Je sais, je sais. Cette scène a été exploitée cent fois, et j'ai participé à cette exploitation massive. Mais je voulais quelque chose de court (enfin... "court"), rapide et tendre pour Robin et Gilles. Donc, pour vous ce soir, en exclusivité et sous vos applaudissements, une autre énième version de la victoire de Robin contre le Shérif.


Gilles ne s'attendait pas à une réaction aussi expansive de la part de Robin. Il avait adoré les moment tendres qu'ils avaient passé ensemble la veille et dans la matinée, pendant qu'ils se parlaient et apprenaient à se voir sans colère. Mais une fois son frère en pleine action, il n'avait pu que constater, et cette fois sans mauvaise humeur, à quel point il était un chef brillant et aimé. La foule qui l'entourait et l'acclamait était considérable. Si lui arrivait à se ménager une petite place pour avoir accès à son frère, qu'il considérait avec la timidité toute nouvelle de cette intimité soudain possible, ce serait sans doute un miracle.

Malgré tout, le jeune voleur s'avança pour se placer au premier rang. Les autres hors-la-loi ne réagirent pas, sans doute parce qu'ils avaient bien vu son ardeur au combat, ou parce que sa décapitation manquée les avait fort impressionnés. En tout cas, personne n'essaya de l'écarter de leur chef avec qui, deux jours plus tôt, il s'entendait si peu, lorsqu'il passa devant eux en tenant Marianne par la main. Gilles leva la tête et sourit, impressionné par le charisme de son frère, par l'assurance et la bonne humeur qui se dégageaient de lui. Maintenant qu'il avait cessé d'être sans arrêt en colère contre lui, il pouvait enfin l'admirer sans se haïr d'avoir envie de l'aimer.

"Robin, bravo !

-Tu nous as débarrassés de ce tyran !

-Tu es le meilleur !

-Tu es notre héros !"

Gilles était plutôt d'accord, mais il n'osait pas encore mêler sa voix aux leurs. Tout cela était tellement nouveau pour lui... Il se sentait un peu ridicule d'être soudain aussi timide, mais maintenant qu'il aimait Robin, comme les autres... C'était presque comme s'il n'y avait plus de différences entre lui et eux...

"Gilles ! s'exclama alors son frère en l'apercevant, ses yeux bleus brillant de joie et de fierté. Tu n'as rien ?

-Non, je vais bien. On ne peut pas en dire autant de toi, répondit le jeune homme en laissant son regard courir sur la cicatrice qui barrait le menton de son aîné."

Robin rit, ce qui sembla surprendre les hors-la-loi qui l'entouraient. Ils pensaient sans doute qu'un nouvel échange de venin et de mépris se préparait, et que Robin n'avait sauvé le jeune homme que parce qu'ils étaient camarades. Bien sûr, ils n'étaient pas à la place de Gilles, aucun n'avait pu voir, comme lui, l'effroi et la panique qui avaient brillé dans ses yeux quand la hache du bourreau avait failli lui trancher la tête. Quelques uns des voleurs entourèrent même Gilles, sans doute pour le repousser loin derrière la foule et l'éloigner de Robin, mais leur chef ne les laissa pas faire. Il les écarta tour à tour et s'arrêta juste devant son frère, mais seulement pour un instant, parce que la seconde suivante, le jeune homme se retrouvait serré par la taille et soulevé du sol.

"Mais qu'est-ce que tu fais ? s'exclama-t-il en poussant un glapissement de surprise."

Il aurait voulu ajouter "Tu as perdu la tête ?", mais il était tellement stupéfait par un tel mouvement d'affection qu'il n'osa pas le dire. Cet instant lui paraissait trop précieux et trop fragile, alors il se contenta de se cramponner aux épaules de son frère quand Robin leur fit faire plusieurs tours sur eux-mêmes.

"Je suis simplement heureux que toute cette histoire soit terminée, expliqua son frère en souriant, visiblement pas plus dérangé que ça par le léger tournis qui avait pourtant saisi Gilles. Tu n'es pas soulagé ?

-Si, répondit le jeune voleur en souriant, intimidé encore par la tendresse qu'il lisait dans son regard. Mais tu veux bien me faire redescendre ? J'ai échappé de peu à la suspension par le cou, aujourd'hui, j'aimerais éviter de quitter le sol pendant un jour ou deux.

-Dit celui qui habite dans les arbres !"

Robin accéda néanmoins à sa requête et le reposa par terre, ce que Gilles ne put s'empêcher de regretter. Il avait apprécié ce moment suspendu, tout lui avait paru plus simple, plus vrai, plus authentique entre eux. Des choses qui, normalement, devraient être amenées à se reproduire, mais Gilles avait du mal à y croire encore.

Autour d'eux, la foule commençait à grommeler, stupéfaite et inquiète. Gilles l'Écarlate qui s'amendait auprès de Robin ? Ça paraissait trop invraisemblable pour y croire. Petit Loup eut même l'audace de faire un pas, échappant à ses parents qui le tenaient toujours par les épaules, pour lancer à leur chef :

"Robin, ne te laisse pas avoir par ce traître ! Il t'a peut-être aidé aujourd'hui, mais il a lui-même négocié sa libération avec le Shérif en échange de ta vie ! Je suis sûr qu'il est venu à Nottingham pour t'assassiner, tu ne dois pas lui faire confiance !"

L'incriminé s'efforça de ne pas grimacer. Il n'aimait pas avoir à se justifier, et encore moins devant un enfant... Surtout que ce dernier n'avait pas tout à fait tort. Il avait été fou de rage en apprenant, dans les geôles puantes et sombres de Nottingham, que son frère était encore en vie alors que, eux tous, ils étaient condamnés à hurler de douleur au coeur de ces ténèbres suffocantes, et que tant d'autres avaient péri. C'était de sa faute, tout ça ! Et, en négociant sa libération, le jeune homme ne pouvait pas jurer qu'il n'avait pas pensé à faire payer à son frère ce comportement abject, ne serait-ce que pendant un instant...

Gilles jeta un coup d'oeil à Robin. Il ne semblait pas contrarié, et fixait même Petit Loup avec un regard amusé.

"Vraiment ? s'exclama-t-il en claquant sa main sur l'épaule de son cadet. Tu aurais pu me prévenir. Je me serais préparé, frère."

Ce mot fit tressaillir Gilles, mais les autres hors-la-loi ne réagirent pas. Ils pensaient sans doute que leur chef entendait ce terme comme "frère d'arme", même si, de leur point de vue, Gilles ne devait sûrement pas le mériter. Ce qui était injuste, il s'était toujours battu à leurs côtés; ce n'était que Robin qu'il n'aimait pas, à l'époque.

"Inutile. J'étais presque sûr que tu te tuerais tout seul, avec toutes tes acrobaties de singe savant, répliqua Gilles pour ne pas paraître déconcerté. D'ailleurs, je peux savoir comment tu as réussi à arriver là-haut sans te faire mal ?"

Robin rit une nouvelle fois, lui serra l'épaule et consentit enfin à répondre à Petit Loup et aux autres :

"En fait, je ne crois pas que Gilles me fera quoi que ce soit. J'en suis même persuadé. Après tout, c'est lui qui nous a dit ce que le Shérif comptait faire, où, quand, et à combien de prisonniers exactement. Il était même censé vous détacher lui-même, mais tu l'as un peu pris de cours."

Il fit une pause, puis ajouta :

"Je te rassure, mon petit, nous n'avons plus de raisons de nous battre, surtout maintenant qu'il a accepté de me pardonner.

-Te pardonner ? s'exclama l'enfant, se faisant le porte-parole de la stupéfaction et de l'indignation générales. De quoi ?

-D'avoir été un mauvais frère jusqu'à présent."

La cour toute entière sembla retenir son souffle. Le coeur de Gilles battait fort et nerveusement dans sa poitrine, mais il s'efforça de ne pas trop bouger et de rester impassible, la main de Robin sur son épaule. Son frère paraissait extrêmement heureux et fier. Le regard de Gilles balaya la foule. Chez ceux qui l'illumination venait d'avoir lieu en étaient presque à ôter leur bonnet, pleins d'un respect soudain. Une part de sceptiques coulait toujours des regards mauvais au jeune homme mais, à sa grande surprise, ils étaient moins nombreux qu'il l'aurait pensé.

"Ton frère ? répéta Petit Loup, abasourdi. Tu veux dire... ton vrai frère ? C'est pas des blagues ?

-Non. C'est le fils de mon père. Je n'en savais rien jusqu'à présent, mais maintenant que je l'ai retrouvé, je ne le quitterai plus jamais, affirma Robin en coulant un regard plein d'affection vers son cadet. À moins bien sûr que tu ne me trouves trop encombrant ?

-C'est bien pour te faire plaisir, répliqua Gilles en haussant les épaules. Mais fais attention à ne pas retrouver trop rapidement tes manières de seigneur et maître, Locksley.

-Je te le promets, jura Robin en riant."

Il entoura carrément les épaules du jeune voleur de son bras et l'entraina vers un point un peu plus élevé de la cour, sans doute pour faire un discours et calmer le désordre qui régnait parmi les gens. Sa déclaration avait été si pleine d'assurance et de certitude que personne n'essaya de remettre sa parenté avec Gilles en question.

"Tu avais l'air bien pressé d'annoncer à tout le monde nos liens familiaux, observa le jeune homme sans prêter attention au cortège qui les suivait. Tu crois vraiment que c'est une bonne chose pour toi ?

-Ça m'apporte déjà tellement de choses ! rétorqua Robin. Ça m'apport de la fierté ! Je suis fier d'avoir un frère comme toi, Gilles.

-Vraiment ? Pourtant, je pensais que...

-Beaucoup de choses nous ont apposées. Mais tu es fort, intelligent et courageux. Je te l'ai déjà dit hier, il me semble. Quoi qu'il arrive, je serai toujours fier de toi.

-Oui, moi aussi."

Tout à coup, Gilles se sentit aussi léger que l'air, aussi léger que quand Robin l'avait soulevé dans ses bras.