One-shot écrit dans le cadre de la cent-treizième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Doudou". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP ! Texte écrit en une heure trois soirs après la Nuit.
Ce texte ne s'intègre pas exactement dans ce recueil, mais il est tard et je vous avoue très honnêtement que je ne me voyais pas créer une entrée à part pour lui x3
Au fait, merci pour le ou la guest qui m'a laissé une review, ça m'a fait hyper plaisir ! ;w;
Lorsque Gilles était arrivé au château, il ne portait à l'épaule qu'un très maigre bagage.
Il y avait déjà plusieurs jours que Robin l'attendait, et son impatience et son anxiété se traduisaient par les coups d'oeil qu'il jetait régulièrement par les fenêtres.
"Tu te fais du mal pour rien, mon aimé, avait essayé de le rassurer Marianne. Il finira bien par venir.
-Je l'espère, avait marmonné Robin, mais il avait continué de guetter à travers la vitre."
Si Gilles avait immédiatement assumé sa position de frère auprès de lui quand ils étaient encore dans la forêt, se voir comme tel au sein du château semblait relever d'un autre domaine. Malgré tout ce qu'il avait dit, se considérer vraiment comme un noble n'était pas encore acquis. Robin avait peur que son frère ne vienne jamais.
Pourtant, il avait fini par se décider. Un soir de fin octobre, alors que les dernières maigres douceurs de l'été s'étaient retrouvées violemment balayées quelques jours plus tôt, le jeune homme s'était présenté à la porte du château, son baluchon sur le dos.
Sauf que c'était vraiment un très maigre bagage.
"Tu n'as rien de plus que ces quelques effets ? C'est vrai ? s'étonna Robin en soupesant le sac défraichi de son frère."
L'intéressé était assis à la grande table à manger du château et il dévorait à belles dents les viandes, les potages et les fruits que son frère lui avait fait apporter.
"Mais tu es mort de faim ! Pourquoi n'es-tu pas venu plus tôt, imbécile !
-Ge pouvait pas, marmonna évasivement Gilles, tirant parti du fait qu'il avait la bouche pleine de plusieurs mets différents et ne pouvait pas franchement répondre. Déjolé."
Robin haussa les épaules et décida de passer à autre chose, tournant de nouveau la conversation vers les affaires de son frère.
"C'est vraiment tout ce que tu as ? répéta-t-il, ne parvenant pas à se souvenir s'il avait vu Gilles avec davantage d'effets lorsqu'ils vivaient dans la forêt.
-Une chemise de rechange, une seconde paire de chaussettes, quelques couteaux, résuma le jeune homme en avalant d'un trait une grande rasade de vin. C'est tout ce que j'ai.
-Gilles...
-Et puis la majorité de mes affaires a brûlé dans l'incendie de Sherwood, de toute façon."
Le coeur serré devant le dénuement de son frère, Robin ouvrit le battant du sac pour juger de l'état de ses vêtements.
"Mais ! Qu'est-ce que c'est que ça ? s'exclama-t-il soudain en voyant une forme rebondie et pelucheuse émerger entre deux tissus."
Gilles avala de travers et se mit à tousser, recrachant à moitié ce qu'il avait dans la bouche.
"Ne touche pas à ça ! gargouilla-t-il, les yeux tout rouges, en essayant de prendre son sac des mains de Robin. Tu n'es pas gêné de fouiller dans mes affaires !
-Hé, mais c'est un doudou ! s'écria le jeune comte, hilare, en esquivant ses tentatives et en extrayant la peluche de l'amoncellement de tissus.
-Robin, lâche ça !
-Eh bien ça... Tu m'avais caché que tu dormais encore avec un doudou !
-Robin, je ne plaisante pas !"
Furieux, Gilles bondit de sa chaise pour arracher le jouet des mains de son frère, qui se mit à rire tellement fort qu'il faillit tomber de son siège.
"Une peluche ! Je n'y crois pas ! Gilles l'Écarlate possède une peluche !
-Ça suffit, Robin !"
Gilles était aussi rouge que son surnom. Furieux et humilié, il tenait le doudou dans ses mains, incapable de s'en défaire mais incapable également d'échapper aux moqueries de son frère. Il regarda autour de lui, mais il n'aurait pas su où aller dans cet immense château. Ce château qu'il n'arrivait d'ailleurs pas encore à considérer comme sa maison...
Au bout de quelques minutes, Robin finit par se calmer. Il essuya une larme de rire qui lui avait échappée et se redressa pour se tourner vers son frère, assis les épaules raides sur son tabouret. Il touillait le potage devant lui, le doudou sur les genoux, et les yeux obstinément fixés loin de son frère.
"Oh, ne fais pas la tête, répliqua Robin en souriant."
Il se leva et s'approcha de son cadet.
"Je suis content que tu aies au moins ça comme effet, assura-t-il. D'où te vient ce doudou ?
-De ma mère, marmonna Gilles, le nez dans son assiette. Je ne sais pas d'où elle le tenait, mais c'est elle qui me l'a offert."
Robin fixa la peluche, l'amusement laissant lentement place à l'interrogation au fond de ses yeux.
"Robin ? l'appela Gilles, perplexe, en lui voyant cet air absent.
-Mmm... ? Oh, oui, ce n'est rien. Tu as fini de manger ?
-Ouff, oui. Je crois que je ne peux plus rien avaler. Merci pour le repas.
-Ne sois pas stupide, tu n'as pas besoin de me remercier. Tu es chez toi, ici. Tu y mangeras toujours à ta faim."
Gilles ne répondit pas. Robin l'invita à le suivre jusqu'à la chambre qu'il avait préparée pour lui -il l'avait fait passer à la salle d'eau juste après son arrivée, pour réchauffer son corps frigorifié et nettoyer toute la crasse qui le recouvrait. L'ancien voleur pensait que toute cette histoire de doudou était terminée, mais au contraire, en arrivant dans sa chambre, Robin lui demanda de l'excuser quelques instants et il partit. Quand il revint, il trouva Gilles assis au bord de son lit comme s'il avait peur d'être expulsé de la pièce séance tenante. Robin ne s'en formalisa pas et referma la porte. Il vint s'assoir à côté de lui et brandit quelque chose juste sous son nez.
"Qu'est-ce que... une peluche ? s'étonna l'ancien voleur, stupéfait.
-Oui, confirma Robin. Une peluche. Un petit bélier, avec une toison toute duveteuse, des petites cornes et un rembourrage pour que ce soit plus doux. Et c'est exactement le même que le tien.
-Le même que... Oh, mais, attends une seconde... tu as raison !"
Gilles s'empara du doudou de son frère pour l'observer et il remarqua, effectivement, les mêmes petits yeux ronds et bleus, les même petites pattes soignées qui semblaient sortir d'un nuage, la même façon de reproduire le moutonnement du pelage, les mêmes petites oreilles tombantes.
"Qu'est-ce que... qu'est-ce que..., balbutia-t-il, les lèvres tremblantes et les yeux déjà remplis de larmes, comme s'il savait ce que son frère allait lui annoncer.
-Ce doudou, Gilles, c'est notre père qui l'a confectionné pour moi, expliqua doucement son aîné. J'ignore pourquoi, mais il affectionnait particulièrement les béliers. Et c'était là sa façon de les représenter sous forme de peluches. Gilles... ce doudou que ta mère t'a donné... dont tu ignores la provenance...
-C'est... c'est Père qui... C'est Père qui a...
-Oui... C'est Père qui l'a confectionné pour toi."
À ce moment-là, le trop-plein d'émotions fut trop fort pour Gilles. Se décider à aller retrouver son frère dans leur nouvelle maison malgré ses doutes, sa peur et son appréhension, se voir offrir un bain chaud, un bon repas et des vêtements propres, lui qui n'avait jamais rien eu... Et surtout, surtout, découvrir qu'il tenait un doudou de la part de son père, un doudou que le Seigneur de Locksley lui avait offert... un doudou qui le désignait comme son fils, qui lui témoignait sa tendresse et son affection, ses regrets aussi, même si ça n'excusait pas tout, certainement pas tout... Ce trop-plein d'émotions fut trop fort, et Gilles éclata en sanglots. Robin le tira contre lui en silence et se mit à lui murmurer des mots doux à l'oreille pour l'aider à se calmer. Les deux peluches de petits béliers se retrouvèrent coincées entre eux deux dans leur étreinte, puis elles glissèrent entre les couvertures quand Robin les allongea tous les deux sur le lit. Et ils s'endormirent.
La première nuit de Gilles au château fut la plus douce. La plus triste aussi, mais surtout, ce fut celle qui scella son appartenance à la famille de Locksley. Depuis toujours et pour l'éternité.
