J'ai hésité à faire de ce texte une histoire indépendante, car, comme avec "Je te protègerai", elle connaîtra une suite. Mais ce ne sera sûrement l'affaire que d'une partie de plus... et, dans le cas contraire, eh bien ce recueil ne ressemblera plus à grand chose x3
Je continuerai "Je te protègerai" parties III (et IV ?) plus tard. Pour l'instant, j'avais des envies non-assouvies de fluff Robin-Will. Ce texte devait à la base rejoindre le Calendrier de l'Avent à la place du jour 21 : Thor et Loki, mais comme je m'étale beaucoup trop lorsque je parle des frères de Locksley, je ne l'ai pas fini à temps. Il se retrouve donc ici, bien plus développé et étoffé. Pour le meilleur et pour le pire.
"Tu vois ce que tu gagnes à fanfaronner de la sorte ? Tu es fier de toi ? Tout ça pour impressionner Marianne !"
Le bruit de la cuillère cognant énergiquement contre les bords du verre se fit plus vif et plus rapide. Gilles était énervé. Très énervé.
"Bois ça et dépêche-toi, ordonna-t-il en brandissant la potion sous le nez de son frère alité."
Un peu de liquide brunâtre déborda du récipient et laissa des tâches sombres sur la couverture et la manche de Robin. Celui-ci obéit immédiatement à son cadet et tendit une main pour lui prendre le verre. Gilles continuait de le foudroyer du regard et il n'aimait pas ça, d'autant plus qu'il avait un peu honte de lui. Son frère avait raison, il était le seul responsable de son état.
Piquer une tête dans la rivière glacée de Sherwood comportait déjà de sérieux risques au printemps et en été, alors même qu'on avait la possibilité de se sécher immédiatement au soleil, assis sur une pierre. On n'était jamais à l'abri d'un coup de froid, et quoi que les hors-la-loi n'aient jamais eu le moindre scrupule à y précipiter les riches voyageurs qui désiraient passer le cours d'eau, ils évitaient d'abuser de cette plaisanterie. Au printemps, c'était amusant. En hiver, à une époque où tous peinaient à se réchauffer, c'était dangereux.
Et voilà que Robin s'était précipité dans la rivière tout seul, cet idiot ! Gilles n'avait pas pris part aux réjouissances, il s'était contenté de rester assis sur la berge avec quelques autres, à l'abri sous le feuillage. Robin, en grand enfant qu'il était, s'était amusé avec quelques autres hors-la-loi à qui braverait le plus longtemps l'eau glacée de la rivière, en plein coeur du mois de décembre. Déjà que Gilles avait les mains congelées, et qu'il devait souffler dessus pour les réchauffer, il n'osait pas imaginer ce que ça devait être de ressortir du cours d'eau avec les vêtements trempés. Marianne était là aussi, évidemment, en une de ses visites qu'elle rendait aux hors-la-loi en attente d'être graciés, et pour impressionner sa belle, Robin avait bien sûr mis un point d'honneur à être celui qui remporterait cette stupide compétition. Et maintenant, voilà qu'il grelottait de froid et de fièvre, étendu sous plusieurs couvertures qui peinaient à calmer ses frissons. Gilles s'occupait de lui depuis que les premiers symptômes s'étaient déclarés, mais en l'état actuel des choses, il faisait un très mauvais garde-malade. Il était en colère contre Robin de s'être mis en danger de façon aussi irresponsable, et cette irritation était d'autant plus exacerbée par la peur qu'il ressentait. Une peur peut-être irrationnelle, car à première vue Azeem n'avait diagnostiqué aucun risque majeur pour la survie de son frère, mais il ne pouvait rien y faire, la maladie l'angoissait. C'était de maladie que sa mère était morte, et même si cette infection n'avait rien à voir avec celle de Robin, qui souffrait juste d'un gros coup de froid, il ne pouvait s'empêcher de trembler quand même. Non mais quel idiot !
Bien sûr, son irritation n'aidait pas du tout Robin à se reposer et à reprendre des forces. Gilles restait juste assis là à le foudroyer du regard, clairement en colère contre lui, le visage fermé et les bras croisés en un geste de rejet total à une quelconque tentative d'explications. Le jeune noble avait l'impression d'être revenu au début de leur relation, lorsque son frère et lui ne pouvaient pas se croiser sans se tendre d'instinct, en attente d'une confrontation. Là, c'était la même chose. Toute cette tension dans l'air le crispait et l'épuisait. Et comme, en plus, il avait un peu honte d'être tombé malade suite à un pari aussi stupide, on ne pouvait pas dire que son état s'améliorait grandement.
D'ailleurs, Azeem se dépêcha de mettre un terme à cette situation.
"Je comprends ton irritation à l'égard du Chrétien, Jeune Chrétien, mais ça ne peut pas continuer comme ça, décréta fermement le maure en constatant que l'humeur de Gilles ne s'était pas le moins du monde améliorée. Aussi stupide que puisse être son comportement, ton frère a désormais besoin de se reposer. Et tu ne l'aides pas, en lui reprochant son état de façon aussi agressive. Sors un moment, Jeune Chrétien. Je vais prendre le relai.
-Mais..."
Gilles aurait bien aimé protester, mais Azeem lui lança un regard sans appel. En grommelant, le jeune voleur se leva de sa chaise et quitta vivement la cabane de son frère, toujours aussi énervé.
Il retrouva le campement et l'air froid de cet après-midi de décembre, loin de la moiteur de la chambre de Robin. La lumière du jour, les hommes et les femmes qui circulaient à travers le camp et le ciel bleu qu'il apercevait à travers les branches des arbres lui éclaircirent un peu les idées. Tout à coup, il trouva sa colère un peu déplacée. D'accord, Robin était un idiot, mais c'était son idiot de frère, et lui crier dessus pour un rhume qu'il n'avait quand même pas attrapé à dessein était stupide. C'était probablement l'atmosphère confinée de la pièce, la pénombre, la moiteur, l'odeur de la sueur et des médicaments qui le troublaient plus que de raison. Après tout ce qu'il avait vécu avec sa mère...
"Alors, Gilles l'Ecarlate, comment va notre cher Robin ? l'apostropha Petit Jean qui passait par là, en s'appuyant sur son bâton. Il doit aller mieux pour que tu te sois décidé à quitter son chevet.
-Eh bien... à vrai dire, je n'en sais rien, avoua le jeune voleur, un peu piteux. C'est Azeem qui m'a mis dehors sous prétexte que j'étais trop agressif envers Robin.
-Agressif ? Envers Robin ? Alors qu'il se consume de fièvre dans sa cabane depuis hier ? Tu n'as pas encore réglé tous tes problèmes avec lui, je me trompe, Gilles ?
-Qu'Est-ce que tu insinues exactement ? répliqua le jeune homme, sur la défensive."
Son ami le fixa longuement, le sourcils haussé, l'air de dire "Sérieusement, Gilles ?". Il changea d'appui sur son bâton et expliqua :
"Eh bien, Robin n'a rien fait de mal, à part être un peu inconscient. Mais, ça, il l'a toujours été. Tu vois bien comme il attaque les convois armés du nouveau shérif ! On dirait que ça n'est guère plus qu'un jeu pour lui ! Tu sais tout ça, et pourtant, tu lui prends la tête parce qu'il est malade. Tu ne penses pas qu'il y a un problème, Gilles l'Écarlate ?"
Le jeune homme le dévisagea, pris de court. Etait-ce vraiment un problème ? Robin avait été stupide... il avait le droit d'être en colère... non ? Et puis, il réalisa soudain que c'était ça le problème. Sa colère.
Il se figea, frappé par cette prise de conscience. La colère... "Ne prête pas attention à ses paroles, il est rempli de colère". Voilà ce que Petit Jean avait affirmé à Robin après leur première confrontation, lorsque son frère était arrivé au camp. De la colère... à l'égard de tout.
"Tu as passé la plus grande partie de ta vie à haïr Robin et à lui en vouloir de t'avoir forcé à grandir sans maison et sans père, poursuivit Petit Jean, faisant écho à ses pensées. Maintenant qu'il t'a reconnu et qu'il te donne toute l'attention dont tu as besoin, tu ne peux plus vraiment lui en vouloir pour quoi que ce soit. Alors, tu prends le premier prétexte qui vient pour lui faire des reproches et déverser sur lui toute la colère que tu ressens encore... à l'égard de tout et n'importe quoi. Ne crois-tu pas qu'il serait temps de laisser tomber toute cette colère, Gilles ?"
La colère... En réalité, s'il prenait la peine d'y réfléchir, le jeune homme n'était pas vraiment certain de pouvoir la laisser derrière lui un jour. Après toutes ces années, elle s'était incrustée, profondément ancrée dans sa chair. Elle était devenue une constante, quelque chose qui l'aidait à s'exprimer, à ressentir, à exister. Sans colère... il avait l'impression qu'il ne resterait plus que lui, un jeune homme qui n'était plus un enfant, mais pas encore tout à fait un adulte, un peu vulnérable, un peu perdu. Il avait besoin de cette colère pour se défendre, pour continuer à vivre.
Et parce qu'il avait mauvais caractère, ne manquait jamais de souligner Robin, narquois.
Oui, sans doute. Mais quand bien même, il ne pouvait pas...
"Je ne te demande pas de devenir tout à coup un modèle de patience et de retenue, s'esclaffa Petit Jean devant sa mine déconfite. Seulement de faire un effort quand il s'agit de ce pauvre Robin. Si tu dois te mettre en colère à chaque fois qu'il fait quelque chose de stupide, tu n'es pas près de te détendre un jour !"
Gilles sourit.
"Oui, j'imagine... que ça a du sens, ce que tu dis. Merci.
-Mais de rien, Gilles l'Écarlate."
Après un dernier signe de tête, Gilles se retourna et gravit à nouveau l'échelle de cordes de la cabane.
/
"Robin... Tu dors ?"
Un léger murmure lui répondit. Gilles s'approcha du lit de son frère et distingua dans la pénombre ses yeux clairs, fiévreux et pleins d'appréhension, qui le fixaient.
"Ecoute, je suis désolé de la façon dont je me suis comporté, s'excusa le jeune voleur, piteux. C'est vrai que tu es un crétin, mais... je suppose que ce n'est pas vraiment de ta faute.
-Tu n'es plus fâché ? s'assura Robin d'une petite voix incertaine et fatiguée.
-Non, admit Gilles sur un petit rire qui rassura son aîné, autant que la douce manière dont il lui effleura le front.
-Pardonne-moi d'avoir été aussi stupide, s'excusa le chef des voleurs à son tour. D'autant plus que je ne suis pas certain que ça ait suffit à impressionner Marianne.
-Ne t'inquiète donc pas pour ça. Elle t'épousera, ne serait-ce que pour avoir la paix.
-Ça me semble assez contradictoire, ce que tu dis, mon frère.
-Ça, c'est à cause de la fièvre. Tu verras, tout te paraîtra plus clair quand tu iras mieux."
Avant de se dégonfler, Gilles écarta les couvertures et se glissa dans le lit avec son frère. Il se blottit contre la forme affaiblie et moite de fièvre de Robin et passa un bras sous sa tête, la relevant juste assez pour la tenir au creux de son épaule, mais pas suffisamment pour le sortir de sa position allongée. De son autre main, il caressa soigneusement ses cheveux blonds, lissant avec délicatesse les mèches poisseuses loin de son visage. Robin ferma les yeux et poussa un petit soupir de contentement. Gilles sourit et lui caressa, du dos de la main, la tempe, la joue et le front.
"Est-ce que tu te sens mieux que tout à l'heure ? murmura-t-il.
-Mmm...
-Tant mieux, fit le jeune homme en souriant."
Il se cala confortablement contre les oreillers et fit basculer la tête de Robin sur sa poitrine.
"Que fais-tu ? marmonna son frère, à moitié endormi.
-Chut, je veille sur toi. Endors-toi, maintenant.
-Mais...
-Tout ira bien, le rassura Gilles en berçant son grand frère malade dans ses bras. Je ne laisserai rien t'arriver.
-Content de le savoir."
Le sourire dans la voix de Robin était clairement perceptible, mais il n'hésita pas à enfouir davantage sa tête contre la poitrine de son frère. Au bout de quelques minutes, il s'endormit. Gilles l'observa dans la pénombre, détaillant ces traits qu'il avait trouvés si suffisants et arrogants quelques mois auparavant, mais qui désormais lui inspiraient tant de tendresse et d'amour. Assez pour qu'il décide de passer la journée près de lui, attendant patiemment qu'il guérisse. Oui, ses petites escapades quotidiennes et salvatrices allaient devoir être remises à plus tard. Quand Robin irait mieux...
"Je suis navré de t'annoncer ça, Jeune Chrétien, mais tu as attrapé la maladie de ton frère, déclara Azeem le lendemain, un léger sourire amusé aux lèvres. Quatre jours de repos pour toi aussi, et ne t'avise pas d'essayer de t'enfuir, cette fois !"
Gilles poussa un gémissement misérable, complètement dépité, et il entendit distinctement Robin rire à côté de lui, malgré son nez bouché et sa gorge douloureuse.
"Ne te moque pas de lui, Chrétien, le reprit sévèrement le maure. Ton rhume est plus grave que je ne le pensais... Ce sera double dose de cette potion pour toi jusqu'à ce que tu guérisses !"
Cette fois, ce fut au tour de Gilles de ricaner devant la mine déconfite de son frère.
"Ne te moque pas de moi, le reprit Robin, joueur, en lui pinçant gentiment la hanche sous les couvertures. N'oublie pas que tu es coincé ici avec moi jusqu'à nouvel ordre.
-Comme si je risquais de l'oublier, rétorqua Gilles en lui rendant l'attention. Tu prends toute la place.
-Pas du tout ! C'est toi qui me colle, avec tes pieds tout froids !
-Si vous trouvez la force de vous chamailler, vous avez sûrement assez d'énergie pour que je vous déclare apte au travail, intervint Azeem en les voyant commencer à se bagarrer sous les couvertures. Chrétien, il y a plusieurs jours que les latrines n'ont pas été comblées et recreusées. Jeune Chrétien, Petit Jean a besoin d'aide pour nettoyer les bergeries. Les bêtes ont toutes été malades cette nuit et le résultat n'est pas très beau à voir."
Les deux frères échangèrent un regard et Gilles se tapota la trachée d'un air dramatique.
"Réflexion faite, je crois que ma gorge est plus irritée que je le pensais, déclara-t-il, très sérieux.
-Pas assez pour t'empêcher de parler, en tout cas, marmonna Robin en roulant des yeux.
-Robin va très bien, par contre, rétorqua son frère en le foudroyant du regard.
-Bien sûr que non ! Comment le pourrais-je, alors que tu passes ton temps à me donner des coups de pied ?
-Ça, c'était des coups de pied ? Si tu veux, je peux te montrer ce que c'est vraiment, des coups de pied !
-Chrétien. Jeune Chrétien, répéta patiemment Azeem. Arrêtez de vous agiter, sinon je vous envoie dans deux chambres différentes."
Cet argument sembla convaincre davantage les deux hommes. Ils cessèrent aussitôt de se chamailler et Robin rabattit la couverture sur la tête de son frère.
"En effet, Gilles ne va pas bien du tout, déclara-t-il en s'efforçant d'avoir l'air sérieux. Je pense que ça serait mieux qu'il reste ici... où je pourrai veiller sur lui."
Ils s'attendaient à ce que le principal intéressé marmonne quelque réplique sarcastique de dessous la couverture, mais il demeura étrangement -et, sûrement à contrecœur- silencieux.
"Bien, conclut Azeem après un silence, si je peux compter sur toi, Chrétien, fais-lui boire cette potion au moment des repas. Pas plus d'une dose, précisa-t-il en voyant le sourire espiègle qui montait aux lèvres de son ami. Jeune Chrétien, fais en sorte qu'il prenne son remède, lui aussi. Si jamais il rechigne, je te donne l'autorisation de le lui faire boire de force, et de tout venir me rapporter."
La petite tête blonde et ébouriffée de Gilles réapparut de dessous les couvertures, un sourire machiavélique aux lèvres. Il lança à son frère un regard triomphant.
"Quoi ? Comment peux-tu lui donner autant de pouvoir ? s'exclama Robin, offusqué. Tu sais comme moi qu'il va en abuser !
-A toi de te faire respecter, Chrétien, lança Azeem par-dessus son épaule. Tu peux commander des dizaines d'homme, et tu ne saurais pas te faire obéir d'un seul ?
-Tu sais très bien que non ! geignit son ami, dépité, mais il avait déjà quitté la cabane.
-Alors, Robin, et cette potion que je dois te faire avaler, où est-elle ? s'enquit Gilles avec un grand sourire malicieux.
-Ne t'avise pas de me faire boire une chose pareille, grommela son frère en croisant fermement les bras.
-Ne fais pas l'enfant, riche damoiseau ! Ouvre la bouche. Ça ne doit pas être si terrible !
-Jamais de la vie !"
Gilles envoya voler la couverture d'un coup de pied et se redressa dans le lit pour se positionner juste au-dessus de son frère; il lui attrapa le menton d'une main et saisit le flacon de médicament de l'autre, prêt à tout pour le lui faire avaler. Robin riait tellement que ça aurait pu être chose facile, si seulement il n'avait pas bougé la tête de tous les côtés pour esquiver les tentatives de son cadet.
"Ouvre la bouche !
-Non !
-Ouvre la bouche, Robin !
-Je refuse !
-Ouvre la bouche, sinon..."
Robin n'attendait que ça. Profitant de ce que son cadet se déconcentrait légèrement, il se redressa soudain et le fit basculer en arrière. Gilles poussa à peine un hoquet de surprise et se retrouva à loucher sur le visage de son frère au-dessus de lui. Robin lui sourit, victorieux.
"Je vais tout rapporter à Azeem, le menaça puérilement son cadet, mais ça ne servit qu'à le faire sourire davantage.
-Dans ce cas, je lui expliquerai de quelle façon violente et traumatisante tu as essayé de me faire boire sa potion, répliqua-t-il. Voyons lequel de nous deux il jugera le plus néfaste à la guérison de l'autre.
-Toi, c'est certain !"
Robin rit. Il dévisagea son frère et secoua longuement la tête, un irrésistible sourire aux lèvres.
"Tu es vraiment fatiguant. Tu le sais, ça ?
-Merci, je fais de mon mieux, rétorqua Gilles fièrement."
Robin éclata de rire une nouvelle fois - un rire qui sonnait bien étrange, avec sa gorge bloquée par la grippe, mais qui fit quand même sourire le jeune homme.
"Bon, libère-moi, à présent, exigea-t-il, toujours coincé sous son frère.
-Je ne sais pas. Que me donneras-tu en échange ?
-Je ne dirais pas à Marianne que tu t'es coincé le bras derrière l'abreuvoir des chèvres en voulant récupérer une de tes flèches, l'autre jour, répondit malicieusement le hors-la-loi.
-Gilles ! Un de ces jours, je vais vraiment finir par te laisser à quelqu'un d'autre ! s'esclaffa le chef des voleurs, encore un peu incrédule.
Contredisant totalement ce qu'il venait de dire, il se pencha et planta un baiser sur le front de son frère.
"Qu'Est-ce que tu faaaaais ? feignit de protester le jeune homme tandis qu'un nouveau bisou atterrissait sur sa tempe, puis sur sa joue, sur son nez et de nouveau sur son front. Robiiiin ! Tu me baves dessus !
-Tant mieux ! rétorqua son frère en riant et en continuant de recouvrir ses tempes et son front de baisers.
-Pfff."
Gilles roula des yeux mais se laissa faire. Il ne parvint pas à gommer le sourire qui lui montait aux lèvres, cependant, et il espéra que son frère ne remarquerait pas à quel point il était niais. Robin lui posa un dernier baiser sur la joue et roula lourdement sur le dos en lâchant un grognement étouffé.
"Ça va ? s'enquit Gilles en s'asseyant.
-Oui, ça va. J'ai juste la tête qui tourne, répondit Robin en se frottant les yeux.
-Tu vois, à force de faire l'idiot !
-Oh, ça va."
Gilles sourit et brandit la bouteille de potion qu'il tenait toujours à la main.
"Et maintenant, tu vas me faire le plaisir de boire tout ça ! Et sans protester !"
Robin s'autorisa à pousser un gémissement de dépit.
/
Cela ne faisait que quelques mois qu'il avait l'occasion de redécouvrir à quel point dormir était agréable. En lieu et place d'une tapis de feuilles putrides, d'un linge défraichi ou de la terre humide, il avait désormais un vrai lit, chaud, douillet, délicieusement moelleux. Et les couvertures étaient si épaisses, si chaudes... Et l'oreiller était si doux... Et Robin dormait juste à côté de lui, ce qui était une source de confort non négligeable. Lorsque Gilles se réveilla, il avait le nez enfoui juste contre son épaule, dans la manche de sa chemise. La pénombre qui régnait dans la cabane était profonde et épaisse, il faisait encore nuit noir. Le jeune homme sourit. Bien, ça voulait dire qu'ils avaient encore de longues, paisibles heures de sommeil devant eux. C'était mieux que de voir tout le campement défiler dans la cabane pour demander des conseils à leur chef.
Gilles se serra paresseusement contre Robin et posa sa tête sur sa poitrine. Alors qu'il allait se rendormir paisiblement, il capta un gémissement qui provenait de son frère. Aussitôt en alerte, il se redressa dans le noir et posa les yeux sur son aîné, dont il devinait à peine les traits.
"Robin ? appela-t-il après une hésitation. Tu te sens bien ?"
Question bête. Evidemment que Robin ne se sentait pas très bien, il était malade. Cependant, il n'avait jamais poussé de gémissements jusqu'à présent. C'était... inquiétant.
"Robin ? tenta-t-il une nouvelle fois en tendant la main vers le front de son aîné."
Il la retira aussitôt, consterné. Même sans toucher sa peau, il avait cruellement ressenti la chaleur qui s'en dégageait. Robin était bouillant. Et ça n'avait rien à voir avec l'épaisseur des couvertures, le fait de dormir à deux dans le même lit ou un léger rhume.
"Robin ? répéta le jeune homme en posant ses mains de part et d'autre du visage brûlant de son frère. Robin ? Robin !"
Pas de réponse. Un unique gémissement ténu, presque étouffé, franchit le seuil de ses lèvres. Gilles prit le parti de le secouer, doucement d'abord, puis plus fort -tant pis si son frère n'était que profondément endormi, mieux valait être sûr-, et il finit par crier franchement le nom de son aîné, désespéré par son immobilité.
"Robin ! Mais réveille-toi, bon sang !"
Gilles se tut en constatant que ses mains s'étaient mises à trembler. Il ferma brièvement les yeux et se força à respirer. Allons, ça ne pouvait pas être si grave. Azeem l'avait examiné, et même s'il avait sous-estimé son rhume, il n'avait rien diagnostiqué de sérieux...
En même temps, l'apothicaire qu'il avait appelé à leur secours lorsque sa mère était tombée malade n'avait rien détecté de sérieux non plus, et elle était morte.
Non ! Les choses ne pouvaient pas recommencer. Il n'y avait plus personne d'autre au monde qui comptât aussi tendrement pour lui que Robin, il ne pouvait pas laisser une banale maladie l'emporter ! Son frère était plus fort que ça. Après toutes les batailles auxquelles ils avaient survécues... tout les combats dont il étaient sortis vainqueurs ensemble... Robin avait triomphé des Croisades, du Shérif et de l'incendie de Sherwoord, il ne pouvait pas mourir maintenant. C'était quelque chose... que Gilles ne pouvait pas lui permettre.
"Très bien, lança le jeune homme à son frère inerte, après avoir pris une longue inspiration. Je vais chercher Azeem. Tu n'as pas intérêt à me lâcher maintenant, tu entends ?"
Bien sûr, seul le silence lui répondit. Oh, comme il aurait voulu entendre Robin émettre ce petit ricanement suffisant et narquois qui l'avait tant irrité à leur première rencontre ! Comme il aurait voulu l'entendre se moquer de lui et lâcher un "Tes désirs sont des ordres, chef !" plein de sarcasmes. Mais Robin était inconscient. Si terriblement, mortellement inconscient.
Au moment de se glisser à bas du matelas, pieds nus sur le sol de planches malgré son rhume, Gilles hésita un instant. Il jeta un coup d'oeil circulaire bien incongru autour de la cabane puis, sans un mot, il se pencha sur Robin et l'embrassa sur le front avec beaucoup de douceur. La phrase qui s'échappa de ses lèvres fut à peine plus qu'un murmure.
"Ne me fais pas ça..."
/
Gilles frissonnait de tout son corps, et il savait que ça n'était pas dû à la fièvre, ni au froid alors qu'il se tenait pieds nus, habillé comme pour dormir, juste à côté du lit de son frère. Il brandissait une bougie tremblotante pour Azeem, qui examinait scrupuleusement le chef des voleurs. A la faible lueur du feu, le jeune homme devinait clairement la profonde ride d'inquiétude qui barrait le front du maure.
"Cette fièvre n'est pas normale, déclara sombrement ce dernier après avoir palpé le front et la gorge de Robin. Sa respiration est lente et superficielle... Quand t'es-tu rendu compte que quelque chose clochait avec lui, Jeune Chrétien ?
-Juste à l'instant, répondit Gilles en frissonnant, les yeux écarquillés d'angoisse. Je me suis réveillé et il était brûlant... Et il refuse de se réveiller quand je l'appelle, ajouta-t-il tandis que le maure soulevait l'une des mains de Robin pour prendre son pouls."
L'homme peint se figea soudain, l'air consterné. Lentement, presque à contrecœur, Azeem retourna la main de son ami et demanda d'une voix pressante :
"La chandelle, Jeune Chrétien ! Apporte-moi un peu plus de lumière !"
Alerté par son ton fébrile, Gilles s'exécuta aussitôt. Il éclaira le bras de Robin, son visage cireux et marqué par la transpiration, sa chemise à moitié ouverte et sa main. Sa main large et calleuse -souvenir de ses innombrables heures à bander un arc-, qui avait si souvent tenu le visage de Gilles, avec énormément de douceur. Cette main blanche, un peu sale, était parcourue de veinures, presque imperceptibles, et qui marquaient ses tendons, ses phalanges et ses ongles. Des veinures noires de jais.
Azeem se redressa, extrêmement grave. Gilles vit même la peur se peindre sur ses traits pourtant si calmes.
"Que se passe-t-il ? s'enquit le jeune hors-la-loi, l'estomac noué au point qu'il avait physiquement mal.
-Le Chrétien n'est pas malade, répondit le maure, l'air consterné. Ou, du moins, plus seulement. Ces veinures noires sont très claires. Quelqu'un l'a empoisonné."
Jeune Chrétien, c'est un surnom utilisé par Azeem pour Will que j'ai retrouvé dans plusieurs fanfictions. Je ne sais pas qui a eu l'idée en premier, mais je l'aime bien, je trouve que ça ressemble assez à Azeem. En plus, Chrétien, Jeune Chrétien, c'est amusant, comme ça Robin et Will ont des surnoms assortis :D
Est-ce que c'était OOC ? Je ne sais pas. Oui, non ?
En même temps, c'est la description de la fraternité de Robin et Will dont je suis la plus fière, parmi tous les textes ou morceaux de textes que j'ai pu écrire sur eux. Je me sens beaucoup plus à l'aise, beaucoup plus confiante dans leurs paroles, leurs gestes, leur façon d'interagir que je l'ai jamais été. Et le coup des milliers de bisous sur le visage... à chaque fois que je regarde cette scène où Robin tient le visage de Will dans ses mains (c'est-à-dire... tous les jours parce que je suis une petite folle), je meurs d'envie de voir Robin l'embrasser sur le front. Ce serait tellement la chose à faire ! Voilà ce qui manque, dans cette scène, en fait. Un bisou de frère plein de tendresse.
Je m'étale un peu, là, j'ai l'impression :'3
