Mon coeur battait frénétiquement dans ma poitrine : j'étais complètement subjuguée par l'apparence du couple assis devant nous. Ils étaient beaux et terrifiants à la fois. Leurs atours me faisaient penser à ceux que j'avais pu voir sur les images montrant les tribus indiennes d'Amérique du nord, avant qu'ils ne soient massacrés. Leurs bijoux étaient faits de différents matériaux provenant de la nature même: cailloux polis, bois sculptés, os, argile cuit... Les longs cheveux noires de la femelle orque étaient savamment tressés de part et d'autre de son visage. Des rubans bruns et rouges avaient été mêlés à ses nombreuses nattes. Des bijoux de toutes tailles et sortes pendaient à son cou, cachant partiellement sa poitrine. En bas, elle était vêtue d'une sorte de pagne en peau, retenu par une ceinture brodée de couleur pourpre. Elle était de corpulence très fine, mais ses muscles saillaient sous sa peau, me laissant deviner qu'elle pouvait être redoutable au combat. Ses avant-bras étaient également parés de bijoux, dont certain semblaient être en argent. Sa peau était de teinte bien plus claire que la mienne. Son visage, plutôt fin, était intriguant: elle avait des oreilles pointues, ornées de quelques piercing, un nez légèrement aplatis, et de grands yeux en amande légèrement étirés, d'un bleu irréel.
Le mâle orque, avait également de longs cheveux noirs, ramassés vers l'arrière, mais les deux côtés de son crâne étaient rasés de prêt. Il avait moins de bijoux sur lui. Ses oreilles seules étaient percées. Toutefois, deux sortes de sabres pendaient à sa ceinture, et son torse dénué de tout habit montrait combien il était entraîné à se battre: des cicatrices régulières le marquait, formant un motif particulier sur ses pectoraux. Lui, portait une sorte de pantalon en peau, décoré de quelques broderies. Il avait un visage sauvage, couturé de vilaines cicatrices. Ses canines inférieurs ressortaient légèrement lorsque sa bouche était fermée. Sa peau était bien plus sombre que celle de sa compagne, ce qui lui donnait un air plus féroce.
Ce ne fut que lorsque mes yeux acceptèrent de quitter ces deux personnages fort singuliers que j'aperçus enfin ceux qui les entouraient. A côté du chef, légèrement en dessous, se tenait un orque qui devait être adolescent, vu la longueur de ses cheveux et la forme de son visage. Ils se ressemblaient étrangement, et j'en déduis qu'il devait être le fils du couple, ce qui me laissa ébahie. Assis aux pieds de la dame orque, légèrement sur la droite se trouvaient... deux enfants orques! J'en fus si étonnée, que je les fixai pendant un long moment. Ils avaient des visages ronds et juvéniles. Leurs petites oreilles pointues et leurs grands yeux leur donnait un air comique et mutin, ce qui me fit sourire. Ils se ressemblaient énormément... peut-être était-ce des jumeaux?
Tout autour de nous, la foule nous contemplait également, visiblement curieux.
Puis, je jetai un coup d'œil aux uruks, qui semblaient tout bonnement choqués par la présence de ces petits êtres. Ils ne cessaient de dévisager les deux petits, au pieds de leur mère. Je me rappelai alors qu'ils n'avaient sûrement jamais vu de femmes... ni d'enfants orques de leur vie. Ils avaient de quoi être surpris. Peut-être même ne comprenaient-ils pas ce que ces enfants étaient, et d'où ils venaient: tout ce qu'ils avaient connu, c'était la sortie de terre d'uruks déjà adultes.
J'eus l'impression que le couple comprenait ce qui se déroulait, ou tout du moins, qu'ils toléraient gracieusement cet instant de flottement. Ils laissèrent s'écouler un petit moment, où mes compagnons et moi-même eurent tout le loisir de les contempler, avant de reprendre la parole.
« - Je suis Shakh, et voici ma shaûk, Voltha » Dit-il en désignant la femme orque assise à ses côtés. « Maintenant, Ufthak, lève-toi et parle. » Ordonna-t-il.
Un silence compact se répandit dans l'assemblée. Ufthak se leva lentement, puis porta son poing droit contre se coeur avant de mettre sa main en coupe et de l'éloigner en direction du chef, qui hocha imperceptiblement la tête.
« - Grand chef, » commença Ufthak dans la langue commune, d'une voix plus mesurée que d'habitude. « Nous venons de la grande plaine du Dushâtar, elle a été détruite par les hommes et les arbres. Nous étions esclaves sous son service, mais maintenant nous nous sommes enfuis, et nous sommes libres. Nous venons à toi pour implorer ta clémence, et te demander de nous accueillir parmi le clan des chutes féroces. »
Des murmures parcoururent la foule après son discours. Je jetai un coup d'œil furtif à Narghaash, qui gardait son regard fixé sur le chef du clan. Un silence pensant s'abattit ensuite sur l'assemblée, tandis que les yeux rougeoyants du chef orc passait sur chacun des membres de notre groupe, tentant sans doute de percer nos secrets. Les deux enfants orques qui se tenaient aux pieds du trône se rapprochèrent un peu plus de nous, visiblement très curieux.
« - Je connais vos coeur, orques, » parla enfin le chef. « Je sais que vous avec répondu à l'appel du dushâtar en pensant que l'ère des orques pourrait venir. Vous avez choisi la haine au-dessus de la paix, et voilà où ça vous a mené... Que cela vous serve de leçon. Dans ma grande magnanimité, je vous permets de rester ici. »
La tension dans les épaules des orques agenouillés s'évanouit soudain, et j'eus l'impression de voir un soupire de soulagement s'échapper des lèvres d'Ufthak.
« - Mais, que font ces trois êtres mi-orques, et cette sharlob avec vous? » Dit-il, dardant ses yeux calculateurs sur nous.
Les uruk eurent la bonne idée de ne pas réagir à l'insulte concernant leur race. De ce que j'avais compris, les orc et les uruk ne s'aimaient pas beaucoup: uruk-hai signifiait en fait "grands orques", une façon d'affirmer leur supériorité physique sur les orques. Ce qui n'était pas pour plaire au peuple orque; de leur point de vue, les Uruk-hai n'était pas entièrement orques, et dégradaient les gênes de leur race en étant sang-mêlé.
« - Narghaash est celui qui a permis que nous arrivions jusqu'ici. » Dit-il en le désignant. « Son coeur commence à devenir libre, et orc. Les deux autres l'ont suivi. Le dushâtar n'est plus dans leur tête, ils pourront se rendre utiles. » Conclut-il. Puis, il se tourna vers moi, et nos regards s'accrochèrent un bref instant. Mon coeur se mit à battre plus vite: mon sort dépendait des paroles du vieil orque, s'il disait quelque chose qui ne plaisait pas, j'étais morte.
« -La sharlob aussi s'est enfuie des plaines, et elle a choisi de nous suivre... » La suite de sa phrase fut en langue orque, et je ne compris pas grand chose. Mais, quelques rires s'élevèrent de la foule, et un sourire moqueur se dessina sur les bouches. Narghaash gronda, et aussitôt tous se turent.
« -Intéressant. » Dit le chef orque, en échangeant un regard avec sa compagne. « Vous pourrez rester, à quelques conditions: aucun de vous n'aura le droit à une arme et aucune violence ne sera tolérée de votre part. Vous ferez les travaux communautaire que nous vous indiqueront. Vous devrez rester dans l'enceinte du camp et ne pourrez pas en sortir... Vous devrez vous plier aux règles et coutumes de notre clan. » Son regard se durcit, puis se posa brièvement sur chacun de nous. « N'oubliez pas que vous êtes ici grâce à mon bon vouloir, nous vous surveillerons et au moindre faux pas, vous serez exclus du clan et livrés à vous-même. »
Tous les membres de notre groupe disparate acquiescèrent, et je fis de même. De toute façon, quel choix avions-nous? J'espérais seulement qu'ils seraient clément avec nous, car pour ma part, je ne connaissais absolument rien à leur culture ni à la langue orque. La chef orque se leva, faisant teinter ses innombrables bijoux, puis donna quelques ordres brefs dont le sens m'échappèrent. La foule se dispersa lentement, et plusieurs orques, ainsi qu'Ufthak s'approchèrent de leur souverains. Ils discutèrent quelques minutes, nous jetant des coups d'œil insistants. Puis, ils semblèrent parvenir à une conclusion qui les mis tous d'accord. Ils s'avancèrent vers nous. Les trois uruk se mirent à suivre l'un des orques, le plus trapu. Alors que j'étais toujours agenouillée à terre, ils passèrent devant moi. Nous échangeâmes un regard avec Narghaash. La force et la détermination que je pus y lire me donna du courage, et j'inspirai profondément tandis qu'il disparaissait hors de l'immense caverne.
Très bien, à présent, j'étais seule.
Soudainement, deux paires d'yeux aux prunelles de chat apparurent dans mon champ de vision. J'eus un léger mouvement de recul, avant de comprendre que c'était les deux enfants orques qui s'étaient approchés. Ils penchèrent tous deux la tête d'un côté en m'observant intensément, et la scène fut si comique que je me mis à rire. Interloqués, ils reculèrent de quelques pas.
« Bonjour! Je suis Emilie » Dis-je d'une voix douce en Westron, tout en me désignant de la main droite. Je la laissai ensuite choir sur mes genoux, paumes vers le haut afin de montrer que je n'étais pas un danger.
Leurs petites oreilles frémirent. Ils avancèrent côte à côte à petit pas, flairant l'air et dardant leurs regards perçants sur moi. Quand ils arrivèrent tout près, je tendis lentement mes mains et ils s'arrêtèrent pour observer mes ongles. Visiblement, c'était quelque chose de très nouveaux pour eux, et je m'aperçus qu'en effet c'était des griffes qui terminaient leurs doigts. Après m'avoir longuement contemplée, la curiosité fut plus forte, et chacun s'empara de l'une de mes mains pour pouvoir toucher. Je les laissai faire, un sourire amusé sur les lèvres. Ils comptèrent mes doigts, tapotèrent la surface plane de mes ongles, observèrent la différence de couleur entre ma paume et le dos de ma main. Puis, enhardis par ma visible compliance, ils touchèrent mes cheveux, et mon visage. Sous l'assaut de leurs petites mains, je me mis à rire de nouveau. Aussitôt, ils observèrent mes dents. Petites, et plates, sans aucun croc.
« - Sham, Ymir, laissez-la tranquille. » S'écria soudainement une voix, interrompant notre drôle d'échange.
Les deux petits orques s'enfuirent en gloussant. Un orque apparut alors devant moi ; ses cheveux tressés, ses colliers remplis de perles, sa longue tunique et son visage plus doux me firent comprendre que c'était... UNE orque.
« - Ils n'ont pas l'habitude de voir des sharlob de si près. » Dit-elle en langue commune.
« - Et moi, je n'avais jamais vu d'enfant orque. » Répondis-je avec un sourire ravi. « Au fait, je suis Emilie »
« - Urga » Répondit-elle en me tendant une main pour me relever.
Je l'attrapai, et elle me hissa sur mes pieds avec une force surprenante. J'aurais dû le savoir: les femmes orques étaient sans doute bien plus fortes que nous, pauvres femmes humaines. Je jetai un coup d'œil autour de nous. La foule s'était dispersée, et dans la caverne comme à l'extérieur résonnaient désormais les bruits d'un village médiéval ordinaire.
« - Suis-moi » Ordonna alors Urga, et je n'osai pas demander où nous nous rendions, ni ce qu'ils comptaient faire de moi.
J'étais tout de même rassurée que ce soit une femme qui s'occupe de moi, malgré notre différence de culture et de race, j'étais sûre que nous pouvions rapidement trouver un terrain d'entente. Allez, confiance, Narghaash ne laisserait rien m'arriver, et je savais que si je criais il ferait tout pour venir me retrouver. Je respirai à fond, tandis qu'elle m'amenait sur le côté gauche de l'immense caverne où était creusé un couloir étroit qui s'enfonçait dans l'obscurité. Nous nous y engouffrâmes et je me tins au bord du mur pour ne pas trébucher. Nous marchâmes ainsi un long moment, nos pas seuls résonnants dans l'étrange silence souterrain. L'air s'humidifia et se réchauffa au fur et à mesure que nous semblions descendre dans la montagne. Soudainement, le couloir s'élargit pour céder la place à une large grotte, d'où pendaient de longues stalactites. Une ouverture unique au plafond déversait une douce lumière. La salle était séparée en deux par des palissades tressées. Et... oh... bonheur. De chaque côté de ces palissades se trouvaient des sortes de cuves naturelles creusées dans la roche, et l'eau qu'elles contenaient dégageait des volutes de fumée blanches. Donc, de l'eau chaude... C'était des sources d'eau chaude.
« - Par là, c'est le côté des femmes. » Dit-elle en se dirigeant vers la droite.
Je la suivi, des frissons d'anticipation me secouant de la tête aux pieds. Il y avait donc un côté homme, et un côté femme. Je devais bien enregistrer cette information... histoire de ne pas me retrouver du mauvais côté la prochaine fois, ce qui serait particulièrement gênant. Elle me mena près de cases creusées à même dans la roche. Des paravent tressés avaient été érigés ça et là pour plus d'intimité.
« - Laisse tes... "habits" par terre, on s'en occupera. Tu en trouveras des nouveaux quand tu sortiras des bains. Mais d'abord, rince-toi avec ce sceau d'eau. » Dit-elle, en me montrant un sceau à terre.
« -Merci beaucoup! » Lui dis-je, les yeux brillants d'envie.
« - Bein, c'est surtout pour nous... tu sens le rat crevé. Et puis si tu veux faire tes travaux, il faudrait que tu sois bien propre. »
« - Je n'aurais jamais imaginé tout ça... » Dis-je sans penser.
« - Tu pensais que les orques étaient des êtres sales qui aimaient se rouler dans la boue toute la journée? Tu as tout à apprendre sur notre peuple. » Me répondit-elle avec agacement.
« - Oh... excusez-moi... Je ne voulais pas... C'est que je n'ai vu que... » Tentais-je maladroitement de me rattraper.
« - C'est vrai, tu n'as vu que des guerriers... et que des hommes en plus. Ceux-là alors... plus de femmes et hop ils se vautrent dans la boue comme des cochons» Ricana-t-elle. « Allez, lave-toi, je viens te chercher dans un moment. »
Elle se détourna, et parti en direction du couloir par lequel nous étions arrivées. Je fis un tour autour de moi-même en regardant à nouveau l'immense salle, puis avisai le sceau d'eau qui m'attendait. Je trempai mon petit doigt dedans. Aoutch, c'était gelé. Bah, si c'était le prix à payer pour des sources chaudes! Je soupirai, puis commençai à me dévêtir. Je jetai un rapide coup d'œil aux alentours avant d'enlever les dernières couches, histoire d'être sûre que je sois bien seule. Après m'être entièrement dévêtue, je me dirigeai vers la sceau, et commençai la pénible tâche qui consistait à me laver. Je pris l'eau dans mes deux mains jointes, et m'aspergeai en poussant des petits cris: elle était vraiment glacée! Au bout de quelques minutes où je me frottais énergiquement de toute part en sautillant, je décidai que j'étais assez propre. Je sorti de la petite "cabine" dans laquelle je me trouvais, et me dirigeai d'un part rapide vers le bain le plus proche.
Frissonnante, je plongeai mon gros orteil dans l'eau fumante. Je retins un cri. L'eau était vraiment chaude. Avec un soupir de bien être, j'entrai graduellement dans le bain. Quand je fus immergée jusqu'aux épaules, je me laissai aller contre un bord et fermai les yeux. Je sentis mes muscles se détendre, et profitai un moment de cette sensation si apaisante. Au bout d'un moment, je m'arrachai à ma somnolence plongeai sous l'eau afin de mouiller mes cheveux. Je tentai de les démêler de mes doigts, et soupirai. Ils étaient dans un état lamentable. Ils avaient poussés, depuis que j'étais là, et m'arrivaient au milieu du dos. Par contre, ils étaient sec, cassant, fourchés, et j'en avais perdu un bon nombre lors de mes périodes de jeûne forcé.
Lorsque Urga revint un peu plus tard, je m'étais endormie dans le bain. Elle claqua des mains, ce qui me réveilla en sursaut. Je clignai des yeux, perdue, et avisai l'orque qui me toisait avec un air moqueur.
« Allez Sharlob, sort, il est temps que je te montre notre village. »
Elle vit que j'hésitai à sortir nue devant elle, et levant les yeux au ciel avec un petit sourire, elle se détourna. J'avais appris ces derniers mois, que la pudeur ne faisait pas parti du vocabulaire orque. Mais moi, profondément humaine, la pudeur était encore quelque chose à quoi je tenais particulièrement ! Je sorti prestement, et commençai à me vêtir. J'avais eu peur, pendant un moment, qu'ils ne me donnent rien pour le haut et que je doivent me trimballer la poitrine à l'air. Mais visiblement, ils avaient eu l'air de comprendre que ce n'était pas mon souhait. J'enfilai donc la longue jupe tissée, et l'attachait à ma taille grâce à des lanières de cuir tressées. Je mis ensuite le haut, à manche longue et arrivant au niveau du nombril, dévoilant ainsi une mince bande de mon ventre trop creusé. Il était fait d'un tissu clair, plus doux que la jupe, et donc nettement plus confortable – surtout que je n'avais pas de soutien gorge… c'était braless ici. - . Je laissai mes cheveux lâche, après les avoir essoré au maximum au-dessus des bains.
Un léger sourire fleurit sur mes lèvres : compte tenu des circonstances, je me sentais bien. J'étais plus propre que je n'avais jamais été, et j'avais de nouveaux habits.
Je suivi docilement Urga, et nous remontâmes à la surface par le même couloir. Dehors, c'était déjà l'aurore. A l'horizon, le ciel commençait à pâlir. Urga me conduisit en dehors de l'immense grotte, et maintenant que mes yeux diurne commençaient enfin à voir quelque chose, je découvris un très grand village, fais de hutte de bois et de peaux. Une allée centrale partait de l'entrée de la grotte, jusqu'à de grande palissade en bois qui protégeaient l'entièreté du village. Il régnait encore une certaine animation, et on entendait des cris ça et là. En fond, il y avait constamment le bruit de l'énorme et tumultueuse cascade que nous avions aperçue à notre arrivée.
Nous descendîmes la rue principale, et bientôt nous nous fondâmes dans la foule d'orque qui se tenait là. Ce fut l'un des bains de foule les plus impressionnants... et gênant que j'eus l'occasion d'avoir. Avant même de me voir, les orques me sentaient, et se retournaient. Leurs yeux étirés, aux couleurs surprenantes me fixaient, et accompagnaient ma marche. J'inspirai profondément, en évitant de croiser le regard de qui que ce soit. Mais j'étais affreusement consciente de leurs yeux sur moi, et ils semblaient me brûler la peau. De temps en temps le mot « sharlob », suivi d'autres mots en orque me parvenait aux oreilles, et je fis tout mon possible pour rester impassible. Après tout, j'étais une complète étrangère, et la haine mutuelle que se portaient humains et orques n'allait pas aider à mon intégration. Mais, j'étais fermement décidée à faire de mon mieux pour qu'ils voient que tous les hommes - et femmes - n'étaient pas les mêmes. Je voulais leur montrer que nous pouvions coopérer, et peut-être même cohabiter ?
Heureusement, à part des chuchotements, des ricanements et quelques grognements, il ne m'arriva rien. Nous arrivâmes vers une large bâtisse d'où sortaient des effluves appétissantes. Des orques en sortaient par flots, que ce soit des mâle ou des femelles. Titubants, grognants, riants. Quand il percevaient mon odeur, ils tournaient leurs yeux de chat vers moi, et je faisais de mon mieux pour ne pas les croiser. Ça sentait l'alcool à plein nez, et j'avais peur d'une réaction incontrôlée. Urga entra dans la taverne, et je la suivi de très près. La chaleur, mêlée au parfum ambiant de nourriture, de sueur et d'alcool me retourna l'estomac. Malgré tout, j'ouvris de grands yeux pour enregistrer tout ce que je pouvais.
C'était une taverne médiévale comme je l'aurais imaginée. Large, la charpente faite de grandes poutres, un énorme bar faisait tout un côté de la pièce, et ça et là étaient disposé des tables rondes entourées de tabourets de bois. La salle était loin d'être pleine, c'était la fin du service : bientôt il ferait jour et les orques iraient se calfeutrer dans leur maisons.
Nous nous avançâmes dans la grande salle. Peu à peu, le caphernaüm qui y régnait s'éteignit pour ne laisser plus que des grognements sourds. Je déglutis et me contentait de fixer les longues tresses noires qui pendaient dans le dos d'Urga. Elle me mena à une table et me fis m'y asseoir. Puis elle me laissa pour aller commander de quoi manger. Une peur légère s'empara de moi tandis que je restai seule à ma table. Je m'efforçai de penser à autre chose, consciente que tous les orques étaient capables de sentir les fortes émotions, et je ne voulais pas qu'ils sachent que j'ai peur.
Immanquablement, je sentis du mouvement sur ma droite et lorsque je relevai les yeux, je vis un orque me faire un sourire tordu. Il puait l'alcool, et ses yeux vitreux ne me disaient rien qui vaille.
« - Alors sharlob, t'es perdue ? » Ricana-t-il. Il se pencha vers moi, et je reculai sur mon siège, tétanisée. « T'as p'tet b'soin que j'te mont' comment ça marche par ici ? » Ses yeux descendirent lentement sur mon corps,et je frissonnai de dégoût.
Un grondement s'éleva soudain, faisant trembler tout l'assemblée. Tous les yeux se tournèrent vers ceux qui venaient de pénétrer dans la taverne. Le groupe d'uruk, tous habillés de pagnes clairs, ceint à la taille, étaient impressionnants. Mais le plus impressionnant de tous, c'était Narghaash. Sa stature, sa musculature apparente, la force de son regard furieux fit s'écraser toute volonté de se mettre sur son chemin.
Un intense soulagement m'envahit, et je faillis pleurer de gratitude. Je tentai de capter le regard de Narghaash, mais ses yeux étaient fixés sur l'orque à mes côtés. Celui-ci dû sentir qu'il ne ferait pas le poids contre le colosse, malgré son taux d'alcoolémie qui l'aurait sans doute poussé à se battre, car il recula en grommelant. Urga revenait à ce moment-là, et lorsqu'elle passa à côté de l'orque, elle lui donna un coup de genou bien placé, qui fit hurler de rire tous les clients. Je pouffai devant le spectacle et l'audace de l'orquesse, essayant d'ignorer les tremblements qui secouaient encore mes jambes. Les uruks, guidés par l'orque trapu, s'installèrent à la table où je me trouvais. Aussitôt, Narghaash s'assit à mes côtés, et fixa ses yeux couleur citrine sur moi.
« -Emilie... Ce bâtard ne t'as rien fait ? » Sa voix était remplie de colère.
« -Non, non il ne m'a rien fait. » Dis-je en frissonnant, évitant de penser à ce qui aurait pu se passer.
Voyant que je tremblais, et sentant la peur qui était en moi, Narghaash gronda à nouveau, dardant son regard sur le fautif.
Après quoi, avec l'aide de l'autre orque, Urga plaça devant chacun de nous un large bol fumant. C'était un bouillon salé, où flottaient ce qui semblaient être des légumes, des herbes aromatiques, des pommes de terre, et de la viande. J'attaquai avec peu d'entrain, l'appétit coupé. Mais, peu à peu, alors que cela remplissait mon estomac d'une douce chaleur, je me pris à aimer le goût et à manger la moitié du bol. Il me fut par contre impossible de le finir : les quantités étaient faites pour des estomacs d'Uruk ! Je poussai la fin de mon bol vers le jeune uruk Barash, qui me lança un regard de reconnaissance absolue. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, il le termina avec un soupir de satisfaction. Je pouffais, amusée par le plus jeune, et il me lança un petit sourire contrit.
« - Est-ce que vous savez ce que vous allez devoir faire ? » Demandai-je alors, promenant mon regard sur les trois uruks.
« - Barash va aider aux cuisines de la taverne, Aklash chez l'outilleur, et moi j'aiderai où il y a besoin de force. » Me répondit Narghaash.
« - Ils ont plutôt bien choisi. » Conclus-je avec un petit sourire.
« - Oui, ils ont dû être aidés. » Me glissa Narghaash, et j'hochai la tête. Ufthk avait dû renseigner son roi. Et toi ?
« - Elle aidera les autres à nettoyez la grotte, et à garder les enfants du Chef. » Intervint Urga, en me jetant un regard indéchiffrable.
Oh... je m'étais attendue à tout sauf à cela. J'avais déjà fait pas mal de baby-sitting, mais jamais avec des petits orques. Il allait falloir que je fasse bien attention, car j'étais dans une position délicate : j'étais sous surveillance, sous probation. Et me mettre aussi proche des enfants de celui qui décidait de notre sort ne me semblait pas être une si bonne idée. Mais... j'étais aussi curieuse de voir comment étaient éduqués ces petits, et ce à quoi ressemblaient la vie des enfants orques.
Lorsque nous eûmes tous terminé notre repas, nous sortîmes de la taverne avec nos deux guides orques. Le soleil dardait alors ses premiers rayons à l'horizon. Urga plissa les yeux, et grogna. Elle me fit signe de la suivre. J'échangeai un regard avec Narghaash, lui sourit puis lui fit un petit signe de main. Il hocha lentement la tête. Je savais que nous nous retrouverions bientôt, mais j'étais inquiète à l'idée de ne pas l'avoir à mes côtés. A contre-coeur, je suivi Urga. Elle me mena dans plusieurs petites ruelles, un peu plus proche de la grotte, là où les maisons étaient plus grandes. Je remarquai une certaine différence entre les maison du haut -proche de la grotte- et celles du bas. Peut-être que le rang social permettait de vivre au plus près du chef, et d'avoir donc des huttes plus grandes, tandis que celles du bas les plus éloignés témoignaient d'une position moins élevée? Y avait-il une sorte de logique hiérarchique ? Il serait intéressant de demander plus tard comme tout ça était organisé ! Je mis ces questions dans un coin de ma tête, prête à les sortir au bon moment.
Finalement, nous arrivâmes devant une hutte de taille moyenne. Nous entrâmes, et Urga ferma la porte derrière moi. Nous étions dans le noir, car les volets fenêtres étaient obscurcies par des panneaux de bois, protégeant l'intérieur des rayons du soleil, délétère pour les orcs. Je sentis l'orquesse bouger à côté de moi.
« -Euh, Urga, tu crois que tu pourrais allumer la lumière ? » Demandai-je d'une petite voix.
« -Ah oui... c'est vrai que tu ne vois pas dans le noir. »
J'entendis le bruit de deux pierres se frottant l'une contre l'autre. Il y eu une étincelle, puis une petite flamme vacillante, au bout d'une bougie de cire. La pièce s'éclaira partiellement, et je pus voir que j'étais dans une petite chaumière. Le sol était en terre battue, les murs en planches de bois, le toit en chaume. Le mobilier était très simple, une petite table, un tabouret. Une place centrale pour le feu, délimitée par des pierres. Dans un coin, non loin du feu, des planches de bois surélevées recouvertes de fourrures faisaient office de lit. Quelques ustensile et récipients en os, en terre cuite et en fer pendaient ça et là au mur.
« -C'est chez toi ? » Demandais–je à Urga, un peu gênée de m'imposer chez elle.
« -Oui. »
« -Oh… merci de m'accueillir. »
Un grognement bref me répondit. Je ne su pas si c'était de dépit ou simplement un de rien. Nous nous lavâmes le visage au-dessus d'un petit baquet, puis Urga se déshabilla entièrement avant de se glisser sous les peaux, et je détournai pudiquement les yeux. Je restai ensuite là sans trop savoir quoi faire. Je soufflai alors la bougie, et affreusement consciente qu'elle voyait dans le noir, je restai habillée. Je m'apprêtais à me coucher sur le sol, quand un grognement me repris.
« -Viens te coucher. »
« -Euh, tu es sûre que tu veux qu'on partage le même lit ? »
« -Pourquoi, vous faites autrement, vous les humains ? »
« -Oh euh… Oui. »
« -Bah, chez les orques, t'es sous le même toit, tu partages le même lit. »
« -Bon… Si ça te dérange pas… »
« -Couches-toi et dors. » M'ordonna-t-elle. « Tu as du travail à faire demain. »
Je préférai ne pas discuter plus, et me glissai sous les peaux de bêtes. Habillée, bien sûr. Je restai sans bouger un moment, n'osant pas prendre trop de place. Mais bientôt, la fatigue et les émotions de la journée eurent raison de moi, et la chaleur bienfaisante que dégageait Urga me détendit complètement. Ainsi, tandis que le jour se levait dehors, je m'endormis profondément.
