Salut à vous, belle compagnie!
Et oui, deux chapitres rapprochés, quelle folie! J'ai été bien inspirée!
Et au moment où je l'écrivais, il tombait de la neige chez moi: superbe!
J'ai sur kiffé écrire ce chapitre. J'y pensais depuis un moment.
J'espère qu'il vous plaira aussi!
Ce soir-là, je me réveillai un peu avant que le soleil ne se couche, un étrange pressentiment m'amenant soudainement à l'éveil. Je restai un moment allongée les yeux ouverts, à l'affût du moindre bruit. A travers les volets de la chambre filtrait une lumière grisâtre peu habituelle. Le froid me piquait le bout du nez sans que cela ne soit désagréable car la couverture et Urga me tenaient suffisamment au chaud. J'écoutai quelques instants la respiration lente et profonde de l'orquesse et profitai de ce moment calme, presque hors du temps, pour rester allongée.
De nouveau, une étrange impression s'immisça en moi et je me levai, curieuse. Ce n'était pas une intuition désagréable, elle m'indiquait plutôt un changement : quelque chose d'inhabituel était en chemin. Je m'habillai sans faire de bruit, frissonnante sous le froid mordant de la pièce. Mon haleine formait un nuage blanc lorsque j'expirai. Après plusieurs contorsions et risque de chutes, je fus finalement prête et bien affublée de mes bottes ainsi que de mon manteau. Je sorti de notre hutte, quittant la pénombre.
Alors que je refermai promptement la porte, je fus frappée de stupeur devant le paysage que je découvris. Tout était blanc, et de gros flocons duveteux tombaient des cieux en tournoyants. Les yeux grands ouverts, immobile, je contemplai un moment la magnificence du paysage enneigé. Je m'amusai à suivre des yeux les trajets inattendus des flocons jusqu'à leur chute dans la couche de poudreuse épaisse qui parsemait déjà la rue, les arbres, et les toitures des huttes. J'osai un pas dans la rue, savourant le bruit sourd que ma botte produisit en s'enfonçant dans la neige. Doucement, je relevai ma chaussure.
« - Environ, 20-25 centimètres » Estimai-je à vu d'oeil.
Mon regard embrassa à nouveau le village endormi, engoncé sous son manteau blanc et froid. J'eus envie de rire aux éclats, une excitation toute enfantine explosant en moi. Alors, je me mis en tête de descendre vers la porte de l'enceinte, puis de remonter la rue afin de profiter du silence molletonné avant de me rendre dans la grande grotte pour mes tâches quotidiennes. Je me mis à sautiller, empruntant les ruelles qui débouchaient vers l'enceinte en bois que je suivi tout du long jusqu'à arriver près de l'entrée. Des multitudes de flocons tombaient sans discontinuer, tandis que le ciel commençait à s'assombrir. Le soleil devait lentement se coucher, caché derrière l'épaisse couche de nuage qui recouvrait les montagnes. Près de la porte, je croisai les gardes qui avaient veillés toute la journée et les saluai avec entrain. Ils me répondirent par des grondements brefs et fatigués, mais furent visiblement amusés par ma bonne humeur car des petits rires s'échappèrent des tours de garde alors que je m'en éloignai pour remonter la rue principale.
Incapable de contenir plus longtemps la joie folle qui m'habitait en cette matinée spéciale, je chantonnai. Cela faisait longtemps que je n'avais pas chanté, bien qu'il me soit arrivé deux trois fois de humer quelques airs pendant mes travaux. J'avais toujours aimé chanter, et je me rendis compte que cela m'avait beaucoup manqué. Je continuai donc ma route, gambadant, dansant, chantant et parfois même riant lorsque je glissais à cause de mes gesticulations.
Jusqu'au moment où je perdis l'équilibre et basculai en avant. Un cri s'échappa de ma bouche tandis que je voyais le sol s'approcher dangereusement de mon visage. Je fermai les yeux, me préparant à l'impact douloureux que j'allais subir, mais je fus arrêtée à mi-chemin. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, deux bras me soutinrent et me remirent debout. J'ouvris les yeux et vit une tunique en laine brune. Relevant le visage pour regarder bien plus haut, je rencontrai l'expression mi-amusée, mi-inquiète de Narghaash. Soulagée, je lui souris.
« - Salut ! Tu as vu, il neige ! » M'exclamai-je sans préambule.
Narghaash resta tout d'abord coi, puis voyant mon expression de pure joie, il se mit à rire. Ce fut à mon tour de le regarder avec surprise, peu habituée à le voir réagir ainsi. Puis je le joignis et nous nous mîmes à rire sans pouvoir nous arrêter, entraînés l'un par l'autre dans une hilarité toute enfantine. Quand nous nous calmâmes enfin, après quelques hoquets et gloussements supplémentaires, je me rendis compte qu'il me tenait toujours entre ses bras, et que mes mains étaient posées sur son torse. Je le retirai lentement, une légère vague de gêne se propageant en moi. Narghaash dû le sentir car il desserra son étreinte et me laissa me dégager sans dire un mot. Je baissai les yeux, mais gardai un sourire amusé aux lèvres.
« - Toi aussi tu t'es réveillé plus tôt ? » Lui demandai-je.
« - Oui, le Grand Chef avait demandé au groupe de débarrassage de venir le voir dés la première neige pour nous parler des préparations de la fête. Je suis aussi passé voir Ufthak ».
« - Mais oui ! » M'exclamai-je soudain, le regard à nouveau brillant d'excitation. « Ce matin ce sera la fête de la première neige ! Comment j'ai pu oublier, ça fait des semaines qu'ils en parlent ! Sham et Ymir vont être sur-excités !». Je sautillais presque sur place d'anticipation. Puis, la deuxième partie de la phrase me revint en tête et je me calmai : « - Ufthak ? Ça fait un moment que je ne lui ai pas parlé, comment va-t-il ? »
« - Il va bien, il est content d'être revenu vivre ici, et le grand chef lui a donné une position dans son conseil ».
« - Oh, c'est bien ! » Répondis-je, contente que notre vieil guide orque ait pu retrouver une place dans le clan. « Et alors, tu est au courant des préparatifs pour la fête ? » Demandai-je, essayant en vain de camoufler mon grand intérêt pour la question.
« - De certaines choses, oui… mais je ne te dirai rien. » Répondit Narghaash avec un petit sourire goguenard.
« Quoi ? » M'écriai-ie, outrée.
« - Tu auras la surprise ce soir. Aller, je vais rejoindre les gars.»
Narghaash me fit un clin d'oeil, me contourna et continua sa route, m'abandonnant à ma frustration.
Je restai plantée au milieu de l'allée, mi-frustrée, mi-amusée. Je me retournai pour le regarder partir, et pouffai. Depuis quand était-il devenu si… effronté ? Je repris lentement mon chemin, me repassant la scène dans la tête et je me rendis compte que je souriais bêtement qu'en arrivant à la grande grotte. Avant de rentrer, je tappai des pieds et passai la main dans mes cheveux afin d'enlever tous les flocons qui s'étaient accrochés. J'eus à peine le temps de mettre les pieds à l'intérieur que deux petites formes noires et surexcitées coururent à ma rencontre en criant :
« -EMILIE ! Il NEIIIIIGE » !
...
Ce soir-là, Narghaash avait ouvert les yeux bien avant l'heure du levé, le corps subitement en alerte. Quelque chose d'anormal était en train de se produire. Dans un réflexe acquis lors de son séjour à la Fosse, il s'était levé, tous les muscles bandés en cas d'attaque, mais il n'y avait aucun cris, aucun hurlement de désespoir et seul un silence compact régnait autour de lui. Il renifla et une odeur inconnue lui parvint aux narines. Vêtu seulement d'un pagne, il sortit de la hutte qu'il partageait avec plusieurs autres mâles orques et s'arrêta subitement sur le seuil, interdit.
Une matière blanche tombait du ciel en petit morceaux et s'amoncelait sur le sol, formant comme un épais tapis clair sur toutes les surfaces autour de lui. Fronçant les sourcils, il tenta de comprendre si c'était une menace, un tour de magie ou un simple fait de la nature. Du bout d'un orteil, il tâta la matière. C'était très froid mais pas désagréable. Son pied laissa une marque là où il l'avait touché. Il s'accroupit, et en pris une petite quantité en main. Rapidement, l'épais tas blanc se désagrégea pour devenir de l'eau qu'il goûta : pas mauvais. C'est alors que lui revint en mémoire ce que les orques s'étaient évertués à lui expliquer depuis plusieurs jours déjà, et le déclic se fit dans son esprit : c'était de la neige.
Le colosse observa un moment cet élément inconnu, impressionné par le phénomène météorologique. C'était la première fois qu'il voyait de la neige, et il sut qu'il en garderait un fort souvenir jusqu'à la fin de sa vie. Comme l'air était plus frais, il rentra enfiler une paire de botte et une simple tunique, puis il fit quelque pas dehors. Il leva les yeux au ciel, contemplant les étrange petite boules blanche qui tombaient sans discontinuer, lâchées par d'énormes nuages gris. Certaines s'égarèrent sur son visage et dans ses cheveux, mais il ne fit pas un geste pour les déloger. Le contact frais et humide des flocons contre sa peau lui fit du bien. Lorsqu'il eut observé longtemps la danse joueuse de la neige tombante, il se souvint qu'il devait – ainsi que les autres de sa hutte- se rendre vers le grand Chef. Il se détourna donc du spectacle pour réveiller ses congénères, et après que ce fut fait, ils se rendirent ensemble à la Grotte.
Le grand chef leur réparti les tâches pour les préparations de la fête de la Première Neige. Il y avait beaucoup à faire, mais Narghaash se savait efficace. De plus le dur labeur ne lui faisait pas peur il savait que lui et ses compagnons orques seraient prêts à temps. C'est donc sans l'ombre d'une quelconque inquiétude qu'il se rendit ensuite à la hutte d'Ufthak. C'était une grande maison en bois qui se tenait non loin de la Grotte être un conseiller du grand Chef conférait quelques avantages dont celui d'habiter dans le haut du village.
Comme il l'avait appris en vivant chez les orques, Narghaash frappa à la porte, deux coups. Chose qu'il n'aurait jamais faite auparavant . Un grognement lui répondit, et il poussa le battant. Ufthak était en train de rédiger une lettre à la lueur d'une bougie. Le colosse l'avait déjà vu faire une telle chose, alors il ne posa aucune question. Toutefois, l'écriture le fascinait. Ce n'était pas quelque chose qu'il avait appris dans la Fosse, tout comme la lecture. Tous les ordres étaient oraux, transmis par des crieurs ou des messagers d'un bout à l'autre des bataillons.
Parfois, quand Ufthak avait du temps et que Narghaash venait le voir, il lui apprenait quelques lettres de l'alphabet en langue commune. La colosse avait toujours beaucoup de mal à déchiffrer les mots, mais il commençait à voir une certaine logique dans l'écriture et cela l'encourageait à poursuivre ses efforts. Aujourd'hui, Narghaash ne venait pas pour lire. Il resta debout près de la porte, hésitant.
« - Tu vas rester planter là des heures, ou tu vas me dire c'qui te turlupine, petit ? » Grogna Ufthak en continuant d'écrire consciencieusement sur son parchemin.
Narghaash prit une courte inspiration, et s'avança dans la pièce d'un pas mesuré. Cela faisait quelques temps que le vieil orque lui donnait ce surnom, non pas à cause de sa taille mais à cause de sa jeunesse. En effet, à côté du nombre de lunes d'Ufthak, il n'était qu'un petit enfant. Narghaash avait mis quelques temps à comprendre qu'au lieu de l'abaisser, ce surnom était surtout une marque affective de la part de l'orque qui semblait l'avoir pris sous son aile.
Le colosse fit quelques pas dans un sens, puis dans l'autre. Il hésita deux, trois fois. Les mots au bord des lèvres sans parvenir à les laisser sortir. Finalement il croisa les bras, rassembla sa volonté et parla :
« - Je crois qu'Emilie est ma shaûk. »
Le grattement de la plume sur le papier s'arrêta. Il y eut quelques instants de silence qui parurent immensément long à Narghaash. Puis, lentement, Ufthak reposa sa plume dans le pot à encre. Il se tourna ensuite vers Narghaash et leva un sourcil amusé.
« - Ta shaûk ? » Répéta-t-il. « Es-tu sûr de comprendre ce que veut dire ce mot ? » Demanda-t-il ensuite avec un sourire.
Narghaash ne flancha pas sous le regard de l'orque et maintint sa position.
« -Oui, je comprends. On me l'avait déjà expliqué avant sans que j'en comprenne le sens, mais maintenant j'ai vu, j'ai sentis ce que c'était. Je comprends. »
« - Hum » Répondit le vieil orque en se frottant le menton. « Et que pense la jeune sharlob ? ».
L'urku soupira, ses épaules s'affaissant légèrement.
« - Je ne sais plus. Pendant longtemps elle voulait un ami, mais j'ai sentis que quelque chose avait changé. »
« - Senti. » Répéta l'orque avec un demi-sourire. « Jeune Uruk, les sharlob sont bien différentes de nous, et celle-ci particulièrement. Elle ne vient pas du même pays, et ne pense pas comme les autres... Une chose que j'ai apprise durant mes longues années, c'est que ce que dégage et ce que pense une sharlob est souvent contradictoire. Ce sont des êtres qui n'ont pas le corps et la tête accordés et ils agissent selon leur morale plus que leur coeur. Ce sont des énigmes qu'il faut patiemment déchiffrer. »
« - Alors, que dois-je faire ? » Demanda Narghaash gravement, une pointe d'incompréhension perçant dans la voix.
« - Comprends bien, Narghaash, qu'être shaûk c'est aussi un choix. Un choix qui doit être fait des deux côtés. » Le vieil orque se leva, et posa ses mains usées sur les épaules du colosse. « Il ne te reste qu'une chose à faire, petit, va lui dire ce qui s'agite dans ton coeur, et ensuite laisse-lui le temps de comprendre ce qu'elle veut. »
...
Sham et Ymir étaient intenables, mais je ne pouvais définitivement pas leur en vouloir : j'étais presque aussi excité qu'eux. Ils harcelèrent tant et si bien leur parents qu'ils décrétèrent que pour l'occasion, ils auraient le droit de jouer dehors avec Urga et moi dés le début de soirée. C'est ainsi que à peine une heure après avoir commencé nos tâches, nous fûmes dispensées pour le soir. Nous emmenâmes Sham et Ymir dehors alors que le jour tombait, les nuages se teintant de toutes les nuances entre le blanc et le noir. De larges flocons tombaient toujours du ciel, tourbillonnant aux grès des courants d'airs.
Heureux, les deux petits orques se mirent à courir dans l'allée centrale et autant Urga les suivit facilement, autant j'eus de la peine. Je glissais, et n'ayant pas l'agilité des orques, je faillis me casser la figure plus d'une fois. Je fus prise d'un fou rire incontrôlé alors que je perdais sans cesse l'équilibre et les rires des jumeaux me répondirent joyeusement. Bientôt nous arrivâmes -non sans quelques chutes rocambolesques- au niveau de la taverne, à peu près à mi-chemin entre la porte de l'enceinte et la grotte. Là, j'eus une idée. Je m'accroupis pour prendre de la neige que je façonnai rapidement en une boule inégale. Les jumeaux étaient occupés à tracer des dessins par terre. Je profitai de leur inattention pour lancer mon projectile. Il atterrit dans la nuque de Sham qui se figea, les épaules remontées. Il poussa un petit cri indigné et se retourna vivement pour voir qui l'avait attaqué. Lorsqu'il croisa mon regard, je ne pus me retenir et éclatai de rire devant sa mine choquée. Je le vis échanger un regard carnassier avec sa sœur. Il y eut un instant de flottement où personne ne bougea, et j'entendis Urga soupirer bruyamment. Ce fut comme un signal de départ. Je me baissai rapidement pour prendre de la neige et du coin de l'œil je vis les enfants faire de même.
Commença alors une magnifique bataille de boule de neige entre moi et le jumeaux. Nous courûmes criâmes et rirent tant et si bien qu'Urga se vit obliger de nous joindre lorsqu'elle perçut que je perdais l'avantage. Quelques personnes s'arrêtèrent sur les côtés pour nous regarder. Très vite, lorsqu'ils reçurent une boule perdue, ils ne purent résister et ramassèrent de la neige à leur tour. De plus en plus d'orques s'ajoutaient chaque minute à la bataille, tant et si bien que des cris et des rires s'élevèrent bientôt de toute part.
Avec mes réflexes tout humain, je faisais de mon mieux pour éviter les boules de neige qu'on m'envoyait tout en essayant de viser de façon efficace. C'était extrêmement dur car je riais tant qu'il m'était même difficile de rester debout. Je réussi tout de même à viser quelques têtes, à ma plus grande fierté. A un moment, alors que le combat faisait rage et qu'il pleuvait des boules de tous côtés, je vis Narghaash et quelques grands orques qui portaient de gros troncs d'arbres arriver. Ils ralentissaient en voyant le carnage, et hésitaient à traverser.
Oh. La tentation était trop forte. Alors qu'ils étaient occupés à regarder la scène je me glissai sur le côté de façon à ce qu'il ne me voit pas. Un orque tourna la tête dans ma direction et je posai un doigt sur mes lèvres, l'adjoignant avec un sourire de se taire. Il me fit un clin d'oeil entendu.
J'inspirai, visai soigneusement, et lançai la boule avec force. Je pensais que Narghaash l'éviterait grâce à ses réflexe aiguisés, mais ne devait pas s'attendre à être attaqué car elle s'écrasa sans aucune pitié sur son visage. Il s'ébroua et ses yeux cherchèrent automatiquement le coupable. Son regard tomba sur moi alors que je reculai doucement, prête à m'enfuir. Son visage passa de l'étonnement le plus complet à un sourire carnassier.
« - Oh toi, tu vas voir ! » Gronda-t-il en lâchant son fardeau.
Sans plus attendre, je détalai en courant parmi la mêlée tandis qu'un cri d'excitation joyeuse s'échappait d'entre mes lèvres. J'usai toutes mes forces pour courir, esquivant les boules et les orques sur mon chemin. Malgré cela, j'entendais ses lourdes foulées se rapprocher. J'avais le souffle affreusement court à force de rire sans cesse, et mon coeur battait follement dans ma poitrine tandis que je tentai de le semer en tournant brusquement vers la droite. Malheureusement, la luminosité avait dangereusement baissée, et mes yeux d'humaine ne discernaient plus grand-chose. Je me pris les pieds dans un objet non-identifié au moment où Narghaash me rattrapait. Je l'entraînai dans ma chute et je sentis qu'il me tenait la tête pour éviter que je ne me cogne. Nous roulâmes dans la neige sur plusieurs mètres.
Puis, tout s'arrêta. Nous reposâmes à terre quelques secondes avant de reprendre nos esprits, les membres emmêlés. Je relevai légèrement la tête et croisai le regard de Narghaash. Aussitôt, je fus prise d'un fou rire qui me rendit incapable de bouger. Mon hilarité fut telle que j'entendis Narghaash me rejoindre rapidement. Nous mîmes un moment à nous en remettre car lorsque l'un se calmait, l'autre repartait aussitôt et il était alors impossible de s'arrêter. Lorsque nous nous arrêtâmes enfin, les côtes brûlantes et les joues endolories, je m'aperçus que j'étais à moitié allongée sur lui. Nos regards se croisèrent et mon sourire s'estompa. Mon coeur se remit à battre la chamade, mon souffle se coupa alors que j'étais happée par l'intensité de son expression.
« - Emilie, il faut que je te parle… Je- »
« - STOP ! » Hurla subitement une voix.
Tout le monde se figea dans son mouvement, ce qui aurait fait un tableau comique si la voix en question n'avait pas appartenu au grand Chef, visiblement en colère. Il faut dire que la moitié du village au moins était en train de jouer dans la neige alors que chacun était censé préparer la fête de la Première Neige. Tout le monde laissa tomber sa boule de neige, et nous nous relevâmes, Narghaash m'aidant à me remettre debout comme si je ne pesais rien. Un silence glacial se répandit dans l'assemblée, le regard rougeoyant du grand Chef passant sur chacun des fautifs.
« - Est-ce que je peux savoir ce que vous faites? » Gronda-t-il, menaçant.
« - Une bataille de boule de neige... » Répondit Ymir d'un ton incertain, intimidée par l'aura que dégageait son père.
« - Très bien... Et comment ce fait-il que je n'ai pas été invité? »
Un silence hésitant lui répondit. L'air grave, il se baissa à terre et prit une poignée de neige. Son visage se fendit soudain d'un sourire amusé. Il se releva promptement et lança sa boule sur Sham qui, surprit, ne fit rien pour l'éviter. Il se la prit en plein visage, et tout le village y comprit le grand Chef parti dans un grand éclat de rire en voyant son expression outrée . La bataille reprit de plus belle, et la suite ne fut que chaos. Le grand Chef était impressionnant d'agilité, et un adversaire coriace.
Au bout d'un moment, plusieurs déclarèrent forfait, et la majorité étant trempés il fut décidé que la bataille était terminée. Nous nous séparâmes avec un grand sourire sur les lèvres, un entrain nouveau nous portant pour la suite des préparatifs. Je ne revis pas Narghaash après ça, et je n'eus pas le courage d'aller le trouver pour lui demander ce qu'il comptait me dire.
La fin de nuit arriva avant que je ne m'en rende compte. Avec Urga, encore euphorique, nous avions vite placé les jumeaux devant un bon feu pour qu'ils se réchauffent, puis nous nous étions mise à nos tâches respectives. Après quoi, j'avais passé le plus clair de mon temps aux fourneaux, préparant divers plats pour la fête. Nous découpâmes une quantité impressionnantes de légumes et d'herbes, tant et si bien que mes doigts sentaient encore l'oignon après que je les ai lavés.
Enfin, quand le ciel commença à pâlir légèrement, nous nous arrêtâmes et furent renvoyés pour nous préparer. J'allais directement aux bains pour me laver. Je ne pris pas le temps de me prélasser dans l'eau chaude, trop excitée pour y rester. Je rejoignis ensuite Urga dans notre hutte. Elle était déjà en tenue de fête et traçait de fins symboles sur ses bras avec une peinture blanche à base d'argile. Elle m'accueillit avec un sourire plein de crocs auquel je répondis. Je me dépêchai de démêler mes cheveux avec le peigne en bois qu'elle m'avait prêté, et les laissai libre dans mon dos. Avec les soins d'Urga, ils atteignaient maintenant le bas de mes omoplates et bouclaient de façon plus ordonnés. J'enfilai rapidement une jolie jupe tissée m'arrivant à la taille, une tunique à manche courte qui épousait la forme de mon buste, puis je fis un tour sur moi-même en souriant car la jupe suivait mon mouvement.
« -Viens là, Emilie » Me demanda Urga et j'obéis sans broncher, m'approchant de mon amie. « Tends tes bras ».
Émue, je lui tendis mes bras nus, et avec le petit pinceau couvert de blanc, elle commença à tracer des lignes sinueuses de mes doigts jusqu'aux épaules. Bien qu'au début ça ne rende pas grand-chose, très vite je vis la beauté dans la simplicité des traits. Quand elle eut terminé, elle passa à mon visage. Cette fois-ci, elle ne fit que quelques petits points au-dessus de mes sourcils et un plus épais au centre. Lorsqu'elle releva son pinceau, je lui souris, les larmes aux yeux : ces peintures étaient une marque d'appartenance à la tribu. Désormais, je faisais donc parti du clan et cela me remplissait de joie. C'était une grande marque de confiance qui m'était accordée, et j'espérais en être digne.
Pour compléter mon maquillage, je pris un bout de charbon taillé en pointe afin de faire un trait noir le longs de mes cils. Après quoi, je m'emmitouflais chaudement dans mon manteau et nous partîmes pour la grotte de laquelle nous parvenait déjà des bruits de percussions et de vifs éclats de voix.
...
Narghaash pénétra dans la grotte et observa avec intérêt l'énorme bûcher qui brûlait en son centre, dégageant une chaleur vive. Beaucoup de monde se pressait autour, discutant et riant avec entrain. Certains commençaient déjà à bouger au rythme des instruments. Le colosse posa alors son regard sur ceux qui jouaient de la musique : c'était un petit groupe d'orque qui tapaient soit avec des bouts de bois taillés, soit avec les mains sur différents objets aux formes étranges. Il y en avait de toutes les tailles. Certains étaient gros et produisait un son très bas, d'autres plus petits exploraient des notes plus aiguë. Un musicien possédait également un long morceau de bois dans lequel il soufflait, ses doigts se déplaçant agilement sur les trous qui parsemaient l'instrument dans sa longueur, changeant ainsi les sons émis.
De grandes tables de bois avaient été placées de chaque côté de la grotte, entourées par de longs bancs. Cela avait été un des travaux de Narghaash de les amener ici. Elles avaient été décorées de branches de sapin et de pommes de pins qui dégageaient une odeur piquante mais agréable. Dans un coin, non loin du feu le tavernier servait déjà de grosses choppes d'un breuvage de son invention qui sentait un mélange d'alcool, d'épices, de lait de chèvre, de miel et de baies. Narghaash huma le doux parfum et émit un léger grondement de satisfaction. Il fendit la foule mouvante, son regard s'arrêtant parfois sur les peintures blanches, qui contrastait grandement sur la peau sombre des orques. Il attrapa une choppe et s'approcha du feu où se trouvaient Barash et Aklash, silencieux. Les deux uruks se démarquaient de la foule par leur stature colossale, malgré les peintures qui décoraient leurs peaux à la manière orque. Lorsque Narghaash se posta à côté d'eux, échangeant un regard et un hochement de tête, les deux uruks semblèrent se détendre. Tous les trois, ils observèrent la foule et l'animation, peu habitué à cette sorte de festivité.
Oh, il y avait eu des fêtes dans la Fosse, mais ce n'était vraiment pas la même chose. Heureusement Barash était sorti de terre trop tard pour participer à ces orgies, et il ouvrait de grands yeux émerveillés devant les festivités de cette fin de nuit. Il tenait serré entre ses mains une choppe du breuvage alcoolisé qu'il n'avait pas encore touché, captivé par les mouvements dansant des orques.
Narghaash prit une gorgée du liquide, et leva un sourcil. C'était fort, malgré le goût sucré apporté par le miel et les baies. Il se tourna vers Barash :
« -Petit, ne bois pas plus d'une choppe si tu ne veux pas te retrouver cul par dessus tête avant la fin de la fête ».
Barash lui lança un regard étonné et avala à son tour une lampée. Surpris par la brûlure que cela causa à sa gorge, il s'étrangla et toussa sans s'arrêter pendant quelques minutes, les yeux larmoyants. Narghaash lui tapota le dos dans un geste à la fois amusé et compatissant tandis qu'Aklash riait sous cape.
Soudain, une odeur lui percuta les narines. Il se détourna de Barash pour faire face à l'orquesse qui se tenait près de lui. Lorsqu'il rencontra son regard, elle lui sourit de manière lascive. Narghaash faillit gronder de déplaisir en la reconnaissant. C'était Yagovb. Elle l'avait déjà abordé plus d'une fois de manière suggestive, et il sentait très souvent son regard rempli de désir se promener sur lui. Autrefois, l'attention qu'elle lui portait l'aurait fortement tenté car c'était une très belle orquesse, mais aujourd'hui, il n'en avait plus envie. Il avait trouvé et choisit la personne qu'il voulait désirer plus que tout au monde.
« - Salut, bel uruk » Roucoula-t-elle en se rapprochant du colosse.
« - Salut. » Répondit Narghaash, son visage demeurant parfaitement impassible.
« - Est-ce que tu danseras avec moi tout à l'heure? » Demanda-t-elle en se rapprochant plus encore, faisant savamment jouer ses courbes voluptueuses. Elle leva une main qu'elle posa sur l'un des biceps de l'uruk.
Au même moment, un flot d'orque entra dans la grotte et il capta l'odeur si caractéristique de celle qu'il désirait. Il tourna la tête et son regard croisa celui d'Emilie. De loin, il vit les yeux de la jeune fille faire quelques va-et-vient entre entre lui, et l'orquesse. Réalisant la scène, il se dégagea brusquement pour la rejoindre, mais déjà Emilie s'était fondue dans la foule. Un grondement sourd et menaçant le fit se retourner. Yagob avait suivit l'échange, et paraissait en colère.
« - Tu n'en a que pour cette putain de sharlob ! Elle n'est même pas de ton peuple ! » Cracha-t-elle dans sa direction, visiblement furieuse.
En un instant, Narghaash était devant elle, un rugissement féroce naissant dans sa gorge, tous ses muscles frémissants. Presque aussitôt, l'orquesse recula d'un pas, choquée par la violence de sa réaction.
« - Ne la traite plus jamais de ce nom » Gronda-t-il en montrant les crocs. « - Elle m'a sauvé la vie et il y a dans son coeur bien plus de bonté et d'honnêteté que tu n'en auras jamais . Maintenant, laisse-moi. » Les derniers mots avaient claqués dans les airs, telle une sentence irrévocable.
Yagob recula de quelques pas, comme frappée. Puis, ravalant sa honte d'être rejetée de la sorte, elle grogna et s'enfuit, une haine dévorante s'emparant de son être.
Narghaash ne s'en préoccupa pas et déjà, ses yeux fouillaient l'assemblée pour retrouver Emilie. Mais alors qu'il partait à sa recherche, brisant la foule compact autour de lui, le grand Chef commença son discours :
« - Chers amis, nous voilà aux portes de l'hiver. Bravo pour tous les vivres que nous avons stockés, et le superbe travail de chacun pendant cette année. Maintenant, place à la fête de la première Neige, santé ! » Rugit-il en levant son verre.
Des rugissements puissants lui répondirent de toute part, et tous levèrent leur verre au ciel avant de boire à grandes gorgées. Le grand Chef tapa dans ses mains et des cuisines sortirent des dizaines d'orques et d'orquesses chargés d'innombrables plats alléchants. Des chevreaux cuits à la broche, des pains, des légumes et des herbes de différentes sortes, des potages, des fromages de chèvres de toutes tailles… Un véritable festin. Narghaash ne lui accorda aucun regard. Il reprit sa marche à contre courant, tentant de d'atteindre l'endroit où Emilie s'était tenue un peu plus tôt afin de suivre sa trace. Alors qu'il y parvenait, quelqu'un lui empoigna le bras, le forçant à l'arrêt. Son grondement se tu lorsqu'il vit que c'était Urga qui l'avait arrêté, une drôle de lueur brillant dans ses yeux.
« -Tu cherches Emilie ? »
« - Tu sais où elle est ? » Demanda-t-il d'un ton pressant.
« - Elle est partie vers la porte du village mais attention, tu n'as pas intérêt à la blesser, uruk, ou tu auras affaire à moi. » Gronda l'orquesse, menaçante.
« - Jamais je ne la blesserai ». Murmura Narghaash en regardant Urga dans les yeux.
L'orquesse scruta un moment l'uruk. Elle sembla percevoir dans son regard quelque chose qui la convainquit car elle relâcha son bras. Après un dernier coup d'oeil reconnaissant, le colosse se retourna et sortit de la grotte. Il se mit à courir, humant l'air. Son flair attrapa l'odeur caractéristique d'Emilie et il suivit la piste. Son coeur battait à tout rompt, et l'intérieur de son abdomen semblait être sur le point de se consumer. Des émotions étranges s'entrechoquaient dans son corps, sa tête, son coeur. Mais au milieu de ce maelstrom il avait une certitude : il devait la retrouver et lui parler, lui dire que tout son être brûlait par et pour elle. Il suivit son parfum jusqu'à l'une des tours de garde construite au bord de l'enceinte en bois. Le colosse hésita. Il prit une inspiration, puis gravit l'échelle. Lentement, il poussa la trappe lui permettant d'accéder à la tour. Malgré la pénombre, il vit immédiatement Emilie accoudée à l'ouverture permettant de surveiller l'extérieur, sa silhouette se découpant sur le paysage grisonnant. L'aube était proche.
...
Je ne parvenais pas à calmer le tumulte incessant de mes pensées. Accoudée à la large fenêtre qui permettait aux gardes de veiller, je voyais sans voir le paysage enneigé. J'étais troublée. Je n'arrivais pas à savoir si j'étais en colère, triste, déçue ou tout à la fois.
Oui j'avais été en colère quand j'étais entrée, heureuse de participer à la fête et que mes yeux étaient tombés sur Narghaash et cette orquesse, affreusement proches. Tellement proches que leurs peaux se touchaient, leurs corps peinturés formant un beau tableau. Incapable de supporter une telle vision, je m'étais enfuie. J'avais mis un moment à comprendre qu'il y avait eu autre chose que de la colère dans ma réaction… de la jalousie. Une bouffée de jalousie dévorante qui avait rugit en moi, tel un lion prêt à tout déchiqueter sur son passage. Cette jalousie subsistait encore dans mon être, brûlante, et j'avais peur de mettre le doigt sur ce qui l'avait enflammée.
Parce qu'au fond, pourquoi étais-je jalouse ?
Narghaash était parmi les siens, et après tout, il avait parfaitement le droit de chercher du réconfort, de l'amour, une compagne…
La scène rejoua à nouveau dans mon esprit, et une forte bouffée de jalousie mêlée de colère me secoua. Je serrai les dents.
Je n'avais pas envie qu'il cherche du réconfort. Je n'avais pas envie qu'il cherche un amour. Je n'avais pas envie qu'il cherche une compagne, que ce soit pour une seule nuit ou pour la vie. Je…
Que voulais-je finalement ?
Un grincement m'interrompis dans mes pensées. La trappe s'ouvrit, mais je ne me retournai pas. Du coin de l'oeil je reconnus Narghaash alors qu'il se relevai, et mon coeur s'emballa. Je l'entendis faire un pas dans ma direction, et relâcher un souffle. Malgré moi, je me tendis alors que mon corps s'embrasait de désirs inconnus.
« - Emilie » Commença Narghaash d'une voix très basse. « Il faut que je te parle ».
Voilà. Ce que je redoutais était sur le point d'arriver. Il allait m'annoncer qu'il entamait une relation avec cette orquesse, et que nous ne nous verrions plus jamais comme avant. Je le sentais, et mon coeur commençait déjà à saigner. J'avais envie de finir cette conversation le plus rapidement possible, autant arracher le pansement d'un seul coup et peut-être qu'ainsi j'aurais moins mal. Je ne maîtrisai donc pas ce qui sortit de ma bouche, la colère me labourant douloureusement la poitrine.
« - Tu la veux ? » Demandai-je brusquement, le ton tranchant.
« - Quoi ? »
« - Cette orquesse, tu la veux, c'est ça ? »
Je me retournai, plantant mon regard dans celui de Narghaash, le cœur au bord des lèvres.
« - Tu veux la prendre comme shaûk ? » Ma voix avait tremblé sur le dernier mot, et je me maudits pour ma faiblesse.
Je le vis froncer les sourcils, visiblement pris au dépourvu par mes questions et mon animosité. Poser mon regard sur lui était toutefois une mauvaise idée, son visage et ses yeux mordorés me faisaient revivre tous les souvenirs que nous avions partagés. Tout ça n'était que vent.
Je sentis mes yeux s'embuer sans comprendre véritablement pourquoi. J'eus envie de fuir aussi fortement que j'eus envie de l'étreindre pour l'empêcher de me quitter.
Prenant conscience de ma dernière pensée, tout s'emboîta dans mon esprit et j'écarquillai les yeux sous le choc que me fit cette révélation : j'étais malade, malade de jalousie parce que vivre sans lui me semblait subitement impossible, parce que je le voulais pour moi, parce que je le désirais, parce que je… l'aimais ?
Soudainement, Narghaash fut juste devant moi. Il m'attrapa les bras avec force, m'enserrant dans un étau dont je ne voulus pas me défaire, et il approcha son visage. Ses yeux furent dans les miens et j'eus le souffle coupé sous l'intensité de son regard.
« - Non ! Je ne veux pas d'elle... C'est toi que je veux, Emilie !». Dit-il avec force, rugissant presque. Mon coeur manqua un battement. Je fus incapable de prononcer le moindre son et de toute façon cela aurait été inutile car il continua : « C'est toi que je veux à mes côtés, toute entière, ton passé, ton présent, ton futur, ton corps, ton esprit, ton coeur. Parce que sans toi, c'est comme si je n'étais plus. Je t'offre mon corps pour te protéger, je t'offre mon coeur et mon être, ils sont à toi ! Je te veux toi comme shaûk, mais seulement si tu veux aussi de moi...» Termina-t-il dans un murmure grave.
Pendant quelques instants, il me fut impossible de formuler une pensée cohérente, ou même un son. Je laissai sortir un souffle tremblant d'entre mes lèvres, tentant de me ressaisir. Je ne sais pas ce que Narghaash déduisit de cette réaction, mais il me lâcha, et recula lentement d'un pas. Peu à peu, les mots qu'il avait prononcé avec tant de force s'imprégnèrent en moi, et mon coeur se remit à battre la chamade. Il était là, et il m'offrait son amour, sa vie. C'était si beau et si pur que je faillis pleurer.
Mais étais-je prête ? Etais-je prête à m'embarquer dans cette aventure avec lui ? Etais-je prête à peut-être passer le reste de ma vie à ses côtés ? Etais-je prête à pardonner son passé pour qu'ensemble nous regardions vers le futur ? Etais-je prête à l'accepter malgré ses défauts et ses différences (autant physiques que culturelles)? Etais-je prête à le laisser entrer dans mon coeur et à l'aimer comme il le méritait? Etais-je prête à tirer un trait sur mon passé et accepter qu'un avenir dans ce monde soit possible ? Etais-je prête à me dire que peut-être jamais je ne retournerai dans mon monde ?
Oui. Je me rendis compte que oui.
Consciente de tout cela, je le choisissais.
Je croyais en notre avenir. Ensemble, pour le meilleur et pour le pire.
Je relevai les yeux que j'avais baissé lors de ma réflexion. Il se tenait là, massif, patient, attendant que je décide. Dehors, il s'était arrêté de neigé, et le ciel se découvrait lentement. Les rayons du soleil commençaient à colorer le ciel, teintant la scène d'une chaude lumière. Je pris le temps d'observer Narghaash sous un jour nouveau. Il était impressionnant : vêtu d'un pagne tissé et décoré, son torse nu était recouvert de fines arabesques blanches qui formaient un contraste saisissant sur sa peau sombre. Et puis, mon regard atteignit le sien et le monde autour sembla disparaître. Ses yeux citrin me fixaient avec intensité, faisant voler en éclats tous les doutes que j'aurais pu avoir.
Je fis un pas dans sa direction. Il n'esquissa pas le moindre mouvement, attendant simplement que je vienne à lui, ses yeux ne me quittant à aucun instant. Le souffle court, je me rapprochai encore jusqu'à ne me retrouver qu'à quelques centimètres. L'intensité du moment me donna la chaire de poule. Je me mis sur la pointe des pieds, profitant que sa tête soit baissée, et effleurait ses lèvres des miennes. Un baiser plus doux qu'un papillon, qui pourtant en fit naître des centaines dans mon ventre.
Je reculai légèrement mon visage, cherchant sa réaction car il n'avait pas bougé. Lorsque je vis ses yeux, flamboyants d'émotion, je souris. Un grondement bas et très doux me répondit.
« - C'était ton premier baiser ? » Lui demandai-je dans un murmure.
Il opina, ses yeux scrutant les miens.
« - Ce n'est pas quelque chose que les orques et les uruks ont l'habitude de faire. » Dit-il à voix basse.
« - Oh… alors tu voudrais que j'arrête ? » Demandai-je avec un sourire espiègle.
« - Jamais » Gronda-t-il.
Et j'enroulai mes bras autour de son cou, toujours sur la pointe des pieds avant de l'embrasser à nouveau, un peu plus longtemps. Je frémis lorsque les siens se refermèrent doucement sur ma taille, me rapprochant de lui jusqu'à ce que nous soyons l'un contre l'autre. Je détachai mes lèvres un instant pour lui sourire, et continuai notre baiser tandis qu'une douce chaleur se répandait dans tout mon corps.
Je me sentais bien, je me sentais à ma place là dans ses bras, aussi étrange que cela puisse paraître.
Après quelques instants, je me détachai lentement de ses lèvres, et appuyai mon front contre le sien. Nos souffles se mêlèrent alors que je fermai les yeux, savourant la quiétude de l'instant. Peu à peu, les battements de mon cœur s'apaisèrent et reprirent un rythme régulier.
« - Donc, c'est un oui ? » Souffla Narghaash.
« - C'est un oui. » Murmurai-je en retour.
Ses bras se resserrèrent un peu plus autour de moi et nous restâmes ainsi un moment, se gorgeant de la présence et de la chaleur de l'autre ainsi que de cette proximité nouvelle et grisante.
...
Lorsque nous atteignîmes l'entrée de la grotte un peu plus tard, le cœur dilaté de joie, le soleil brillait derrière nous et la fête battait son plein. Des regards nous suivirent, et restèrent accrochés à nos mains liées. Mais nous n'en avions cure, notre bonheur de partager ce moment ensemble balayant toutes pensées négatives. Je croisai Urga à un moment donné, et nous nous sourirent, l'air entendu. Nous dansâmes un moment ensemble, elle et moi sur le rythme grisant des percussions, et pas un instant le regard de Narghaash ne me quitta. Je dansai longtemps, pour moi, pour lui, mon corps répondant avec facilité à la magie des instruments.
Plus tard, il me rejoignit et nous dansâmes jusqu'à ce que la musique s'arrête, riant, profitant de ces instants de paix.
Lorsque je me couchai à côté d'Urga, épuisée mais heureuse, une certitude immuable se mit à enfler en moi : j'avais fais le bon choix.
