One-shot écrit dans le cadre de la cent-quinzième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Cauchemar". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !


L'épée lui échappa des mains, mais c'était parce que son corps s'était soudain retrouvé privé de forces. Il ne pouvait pas croire ce qui était en train d'arriver, les pas précipités sur le sol, les cris de Marianne, les chevaux affolés qu'on essayait de calmer. Il s'avança en tremblant, incapable de ramasser son arme tombée à terre, incapable de contrôler les mouvements incertains de ses jambes, incapable de fixer son regard autre part que sur la silhouette sanglante et inerte qu'on amenait dans la cour. C'était impossible. C'était impossible. C'était... impossible.

Incapable d'entendre le moindre bruit tellement ses oreilles s'étaient mises à siffler fort, il traversa les quelques mètres qui le séparaient de l'homme qu'on déposait doucement au sol et, dès qu'il fut près de lui, ses jambes se coupèrent. Il n'avait même plus la forte de fermer la bouche. Ses lèvres tremblaient, un gémissement étranglé se cachait quelque part au fond de sa gorge. Il n'arrivait plus à produire ni le moindre geste, ni le moindre son.

Marianne, elle, paraissait dans un état totalement opposé au sien : échevelée, la robe salie et défaite, elle pleurait et poussait des gémissements à fendre l'âme.

"Robin, mon Dieu, Robin ! sanglota-t-elle en saisissait la main de son mari. Pas ça, je vous en supplie ! Pas ça !

-Ma... Marianne..."

La tempe de Robin, son menton, sa cuisse et surtout sa poitrine étaient couverts de sang. Gilles sut, avant même qu'on lui dise, que son frère était fichu. Ce n'était pas une hypothèse, une éventualité ou un risque. Non. Il allait mourir. Et Marianne sans doute l'avait compris aussi, car elle pleurait toutes les larmes de son corps.

Gilles ne parvenait à rien du tout. À peine eut-il formulé cette pensée que son estomac se souleva brusquement et il se retint pour ne pas vomir. Son coeur battait tellement vite, tellement fort. C'était insupportable.

"Ma... rianne..., articula Robin d'une voix faible en entremêlant ses doigts à ceux de sa femme. Marianne, je... je suis désolé... Je t'aime tant, si tu savais...

-Ne me fais pas ça, je t'en prie ! gémit la jeune femme en portant désespérément sa main à sa joue."

Gilles ne dit rien, en état de choc, mais tressaillit quand une main faible glissa dans la sienne. Il baissa les yeux. Robin le regardait à son tour, ses yeux bleus comme le ciel prenant une profondeur que le jeune homme aurait voulu ne jamais voir. Il ne pouvait pas se résoudre à voir ces yeux devenir opaques et absents. Non. Non. Non.

C'était comme si son propre ciel était en train de s'éteindre.

"Robin..., parvint-il enfin à lâcher d'une voix tremblante.

-Gilles..., murmura son frère, la voix déjà presque éteinte. Gilles, je t'aime tellement... Promets-moi... que tu prendras soin de... de Marianne...

-Robin... Robin, tu ne peux pas me faire ça, gémit le jeune homme, et il éclata en sanglots. Robin, je t'en prie ! Tu es tout ce que j'ai ! Tu es ma seule famille !

-Je suis... déso... lé..."

Les yeux clairs de Robin s'éteignirent. Gilles ne sut absolument pas ce qu'il se passa ensuite. Le monde entier venait de mourir. Et le pire, c'était qu'il n'avait même pas dit à Robin qu'il l'aimait aussi.

Gilles se réveilla en sursaut, au coeur d'une nuit noire et venteuse qui ne le rassura absolument pas. Tremblant, le coeur cognant à tout rompre, il tâtonna autour de lui, essayant de mettre la main sur quelque chose, n'importe quoi, qui pourrait lui procurer un peu de lumière.

"Qu'est-ce que tu fais ? Arrête de t'agiter comme ça, on dirait un fou, marmonna une voix endormie à côté de lui."

Le jeune homme se figea.

"Robin ? murmura-t-il en tremblant, empli cette fois d'un puissant sentiment de soulagement et de gratitude. C'est toi ?

-Bien sûr, qui d'autre ? bâilla son frère, dont il devina le mouvement pour rouler le dos. Tu as rêvé que tu dormais avec une jolie fille ?"

Le sourire était clairement perceptible dans la voix de l'archer, mais Gilles se contenta de se jeter sur lui et de cramponner sa chemise à pleines mains.

"Robin ! Robin, je suis... je suis...

-Un problème ? s'étonna son frère en le sentant finalement trembler contre lui. Qu'y-a-t-il ? Tu as fait un cauchemar ?

-Robin ! Robin, tu n'as pas intérêt à me refaire ça !

-Hein ? De quoi tu parles ?

-Je t'aime moi aussi !

-Quoi ?

-Je t'aime aussi."

Le jeune homme n'en dit pas plus et enfouit sa tête contre la poitrine de son aîné. Il ne lâcha pas sa chemise et ne réagit pas davantage quand son frère le serra dans ses bras. Son cauchemar s'éloignait enfin. Il en avait rarement connu d'aussi terrifiant et il espérait que, jamais, dans un futur proche ou lointain, il n'aurait à supporter une nouvelle fois cette vision. Heureusement, la lumière qu'il cherchait dans le noir s'était remise à scintiller avec la voix de Robin, et il put reprendre sa nuit, consolé et apaisé, sous la légère brise qui soufflait dans les branches et avec un baiser dans les cheveux, où se faufila doucement cette unique parole de son frère : "Je t'aime aussi".