Avec elles, j'ajoutais sans cesse de nouveaux mots à mon vocabulaire, et Angélique ne se privait pas de m'inculquer tout ce qu'elle avait pu apprendre. D'ailleurs, pour m'aider au maximum, elle ne parlait désormais qu'en Westron et feignait de ne pas comprendre quand je lui répondais en français. Mais, je ne m'en plaignais pas : enfin, la communication était possible.
Dans la forêt, nous restions groupées, et nous écumions le sol à la recherche de toute plante comestible. Chaque jour, nous explorions une partie différente du bois. En montagne, il n'y avait pas tant de végétaux que cela, et ceux que nous prenions n'étaient pas remplacés en une nuit. Grâce aux connaissances -qui me semblaient sans fin- des femmes de ce monde, j'étais peu à peu arrivée à reconnaître les plantes comestibles.
Puis, après une matinée passée à examiner le sol, nous rentrions à la grotte avec nos trouvailles du jour : champignons divers, bardane, orties, pissenlits, ail des ours, oignon sauvages, écorce de sapin, différentes sortes de baies… Parfois, il nous arrivait aussi de repérer un nid dans les branchages. Je me dévouais alors pour monter, coinçant ma longue jupe informe de façon à ce qu'on ne puisse pas voir dessous, puis je me hissais dans les arbres jusqu'au nid, où le cœur lourd je prenais les œufs pour les ramener à la grotte. Malheureusement, quand on a faim, on fait moins attention à ce qu'on mange, ou comment on se le procure. C'était ça, ou dépérir lentement.
Après être revenue dans la grotte, où l'un des orques restait généralement pour maintenir le feu en vie, nous nous attelions à la préparation d'un repas frugal. Des plantes, des plantes et des plantes, sous différentes formes.
Au début, quand nous n'avions pas de récipient, nous avions simplement fait griller la plupart, et mangé les autres telles quelles, simplement lavées. Plusieurs fois, j'avais été persuadée que j'allais tomber malade à nouveau. Par je ne sais quel miracle, cela n'avait pas été le cas. Maintenant, grâce aux peaux que les femmes avaient pu tanner, nous avions pu mettre en place des petits récipients où nous mettions des pierres brûlantes à l'intérieur, faisant bouillir l'eau. Grâce à cela, nous avions pu faire des bouillons, où nous jetions les différentes plantes ramassées, puis nous mangions comme nous le pouvions.
Ufthak, que je soupçonnais d'avoir eu une vie bien remplie avant d'avoir été appelé en Isengard, nous avait confectionné quelques petits bols en taillant je ne sais comment, de larges bouts de bois. Nous nous partagions ces bols à plusieurs, en mangeant avec les doigts, mâchant goulûment les plantes bouillies. La grande innovation avait également été la découverte d'argile, avec laquelle les femmes avaient commencé à créer des vases et autres récipients, qu'elles façonnaient délicatement, avant de les placer juste à côté du feu, dans des cavités abritées par des branches. Les pots cuisaient ainsi, et avaient la particularité de pouvoir supporter le feu. La vie devint un peu plus facile, après ça. Nous avions de larges pots pour faire bouillir l'eau, et assez de récipients pour y manger.
Quelques Uruks restaient souvent dans les parages. Sous la direction d'Ufthak et des autres orques, ils avaient rapidement appris à confectionner des outils dignes de ce nom, tels des haches qui leur permettait d'aller abattre les immenses sapins alentours. Ils passaient la journée à l'extérieur, leurs formidables condition physique leur permettant de faire un travail prodigieux. Ils abattaient un arbre, qu'ils découpaient ensuite minutieusement, et ils ramenaient les larges bûches qu'ils entreposaient au soleil, de chaque côté de l'ouverture de la grotte, où elles pouvaient sécher tranquillement.
L'autre partie des Uruks et des orques étaient chargés de la chasse. Une partie revenait en début d'après-midi, les autres, quand le soleil commençait à toucher la cime des montagnes, au loin.
Ils étaient nos sauveurs… d'une certaine façon. Sans viande, nous n'aurions pas pu tenir longtemps. D'ailleurs, il n'y avait pas que la viande, qui était intéressante. Ça, je l'avais également appris grâce aux femmes. Nous avions tous appris des femmes et d'Ufthak, les uruks, Angélique et moi-même n'ayant jamais vécu en dehors de nos « cocons » où tout nous avait toujours été apporté tout fait.
Presque rien n'était laissé, lorsque les carcasses nous étaient rapportées. Nous évidions consciencieusement. Nous donnions le foie cru aux uruks, puis nous enlevions tripes, rognons, cœur, la queue, les pieds, joues, langue, cerveau, et nous plongions tous ceux-là dans une marmite de céramique bouillante. Nous faisions toutefois griller la rate. Les boyaux, la vessie et l'estomac, étaient vidés, lavés, puis bouillis soigneusement dans un autre récipient. Ils étaient sortis plus tard, et la vessie était utilisée comme gourde.
Les os quant à eux, étaient utilisés de différentes manières. Ceux qui étaient petits permettaient de faire des hameçons ou des aiguilles. D'autres étaient aiguisés pour faire des flèches et des lances.
En clair, rien ne se perdait. Même le cerveau et la graisse étaient copieusement utilisés comme solution assouplissante dans le processus de tannage.
Les peaux furent un autre changement important. Après un assez long processus de tannage, nous avions enfin pu nous coudre quelques vêtements dignes de ce nom, utilisant nos aiguilles en os, et les tendons séchés comme liens. Et surtout, nous avions pu nous fabriquer une couche un peu plus confortable : nous dormions toujours étroitement serrées, entre nous afin de conserver un maximum de chaleur, à même le sol.
Grâce aux peaux, nous avions pu nous aménager un coin pour dormir. Nous avions étalé quatre grandes peaux de cerf par terre, en guise de matelas, ce qui était déjà un tel confort que j'avais faillis en pleurer de joie la première nuit. Nous avions également cousu plusieurs peaux d'animaux à fourrures ensembles, que nous étendions du mieux que nous le pouvions sur nos corps recroquevillés. Confort de folie !
Au niveau de l'hygiène, je dois avouer que j'essayais de ne pas trop y penser. Soyons clair, personne ne sentait bon. Loin de là, même. Nous avions pu fabriquer une sorte de savon avec de la graisse animale, des cendres et un peu de résine de pin. Chaque matin, je tentais de laver les zones les plus sales de mon corps avec ce mélange, et de rincer au mieux à l'eau glacée. Après chaque repas, je faisais également un point d'honneur à aller me laver les dents avec de la cendres, et à prendre un tout petit os en guise de cure-dent. Je ne voulais absolument pas que mes dents pourrissent, puis tombent. C'était une de mes phobies les plus récurrentes.
Le reste de mon corps se portait de mieux en mieux, et j'avais commencé à retrouver quelques-unes de mes anciennes formes. Mes côtes étaient moins visibles. Par contre, aucune graisse ne semblait plus vouloir se déposer nulle part, et je n'avais plus aucun bouton. Sans doute les effets du régime d'ici, et de ça, je ne m'en plaignais pas !
Pour les cheveux, c'était une autre histoire. La plupart du temps, je les lavais également avec de la cendre ou de l'argile, et les peignais avec mes doigts. Mais ils étaient informes, et plutôt mal en point. Je m'étais donc débrouillée pour me confectionner un élastique à partir de fins tendons, et je m'évertuais chaque matin à les discipliner en une tresse plaquée. De cette façon, ils ne me gênaient pas pendant la journée.
En ce qui concernait les autres parties du corps, j'en ressentais un certain désespoir. Mes petits poils avaient poussé de toute part, sans que je puisse les enlever d'aucune façon. Dans un certain sens, ça ne me gênait pas car ils me protégeaient de pas mal de choses : piqures d'orties trop vives, du froid…Et puis toutes les autres femmes les arboraient sans aucune honte. Mais quand même, ce n'était pas très glamour. Et puis les ongles : ceux des mains pouvaient encore être rongés, mais ceux des pieds… je n'avais pas encore trouvé comment me les couper. Le souci, c'était que cela devenait problématique, et j'espérais vivement ne pas me retrouver avec un abcès ou un ongle incarné.
Heureusement, mes règles n'avaient toujours pas réapparu. Dans ce contexte, j'en étais reconnaissante car je ne savais pas comment je m'en serais occupée, sans linge ou autre pour absorber les pertes.
Pourquoi je n'avais plus mes règles ? J'avais plusieurs hypothèses. Peut-être le choc psychologie ? Ou alors le manque de nourriture ? Le changement de monde ? Le changement d'atmosphère ? Ma maigreur subite liée à ma maladie ?
Bref, dans tous les cas je n'avais plus mes règles, et pour le moment, ça m'arrangeait.
Le pire, c'était quand même l'histoire des toilettes. Hors de question de faire dans la grotte, car cela aurait vite pué. Les orques nous l'avaient très bien fait comprendre. Narghaash avait donc défini un coin, assez loin du cours d'eau, et de la grotte, où deux orques sous la direction d'Ufthak, avaient creusés un trou, large et profond au-dessus duquel ils avaient placé de rondins de bois serrés, en laissant une petite ouverture que nous devions recouvrir d'une grosse pierre plate après usage. Ils avaient recouvert les rondins de cendre, pour éviter que mouche et moucherons ne viennent dans les parages. Après chaque usage, (qui heureusement pour ma part n'était pas très réguliers), il fallait jeter un peu de terre à l'intérieur pour recouvrir et que les bactéries présentes fassent leur boulot.
Sous la demande des femmes, ils avaient également érigé quatre murs en bois autour, d'environ un mètre de hauteur, afin que nous puissions avoir un peu d'intimité. Oui, parce que la pudeur, l'intimité, était quelque chose de totalement inconnu pour les uruks. Les orques y pensaient pour certaines choses, mais j'avais vite compris que là où ils vivaient, beaucoup de choses étaient faites en commun, sans que la nudité soit un problème.
Pendant ces semaines, j'avais pris le temps d'observer les créatures qui « vivaient » avec nous. Ce que j'avais pu voir, c'est que les uruks et les orques étaient très différents. Non seulement à cause de leur physique, mais également dans la mentalité. Il y avait chez les orques, comme un lien, quelque chose qui les liait et ils se cherchaient très peu querelle. Ils connaissaient plus de choses, et parfois parlaient une langue que même les uruks ne comprenaient pas. Ils avaient une intelligence plus vive et un sens de la vie commune plus prononcé. Ils étaient aussi plus discrets que les uruks, observant dans l'ombre, et discernant le meilleur moment pour agir.
Toutefois, ils supportaient mal la lumière. C'est pourquoi c'était souvent eux qui restaient dans la grotte pour maintenir le feu, ou les premiers qui chassaient, à l'abris sous le couvert des arbres. Je ne savais pas exactement ce que le soleil leur faisait, mais il les gênait grandement.
De ce que j'avais pu comprendre, ils n'avaient pas été façonnés en Isengard, et venaient même parfois de tribus lointaines où ils avaient des familles.
Et puis, ils ne voyaient aucun intérêt à interagir avec nous. A vrai dire, ils ne voyaient même pas l'intérêt de notre présence là, et nous ignoraient la plupart du temps.
Les uruks, étaient une espèce un peu plus facile à comprendre, dans le sens où c'était une espèce jeune. Ils avaient été élevés en Isengard, pour tuer, et rien d'autre. Ils étaient comme des bêtes sauvages lâchés dans un monde inconnu. Ils ne connaissaient pas grand-chose, et ne comprenaient que leurs pulsions personnelles. Ils étaient des concentrés de force brute, fonçant dans le tas, se querellant pour le meilleur morceau et la meilleure place. Des enfants mal élevés, en quelques sortes.
Toutefois, au fil des semaines, j'avais vu une amélioration dans leur comportement. Grâce aux orques, et à la vie sans joug, ils commençaient à comprendre qu'ils devaient travailler pour leur survie, et que la communauté était importante. Bien sûr, tous n'en étaient pas au même stade.
De ce que j'avais observé, l'un d'eux était vraiment très jeune, à peine sorti de la terre lorsque les Ents avaient déchaînés les eaux sur Isengard. Il était celui chez qui l'emprise de Sarumane avait été la moins prononcée, et j'étais étonnée de voir à quel point il s'en sortait bien. Il n'avait pas le même regard que les autres. Moins obscurcis peut-être, moins enclin à écouter ses propres pulsions, mais assoiffé de nouvelles connaissances.
Narghaash prenait souvent du temps avec lui, lui parlant longuement de choses que malheureusement, je ne parvenais pas à entendre. Ce jeune, me faisait penser à un enfant perdu.
Il était celui qui nous observait, nous les femmes humaines, avec les yeux les plus innocents de tous, presque curieux. J'avais appris un peu plus tard, que son prénom était Barash.
Les autres… et bien c'était plus compliqués. Ils étaient tous « sortis de terre » à différents moments. Deux d'entre eux devaient être nés peu avant la « catastrophe », et ils étaient ceux qui avaient le plus de mal à s'habituer au changement. Ils étaient compliqués à gérer, comme des adolescents en pleine crise. Narghaash veillait toujours à ne pas les laisser ensemble. Soit l'un d'eux restait avec les orques, soit il venait avec lui, soit à la chasse.
Le dernier uruk, était sans doute le plus calme. Il était, d'après mes estimations, probablement le plus vieux après Narghaash. De ce que je percevais de son caractère, je l'imaginais habitué à suivre les ordres, et prêt à se contenter de ce qu'il avait. Comme s'il n'avait jamais eu l'avantage auparavant, et qu'il s'était trop pris de coups pour discuter. C'était un bon suiveur, et il semblait se porter plutôt bien depuis que nous étions arrivés dans cette grotte. Il aimait sculpter le bois de ses armes avec un petit couteau, et rien que pour cela, je ne me sentais pas menacée par lui.
Les femmes, quant à elle, c'était encore différent. Moi et Angélique, nous soutenions mutuellement par le seul fait de savoir que nous venions du même endroit, et que nous étions dans un monde que nous connaissions vaguement. Les autres étant plus marquée par la guerre et par ce qu'elles avaient vécu avant que les Ent ne les libère de cet endroit, avaient plus de mal à… à quoi au juste ? S'habituer ? S'en remettre ? Après tout, elles étaient toujours en captivité, et la plupart avaient vu leur famille se faire massacrer par les mêmes créatures qui les gardaient prisonnières loin de leur peuple.
Non, elles n'allaient pas bien. Celle qui ne semblait pas pouvoir s'en remettre était Haleth, elle était en véritable crise de stress post traumatique, et dépérissait à vue d'œil. Adreivia passait son temps à ses côtés, jetant des regards noirs à tout orques ou uruk passant trop près. A vrai dire, elle ne semblait pas non plus me faire confiance, et rares étaient les moments où nous parlions.
Les seules avec qui je pouvais parler, et même parfois plaisanter étaient Gwirawen et Eolayne. Certes, je voyais à leurs yeux creusés et lointain qu'elles n'étaient plus tout à fait elles-mêmes. Leurs sursauts quand l'un des uruk faisait un geste ne disparaissaient pas, et je sentais qu'elles ne continuaient à vivre que parce que nous étions plusieurs. Seules, elles se seraient laissé mourir. J'essayais donc, avec tout l'humour et mots appris dont je disposais, de les faire sourire, voire rire un peu. Que leur vie soit un peu plus douce, malgré les conditions terribles dans lesquelles nous vivions.
Malheureusement, elles n'étaient pas aidées par les relations qui s'aggravaient, entre les uruks et elles. Malgré le fait que je sois « privilégiée » depuis le début grâce à Narghaash, je sentais des regards remplis de noirs désirs qui parfois me suivaient. Les deux jeunes uruks ne se privaient que peu de lorgner sur nous, pauvres femmes sans défense. Ils n'avaient jamais rien osé faire, à cause de la peur de se faire tuer par Narghaash. Mais je sentais qu'ils en avaient envie. Envie de quoi ? Je n'arrivais pas à savoir. Nous emporter, nous violer, nous manger… Cela finissait toujours mal pour nous. Ce danger constant nous mettait toutes mal à l'aise. Parfois, je rêvais que Narghaash se faisait attaquer par les autres, et qu'il mourrait. Dans ces cas-là, je me réveillais en sursaut, alors que leurs regards se tournaient vers nous, avides, assoiffés, meurtriers…
J'espérais que jamais Narghaash ne mourrait, et que jamais les uruks ne puissent nous approcher.
Cependant, cette tension devenait difficile, et je sentais que les femmes arrivaient à un point de non-retour. Quelque chose se préparait, et je ne savais pas quoi en penser.
...
« -J'ai envie d'un cookie ».
Un éclat de rire me répondit. Je tournai le visage vers Angélique, et lui souris.
« -Tu sais, ceux que tu as fait toi-même, avec amour. Ils sortent tout chaud du four… »
« -Et ils ont d'énormes pépites de chocolats, encore fondantes, hummmm » Ajouta mon amie, rêveuse.
« -Aaaaah, je crois que je suis en manque de sucre. » Décrétai-je, avec un geste dramatique, tandis qu'Angélique repartait dans un grand éclat de rire.
Nous étions assises à l'entrée de la grotte, profitant des derniers rayons du soleil. Par chance, le temps avait rarement été pluvieux ces derniers temps.
J'aimais ces moments de calme, où je pouvais souffler et prendre un peu de temps avec celle qui était vite devenue mon amie. Nous nous comprenions, car nous vivions la même chose. C'était une véritable bénédiction de l'avoir avec moi dans ce monde difficile. Elle était mon garde-fou, celle qui me gardait saine d'esprit. Enfin, autant qu'on peut l'être dans une telle situation.
...
Après que les derniers chasseurs soient rentrés, nous les avions suivis à l'intérieur de la grotte, et avions commencé à préparer le repas. Nous avions déjà mis de l'eau sur le feu depuis un moment, et avions alignés les bols sur le sol. Quand la viande fut cuite, et le bouillon assez relevé par les plantes que nous avions ajoutées, nous plongeâmes chacun des bols dans le grand récipient, et les distribuâmes autour de nous. Nous faisions toujours attention à ce que les orques et les uruks aient beaucoup de viande. Nous, nous en avions moins besoin.
Puis nous mangeâmes en silence, et certains grognements de plaisir me parvinrent aux oreilles. Je souris : certains étaient contents de manger.
Alors que je relevai les yeux pour la énième fois de mon bol, je croisai le regard de Narghaash. Je me figeai dans mon geste, et lui souris doucement. Il fit un léger mouvement de tête dans ma direction, puis baissa les yeux et continua de manger.
Mon sourire s'agrandit, et je me remis à manger avec un peu plus d'entrain. Mais avant de terminer ma cuillère, je captai le regard d'Angélique sur moi, réprobateur. Je levai un sourcil, puis l'ignorant, je terminai rapidement mon bol.
Ces deux dernières semaines, j'avais pris l'habitude de sortir juste après le repas pour aller laver les plats avec d'autres femmes. Puis, alors qu'elles rentraient je me débrouillais pour rester dehors, où Narghaash montait désormais la garde.
Le premier soir, nous étions d'abord restés silencieux, observant les étoiles apparaître peu à peu. Je n'avais pas essayé de parler, même si je parvenais maintenant à tenir une conversation correcte en westron. J'avais laissé à Narghaash le temps de s'habituer à ma présence. Je l'avais premièrement senti se raidir, puis au fur et à mesure que le temps passait, ses muscles s'étaient relâchés. J'étais restée assise, à deux mètres de lui, souriant doucement dans la pénombre.
Et puis, il avait parlé :
« -Qu'est-ce que tu fais ? » Grogna-t-il doucement, se tournant dans ma direction.
« -Je reste surveiller avec toi. » Lui avais-je répondu joyeusement.
Il y avait eu un léger silence, où il devait sans doute se demander ce qui se passait dans ma petite tête.
« -Pourquoi ? »
« -Parce que j'ai envie »
Je l'avais entendu bouger légèrement, probablement inconfortable à cause de la situation.
« -Les sharlob n'ont pas envie d'rester avec nous » Avait-il grondé, un peu plus sombrement.
« -Oui, mais moi j'ai envie ». Avais-je répondu, exprès. Je voulais lui faire comprendre.
Il avait à nouveau changé de position, et je l'avais observé à la dérobée, tandis qu'il reniflait doucement dans ma direction.
« -T'as pas peur. » Avait-il simplement constaté.
« -Non, je sais que tu ne me feras pas de mal ». J'avais répondu, d'une voix plus douce, en me tournant vers lui, devinant sa forme dans les ténèbres.
« -Comment tu sais que je te f'rais pas d'mal ? » Avait-il dit, d'un ton plus brusque, et j'avais deviné qu'il était touché dans son orgueil. Comment, lui grand chef uruk, ne pas faire mal ?
« -Parce que tu m'en aurais déjà fait si tu voulais… et j'ai confiance en toi ».
« -Confiance ? » Avait-il demandé avec une légère hésitation.
Je m'étais alors complètement tournée vers lui, toujours assise, tandis qu'il se tenait debout. Ses yeux jaunes, presque luminescents dans le noir, attirèrent mon regard. C'était à ce moment-là que je sus qu'il me voyait parfaitement, malgré le manque de lumière.
« -Oui » Avais-je dis, en murmurant. « J'ai confiance en toi. Je sais que je ne… hum… risque rien avec toi. Je sais que je peux te… con… confier ma vie, et que tu ne me laisseras pas mourir. Que tu ne feras rien… pour me faire mal. ».
J'avais encore buté sur quelques mots peu connus, mais dans l'ensemble, j'avais été contente de la façon dont j'avais expliqué ce que je ressentais.
Un léger grondement m'était alors parvenu, plus doux que les autres. Et malgré moi, j'avais frissonné. Ce n'était pas un grondement qui m'effrayait, loin de là ! Il me montrait que j'avais touché juste : Narghaash ne me ferait aucun mal.
Par la suite, nous n'avions rien ajouté, lui et moi plongé dans nos pensées, et dans ce que signifiaient déjà tous les mots que nous avions échangés.
...
Le lendemain, nous nous retrouvions de nouveau, quelques mètres après la sortie de la grotte.
« -Tu n'es pas comme les autres sharlob » Avait-il dit, au bout d'un moment de silence.
« -Je ne viens pas d'ici. Et je n'ai pas… vécu ce que elles ont vécu » J'avais répondu, en tournant des yeux remplis de tristesse vers lui.
« -Tu veux dire… la Fosse ? »
Il avait légèrement changé de position, et j'avais senti qu'il n'était pas à l'aise dans cette conversation, mais qu'il y avait quelque chose de palpable derrière sa question, comme un besoin… de savoir ? De comprendre ? D'être compris ?
« -Oui. » Avais-je dit, ma voix pas plus haute qu'un murmure. « -Elles ont été hum… ca…capturée, prise loin de chez elles, de leurs familles, emmenée dans un endroit où elle ne voulaient pas aller, et hum, forcée de hum… d'être avec vous ? » Avais-je essayé d'expliquer, tentant de lui faire comprendre pourquoi ces femmes ne voulaient plus les voir.
Il y avait eu un petit silence, durant lequel mon cœur avait battu un peu plus vite. Je n'étais alors pas certaine qu'il soit prêt d'entendre que tout ce qu'ils avaient fait était atroce, et s'il se rendait compte de tout.
« -Humm, je n'comprends pas tous tes mots, mais je comprends ce que tu veux dire. »
J'avais hoché doucement la tête, peu sûre de comment continuer.
« -Qu'est-ce que tu ne comprends pas, comme mot ? »
« -Famille. »
« -Oh… » Je m'étais attendue à autre chose. « Tu sais, les parents, les enfants… ». J'avais senti qu'il ne me suivait pas, et j'avais également senti que cette conversation allait vite devenir gênante, mais je ne m'étais pas dégonflée pour autant. Mais par où commencer… La famille était quelque chose de basique, chez l'être humain. Tous comprenaient plus ou moins ce que cela voulait dire. Narghaash n'en avait aucune idée. D'ailleurs, avait-il ne serait-ce que des parents ? « Hum, en premier, c'est quand deux personnes se connaissent très très bien, ils s'aiment… et ils décident de… s'unir devant tout le monde… pour toute la vie. Une famille, ça commence comme ça : deux personnes qui s'unissent pour rester ensemble. Et ils peuvent faire des enfants. »
Mon explication fort peu claire n'avait pas dû beaucoup l'aider, mais j'avais attendu un moment, le temps qu'il intègre les semblants d'informations que j'avais donné.
« -Les orques ont des shaûk, je crois que ça ressemble à c'que tu m'dis. Une compagne… »
« -Oui, ça doit être ça. Quelqu'un de… spécial ».
« -Et un enfant, c'est quoi ? »
Oh, d'accord.
« -C'est quand une femme et un homme font euh, l'amour, bah ça peut faire un enfant. Un petit humain qui grandit dans le ventre de la femme… puis qui sort 9 mois plus tard, et ça s'appelle un bébé, comme un adulte mais en plus petit… tu n'en as jamais vu ? »
« -Si… je crois. Mais c'est très petit, faible et inutile ! Il ne sait même pas parler, ni marcher ! » S'était insurgé Narghaash.
J'avais ris devant l'ignorance manifeste du colosse.
« -C'est pour ça qu'il a ses parents, son père et sa mère pour le protéger, jusqu'à ce qu'il devienne grand et fort. Son père et sa mère, c'est ceux qui l'ont fait. »
« -Comment ils l'ont fait ? »
« -Hum… en faisant l'amour » Avais-je répondu, toujours gênée par cette conversation.
« -Faire l'amour ? » M'avait-il demandé le plus sérieusement du monde, ne comprenant pas l'expression.
Parfois, j'avais eu l'impression d'être devant un enfant.
« -Roh, bon… ils ont baisé, comme vous dites ». C'était le seul mot que les uruks comprenaient, pour désigner cet acte. « Et quand ils font ça, un peu de… du père va dans la mère, et les deux petites graines du père et de la mère forment petit à petit un bébé. Il grandit dans le ventre de la mère, puis il naît. Et ensemble, ils sont une famille. »
Il y avait eu un petit moment de silence, que je n'avais pas brisé, respectant les pensées qui devaient se chambouler dans la tête de Narghaash. Personne n'avait jamais dû prendre le temps de lui expliquer de telles choses. Après un court moment de réflexion, j'avais ajouté quelques précisions :
« -Le plus souvent, il y a de l'amour, dans la famille. Le père aime la mère, et la mère aime le père. Et le père et la mère aiment le bébé. »
Un nouveau silence s'était répandu entre nous.
« -Est-ce que j'ai un père et une mère ? »
J'avais inspiré profondément, et répondu avec beaucoup d'hésitation :
« -Je ne sais pas, Narghaash. Je ne sais pas comment le… le dûshatar ? vous a fait ».
« -J'ai fait… l'amour à beaucoup de sharlob… est-ce que j'ai fait des enfants ? »
A l'entente de cette phrase, mon ventre s'était étroitement tordu, et j'avais dû avaler plusieurs fois avant de pouvoir répondre. Je n'avais pu empêcher ma voix d'être un peu plus sèche.
« -Ce n'est pas faire l'amour. C'est baiser. Pour faire l'amour, il faut que la femme le veuille aussi … »
« -Une sharlob peut vouloir le faire ? » M'avait-il alors demandé, sur un ton très surpris.
Tout mon être s'était fortement rebellé contre ces dernières paroles. J'en aurais vomi. Toutefois, je m'étais retenue pour ne rien frapper : il ne savait simplement pas ce qu'il avait fait. Putain de sorcier : il ne leur avait fait connaître que le mal, la perfidie, comment pouvaient-ils savoir qu'il y avait d'autres façons de faire ?
« -Oui ! Et ce que vous avez fait, de prendre sans que les femmes soient d'accord, c'est très mal. Ça leur a fait du mal ! » Je n'avais pas pu m'empêcher de parler plus fort, la gorge serrée par des larmes de colères.
Nous étions alors restés un moment silencieux. Il n'avait plus bougé, intégrant probablement mes paroles, et sentant que j'étais beaucoup plus tendue.
« -Je comprends. » Avait-il dit, très doucement.
J'avais avalé ma salive plusieurs fois, et m'étais forcée à respirer une dizaine de fois, avant de complètement rependre mes esprits.
« -Je ne sais pas si tu as des enfants Narghaash. Je ne sais pas tout ce qu'il se passait dans la Fosse. »
« -Alors, je n'ai pas de famille. »
« -Tu sais, il y a la famille de sang : le père, la mère, les enfants… et la famille de cœur : les amis, ceux qu'on choisit ».
« -Amis ? »
« -C'est une personne avec qui tu peux parler de tout, à qui tu peux tout dire, à qui tu fais confiance. C'est quelqu'un qui te veut du bien. »
J'avais subitement pensé à Chloé, ma meilleure amie, et ma gorge s'était à nouveau nouée. Mais mes souvenirs avaient été coupés courts par Narghaash, qui avait parlé à nouveau :
« -Donc toi, Emilie, tu es mon amie ».
Je m'étais tournée vers lui, une drôle d'expression sur le visage. Puis, j'avais émis un son de gorge entre le rire et le sanglot.
« -Oui, je suis ton amie. Et tu es mon ami. »
Un doux grondement s'était répandu dans la poitrine de Narghaash.
« -Ca, c'est bien. » Avait-il dit.
« -Oui, c'est bien ». Avais-je affirmé, avec un petit sourire sur les lèvres.
Puis, nous n'avions plus rien dit. Nous avions profité de ce doux moment, entre amis, savourant l'effet que ce mot produisait sur et entre nous. Comme il l'avait dit, c'était bien.
...
Nous nous étions également retrouvés les soirs suivants. Et nous avions discutés à chaque fois, lui me posant beaucoup de questions, et moi essayant au mieux de lui répondre. Ce qui était un exercice difficile. Nous avions parlé de beaucoup de choses : de ce qu'était globalement sa vie dans la Fosse, que je venais d'un autre endroit, des relations en général… Il ne connaissait pas grand-chose de la vie courante, ou en communauté. Mais j'aimais voir son esprit s'ouvrir, se confronter à mon point de vue. J'aimais ses questions, dont les réponses me paraissaient si évidentes. J'aimais parler avec lui, simplement.
Peu à peu, j'avais appris à apprécier ces moments à deux, où nous pouvions parler librement, apprenant doucement à se connaître. Je ne savais pas exactement ce qui me donnait envie de continuer ces rencontres, mais plus les jours passaient, et plus j'attendais avec impatience ce moment privilégié en compagnie de Narghaash, mon ami.
C'était amusant de voir comment nos rapports avaient évolués.
De la prison à maintenant, j'avais l'impression que nous avions gravis une montagne. Bien sûr, il restait encore beaucoup à faire, car nous avions des visions bien différentes sur bien des choses. Mais, doucement, les préjugés tombaient et j'avais l'impression qu'une véritable relation se créait.
...
« -Emilie ? Comment on sait ce qui est bien et ce qui est mal ? »
« -Et bien… dans mon monde, on le sait grâce aux lois. Ce sont des règles qui ont été écrites par plusieurs personnes, pour que tout le monde ait la même base de bien et de mal. Il y a aussi les parents qui nous disent et nous montrent comment faire, et puis au bout d'un moment, on le sent en nous. »
« -C'est quoi, comme règles ? »
« -Alors euh, je ne sais pas tout par cœur, mais celles qui sont importantes c'est celles-là : Ne pas tuer quelqu'un : c'est un meurtre, ne pas prendre ce qui n'est pas à soi sans l'accord de l'autre : c'est voler, quand tu es euh unis à une autre personne ou marié, ne pas euh aimer ou baiser avec une autre personne : c'est être infidèle. Et puis, en règle générale : ne pas mentir, ne pas frapper, ne pas insulter, bref être respectueux avec les autres… »
« -Il n'y avait pas ces règles dans la Fosse. »
« -Je sais. »
« -Tu sais Narghaash, tout n'est pas noir ou blanc, bien ou mal. On fait de notre mieux pour tout faire bien, mais ça arrive à tout le monde de faire du mal de temps en temps, malheureusement. Parfois sans faire exprès, et parfois en faisant exprès. Personne n'est complètement bon, mais on essaie du mieux qu'on peut. »
...
C'est donc avec impatience que j'attendis ce soir-là. Comme à l'accoutumée, j'avais joyeusement apporté les plats sales jusqu'à la rivière, où nous les avions lavés. Puis, je m'étais arrêtée à l'entrée de la grotte. Les femmes qui m'avaient accompagnée pour la corvée de vaisselle ne s'était même pas retournées pour m'attendre : elles savaient pertinemment que je restais à l'arrière, et pourquoi. Plusieurs d'entre elles m'avaient déjà fait remarquer que ce que je faisais était stupide, et fort malvenu. Pire, contre-nature, et que je devais être folle pour chercher ne serait-ce que le contact oral avec une telle créature, d'autant plus que c'était Narghaash. Il avait été le pire de tous les uruks, tuant, torturant, violant sans vergogne. Chacune des femmes le haïssait plus que tout, et je comprenais qu'elles aient peur pour moi.
Mais, vraiment, je n'avais pas peur.
Oui, peut-être qu'il avait fait tout cela, mais tout au fond de mon cœur je croyais qu'il n'était plus le même, et qu'il regrettait ce qu'il avait pu faire.
Certes, il m'avait dit que le sorcier avait jeté moins d'emprise sur lui que sur d'autres, car comme le disait son nom, il était né pour être cruel. Et cruel, il l'avait été.
Mais je persistais à croire que n'ayant jamais rien connu d'autre que la Fosse, les instructions du sorcier, et n'ayant jamais eu d'exemple concret de bon comportement, il ne pouvait pas avoir bien tourné de lui-même.
Pour qu'il comprenne, il me l'avait rapidement expliqué, il avait fallu que des personnes extérieures lui ouvrent les yeux lui montrent autre chose.
Oui, peut-être qu'il aurait pu s'en rendre compte avant !
Certes, il n'était pas tout à fait une victime, ou moins que d'autres, puisqu'il avait été le maître de la Fosse pendant un moment, étant l'un des plus féroce et des plus « vieux » uruks.
Mais quand on nous dit que ce que l'on fait est bien, et que le seul maître que l'on ait jamais connu est un fou, et qu'on ne sait pas qu'il est fou… est-ce que vraiment on peut s'attendre à ce qu'on soit bon ? Un être humain lambda, dans de telles circonstances n'aurait probablement pas fait mieux.
En y pensant, certains avaient même fait pire, et en toute connaissance de cause !
Bref, je ne cherchais pas à excuser, ni à minimiser toutes les atrocités qu'il avait commises. Tout comme je ne pouvais pas les effacer, et lui non plus. Mais, je croyais aux secondes chances, et aux nouveaux départs.
Je m'arrêtai donc devant la grotte, posai mes récipients « propres » juste à côté, et me précipitai dans la montée. Quelques mètres plus haut, je me mis à marcher plus calmement. J'atteignis un endroit plat, qui avait été aménagé pour pouvoir garder l'entrée de la grotte.
Narghaash s'y trouvait déjà, et je vis qu'il attendait ce moment autant que moi, car un doux grondement me parvint aux oreilles. Il ne souriait pratiquement jamais mais ce grondement, que j'avais appris à reconnaître, voulait tout dire. Il était content que je sois là.
Il était assis par terre, son regard fixé sur moi. Je souris, puis me dirigeai vers lui, attrapai sur le passage une peau en guise de couverture, et m'assis confortablement à côté de lui. Nos bras se touchaient presque. Je ne me couvris que les jambes, ayant appris que les uruks étaient de vrais radiateurs, je savais que je n'aurais pas froid.
Nous restâmes quelques minutes silencieux, puis je tournai mon visage vers Narghaash, un léger sourire sur les lèvres.
« -Comment c'est allé, aujourd'hui ? » Lui demandai-je.
Il tourna ses yeux aux pupilles verticales vers moi.
« -C'était un bon jour : on a rapporté beaucoup de viande et les deux petits se sont tenus tranquilles. »
« -Bien ! Moi c'est allé aussi. Comme d'habitude, quoi, on a cherché à manger ce matin, fait à manger, tanné quelques peaux, et puis j'ai appris des nouveaux mots ! » Terminai-je fièrement !
Je prenais souvent les devants dans la discussion, car Narghaash ayant eu peu de rapports euhm… courtois avec les autres, ne savait rien de la politesse. Je commençais doucement à lui apprendre qu'il fallait généralement dire bonjour à tout le monde quand on se rencontre, et demander comment vont les gens. Bien sûr, il ne comprenait pas grand-chose à ces coutumes, mais se pliait souvent de bonne volonté à l'exercice avec moi. De mon côté, j'apprenais aussi beaucoup sur la vie des orques en général, qui avaient une histoire plus longue que celle des uruk. J'avais d'ailleurs compris très vite que les orques n'aimaient pas les uruks. Pour eux aussi, c'était des abominations, ni orques, ni humains et cela les énervait au plus haut point que ces Isengardiens se soient appelés uruk-hai.
Je ne savais pas exactement ce qui retenait les orques dans notre petit groupe. Probablement la peur de Narghaash, et l'envie d'appartenir à quelque chose qui n'était pas trop mal.
« -Emilie ? » Me demanda subitement Narghaash.
Il y avait quelque chose dans son ton qui me fit froncer les sourcils.
« -Oui ? »
« -Pourquoi est-ce que tu es mon amie ? »
Il ne me regardait pas, et gardait les yeux fixés sur l'horizon. Quelque chose le tracassait.
« -Tu sais que j'ai fait beaucoup de mal à la Fosse, et même que j'ai aimé ça… Les autres sharlob le savent et ne viennent pas vers moi, mais toi pourquoi tu restes là ? »
Ah… Je mis un petit moment à formuler une réponse correcte dans ma tête.
« -Parce que… je crois que tu as changé. » Il resta dans la même position, et sa respiration s'accéléra légèrement. J'avalai difficilement, et décidai de continuer. « Je crois que tu regrettes ce que tu as fait, maintenant que tu as vu que c'était mal et que ça blessait d'autres personnes. Et puis, je crois que tout le monde peut se tromper et avoir une deuxième chance. »
Il y eu à nouveau un silence. Je sentis qu'il était perdu dans de sombres pensées, et je décidai de changer de position. Je m'accroupis en face de lui.
« -Narghaash, est-ce que tu regrettes ce que tu as fait ? »
« -Regrette ? » Me demanda-t-il dans un grondement.
« -Hum… que si tu pouvais revenir dans le passé, tu ferais autrement, mieux. Que tu te sens coupable pour ce que tu as fait… »
« -Oui. »
J'hochai doucement la tête.
« -Je ne comprends pas tout, et je ne sais pas encore ce qui est bien ou mal, mais je sens que je n'aime plus ce que j'ai fait avant. » Dit-il d'un ton de voix brusque.
J'avais compris qu'il n'aimait pas parler de ce qu'il ressentait. Il était le chef, et pendant tant de temps il avait agi, sans réfléchir. Il avait dû montrer l'exemple, et refouler toutes ces choses qui surgissaient en lui.
Et là, tout d'un coup, il pouvait ressentir, parler... Peut-être voyait-il cela comme une faiblesse et cela le dérangeait.
« -Et c'est déjà beaucoup ». Lui dis-je d'une voix douce.
Il tourna enfin son visage vers moi, et me regarda vraiment. Je lui adressai un petit sourire, et je vis ses yeux s'adoucir.
« -Je t'ai fait du mal… au début… » Me dit-il soudain, du remord dans la voix.
« -Et je te pardonne pour ça. » Lui dis-je fermement.
« -Je crois comprendre un peu, mais tu peux m'expliquer plus : pardonne ? »
« -Pardonner, c'est hum… renoncer à punir pour quelque chose que l'autre a fait. Ne plus lui en vouloir, ne plus prendre en compte la faute. D'ailleurs, on peut aussi demander pardon. Par exemple : je te demande pardon pour le coup de genou que je t'ai donné, dans la prison de la tour… »
Narghaash pouffa, et je me mis à rire, gardant tout de même mes yeux fixés sur son visage.
« -J'pourrais jamais te pardonner ça » me dit-il avec un air assez sérieux pour me faire douter. Mais quand je vis son petit sourire joueur, je m'écriais :
« -Quoi ?! Espèce de… » Je lui donnais un petit coup sur l'épaule, et il se mit à rire.
Presque surprise de le voir rire ainsi, je ne réagis même pas et l'observai seulement, bouche-bée. Il s'arrêta alors, et me regarda à son tour.
« -C'est… j'aime bien quand tu ris ». Lui dis-je, presque timidement.
« -C'est la première fois que j'ris comme ça. » M'avoua-t-il, un léger sourire sur le visage.
« -Et alors, tu en penses quoi ? »
« -C'est bien ».
« -Oui, c'est vrai que ça fait du bien ! » Dis-je en me levant et en étendant mes jambes restées pliées.
Après quoi, je me rassis à côté de lui, peut-être un peu plus près qu'avant. Bon d'accord, carrément plus près qu'avant, puisque nos bras se touchaient. Ma tête ne dépassait que des quelques millimètres son épaule, et je résistai à l'envie de me laisser aller contre lui.
« -Emilie ? »
« -Hum ? »
« -J'aime t'avoir avec moi »
« -Moi aussi, j'aime bien être avec toi ». Dis-je doucement.
« -Tu m'as dit qu'avant de s'unir et faire l'amour, deux personnes devaient se connaître très bien et s'aimer, c'est ça ? »
Quelle était cette étrange question. Je me retins de bouger, inconfortable.
« -…Oui ? »
« -C'est quoi, s'aimer ? »
Ok, à ça je pouvais répondre !
« -C'est… quand deux personnes sont plus que des amis. Ils se connaissent très bien, donneraient leur vie l'un pour l'autre, et aussi euh… se désirent… mentalement et physiquement. C'est une relation très forte. »
« -Hum… donc si je veux faire l'amour avec toi, il faut d'abord qu'on s'aime et qu'on s'unisse. »
Je piquai aussitôt un fard monumental et en oubliai de respirer.
Bon, au moins ça avait le mérite d'être clair.
J'en fus tout de même chamboulée.
D'une part, j'étais complètement choquée : je ne savais pas que son esprit était allé aussi loin dans notre relation, et qu'il pensait à cela avec moi. J'étais désarçonnée par sa franchise et par ce qu'il avançait. Faire l'amour avec moi ?! Je ne savais qu'en penser ! Etais-je dégoûtée ? Non, ce n'était pas ça, mais j'étais vraiment choquée qu'il pense à une telle chose.
En même temps, je commençais à comprendre que c'était une pulsion qui était très forte chez les uruk, qui avaient toujours été encouragés à suivre leurs moindres désirs. Et puis, c'était un homme… façon de parler. Mais… quand même. C'était bizarre. Je n'en étais clairement pas là dans mes réflexions.
Cependant, d'autre part… j'étais presque flattée. Presque.
« -Euh… en théorie ce serait ça mais… je ne pense pas que… je crois… je n'en suis pas encore là. Je t'apprécie, mais euhm… il me faudrait encore du temps… peut-être beaucoup pour que j'ai euhm… des sentiments ? »
Il y eu un silence gênant entre nous, que je ne sus comment briser. Je fus incapable de le regarder. Toutefois, je le vis hocher de la tête, du coin de l'œil.
« -Alors, j'vais attendre » Termina-t-il d'une voix résolue.
