Hello,
Oui j'ai modifié ce chapitre, donc il a été supprimé puis re-posté!
Je disais donc précédemment:
MERCI à tous ceux qui laissent des reviews, même sporadiquement. C'est un tel bonheur de recevoir une petite notification, ting, et d'avoir un retour! En fait, c'est ce qui m'a donné envie de réécrire après mille ans sans le faire!
Précision: Je n'abandonnerai pas cette fanfiction, même si j'approche des dix ans de publication! Parce que contrairement à d'autres ébauches d'histoires, je connais la fin de celle-ci! J'ai ma ligne directrice, donc c'est sûr, je vais prendre du temps mais je vais la finir!
Narghaash souleva sans effort l'énorme rocher qui s'était détaché de la paroi, le porta sur plusieurs mètres, puis le posa tout près de l'entrée du village. Il n'était toujours pas autorisé à en sortir ; quelqu'un d'autre s'en occuperait à partir d'ici. La veille, il y avait eu un éboulement qui avait percuté plusieurs huttes, mais heureusement causé peu de blessés. Le village était construit à flanc de montagne, et il n'était pas rare que des pierres se détachent, roulent puis s'écrase dans l'enceinte.
Aujourd'hui, Narghaash ainsi que quelques orques parmi les plus robustes étaient de corvée de déblayage, sous les yeux admiratifs de plusieurs femelles orques qui ne cachaient pas leur intérêt, particulièrement l'une d'entre elle qui fixait l'uruk de manière provocante. Il faut dire que les orques, ainsi que Narghaash, étaient impressionnants. Seulement vêtus d'une toge pâle ceinte à la taille, leurs torses dénudés luisaient à la lueur des torches. Les flammes vacillantes accentuaient les ombres, creusant et dessinant leur incroyable musculature. Quand ses longs dreads les dévoilaient, le torse et le dos couturé de cicatrices du colosse arrachaient parfois quelques exclamations d'horreur aux passants. Malgré le vent glacé de la nuit, ils ruisselaient de sueur.
Le colosse ignorait parfaitement les regards et quolibets qui lui étaient lancés. Il se concentrait sur le travail qui lui avait été donné, car il avait le désir de le mener à bien. De plus, il sentait bien que cet intérêt pour sa personne n'était que passager ; il était le nouveau venu, la nouvelle curiosité du village. Cela passerait. C'était comme dans la Fosse, quand un nouveau-né, un orque, ou une nouvelle sharlob arrivaient. Ils étaient le centre des tous les regards, de toutes les moqueries, et de toutes les tortures. Puis, des nouveaux arrivaient, le temps passait, et cela cessait. Bien sûr, ici rien n'était comparable avec la Fosse, et le colosse n'avait rien eu à subir d'affreux depuis son arrivée.
Au contraire, il était même plutôt tranquille. On lui disait ce qu'il fallait faire, et il le faisait. Ce n'était pas un travail vile, vain et inutile. Non, il aidait le village et la communauté. Il faisait partie de quelque chose, et c'était bien, bon. Il se sentait utile et il aimait particulièrement bien cette sensation. Alors, le dur labeur ne lui faisait pas peur ; il lui permettait de rester en action, et d'observer le village ainsi que son fonctionnement.
Narghaash était curieux, mais aussi prudent. Il sentait qu'ils n'étaient qu'en probation ici. Leur statut de semi-orque les séparait inexorablement de la communauté orque, et il avait peur que les villageois ne se retournent contre eux à un moment ou un autre. Il observait donc tout avec beaucoup d'attention : que ce soit les étranges coutumes que les orques semblaient avoir, comme ce qu'ils mangeaient et quand, les troupeaux de chèvres qu'ils emmenaient paître, la construction des huttes, les bains chauds où ils se baignaient deux fois par semaine, les rondes des veilleurs du jour, la crainte et le respect que le peuple éprouvait face à leur grand chef, leur salut quand ils le voyaient, les enfants qui couraient et riaient dans les rues, les chants et les musiques qu'ils jouaient, la façon dont ils construisaient la palissade qui les gardait, l'emplacement de la forge et de l'armurerie, la confection de leurs armes, les entraînements des guerriers orques… Il regardait tout et mémorisait consciencieusement chacun de ces détails au cas où, un jour, ils devaient fuir.
Il avait également soigneusement étudié les allées et venues de ses deux compagnons uruk, Barash et Aklash, ainsi que ceux d'Emilie. Il savait que la jeune fille passait sa matinée à nettoyer la grotte et les quartiers du grand chef, puis elle s'occupait des deux petits avec Urga et d'autres orquesses. Il l'avait vue, parfois, se promener dans le village avec eux. Narghaash eu un léger sourire : plus le temps passait, et plus elle paraissait à l'aise au milieu des orques. Sa progression en dialecte orque avait été fulgurante. Maintenant elle avait les mêmes expressions, le même accent rugueux et parfois même, les mimiques corporelles typiques du peuple; ce que Narghaash trouvait particulièrement amusant : voir des gestuelles orque sur une sharlob était très divertissant ! Depuis qu'elle avait acquis cette aisance dans la langue, plus personne ne l'avait embêtée – Narghaash s'en était assuré auprès d'elle-, d'autant plus que les enfants du grand chef et sa shaûk semblaient l'apprécier ; ce qui la mettait à l'abri de toute intention malhonnête venant des villageois.
Bien sûr, il y avait eu quelques houleux débats, au début. Certains n'étaient pas contents de voir une sharlob aussi près de leur grand chef. Après tout, ils étaient souvent menacés par les hommes, ce qui faisait d'eux leurs ennemis naturels. Le grand chef avait rapidement coupé court aux protestations, et peu à peu les bruits s'étaient tus pour laisser place à une méfiance discrète.
Narghaash accordait un étrange respect à ce chef orque, qui semblait désirer le règne de la paix, plutôt que celui de la haine. De ce que le colosse avait pu observer, c'était un orque intègre et juste, qui avait à cœur le bien de son village. Son comportement inspirait beaucoup Narghaash qui n'avait jamais vu de tel dirigeant. Il y avait très peu de bagarres, et les choses se réglaient souvent, certes dans les cris, mais dans les paroles plutôt que dans un combat sanglant. Les problèmes adressés au chef étaient toujours résolus d'une façon ou d'une autre, et dans un soucis d'équité et de justice qui laissait parfois l'uruk perplexe. Il remarquait que les orques vivaient dans une relative harmonie. Il y avait du respect, il y avait une logique hiérarchique mais pas ou peu d'abus, il y avait des plaisanteries, des sourires, des rires, de la joie… Jamais Narghaash n'avait vu autant de gens rire avec une telle insouciance. Jamais, aussi, il n'avait vu autant d'enfants. Des tout petits, accrochés aux mamelles de leur mère, d'autres un peu plus grands marchant à quatre pattes, et d'autres entre l'enfance et l'âge adulte, dégingandés. Emilie lui avait expliqué comment étaient faits ces enfants et il savait désormais que les orquesses avec de gros ventres ronds portaient en fait un enfant en devenir qui arriverait au monde… par en bas – chose dont il ne comprenait pas encore le concept-.
Chaque jour, il en apprenait davantage. Chaque jour, de nouvelles choses le surprenaient, et il se demandait souvent comment il avait fait pour se contenter de la vie cruelle qu'il avait menée pendant si longtemps dans la Fosse. C'était comme s'il était passé d'une vision floue et en noir et blanc, pour parvenir à un monde vif et rempli de couleur. Tout avait une nouvelle texture, un nouveau goût et c'était tout à fait grisant.
Mais, il lui arrivait parfois que sa vieille nature cruelle revienne, et des pulsions possessives ou violentes s'emparaient subitement de lui. Très souvent, il arrivait rapidement à les calmer en pensant aux bonnes choses qu'il avait apprises, ou à Emilie. Si ça ne suffisait pas, alors il sortait couper du bois ; l'exercice physique l'épuisait et lui permettait alors de se vider l'esprit.
Il aimait autant qu'il détestait ces poussées violentes.
Il en avait discuté avec Ufthak le vieil orque, qui venait régulièrement le voir depuis qu'ils étaient arrivés dans le village ; ils en avaient conclus que tout avait encouragé Narghaash à développer et suivre ces pulsions depuis sa sortie de terre. Elles lui avaient permis de s'en sortir, de survivre. Dans un sens, elles étaient bonnes pour sa propre survie, et profondément ancrées en lui parce qu'ils les avaient aimé, ces pulsions. Mais maintenant qu'il n'avait plus besoin de se battre pour survivre, il se trouvait démunis quand elles survenaient.
Désormais, il avait besoin d'apprendre à les gérer, et à les utiliser à bon escient s'il en avait l'occasion...
Le colosse souffla par les narines et souleva un nouveau morceau de roche. Ses muscles se bandèrent sous l'effort, et il grogna alors qu'il le calait sur son épaule droite. Il reprit le chemin le menant aux portes et déposa son chargement près de l'entrée. L'un des orques avec qui il faisait la plupart de ses travaux lui donna une tape amicale dans le dos, et Narghaash lui fit un petit signe de tête. Il commençait à apprécier ses compagnons de labeur. Il avait finalement rarement eu l'occasion de travailler en collaboration. Il avait toujours dirigé et donné les ordres, sous l'égide du Dushatar. Être maintenant à la place de ceux qui recevaient les ordres était une expérience intéressante pour Narghaash, et étrangement cela ne le dérangeait pas.
Sans relâche, ils continuèrent à déblayer l'éboulement jusqu'à ce que le ciel palisse à l'horizon, annonçant l'aube. Quand les rayons du soleil atteignirent l'un des plus haut sommet des environs, le Croc blanc comme l'appelaient les orques, ils s'arrêtèrent. Les orques prirent le chemin de leur maison, non sans lancer des petites remarques amusées à Narghaash qui ne faisait pas mine de bouger. La colosse resta planté là, attendant quelque chose.
Il sentit son odeur avant même de la voir, et un doux grondement de satisfaction roula dans sa poitrine tandis qu'il se retournait. Il la vit s'avancer à travers la foule, vêtue d'une longue veste en fourrure pâle et de bottes en peau fourrées. Le temps s'était considérablement rafraîchit dernièrement en montagne, et certains disaient qu'il neigerait bientôt. Les orques et les uruks étaient de robuste constitution et ne craignaient pas le froid, mais pour les humains il en était tout autre et Emilie n'échappait pas à la règle.
La jeune fille releva les yeux et lorsqu'elle aperçut Narghaash, son visage se fendit d'un sourire lumineux. Le colosse resta un moment figé, saisit par un fort sentiment de révérence face à la beauté d'Emilie. A la lueur de l'aurore, ses dents blanches ainsi que ses yeux clairs étaient d'un contraste frappant contre le brun de sa peau. Ses cheveux noirs ondulaient autour de son visage tels les rayons d'une lune sombre. Immobile et le cœur battant, effrayé de rompre ce moment, le colosse la laissa venir à lui.
...
Cela faisait un peu plus de deux mois que nous étions ici : j'avais compté les jours. Au début, ça avait été difficile pour moi , surtout au niveau du langage. J'avais quelques notions de langue orque mais pas assez pour comprendre tout ce qui se disait autour de moi ; heureusement entre Urga et les jumeaux j'avais été obligée d'apprendre très vite car ils avaient peu de patience. J'avais progressé de jour en jour jusqu'à obtenir un niveau correct. Maintenant, je pouvais comprendre presque tout ce qui m'était dit et répondre dans un orquois plutôt pas mal. Ymir et Sham avaient beaucoup rit en essayant de m'apprendre divers mots – pas tous très recommandables d'ailleurs – et en entendant mon accent à couper au couteau.
Urga avait également été un véritable pilier pour moi. Malgré notre départ un peu bancal : elle n'appréciait pas forcément d'avoir une humaine dans les pattes et de mon côté j'étais très gênée qu'elle m'accueille chez elle sans vraiment le vouloir ; nous étions finalement parvenue à un terrain d'entente. Nous travaillions ensemble, mangions ensemble et finalement, faisions presque tout ensemble. A la longue, ça permettait de tisser des liens. Rapidement, elle avait tenu à m'apprendre des mots orques utilisés tous les jours pour que je ne sois pas trop perdue. Au fur et à mesure, elle avait commencé à me parler et à m'expliquer comment le village fonctionnait, ainsi que son histoire.
C'était l'arrière grand-père du grand Chef qui avait fondé ce village, voilà maintenant très longtemps. Les orques vivaient plus longtemps que les humains, il m'était donc difficile de savoir vraiment quand avaient eu lieu tous ces faits. En plus, ils utilisaient des marqueurs de temps que je ne connaissais pas. Le grand chef de l'époque avait été impressionné par les chutes d'eau qui dégringolaient la montagne et en essayant de la contourner, il avait trouvé cette grotte ainsi que les sources chaudes qui y étaient cachées. Il avait dû affronter l'ours qui y habitait alors et son crâne était toujours accroché au-dessus du trône du grand-chef. Après quoi, il s'était installé ici avec d'autres familles nomades qui fuyaient les guerres. Il avait décidé de construire ce havre de paix, où les orques désireux pouvaient s'installer et mener une vie « normale » : avoir un partenaire, fonder une famille, travailler… depuis, son fils, puis son petit fils avaient pris sa place de chef, gardant la même vision pour le village. Celui-ci s'était agrandit au fur et à mesure que de nouvelles familles les rejoignaient.
Tout était plutôt bien organisé. Chacun avait ses tâches à accomplir, ses travaux, ses activités et chacun reversait un peu de ce qu'il gagnait à son grand-chef. Une jolie petite société orque, en somme. En me promenant dans le village avec les jumeaux, j'avais même pu apercevoir quelques ateliers d'artistes : des broderies, des sculptures, des poteries… Une créativité toute orque, peu délicate, mais belle et bien présente ! Ils avaient également une cuisine particulière, avec beaucoup de viande de chèvre, d'herbes montagnardes et de légumes assez robustes pour pousser en hauteur.
Une chose qui me marquait beaucoup dans leur culture, était ce respect de la hiérarchie et de la force. D'ailleurs, le plus fort ou le plus intelligent était souvent tout en haut de la pyramide. Il était important de se faire respecter.
L'idéal de beauté était également bien différent de ce que j'aurais pu voir ailleurs, tout comme la façon dont était abordées les relations dans un couple. On va dire que les mœurs étaient un peu plus… libres que celles des hommes. Le concept de la fidélité était là, mais parfois un peu balayé par les instincts primaires. Il était assez naturel pour les orques d'être dans des relations libres, et il n'était pas rare d'en croiser sortant de telle ou telle hutte à la tombée de la nuit. L'exception seule était lorsque l'on avait trouvé son « shaûk ».
J'avais rapidement demandé à Urga des explications plus précises. J'avais déjà entendu ce terme, et j'avais plus ou moins compris le concept. Mais, ça semblait si important pour les orques que j'avais voulu le comprendre complètement. La conversation avait été à la fois gênante et instructive :
« -Urga ? »
« -Hum ? »
« -Qu'est-ce que c'est exactement, un « shaûk » ? »
L'orquesse s'était arrêtée de frotter le plats qu'elle astiquait depuis un petit moment, avait tourné ses yeux aux pupilles de chat vers moi, puis avait ri.
« - Pourquoi… Tu penses avoir trouvé le tiens ? » M'avait-elle dit avec un clin d'oeil entendu.
Si ma peau avait été blanche, j'aurais été aussi rouge qu'un pivoine. Urga prenait un malin plaisir à m'embêter, surtout depuis qu'elle avait vu que je passais du temps avec Narghaash. En fait, elle m'avait même dit que depuis notre arrivée devant le grand chef, tous avaient remarqué que « j'empestais » l'odeur de l'uruk, et chez les orques c'était un signe très clair de marquage de territoire. Mouaif...être un territoire marqué ne m'emballait pas des masses et être entourée de nez hypersensibles, non plus !
« - Non… non, c'est que vous en parlez comme si c'était... sacré. J'ai juste envie d'en savoir plus. »
« - Ouais, ouais… » Avait-elle d'abord répondu d'un ton qui me signifiait qu'elle n'était pas dupe. J'avais alors levé un sourcil impatient et elle avait capitulé : « Bon, ok. ». Elle avait lâché le plat qu'elle tenait encore. « C'est… difficile à expliquer. C'est deux personnes, mais qui ne font qu'une en pensées, en corps, en vie. Elles sont différentes, elles sont elles, mais elles ne font qu'un. C'est fort, c'est indestructible, c'est cette personne à protéger pour toujours envers et contre tout. C'est une évidence, c'est beau... C'est sacré. »
Elle était restée immobile après sa déclaration et j'avais gardé le silence, méditant sur sa réponse. Je n'avais pu m'empêcher de rapprocher cette description de celle que nous avions du mariage chez moi : l'union totale de deux êtres. Toutefois, il y avait quelque chose de plus ici ; comme si c'était finalement le destin qui mettait ces deux personnes ensemble, comme s'il y avait une attraction indescriptible qui les unissait depuis leur naissance. Peut-être ce qu'on appelait des âmes sœurs ?
Ce qui était toutefois interpellant, c'est qu'ils ne parlaient jamais d'aimer et d'amour, comme si ils ne connaissaient pas ces mots ... comme s'ils ne faisaient pas parti de leur vocabulaire. Pourtant, ils étaient bien loin d'être vides d'amour, ça je pouvais le constater. L'amour qu'ils se portaient au sein des famille et même entre les membres de la communauté était visible. Peut-être qu'ils n'avaient simplement pas besoin de se le dire, car ils se le montraient suffisamment…
En tous cas, les shaûk, ce lien spécial était reconnu et hautement respecté dans toute la communauté orque. Lorsqu'un individu avait trouvé son shaûk et qu'ils décidaient d'être ensemble, alors la fidélité était de mise. Personne autour ne contestait plus, ni ne tentait sa chance auprès du couple : Ce lien était reconnu sacré et intouchable.
Bref, plus j'en apprenais sur leur culture si différente de la mienne, plus je comprenais la façon dont les orques fonctionnaient.
Les uruk, c'était autre chose. Ils étaient finalement si jeune qu'ils n'avaient pas eu le temps de former un peuple avec sa hiérarchie, ses règles, sa culture. Ils avaient appris à survivre dans la fosse avec pour seule aide le sorcier et les orques qui y travaillaient également, la plupart assoiffés de bataille et de vengeance. Ça n'avait pas été un environnement très sain pour apprendre, ou avoir un bon exemple de leadership.
Lors des quelques rassemblements que nous avions eu, où le grand Chef réglait les affaires de la semaine, j'avais senti Narghaash très intéressé par tout ce qui se passait. Il parlait peu, mais observait beaucoup.
Dans un sens, j'étais reconnaissante que nous soyons tombés sur un clan si… équilibré ?
Là, les uruks pouvaient avoir un cadre et voir ce que c'était que de vivre harmonieusement en communauté. Bien sûr, chaque culture a ses défauts et tout n'était certainement pas parfait mais c'était déjà bien mieux que ce qu'ils avaient pu connaître. Je trouvais que le grand Chef était juste dans ses jugements, et que sa vision pour l'avenir revêtait plus de la paix que de la guerre. Ce qui n'était pas pour me déplaire ; Après toutes ces épreuves, tout le monde avait besoin d'un peu de paix.
Moi, cette régularité me faisait un bien fou et pansait peu à peu les blessures faites à mon être. La peur qui m'avait tenaillée pendant de longs mois me quittait peu à peu, chassée par mes tâches quotidiennes simples, un environnement sécurisant et des relations saines. Je dormais toujours chez Urga qui avait la gentillesse de m'accueillir et nous partagions presque tout. Chaque soir, nous nous levions ensemble pour manger un petit déjeuner composé d'une galette sans levain, de différentes sortes de graines et de fromage de chèvre. Puis, nous allions dans la grande grotte pour nettoyer diverses choses, aller chercher de l'eau propre, ou aider là où il y avait besoin de petites mains. Après quoi, nous gardions les jumeaux un long moment pendant que leurs parents vaquaient à leurs occupations.
J'avais très vite appris à aimer ces jumeaux malicieux que je gardais tous les jours, Sham et Ymir. Ils étaient simplement trop drôles ! Les premiers jours où j'avais accompagné Urga, ils m'avaient collés toute la journée. Ils n'avaient pas pu contenir leur curiosité et n'avaient cessé de toucher mes cheveux, mes doigts, ma peau. Ils avaient tout comparé : leur oreilles étaient pointues alors que les miennes étaient rondes, leurs ongles étaient pointus (des griffes) alors que les miens étaient petits et ronds, leurs pupilles étaient fendues alors que les miennes étaient rondes… Bref, tout y passa, même certaines différences un peu gênantes dont j'esquivais les questions en feignant de ne pas comprendre. Genre, pourquoi j'avais des poils sous les bras et sur les jambes alors que les orques n'en avaient pas… c'est à dire que je n'avais pas vraiment pu les enlever depuis mon arrivée, à mon plus grand dam.
Heureusement, mon apparence générale s'était nettement améliorée grâce aux repas régulier et au sommeil réparateur de chaque journée. Mes côtes se voyaient moins, mon ventre était moins creusé et je retrouvais un semblant de force qui me ravissait. Mes cheveux et ma peau se rétablissaient de jour en jour, s'épaississant et adoucissant grâce aux soins qu'Urga me confectionnait avec le lait de chèvre. J'avais en effet appris que les orquesses utilisaient de nombreux cosmétiques pour les cheveux, et leur peau.
Bien sûr, l'idéal de beauté orque n'était pas tout à fait le même que celui des humains. Les bijoux étaient par exemple très importants et les femelles orques passaient beaucoup de temps à en confectionner. Ymir m'en avait d'ailleurs offert un que je portais depuis tous les jours. La force physique était également un critère important : la femme orque devait être capable de se battre et de défendre sa famille tout comme l'homme. Il m'était déjà arrivé d'assister aux entraînements et j'avais été abasourdie devant la dextérité de tous ces orques mâle ou femelle. Ils maniaient arc et épée avec une facilité déconcertante qui me laissait admirative.
Oh, j'avais bien essayé quelques fois moi-même mais vraiment je n'avais pas de dons particulier avec les armes, ce qui avait bien fait rire l'instructeur, les jumeaux, Urga et Narghaash.
Narghaash. Sans que j'y fasse vraiment attention, ma bouche se releva en un léger sourire à sa pensée.
Dés les premiers jours après notre arrivée, nous avions pris l'habitude de nous retrouver à l'aurore pour regarder le lever du soleil et discuter de notre nuit. Urga me chambrait très souvent depuis qu'elle avait compris où je me rendais et avec qui, mais j'encaissai avec bravoure chacune de ses boutades car pour rien au monde je n'aurais manqué ces rendez-vous et cela pour deux raisons ; une : voir le soleil me faisait un bien fou, et deux : j'aimais vraiment beaucoup discuter avec Narghaash.
De jour en jour, je voyais ses raisonnements s'affiner, son esprit s'ouvrir à d'autres horizons, d'autres possibilités et nos conversations se diriger vers des sujets de plus en plus profonds. C'était agréable. Oui, vraiment très agréable de pouvoir parler avec quelqu'un de presque tout et sans jugements.
C'est pourquoi ce jour-là comme tous les précédents, quand les deux petits furent mis au lit et que nous sortîmes de la grotte, après un regard amusé à Urga qui gloussa, je me dirigeai vers le bas du village. L'air froid me fouetta le visage tandis que je descendais l'avenue principale, hochant la tête lorsque je croisais les regards plus ou moins avenants des habitants. Depuis l'incident du premier jour à la taverne, plus rien de semblable ne m'était arrivé. Je ne savais pas si c'était à cause de la crainte que Narghaash pouvait inspirer ou du semblant de statut qui m'avait été donné, mais dans les deux cas, j'étais ravie de ne plus être embêtée.
Après quelques minutes de marche où je contemplai avec émerveillement les premières lueurs du soleil colorer le ciel d'un orange très doux, j'arrivai non loin de l'enceinte en bois. A travers les groupes d'orcs remontant l'allée pour rentrer se coucher, j'aperçus Narghaash. Il était torse nu, un pagne clair accroché à la taille ; comme toujours il était incroyablement imposant. Nos regards s'accrochèrent malgré la distance, et je sentis avec surprise mon cœur rater un battement. Cachant mon trouble je lui souris joyeusement, heureuse de le retrouver. Je franchis rapidement les quelques mètres qui nous séparaient et sans un mot, nous nous tournâmes pour contempler le soleil qui apparaissait à l'horizon. Ses rayons nous effleurèrent et je soupirai d'aise en sentant leur caresse chaleureuse me réchauffer la peau.
« - C'est toujours aussi beau, un levé de soleil » Je murmurai, le coeur gonflé d'émerveillement devant la beauté de la nature.
Un doux grondement me répondit. Je détournai mon regard du spectacle pour trouver Narghaash en train de me contempler. Ses yeux citrin semblaient d'or liquide. Son expression, un mélange d'admiration et d'affection, était d'une telle intensité qu'elle me renversa. Mon coeur se mit à battre plus vite et bouleversée je rompis le contact en battant des paupières. Je me résolu à fixer l'astre du jour, afin de contenir mon émotion.
« - Pourquoi est-ce que tu me regardes comme ça ? » Je chuchotai, incapable de laisser sortir le moindre son.
« - Parce que tu es belle » Répondit-il de sa voix grave et sourde.
Je ne su que répondre, alors je laissai le silence s'installer. Il dut se rendre compte de mon émoi interne car je sentis son regard se détourner. J'expirai doucement, essayant de reprendre le contrôle de ma respiration. Je lui fus reconnaissante de ne rien dire ou tenter de plus car je n'aurais su comment réagir. Cela faisait très longtemps qu'il ne m'avait pas fait une telle remarque. Jusqu'alors nous avions parlé de tout et de rien, tels de bons amis passant du temps ensemble. Je savais que de son côté il y avait quelque chose de plus pour moi qu'une simple amitié et malgré cela, j'avais voulu continuer de le retrouver. Pourquoi ? Parce que je manquais cruellement de parler à quelqu'un ? Parce que j'avais besoin d'un ami ? Parce que simplement c'était agréable ? Ou parce que moi aussi, je ressentais quelque chose de plus pour lui ? Je ne savais pas... ou alors je ne voulais pas savoir.
Et pourtant… je ne pouvais pas renier le fait que dernièrement, j'étais toujours incroyablement impatiente de le retrouver le matin, que je cherchai automatiquement son regard lors des rassemblements ou lorsque je le croisais, que mon cœur s'emballait plus fréquemment que d'habitude lorsque je pensais à lui, que j'admirais son intelligence grandissante, que j'aimais l'humour dont il pouvait parfois faire preuve, que… Stop.
Je n'étais pas prête. Trop de choses s'étaient passées d'un seul coup, et je ne savais même plus qui j'étais. Je ne savais pas non plus si mon séjour ici était temporaire, si ce n'était qu'une chimère et que j'allais me réveiller en hôpital psychiatrique, si j'allais me remettre des choses que j'avais subies et vues.
Il m'arrivait encore de rêver de mon séjour dans les cachots de la tour, de ma noyade et dans ces cas-là je me réveillait en hurlant, ce qui avait donné par mal de frayeurs à Urga.
Parfois, aussi, je pensais à ma vie d'avant. C'est comme si j'avais oublié ce que c'était que de vivre dans mon monde et tout semblait flou. Je pensais aussi à mes parents, à ma meilleure amie, et à d'autres proches. Que faisaient-ils ? Me cherchaient-ils encore après tous ces mois ? Ils me manquaient. Mais je doutais de pouvoir les revoir un jour.
Avec le recul, je trouvais étrange d'avoir eu autant de force durant toutes les épreuves que j'avais surmontées depuis mon arrivée. Je n'avais jamais basculé dans le désespoir, je n'avais jamais cessé de vouloir avancer et survivre, notamment depuis que j'avais été malade. De cette période, il ne me restait pas grand-chose, si ce n'est le souvenir flou d'une apparition qui m'avait rassurée, donné de l'espoir et de la force. Bizarre.
Bref, j'étais sur la voie de la rémission, c'était sûr, mais j'avais encore besoin de temps avant de pouvoir donner de l'amour et m'engager. Pour l'instant, j'avais encore besoin d'un ami.
Je me secouai pour sortir de me pensées et croisai à nouveau le regard de Narghaash. Il avait dû sentir tout mon tourment interne et les sentiments que j'avais dégagé mais il était resté là, à m'attendre. La douceur que je lu dans ses yeux me rassura et je sentis mon cœur se gonfler de reconnaissance.
« - Amis ? » Me demanda-t-il.
« - Amis. » Je confirmai, et je lui offris un doux sourire qu'il me rendit.
Alors, côte à côte, nous nous tournâmes vers le soleil et nous le regardâmes s'élancer dans la voûte céleste, porteur de joie et d'espoir.
