One-shot écrit dans le cadre de la cent-vingtième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Arc". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !
Gilles faisait les cent pas dans la cour du château et jetait régulièrement des coups d'oeil à la plus haute tour, frustré de ne pas pouvoir escalader le mur pour aller voir lui-même de quoi il en retournait. Depuis le temps qu'ils avaient propulsé Robin de l'autre côté, comment se faisait-il qu'il ne soit pas encore revenu ? Même eux, dans la cour, avaient terminé de soumettre les partisans du shérif, qui s'étaient rendus en constatant que leur chef s'était enfui. Les uns après les autres, ils les enfermaient dans le cellier en attendant le retour du prince des voleurs.
Gilles jeta de nouveau un regard morose aux grilles du corps de logis qui refusaient toujours de s'ouvrir. Il ne doutait absolument pas des compétences de son frère quand ça consistait à foncer dans le tas, improviser et se battre avec les moyens du bord -il avait fini par admettre que son aîné n'était plus vraiment le petit garçon gâté et faiblard qu'il avait imaginé. Mais cette absence prolongée l'inquiétait de plus en plus. Il était seul avec le shérif, enfin, seul avec Azeem, mais ça faisait quand même deux hommes contre un tyran cruel et une partie de son armée. Il pouvait avoir des ennuis...
Le jeune homme secoua la tête. Non ! Il n'avait pas intérêt à se faire bêtement défaire par Nottingham, cet idiot ! Ça serait vraiment honteux qu'il lui ait ouvert son coeur et donné sa confiance pour qu'il l'abandonne aussi vite. Maussade, Gilles se tourna vers les restes explosés de l'échafaud où il avait failli perdre sa tête et aperçut l'arc de son frère, abandonné au milieu de la paille et de la poussière. Oui, il se souvenait avoir vu Robin le jeter à terre en accourant auprès de lui, pour saisir son couteau et trancher les liens qui le retenaient. Sans un mot, le jeune voleur se baissa et le ramassa. Le bois était un peu usé, c'était vraiment l'arc que son frère trimbalait depuis son arrivée au camp, pas un neuf qu'il aurait taillé pour l'occasion. Le coeur serré, il ramena l'arme contre lui et retourna se poster sous les murailles.
"Hé, qu'est-ce que tu fiches avec ça, l'Écarlate ? l'apostropha soudain l'un des hors-la-loi de Robin. C'est pas à toi ! Tu préfères de loin la technique de lâche de lancer des couteaux dans le dos !
-En effet, ce n'est pas mon arc, mais je n'ai pas l'intention de le laisser dans la terre et la poussière. C'est celui de Robin. Toi qui vénères le sol que foule ses pieds, tu devrais être de mon avis qu'on prenne soin de cette précieuse relique, répliqua le jeune homme en lui lançant un regard agacé.
-C'est bien ce que je pensais ! s'exclama l'autre. Tu l'as volé à Robin, avoue ! Tu l'as dépouillé de son arme et tu l'as incité à aller se battre contre le shérif pour te débarrasser de lui !
-Ne sois pas stupide, rétorqua Gilles en reculant de quelques pas devant son regard mauvais. Si les yeux ne te font pas autant défaut que l'intelligence, tu as bien remarqué que Robin m'a sauvé du bourreau, tout à l'heure ! Et il a choisi lui-même de franchir ce mur pour délivrer Marianne. Le prendrais-tu pour un imbécile ?"
L'homme ne sembla pas démonté par cette accusation, et il avança vers le jeune voleur, bientôt imité par ses camarades. Ils avaient tous l'air franchement hostiles, et Gilles jura dans sa barbe avant de sortir son couteau et de le brandir devant lui en position de défense. Il leur aurait bien dit de ne pas l'approcher, qu'il était le frère de Robin et que jamais celui-ci ne tolèrerait qu'ils lui fassent du mal -un sentiment de protection bien stupéfiant après toutes ces années, mais très agréable-, mais il se doutait que jamais ils ne croiraient en sa parole.
"Attrapez-le ! ordonna le hors-la-loi à ses camarades. Il doit savoir ce que le Shérif a l'intention de faire pour piéger notre chef !
-Le Shérif est mort, rétorqua une voix forte derrière eux. Et de toute façon, Gilles n'avait rien à voir avec lui."
Stupéfaits, les hors-la-loi se retournèrent. Robin avait fini par les rejoindre et, laissant Marianne et Azeem derrière lui, il s'était approché de la scène. Le regard plein d'avertissement qu'il posa sur ses hommes les déconcerta, mais ce ne fut rien quand leur chef posa sa main sur l'épaule du paria et lui sourit.
"Alors comme ça, il paraît que tu m'as volé mon arc ? J'ai toujours su que tu voulais prendre modèle sur moi.
-Ah ! Tu rêves, rétorqua le jeune voleur en faisant de son mieux pour cacher son bonheur et son soulagement. Je me suis juste dit que tu devais être encore plus inutile que d'habitude quand tu ne l'avais pas.
-Tu n'arrêteras donc jamais ! s'exclama son frère en éclatant de rire."
Il reprit son arme des mains de Gilles et glissa ses doigts dans ses cheveux. Le jeune homme secoua la tête pour protester, mais le regard de son frère se fit soudain plus sérieux et il lui demanda :
"Comment ça va, Gilles ? Tu n'es pas blessé ?
-Non, je suis toujours en un seul morceau, comme tu le vois, répondit le jeune homme avec un sourire narquois.
-Les plaies sur ton dos et ton ventre ?
-Ça me tire, mais je m'en remettrai."
Robin hocha la tête.
"Je vois. Je suis soulagé, j'avais peur qu'il t'arrive quelque chose pendant que je n'étais pas là.
-Il m'est arrivé des tas de choses pendant que tu n'étais pas là, rétorqua Gilles en feignant l'exaspération. Mais regarde, j'ai encore cinq doigts à chaque main !
-Arrête, tu sais très bien ce que je veux dire, répliqua le chef des voleurs sans pouvoir se retenir de sourire."
Malgré les apparences qu'il avait envie de préserver, le jeune homme se laissa faire avec un plaisir évident quand son frère le prit dans ses bras. Robin posa sa tête sur son épaule et sa main à l'arrière de son crâne et ils restèrent ainsi quelques instants, sous les yeux des hors-la-loi qui n'y comprenaient plus rien.
"Au fait ! lança Robin quand ils eurent fini l'étreinte, je vous annonce solennellement que Gilles est mon petit frère. Alors le prochain qui s'avisera de lui faire des menaces aura affaire à moi."
Complices, les deux frères se sourirent. Ils avaient exactement la même lueur pétillante de malice dans les yeux.
