Quand les envies de Robin et Gilles sont trop fortes.


Les flammes du feu de camp réchauffaient un peu, mais pas assez en cette frileuse fin d'automne. Gilles pouvait clairement sentir les poils de ses bras qui se hérissaient au fur et à mesure que les frissons le parcouraient. Robin devait le voir aussi, parce qu'il l'observa quelques instants avant de se défaire de l'épaisse tunique qu'il portait par-dessus sa chemise et de la lui tendre.

"Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ? se moqua le jeune homme pour ne pas s'émouvoir de façon trop visible de l'attention de son nouveau frère.

-À ton avis ? Te confectionner des chaussettes avec, répliqua son aîné sur le même ton, un petit sourire au coin des lèvres. Allez, enfile ça. Sinon, tu vas te changer en statue de glace.

-Ça m'étonne que tu ne sautes pas sur l'occasion, lança Gilles en prenant le vêtement."

Robin tiqua, comme s'il hésitait à lire un reproche dans sa remarque, et son sourire vacilla un peu aux commissures des lèvres. Mais Gilles lui fit rapidement un autre sourire et déboutonna la tunique brune pour se glisser dedans. Il retint à grand peine un soupir d'aise. Les manches étaient courtes et ne descendaient pas jusqu'à ses coudes, et il flottait un peu dedans, mais qu'est-ce qu'elle était chaude.

"Et toi ? demanda-t-il à son frère qui, à défaut, s'était mis à se frictionner les bras pour se réchauffer.

-Aucune importance, affirma Robin avec un sourire assuré. Je ne crains pas le froid.

-Inutile d'essayer de m'impressionner, tu sais. Je ne suis pas Marianne."

Gilles souriait tellement qu'il était sûr que ça se voyait à des lieues d'ici, malgré l'obscurité. Il remonta ses genoux sous son menton et tourna de nouveau la tête vers son frère, seulement pour découvrir que la mention de sa bien-aimée avait allumé un éclat douloureux dans ses yeux. Alors, il se serra contre lui et posa sa main sur son genou pour le réconforter. Robin sourit, passa son bras autour de lui et le ramena contre son flanc. Gilles n'avait plus froid pour la première fois depuis longtemps, pas seulement au corps, mais aussi à l'âme.

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Le lendemain, Gilles se réveilla toujours enveloppé dans l'épaisse tunique de son frère. Il avait incroyablement bien dormi. Il s'assit, s'étira avec précaution pour ne pas aggraver ses blessures, et se leva pour s'aventura près du feu de camp en tenant ses bras serrés contre sa poitrine. Il ne savait pas si c'était à cause du vêtement si confortable, mais il ne se sentait pas aussi alerte qu'il l'était d'habitude au réveil.

"Salut, lui lança Robin presque timidement en apparaissant devant lui. Bien dormi ?

-Autant que possible. Si l'on exclut le bruit de tes ronflements, répondit le jeune homme en tendant les mains vers le foyer à peine rallumé.

-Je ronfle si fort que ça ?"

Robin se tourna vers Azeem pour chercher du secours, mais le maure se contenta de sourire et de hausser les épaules. Gilles éclata de rire devant sa mine déconfite.

"Bon, assez rigolé, marmonna l'archer en feignant d'être vexé. Il ne fait plus aussi froid que pendant la nuit, tu peux me rendre ma tunique, maintenant.

-Quoi ? Mais pour quoi faire ? protesta le jeune homme qui se sentait aussi à l'aise que dans un nuage avec le vêtement sur le dos. Je suis sûr que tu en as des tas d'autres !

-Mm, plus depuis que le camp a brûlé, lui rappela Robin en désignant les restes calcinés. En plus, cette tunique est trop grande pour toi, tu vas avoir besoin de toute ta liberté de mouvement quand nous délivrerons nos amis tout à l'heure. Allez, rends-moi ça. Je t'en donnerai une autre, c'est promis.

-Et comment tu vas faire si toutes tes affaires ont brûlé ? grommela Gilles, mécontent."

À contrecœur, il rendit la tunique à son frère et retroussa les manches de sa chemise pour être plus à l'aise. Quitte à avoir froid, autant qu'il soit efficace en cas de bagarre. Il remit aussi son gilet fatigué brodé de deux animaux écarlates, mais il n'était pas aussi confortable que les vêtements de son frère.

"Allez, arrête de bouder, l'enjoignit l'archer en passant un bras autour de son cou. J'ai entendu dire que tu étais plutôt doué dans la sculpture de morceaux de bois. Ça tombe bien, j'ai besoin de ton aide."

Gilles faillit lui demander quelque chose en échange mais, même sur le ton de la plaisanterie, il ne voulait pas avoir l'air trop désespéré, alors il s'abstint. Mais, furtivement, il se demanda quand même s'il y avait moyen de dérober des vêtements à son frère de façon assez naturelle pour que Robin ne les réclame pas ensuite. C'était une idée à creuser.

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"Ça va ? Tu dois être frigorifié d'être assis comme ça tout seul, loin de la foule et des feux de camp.

-Mais au moins, je me suis arrêté de boire avant d'être complètement soûl, observa Gilles en chassant de la main les effluves avinées de son frère. Qu'est-ce que tu fais là ? Je croyais que tes admirateurs attendaient par convois de trente que tu leur re-racontes la même histoire ?

-Trente ? Sais-tu au moins ce que ça représente ?

-Bien sûr. Je sais compter, figure-toi."

D'un geste amusé, le jeune voleur repoussa doucement son frère sur le côté, mais il était tellement ivre qu'il faillit tomber.

"Je crois que tu as vraiment besoin d'arrêter de boire, conclut-il en lui volant sa choppe à moitié pleine et en la vidant d'un trait. Excellent vin. Où l'as-tu trouvé ?

-Ça, il faudra demander à Frère Tuck."

Robin soupira, visiblement rattrapé par la fatigue des dernières heures, et se laissa tomber à côté de son frère.

"Hé là, doucement, le retint Gilles en constatant qu'il tanguait même en étant assis. Ouais, tu vas arrêter avec la boisson.

-Bien sûr, Papa, répondit Robin en riant. Tiens... prends ça, tu es tout froid."

Avant que Gilles puisse réfléchir aux émotions qu'avaient suscité en lui l'évocation de leur père, son frère lui passa une nouvelle fois sa tunique sur les épaules.

"Elle te va bien, constata l'archer avec un grand sourire, puis il renversa la tête en arrière pour regarder les étoiles. Oui, je crois que j'ai vraiment trop bu. Tu crois que Marianne va s'en rendre compte ?

-Elle s'en est sûrement déjà aperçu, répliqua Gilles en roulant des yeux. Tu n'as vraiment pas senti ton haleine."

Robin lui donna un coup de poing gentil dans les cotes et le jeune homme rit, avant de refermer le dernier bouton de la tunique de son frère sous son menton. Il enfouit son nez dedans. Oui, c'était chaud. C'était doux. Ça sentait Robin.

"Bon, je crois que je vais dormir un peu, bâilla justement ce dernier en se ménageant une place contre l'épaule du jeune voleur. Réveille-moi si quelqu'un me cherche. Enfin, sauf si c'est pour entendre une énième fois mon histoire. Ou me parler de la restauration des anciens droits des seigneurs ou de la cessation des taxes. Ou de l'organisation de cette fête. En fait, ne me réveille pas.

-Je vois, lâcha Gilles en riant. Eh bien, bonne nuit. Je garde ta tunique en signe de remerciement.

-Comme tu veux, marmonna Robin, qui dormait déjà à moitié. Tu sais, tout ce qui est à moi est à toi, maintenant... Nous sommes une famille.

-Oui... Une famille."

Gilles posa doucement sa joue contre les cheveux blonds de son frère. Une larme d'émotion lui échappa, qui se perdit quelque part sur la tête de son aîné. Oui, une famille... Il était tellement heureux d'être là.