One-shot écrit dans le cadre de la cent-dix-septième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Florilège". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !


Quand il avait entendu le florilège d'insultes qui avait franchi la bouche de son frère, Robin s'était clairement senti devenir aussi blême qu'un mort. Il savait à quel point Gilles avait le sang chaud, réagissant au quart de tour et ne laissant pas passer des offenses aussi énormes, mais il ne s'était pas attendu à une telle explosion de colère. Pourtant, il se maudit immédiatement de n'avoir rien vu venir. Il y avait des heures que ce duc allié lançait des piques au jeune homme. C'était évident que Gilles ne se laisserait pas faire éternellement. Il connaissait bien son frère, pourtant !

"Gilles, ça suffit ! s'écria Robin en ceinturant son frère écarlate de colère et en l'éloignant du noble. Tu ne sais pas ce que tu dis ! Tais-toi !

-Comment peux-tu dire ça ?! s'indigna le jeune homme, choqué par la réaction de son aîné. Tu n'entends pas comment il me parle depuis tout à l'heure ?!

-Ce n'est pas une raison, Gilles ! Calme-toi un peu !

-Mais !

-Ça suffit ! Tais-toi !"

Robin se retrouva contraint d'user avec son frère de son regard le plus sévère, rempli d'avertissement. Il n'aimait pas spécialement faire ça, d'autant plus que Gilles avait raison. Mais le duc, en provoquant le jeune homme, savait exactement ce qu'il faisait. C'était ce type de réaction qu'il attendait, et laisser Gilles s'emporter comme ça ne pouvait que mal tourner.

Avec une rudesse pour laquelle il s'excusa en pensée, Robin repoussa son frère derrière lui et présenta ses excuses au duc :

"Je vous prie de bien vouloir pardonner l'impudence de mon frère. Il n'est pas encore habitué aux règles de bienséance.

-Ah, sans vouloir vous offenser, Lord Locksley, ce comportement ne me surprend pas, répliqua son invité avec dédain. Que voulez-vous faire d'un petit paysan ?

-En revanche, même si ses insultes n'avaient pas lieu d'être, je ne puis tolérer que vous manquiez ainsi de respect à mon frère.

-Je vous demande pardon ?"

Le duc et Gilles lancèrent à Robin un regard stupéfait. Ses yeux clairs étaient fichés dans ceux de son vis-à-vis et ils exprimaient une détermination digne de ses plus hauts faits héroïques. Cette fois, son irritation n'était pas dirigée vers son frère, mais vers son invité.

"Je... Serai-je contraint de vous répéter les infamies que votre frère m'a lancées à la figure ?! tenta de s'indigner le noble en déglutissant. Ce n'est pas ainsi que l'on s'adresse à un duc !

-Ce n'est pas ainsi que l'on s'adresse au second seigneur du château dans lequel on est invité, rétorqua Robin, et cette appellation de "second seigneur" fit virer le visage de Gilles à l'écarlate. Il a droit à votre respect tout autant qu'il vous doit le sien. Aussi, je vous demanderai de cesser vos insultes à son égard. Elles étaient certes moins imagées que les siennes, mais tout aussi répréhensibles.

-Mais... mais..."

Le duc n'en revenait pas. Gilles non plus, qui fixait son frère avec de grands yeux stupéfaits.

"Gilles ? l'interpela justement son aîné.

-Heu... oui ?

-Je voudrais que tu présentes tes excuses à notre invité pour l'avoir offensé. Et en échange, je gage qu'il sera disposé à faire de même avec toi.

-Mais...

-Tout de suite, Gilles. S'il te plaît."

L'aîné des deux frères prit la peine de tourner un instant son regard bleu vers le jeune homme. Ce dernier y lut une demande de confiance, un apaisement et une affection qui firent céder en partie sa résistance. Son coeur se soulevait de colère rien qu'à l'idée de devoir s'excuser auprès de ce seigneur exécrable, mais... mais... mais son frère le lui demandait. Alors, il prit une grande inspiration, tenta de se persuader que ce n'était pas sa bouche qui prononçait ces mots, et il lâcha :

"Messire, je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses pour ces mots qui ont... dépassé ma pensée. J'espère que vous... ne m'en tiendrez pas ombrage..."

Robin lui lança un regard soulagé et lui sourit, puis il se tourna de nouveau vers le duc.

"À votre tour, Messire le duc.

-Je..., s'étouffa le noble, rouge d'indignation, je...

-Nous pouvons toujours régler cela à l'amiable. Mon frère et moi sommes tout à fait disposés à oublier votre irrespect si vous présentez les mêmes excuses que lui."

S'excuser auprès d'un paysan, d'un bâtard élevé dans la boue et qui ne devait son élévation qu'aux prouesses de son frère, était au-delà de l'humiliant. Hélas, même un duc ne pouvait risquer de se mettre à dos l'un des plus proches chevaliers du Roi. Alors, il pinça les lèvres et lâcha à la dégoûtée :

"Excusez-moi pour mes... mots de trop. Il semblerait que votre frère vous tienne en haute estime... et je... ferai en sorte de m'en rappeler, à l'avenir..."

C'était peu, mais ça sembla contenter Gilles, qui se détendit imperceptiblement derrière son frère. Robin sourit et, après quelques paroles aimables pour conclure l'entretien sur des notes plus amicales, il fit ses adieux au duc. Une fois qu'il fut parti, l'archer se tourna vers son frère.

"Merci pour les efforts que tu as faits, lui sourit-il en posant avec affection une main sur sa joue. Ses insultes auraient largement mérité que tu te mettes encore plus en colère, mais tu ne l'as pas fait. Je sais à quel point ça t'a coûté.

-Tu n'es pas en colère ? s'étonna le jeune homme, qui ne comprenait presque pas ce que la main de son frère faisait sur son visage. Tu... tu m'as pourtant rabroué pour lui avoir répondu comme ça.

-Parce que si je ne l'avais pas fait, tu lui aurais sûrement sauté à la gorge ! Mais je suis quand même fier de toi. Après tout, je n'ai pas eu besoin de te supplier pour que tu t'excuses.

-Il fallait bien que je joue le jeu... Je sais que te brouiller avec tous les nobles arrogants qui nous entourent pourrait te causer beaucoup d'ennuis."

Robin sourit et passa ses bras autour de son frère pour l'attirer contre lui.

"Merci. Tu te fais de mieux en mieux à la vie de noble, et je suis très fier de toi, murmura-t-il dans ses cheveux.

-Merci, Robin... Ça... ça représente beaucoup pour moi..."

Gilles enfouit sa tête contre l'épaule de son frère et ferma les yeux un instant. Rien que pour des moments de fierté et de tendresse comme ceux-là, les escarmouches avec ce duc en valaient presque la peine...