One-shot écrit dans le cadre de la cent-quatorzième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Dîner". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !


Gilles se réveilla auprès des braises du feu qui commençait à mourir. Une couverture l'enveloppait, sale et roussie par l'incendie précédent, mais au moins, elle était intacte et on la lui avait donnée. Il remarqua également qu'il portait une chemise ne lui appartenant pas, un peu large et trop longue, mais qui changeait agréablement des lambeaux dont il avait dû se contenter dans les périodes creuses. Et puis, à mesure que le sommeil quittait son cerveau, la douleur se rappela à lui.

La jeune homme se tendit de douleur et porta par réflexe la main à son ventre. Mais c'était tout son corps qui le brûlait, pas seulement son abdomen, son torse et son dos, mais aussi ses jambes, ses bras, sa nuque. Il avait mal partout. Ça c'était bien une sensation qu'il aurait bien laissée derrière lui, au milieu de ses rêves, ou plutôt de ses cauchemars.

Quoique... son sommeil avait été assez paisible pour une fois, presque dépourvu du moindre soupçon de mauvais rêves... D'accord, il avait rêvé des geôles du shérif, de ce goût de terre et de sang qui était obstinément resté accroché à sa langue, du frottement des chaînes sur ses poignets blessés, des cris de ses codétenus. Mais il avait aussi rêvé de choses plus douces, de chaleur, de tendresse, d'une gentille caresse...

Maintenant tout à fait réveillé, Gilles bondit presque pour se mettre sur ses pieds. Le monde se mit à tournoyer autour de lui, ses oreilles se mirent à siffler, et il se rattrapa après un arbre. Mauvaise idée. Pourtant, il ne se laissa pas décourager et tenta, bon han mal han, de se détacher du tronc. Son coeur battait fort dans sa poitrine au fur et à mesure que les évènements de la matinée revenaient dans sa tête.

Et quelle matinée ! Son retour au camp, sa confrontation avec Robin, ses bras qui l'avaient repoussé puis étreint, la joie dans les yeux de Robin, et puis dans les siens aussi, et Azeem qui avait montré à son frère comment s'occuper de ses blessures...

L'ennui, c'est que Gilles n'arrivait pas à savoir si c'était un rêve ou la réalité.

S'il avait vraiment appris leur lien de parenté à Robin, si celui-ci l'avait vraiment accueilli avec émotion et douceur, alors il serait là à veiller sur lui, n'est-ce pas ? Comme il veillait sur Duncan... Alors pourquoi Robin n'est-il pas là ?

Sa vision s'éclaircit et Gilles regarda autour de lui. Non, personne. Le campement était vide. Pourtant, le foyer avait été allumé peu de temps auparavant, et la clairière, en partie nettoyée. Alors... où éraient-ils tous passés ? Ils ne l'avaient pas abandonné ici... quand même ?

Gilles sentit une boule remonter dans sa gorge. Il ne pouvait pas croire que c'était un rêve. Que cette attention dans les yeux bleus de Robin n'avait jamais existé, qu'ils ne seraient toujours emplis que de froideur. Ce n'était pas possible... Ou alors...

La gorge du jeune homme se comprima violemment à cette pensée, mais si Robin avait seulement feint de le croire pour mieux le laisser derrière eux ensuite ? Petit Jean avait levé les yeux au ciel lorsqu'il avait avoué être le frère du jeune comte... Est-ce que, finalement, Robin ne l'avait pas cru non plus ? Il ne pouvait pas croire que c'était un mensonge. Que cette douceur dans les mains de Robin n'avait jamais existé, qu'elles seraient toujours hors de sa portée.

Il était épuisé, il avait mal, il se sentait faible et il n'aimait pas ça. Ses pensées étaient embrouillées et confuses, il avait conscience qu'il délirait peut-être mais il n'arrivait pas à s'éclaircir les idées. Il aimerait pourtant... oh, comme il aimerait.

"Rob... Robin ? appella-t-il à travers le camp désert, cherchant à localiser la présence de son frère aîné. Robin ? Robin !"

Pendant de longues secondes, il crut que personne ne lui répondrait jamais, que le frère dont il pensait avoir obtenu l'acceptation avait disparu sans se retourner. Et puis, alors qu'il était sur le point de s'effondrer, deux mains le rattrapèrent sous les aisselles et l'allongèrent sur le sol.

"Qu'est-ce que tu fais debout ? s'enquit une voix douce, la voix de Robin. Je ne crois pas que tu aies repris assez de forces pour te lever, à moins que tu ne nous aies devancés ?

-De... devancé ? balbutia Gilles en essayant, une nouvelle fois, de chasser la brume qui occupait ses pensées.

-Oui, pour attraper notre dîner, répondit Robin en lui désignant les perdrix qui pendaient à sa ceinture. Est-ce que ça va ? Tu es tout pâle.

-Il faut que tu le fasses manger, Chrétien, intervint Azeem qui trainait une biche derrière lui. Il est mort de faim.

-Oui, je le vois bien. Patiente encore un peu, d'accord, Gilles ? Je vais faire rôtir tout ça."

Sans se poser de questions, Robin souleva le jeune voleur dans ses bras et le ramena près des braises, qu'il attisa.

"Alors, est-ce que tu te sens mieux que tout à l'heure ? s'enquit le chef des voleurs avec gentillesse, tout en faisant cuir les oiseaux.

-Non... J'ai l'impression que mon cerveau fonctionne au ralenti, murmura Gilles en portant une main à ses yeux. Je n'arrivais plus à savoir si j'avais rêvé les évènements de ce matin, ou si...

-Tu ne les as pas rêvés, assura Robin en posant une main douce sur son genou. Et tu n'as pas non plus rêvé mon affection. Est-ce que ça te rassure que je te dise ça ?

-Oui, beaucoup, murmura le jeune homme qui sentait ses paupières se refermer. Merci, Robin...

-Hé, ne te rendors pas. Tu as besoin de te nourrir.

-Mmm...

-Sinon, je te préviens, c'est moi qui mange tout."

Cette fois-ci, Gilles ouvrit les yeux et le dévisagea avec toute la détermination dont il était capable.

"Tu n'as pas intérêt".