Puisse le fluff de frères envahir le monde -keur-.

En vrai, ça me surprend d'avoir mis deux mois à écrire la suite de cette histoire. Tout ce temps alors que cette paire est celle qui m'inspire le plus en ce moment ! Mais, ceci dit, c'est vrai que j'ai quand même écrit quatre one-shots sur eux pour mon Calendrier, alors ça a dû apaiser ma faim x3


D'abord, Robin avait été immensément soulagé de voir que son frère ne souffrait d'aucune autre blessure visible, à part, bien sûr, les marques de fouet sur son torse et son dos, la meurtrissure sur sa joue et les hématomes qui marquaient sa gorge et son cou. Mais, plus les minutes passaient dans un silence de mort, plus l'estomac du jeune noble se tordait. Jamais il n'avait vu Gilles aussi inerte, aussi immobile et silencieux, lui qui, même blessé, continuait à lui envoyer des piques. Là, il ne bougeait plus, totalement à bout de force. Une ou deux fois, Robin lui avait fait relever la tête pour observer ses yeux, mais ça ne l'avait pas rassuré. Les prunelles vertes de son frère étaient complètement fixes, opaques, comme s'il ne parvenait pas à reprendre ses esprits. Il avait déjà vu ce regard chez des prisonniers qu'on avait rossés, encore et encore, jusqu'à l'épuisement le plus total. Souvent, ils prenaient plusieurs coups sur la tête, perdaient connaissance et ne se réveillaient jamais.

"Bon sang, faites que ce n'est pas ce qui est en train d'arriver, murmura Robin à personne en particulier, le coeur de plus en plus lourd."

Il étreignit son frère blessé encore plus fort, et Gilles eut l'amabilité de pousser un grognement en réponse. Ce simple bruit de gorge le rassura un peu.

"Gilles, je te promets que tout va bien se passer, jura-t-il aux cheveux blonds qui étaient enfouis entre ses bras. Tiens juste encore un peu le temps qu'Azeem arrive. Il va te remettre sur pieds, tu verras."

En disant cela, il enfouit un instant son nez entre les mèches épaisses et soyeuses, respirant longuement l'odeur de son frère. Aucune senteur ne lui avait fait ressentir autant de nostalgie depuis longtemps. La dernière avait dû être celle de sa mère, il y avait presque vingt ans... C'était curieux. Le parfum de Gilles devait ressembler à celui de sa maman, cette femme qu'il avait tant détestée étant enfant. Et maintenant, il chérissait cette odeur plus qu'aucune autre au monde.

"Chrétien ? Est-ce-que tout va bien ? Tes hommes m'ont dit que le garçon était blessé."

Le garçon, ça se référait davantage au fils de Petit Jean et Fanny, mais Robin releva néanmoins la tête, un peu embarrassé d'avoir été pris sur le fait, à humer les cheveux de son frère.

"Oui, ils l'ont pris pour un traître et lui ont donné un coup sur la tête, murmura-t-il en retournant son frère sur le dos pour qu'Azeem le voie mieux.

-Il n'y a pas que sa tête qui est touchée, mon ami, le détrompa sombrement le maure. Regarde ses côtes et son torse. Tes camarades l'ont roué de coups."

En disant cela, il écarta les pans de la chemise défraichie et un peu trop large que Robin lui avait donnée, révélant les bandages qui enserraient sa poitrine de haut en bas. Par endroit, ils étaient déchirés, et on pouvait voir la peau noircie ou bleuie par endroits, là où ils l'avaient frappé. Certaines blessures de fouet s'était rouvertes, prenant une vilaine couleur rougeâtre qui inquiéta les deux hommes.

"Qu'est-il arrivé à sa gorge ? s'enquit Azeem, les sourcils froncés.

-Ils... Ils ont essayé de lui faire subir le même châtiment que celui auquel ils avaient été condamnés, répondit son ami, le visage blême à mesure qu'il prenait conscience de la gravité des blessures. Lorsque je suis arrivé, ils essayaient de l'étrangler avec un bout de corde."

Le maure secoua la tête, consterné par tant de violence entre alliés.

"Bon. Voyons ce qu'il en est de sa tête."

Il redressa la tête du jeune homme avec délicatesse et observa ses yeux fixes et flous. Robin guetta sa réaction, espérant que son ami lui dirait que ça n'était rien de grave, mais l'expression du maure disait tout l'inverse.

"Azeem ? Tu ne dis rien. Il va s'en sortir, n'est-ce-pas ? murmura Robin, terrifié par son silence.

-Je ne saurais le dire, Chrétien, répondit son ami avec cette honnêteté qui le caractérisait. Il faut espérer que son absence de réaction ne soit que le fruit de la fatigue, mais j'ai bien peur que ça ne soit plus grave que ça...

-Attends, qu'est-ce que tu veux dire, exactement ? balbutia le jeune noble, qui se sentait sur le point de basculer vers une panique totale. Tu ne veux pas quand même pas dire qu'il va mourir ! Azeem, ne dis pas ça. Tu n'as pas le droit de me dire ça !

-Calme-toi, Chrétien, l'apaisa le maure en posant sa main sur son bras. Si nous gardons ton frère éveillé quelques heures, le temps que son étourdissement se dissipe, nous avons de grandes chances de le sauver.

-De grandes chances...

-C'est tout ce que je peux te dire, Chrétien, déclara Azeem avec compassion. Mais en attendant, ce garçon a besoin de soins. Emmenons-le sur la place, c'est là que nous rassemblerons les blessés.

-Très bien..."

Robin se pencha pour soulever son frère léthargique dans ses bras, mais son ami l'arrêta.

"Non, Chrétien, il doit marcher pour reprendre ses esprits.

-D'accord...

-Et c'est moi qui vais l'aider.

-Quoi ? Mais pourquoi ? s'enquit le chef des voleurs en fronçant les sourcils d'incompréhension. C'est mon f...

-Parce que tu dois t'occuper de tous les hommes et de toutes les femmes qui t'attendent là-bas, rétorqua Azeem d'un ton sévère. Tu les as libéré de la cruauté de l'homme qui les tenait sous son joug, mais maintenant, ils ont besoin de quelqu'un qui leur dise quoi faire. Une fois que l'excitation sera retombée, ils attendront des directives et elles ne peuvent venir que de toi.

-Ne peuvent-ils pas attendre ? protesta Robin, s'astreignant au calme alors que son coeur lui commandait de ne plus lâcher son frère d'une semelle de toute la journée. Laisse-les se réjouir d'être libres, et ensuite, nous aviserons.

-Il y a de riches seigneurs parmi les gens qui t'attendent, lui opposa patiemment son ami. Ils ont besoin de savoir à quoi s'en tenir. Et, plus vite tu leur expliqueras pourquoi un noble déchu comme toi s'est permis de tuer le shérif qui exerçait le pouvoir de son plein droit, mieux ça sera pour toi."

Robin se tut. Azeem avait raison. Parfois, il se demandait si c'était bien lui le décideur dans toute cette histoire, finalement. A regret, le jeune comte balaya du regard le corps sale, épuisé et supplicié de son petit frère, et il passa rapidement sa main dans ses cheveux, les peignant délicatement en arrière.

"Je reviens, murmura-t-il doucement."

Il se redressa lourdement, rompu par les efforts, la tension et la fatigue. Au moment où il se retournait, l'archer crut entendre un faible "Robn..." balbutié derrière son dos. Mais quand il fit de nouveau volte-face vers Azeem et Gilles, ce dernier était écroulé contre le maure, la tête abandonnée mollement sur son épaule, tandis que son ami le relevait avec précaution, tout en lui susurrant des mots d'encouragement. Le coeur serré, Robin abandonna les deux hommes derrière lui et se dirigea vers la grand place du château.

/

Il lui avait fallu du temps pour calmer tout le monde. Les villageois, pour la plupart galvanisés par la mort du shérif et de sa sorcière, étaient devenus un peu trop enthousiastes, commençant à brûler les tentures, briser les statues à son effigie et dérobant bijoux, chandeliers d'or et vaisselle précieuse. Les seigneurs présents étaient bien sûr outrés par cette débandade, et le jeune comte de Locksley avait dû user de toute son éloquence pour les convaincre de ne pas appeler des renforts armés sur-le-champ. Au final, il avait astreint la foule au calme, ses hommes avaient fait en sorte que tout le monde suive ses ordres et Robin avait réussi à passer un marché avec les seigneurs : il tairait leur très probable collaboration avec le shérif pour s'emparer du trône d'Angleterre, et en échange, ils les laisseraient, lui et ses hommes, qui étaient encore des hors-la-loi, en paix. Marianne l'avait bien sûr fermement appuyé dans toutes ses démarches et, quelques heures plus tard, les habitants préparaient une grande fête pour célébrer le triomphe de leur héros. Les seigneurs étaient partis et, conscients que c'était Robin de Locksley qui menait la danse, à présent, et puisqu'il avait quand même libérés d'un grand poids la plupart des nobles des environs, ils avaient promis de revenir l'aduler comme il se devait.

Dès que tout fut réglé, du moins temporairement, Robin descendit au petit trot du balcon sur lequel il s'était juché pour parler aux villageois et fendit la foule jusqu'à l'endroit où on soignait les blessés. Azeem et Frère Tuck présidaient les opérations, bien sûr, mais bon nombre de femmes ou d'hommes indemnes, des domestiques et même quelques soldats leur prêtaient assistance. Plus loin, un groupe s'occupait de rassembler les cadavres à l'autre bout de la cour en attente de leur inhumation. Fébrile, le jeune comte fouilla le rassemblement des yeux à la recherche de son frère. Son coeur bondit de soulagement lorsqu'il l'aperçut à la droite d'Azeem, assis et adossé au rempart derrière eux, la tête dodelinant sur le côté mais bien conscient.

"Gilles !"

Robin se précipita vers lui en enjambant maladroitement les blessés et les aides soignantes, s'excusant piteusement pour les têtes qu'il frôlait d'un peu trop près et les coups qu'il manquait donner dans sa précipitation. Il parvint enfin aux côtés de son frère et s'accroupit devant lui.

"Gilles ? Comment tu te sens ? s'enquit fiévreusement Robin en lui pressant l'épaule.

-Robn..., marmonna son frère en réponse, tournant son regard vert et fatigué dans sa direction. Ça y est, tu as plié tout le monde à tes quatre volontés ?"

Robin rit, soulagé de l'entendre parler.

"Oui, ça, on peut dire que tout le monde m'a écouté, sourit-il en étendant sa caresse à sa joue. Et maintenant, j'aimerais que tu fasses de même et que tu te rétablisses rapidement, d'accord ?

-A tes ordres, chef, murmura Gilles en fermant les yeux.

-Non. Non, Gilles. J'ai besoin que tu restes réveillé. Tu peux faire ça pour moi ?

-Humm...

-Regarde-moi, mon frère. J'ai repris l'épée de notre père au shérif. Tu veux bien la garder pour moi ? C'est beaucoup trop fatiguant de la trimballer partout, comme ça."

Un sourire amusé s'étira sur les lèvres du jeune homme et il rouvrit péniblement les yeux, posant sur Robin un regard animé d'un bref éclat d'amusement.

"Tu n'es qu'un noble paresseux et impotent, répliqua-t-il en tendant la main pour récupérer l'épée.

-Merci. Heu, merci de la garder, pas de m'avoir traité d'impotent."

Gilles sourit de nouveau et Robin lui caressa brièvement la joue avec soulagement. Il avait craint le pire, mais son frère allait bien, maintenant...

"Chrétien, si j'étais toi, je dissiperais immédiatement tous les malentendus concernant ton frère, lui murmura Azeem en se détournant du blessé qu'il soignait. Certains de tes amis aimeraient profiter de la situation pour régler leurs comptes avec lui.

-Il y en a d'autres qui ont essayé de s'en prendre à lui ? s'enquit Robin, interloqué.

-Trois depuis que nous sommes là."

Le regard de l'archer s'assombrit et, après avoir jeté un dernier coup d'oeil à son frère, il se redressa.

"Écoutez-moi, tous ! lança-t-il à l'assemblée. Nous avons traversé de dures épreuves ensemble, mais nous nous en sommes sorti, comme un groupe uni, soudé et solidaire, qui se bat pour ce qu'il estime juste ! Personne ici ne déroge à cette règle. Gilles pas plus que les autres, insista-t-il sévèrement en voyant quelques uns de ses auditeurs sur le point de protester. Il s'est battu comme vous tous pour nous libérer de l'emprise du shérif !

-Mais, Robin ! intervint quand même l'un de ses hommes, ivre de rage. Il a voulu te tuer ! C'est un traître ! Comment peux-tu lui faire confiance ?

-Gilles n'a jamais voulu tuer qui que ce soit, rétorqua fermement Robin, quoi qu'il pût nourrir de légers doutes sur la question. Il a conclu ce pacte avec le shérif pour pouvoir nous avertir de ce qui se préparait ! C'est grâce à lui si vous êtes encore en vie aujourd'hui !

-Cette fois peut-être, mais il a essayé de te poignarder dans le dos à ton arrivée ! lui opposa un autre hors-la-loi. Qui te dit qu'il n'a pas profité de la situation pour entrer dans tes bonnes grâces, et se débarrasser de toi ensuite ?

-Nous avons tous fait des choses que nous regrettons. Ça ne veut pas dire que nos erreurs doivent nous marquer pour toujours, ni nous empêcher d'avancer auprès des gens."

Leur chef se tut et se tourna légèrement de côté pour regarder son frère. Dos à la muraille, Gilles avait les yeux levés vers lui, un peu plus attentifs que quelques instants auparavant. Il semblait désormais assez lucide pour prendre la mesure de ce qui se passait en ce moment-même, et que Robin essayait de le défendre auprès des autres villageois. Leurs yeux se croisèrent brièvement, puis l'archer se retourna vers la foule.

"Gilles est l'un des nôtres, au même titre que chacun d'entre vous, déclara-t-il fermement. En conséquence de quoi, il doit être traité avec respect. Et je dois ajouter une chose, poursuivit-il en constatant que certains hors-la-loi ne semblaient pas convaincus. Gilles n'est pas que l'un de mes hommes. C'est également mon petit frère."

Un silence pensant tomba sur l'assemblée. Même les blessés et les agonisants, gémissant sur leur couche, semblaient s'être tus. Les villageois s'entreregardèrent, abasourdis, puis tentèrent d'apercevoir Gilles adossé à la muraille. Robin suivit leur regard et découvrit la même expression stupéfaite sur le visage du jeune hors-la-loi. Il ne s'était pas attendu à ce que tout le monde soit mis au courant d'une façon aussi soudaine et surtout aussi solennelle. Il avait sûrement considéré que leurs liens de parenté étaient une affaire qui ne concernait personne, et que la nouvelle ferait lentement et naturellement son chemin dans le campement, au gré des rumeurs et des ragots qu'on partage auprès du feu. Et certainement pas que toute la population de Sherwood l'apprendrait comme ça, du jour au lendemain !

Parmi la foule, des voix commencèrent à s'élever. Des voix stupéfaites, étonnées, mais également des voix de colère. L'une d'entre elles domina les autres.

"Comment peux-tu savoir que c'est bien ton frère ? aboya quelqu'un. Si c'est lui qui te l'a dit, alors tu devrais y réfléchir à deux fois avant de le croire ! Ce garçon ment comme il respire !

-A ce que je sache, Gilles ne m'a jamais menti lorsqu'il a été question de critiquer mes choix ou d'affirmer qu'il n'avait aucune confiance en moi, rétorqua Robin, mécontent que quelqu'un puisse mettre les paroles de son frère en doute. Il est le fils de mon père et mon propre frère de par le sang qui coule dans nos veines ! En conséquence de quoi, je préfère vous prévenir tout de suite. Je me fiche de savoir quels comptes vous pouvez bien avoir à régler avec lui. Quiconque essaiera de s'en prendre à Gilles l'Écarlate devra d'abord me passer sur le corps !"

Cette déclaration finit de stupéfier tout le monde. Les plus hardis des contestataires reculèrent prudemment devant le regard mauvais que Robin leur lança. Oui, quelque chose avait changé dans les yeux de leur chef. Cet éclat déterminé et intraitable qui y brûlait suffisait à leur faire comprendre qu'il ne plaisantait pas. Ils ignoraient ce qui avait bien pu se passer au coeur des bois de Sherwood en l'espace de vingt-quatre heures, mais la place de Gilles l'Écarlate avait drastiquement changé dans le coeur de leur chef. Il ne les laisserait clairement pas l'approcher, peu importait qu'ils ne croient pas une seule seconde à sa bonne foi. Pour convaincre leur héros de se méfier du jeune homme, ils devraient trouver un autre moyen.

/

"Je ne pensais pas que tu le dirais à tout le monde.

-Pourquoi, ça te dérange ?

-Non... je ne crois pas, répondit Gilles en fronçant les sourcils, pensif. Seulement, je m'étais pas attendu à ce que tu l'assumes aussi facilement. Je ne suis pas la personne la plus appréciée de ce camp.

-Oui, j'ai remarqué. A ce propos, qu'as-tu bien pu leur faire pour les remonter autant contre toi ?"

Robin garda les yeux braqués sur son frère avec curiosité, mais, n'obtenant aucune réponse de sa part, il se remit à nettoyer délicatement l'une des plaies ouvertes sur son flanc. Lorsqu'Azeem lui avait demandé sans aucune gêne de s'occuper de son frère parce que lui n'en n'avait pas eu le temps, le jeune comte avait bondi d'indignation.

"Quoi, tu ne l'as pas soigné ? avait-il protesté.

-Beaucoup d'hommes et de femmes en avaient plus besoin que lui, avait rétorqué le maure. Ton frère n'a que quelques hématomes pour lesquels je ne peux rien faire, et trois ou quatre plaies ouvertes. Il pouvait attendre. Pas eux."

En grommelant son indignation -comment ça, "que" cinq plaies ouvertes ? C'était déjà beaucoup !-, le chef des voleurs avait empoigné un broc d'eau claire, un chiffon et une longueur de pansements propres, puis il avait pris son frère par le poignet pour l'entrainer dans un endroit plus calme. Gilles, encore peu stable, avait failli se casser la figure en esquissant ses premiers pas, puis il avait lentement retrouvé son équilibre. Les gens s'étaient écartés sur leur passage en chuchotant et en le dévisageant, chacun y allant sans doute de sa petite théorie et de sa petite anecdote sur la nouvelle fracassante que leur chef leur avait apprise. Ils allaient entendre parler de cette histoire encore longtemps, c'était certain.

Robin défit tendrement le reste des vieux bandages qui entouraient le torse de son frère et les roula en boule dans un coin. Gilles, qui se tenait étendu la tête sur ses genoux, avait d'abord commencé par renverser la tête en arrière pour continuer à lui parler, mais son frère l'avait doucement réprimandé, à cause des hématomes sur sa gorge. Finalement, ce n'était pas plus mal. La veille encore, s'il se blessait, il devait se soigner tout seul, alors c'était un peu embarrassant de devoir se contenter d'attendre que Robin panse tendrement ses plaies. Les pensées un peu plus claires malgré une confusion encore certaine, le jeune homme fixa du regard les mains de son frère qui s'activaient sur sa poitrine blessée pour désinfecter ses blessures les plus profondes.

"Gilles, tu ne t'endors pas, au moins ? s'assura Robin en le voyant dodeliner de la tête.

-Non, ça va..., marmonna le jeune homme en fermant les yeux.

-Gilles, non, il faut que tu restes réveillé, c'est important, insista son frère en le redressant en position assise. Tu pourras dormir quand Azeem se sera assuré que tout va bien.

-Ce n'est pas la première fois qu'on me cogne la tête, tu sais.

-Je sais."

Robin acheva de le soigner en enveloppant une nouvelle longueur de pansements propres autour de son torse.

"Voilà, j'ai terminé. Dépêche-toi de remettre ta chemise, tu dois avoir froid."

En effet, le jeune homme tremblait dans le froid glacial de Novembre et Robin s'empressa de le rhabiller lui-même, comme il l'aurait fait avec un petit enfant.

"Je peux le faire tout seul, tu sais, rétorqua Gilles, amusé.

-Je le sais. Excuse-moi. Je me suis laissé emporter, admit le chef des voleurs, un peu piteux.

-Ça ne fait rien. C'est juste... différent, pour moi. Il va me falloir du temps pour que je m'y habitue."

Robin acquiesça dans un murmure et Gilles se redressa faiblement. Il chancela et faillit se casser une nouvelle fois la figure, mais son frère le rattrapa juste à temps.

"Hé, là, doucement, s'amusa Robin en le maintenant fermement debout par la taille. Tu es pressé ?

-Pas vraiment. Et je ne crois pas que les autres aient très envie de me voir non plus, malgré ce que tu leur as dit.

-Gilles..."

Le chef des voleurs raffermit sa prise sur sa taille et le bascula contre lui pour lui faire un câlin que le jeune homme accepta volontiers. Il était complètement patraque, déboussolé et tout son corps lui faisait mal. Il se sentait très faible et ça le tracassait.

"Hé, Gilles ?

-Quoi ?

-Ne t'inquiète pas pour les autres hors-la-loi, souffla Robin au creux de son oreille. Je ne les laisserai pas s'en prendre à toi.

-Pourquoi me défends-tu comme ça ? Pour ce que tu en sais, j'ai peut-être des choses pas très louables à me reprocher, rétorqua son frère.

-Ça m'est complètement égal, répondit le jeune comte dans souffle qui ressemblait presque à un rire. Tu es mon petit frère et c'est tout ce que j'ai besoin de savoir. Je te protègerai."

En faisant cette promesse, il avait délogé la tête de Gilles de sa poitrine mais sans briser l'étreinte. A présent, son frère le fixait, pensif. Ce n'était pas la première fois qu'ils se regardaient aussi intensément dans les yeux, réalisa Robin en se souvenant du jour où Gilles avait tenté de le poignarder, et où il lui avait envoyé une flèche dans la main. Pour une raison quelconque, les yeux du jeune homme faisaient partie de ceux dans lesquels il avait le plus souvent plongés, fût-ce pour y lire de la colère ou de la haine. Et pour y distiller lui aussi sa part de ressentiment et d'irritation, il est vrai.

Mais, cette fois-ci, le jeune comte avait envie de lui caresser le visage, et non plus de lui faire des reproches. Alors, sans réfléchir à ce qu'il faisait, il prit de nouveau le visage de Gilles dans ses mains et lui inclina la tête en avant pour plonger derechef son nez dans les cheveux, un peu puérilement. Ils sentaient bon. Ils sentaient tellement bon.

"Tu es un homme étrange, Robin de Locksley, ricana Gilles, mais il le laissa faire.

-Je le sais. Mais c'est pour ça que tu m'aimes, non ? répliqua Robin, joueur."

Il sentit son frère se figer. D'accord, c'était peut-être un peu tôt pour se dire qu'ils s'aimaient. L'archer s'inquiéta de l'avoir trop brusqué, mais le jeune homme reprit la parole :

"Hé, Robin ?

-Oui ?

-Moi aussi, je te protègerai."

Le jeune comte sourit.

"Je n'en doute pas une seule seconde, mon frère."